Financing Health in Africa - Le blog
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En marche vers l’assurance maladie nationale: l’échelonnement par composant

4/11/2017

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Erik Josephson

De nombreux pays d'Afrique sub-saharienne cherchent à mettre en place une assurance-maladie nationale avec l'ambition de parvenir à une couverture universelle. Quand on suit une des approches classiques, le lancement d'une assurance-maladie nationale nécessite d'établir une technostructure complexe et complète dès le départ. Mon hypothèse est que les différents composants de l'assurance-maladie nationale pourraient être échelonnés dans le temps. Le composant de l'achat stratégique serait le point de départ.

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Il est frappant de constater à quel point l'agenda de la couverture sanitaire universelle (CSU) a été, d'un point de vue financier, confondu avec l'assurance-maladie contributive. Certaines raisons sont compréhensibles. Dans de nombreux pays à faible revenu, la santé est actuellement financée par une combinaison de recettes fiscales, de dépenses à charge des patients et de financements extérieurs. Il existe une tension entre l'objectif de mobiliser des ressources pour la santé - qui suggère de maintenir le paiement par les patients - et l'objectif d'accès à tous - qui suggère de supprimer cette contribution. Beaucoup de pays ne veulent pas perdre les recettes directes de la population - le paiement de primes d'assurance devient alors l'option privilégiée.

Ces derniers mois, j'ai été interpelé par le défi rencontrés par les pays d'Afrique sub-saharienne qui se sont engagés dans le développement d'une assurance-maladie nationale (contributive). Mon analyse est que si l'élaboration d'un régime national d'assurance-maladie est un défi, ce n'est pas nécessairement parce que la gestion d'un tel plan est compliquée et administrativement lourde (bien que cela soit certainement vrai), mais plutôt en raison des approches adoptées pour le mettre en place.

Les approches classiques d'échelonnement

J'ai observé trois approches pour échelonner la mise en place de l'assurance-maladie nationale: (i) l'approche 'big bang' - on couvre la population de l'ensemble du pays en une fois; (ii) l'approche qui consiste à commencer par un segment de population, généralement un segment de l'économie formelle (ex. les fonctionnaires), dans certains pays simultanément avec le segment de population pauvre (on crée alors le problème du «chaînon manquant»); ou (iii) le pays commence par un certain niveau de prestation de soins de santé, par exemple les soins hospitaliers. Dans plusieurs cas, une combinaison de ces approches a été utilisée.

Le Ghana a opté pour le 'big bang' (bien que cette approche ait été basée sur des mutuelles ayant démarré au niveau des districts). Le Kenya dispose depuis plusieurs décennies d'un mécanisme d'assurance obligatoire pour les soins hospitaliers pour les employés du gouvernement; ce dernier est lentement converti en un régime contributif pour tous les niveaux de soins et pour l'ensemble de la population. La Tanzanie dispose d'un fonds d'assurance qui a débuté avec des employés du gouvernement et a évolué pour intégrer d'autres niveaux de population. Récemment, certains pays, comme le Libéria ou la Sierra Leone, qui envisagent d'établir une assurance-maladie nationale, ont reçu le conseil de la rendre contributive et de l'appliquer directement à l'ensemble de la population. Le Lesotho envisage lui, de progresser par groupe de population en ciblant progressivement le secteur informel. Les expériences de ces dernières années des pays pionniers, comme le Ghana et le Kenya, nous invitent à faire une pause et à bien réfléchir sur cette question stratégique d'échelonnement.

En effet l'on constate, dans les modèles déjà en place, une série de difficultés importantes au démarrage, notamment au niveau de la gouvernance, du paquet de soins, de la qualité des services et de la protection financière. Au Kenya, concevoir un modèle et atteindre un consensus, ou simplement mettre de côté les préoccupations de certains groupes d'intérêt, a pris des années. La faiblesse de la gouvernance du NHIF (Fonds national d'assurance hospitalière) au Kenya s'est révélée dès le début de sa transition vers un rôle plus large, ce qui a suscité des appels à la réforme. Au Ghana, où l'adhésion au NHIS (National Health Insurance Scheme) stagne entre 30% et 40% de la population depuis plusieurs années pour une multitude de raisons, même ceux qui peuvent se le permettre ne s'inscrivent pas, pas plus que ceux qui sont exemptés de payer des primes. Un comité gouvernemental a récemment identifié les défis auxquels le NHIS ghanéen est confronté; il a relevé plusieurs failles, notamment l'incapacité de nombreux citoyens à se permettre une contribution financière, la faible qualité des soins, le fait que de nombreuses formations sanitaires ne sont pas capables de prester le paquet de bénéfices... Il existe des données probantes suggérant que, plutôt que d'améliorer l'accès aux soins, être couvert par le NHIS relègue les patients à un service de deuxième classe. De même, il semble que le système de paiement direct par les usagers, qui pourtant était à l'origine des frustrations ayant mené à la mise en œuvre du NHIS, a encore de beaux jours devant lui.

Dans les approches classiques d'échelonnement (big bang, population, géographie, niveau de prestation de services), même quand la couverture est mise en place de façon progressive, toutes les capacités de gestion et de gouvernance doivent être mises en place dès le début. Cela pose deux défis. Tout d'abord, des ressources importantes doivent être affectées, dès le démarrage, à la gestion administrative de l'assurance-maladie : il faut en effet mettre en place les mécanismes qui permettent l'enrôlement des membres, le paiement des  primes (dans les systèmes contributifs), l'identification des pauvres, la gestion des demandes de remboursement, le développement ou l'acquisition de logiciels, la gestion des fonds d'assurance, la contractualisation des formations sanitaires, l'accréditation, etc.. Deuxièmement, la capacité des ressources humaines doit être présente dès le départ pour gérer les différentes unités de l'agence d'achat. Ce sont là, tous des systèmes bien complexes, chacun méritant la plus grande attention.

Est-ce vraiment la bonne stratégie de mise en place d'une assurance-maladie nationale? Compte tenu des gros problèmes auxquels les pays d'Afrique sub-saharienne pionniers ont été confrontés, les pays qui s'engagent aujourd'hui doivent, selon moi, envisager un autre mode d'échelonnement.

Proposition pour un échelonnement par composant


En opposition aux méthodes classiques d'échelonnement, imaginons une méthode basée sur les différents composants du financement et de la prestation des services de santé. Par 'composant', je veux faire  référence aux différentes sous-fonctions au niveau des trois principales fonctions du financement de la santé (génération de revenus, mise en commun, achat), ainsi qu'à celles au niveau de la prestation des services. L'idée serait d'établir les différents composants nécessaires à un système national selon une logique graduelle, mais raisonnée. On commencerait par se concentrer sur l'amélioration de l'offre de services de santé et la mise en place de la fonction d'achat. Ensuite seulement, on essaierait d'aller vers la population pour lui demander de s'inscire à l'assurance, de payer sa cotisation pour disposer d'une couverture contractuelle. Il n'y a sans doute pas de manière définie de mettre en œuvre un tel échelonnement - il est probable que le contexte jouerait. Mais la logique aurait tout son poids:  certains composants viendraient avant d'autres.

Un exemple d'une telle méthode d'échelonnement consisterait à commencer sur base des seuls financements publics et des bailleurs de fonds. La première étape serait de se concentrer sur la mise en place d'une capacité d'achat stratégique sommaire, incluant la détermination d'un paquet de soins limité. Pour ensuite d'évoluer, sur une base à établir en fonction du contexte, vers les éléments suivants: l'autonomisation des formations sanitaires (où cela n'existe pas encore); l'exploitation de l'information fournie par les prestataires pour mieux calibrer le paiement; la mise en place d'une entité publique d'achat stratégique; l'accréditation et l'intégration des prestataires privés; l'imposition des conditions contractuelles, y compris  la résiliation du contrat lorsque cela s'avère nécessaire. A partir de ce point, on gonflerait progressivement le nombre de services remboursés et on sophistiquerait les mécanismes de paiement (en trouvant le bon mixte de rémunération à l'acte et de paiement par capitation pour les coûts opérationnels non salariaux). Cette expansion serait assurée par l'agence publique d'achat (plutôt que par le Ministère des Finances ou de l'Unité des Finances du Ministère de la Santé). Il faudrait bien sûr aussi mettre en place les solutions pour assurer l'équité (ex. exemption des plus pauvres) et l'efficience (ex. échelonnement des soins).

La séquence exacte est bien sûr à préciser, mais la règle d'or serait de laisser les composants vraiment difficiles pour la fin. Dans cette catégorie de 'composants difficiles', je range certainement ce qui relève de la collecte des contributions par les ménages. Les pays s'attaqueraient donc aux défis complexes de la perception de cotisations et à l'attribution des droits qui en découlent en fin de processus, quand les capacités d'achat et de prestation de soins de qualité sont en place et en mesure de répondre aux attentes des populations.

Ce qui est intéressant, c'est que de nombreux pays africains sont justement en train de mettre en place une telle capacité d'achat stratégique restreinte : le financement basé sur la performance (FBP)! Au cours de la dernière décennie, grâce au FBP, les structures, les processus et l'expertise humaine ont été développés dans de nombreux pays, y compris ceux qui envisagent l'assurance-maladie contributive. Dans ce cas de figure, ma proposition serait d'exploiter le FBP comme point de départ pour passer, composant par composant, d'un embryon de capacité d'achat stratégique à une assurance-maladie complète.

L'ordre de l'échelonnement par fonction, ainsi que le calendrier, sont certainement discutables et dépendent du contexte. Cependant, cette manière de voir les choses comporte de nombreux avantages. Tout d'abord, la mise en place progressive d'une assurance-maladie nationale  par composant  est un processus beaucoup plus gérable que celui qui consiste à tout faire en une seule fois. L'approche 'tous les composants tout d'un coup' est complexe à gérer pour quiconque, a fortiori par les pays qui n'ont pas la capacité requise en effectifs ou en compétences. Deuxièmement, l'approche 'échelonnement par composant' fournit une feuille de route claire pour les décideurs, leur permettant de se concentrer sur les éléments clés pour acheter des services de qualité. Troisièmement, la construction par composant est un chemin beaucoup moins coûteux administrativement que l'approche globale. Quatrièmement, les difficultés rencontrées au cours de la construction par composant auront des effets systémiques négatifs moins nombreux que dans le cadre d'une approche 'tous les composants d'un coup'. Cinquièmement, l'échelonnement par composant peut prendre comme point de départ un système (le FBP) qui est désormais présent dans une grande partie de l'Afrique sub-saharienne. Sixièmement, dans cette approche, la capacité d'achat stratégique est construite dès le début du processus, ce qui permet d'éviter les problèmes ultérieurs que l'on a pu observer dans certains pays (il peut être difficile de sortir d'un système de remboursement une fois qu'il est bien établi). Septièmement, (dans le cas des mécanismes contributifs), en laissant à plus tard la génération de revenus, on laisse au gouvernement davantage de temps pour se concentrer sur l'amélioration de la fonction d'achat d'une part et, d'autre part, sur l'offre de services de santé; on laisse à plus tard les enjeux complexes, coûteux et politiquement plus lourds liés au contrat formel entre l'assuré et l'assureur national. Et enfin, cette approche est intrinsèquement plus équitable que les approches classiques. En effet, dans les mécanismes contributifs, puisque l'on est débarassé de l'impératif immédiat de percevoir des cotisations, les améliorations ne vont pas uniquement pour ceux  qui peuvent se permettre de payer les primes.

Ceci fait-il sens? Je propose humblement cette approche pour les pays à revenu faible ou intermédiaire voulant passer d'un financement passif à un  achat stratégique gérable. Il y a sans aucun doute beaucoup de problèmes à aborder que je n'ai pas soulignée dans ce billet de blog. Aussi, je serais très heureux de lire vos réactions et suggestions pour rendre cette approche plus robuste.

Un projet Collectivity a été lancé en marge de cet article. En commentant ce dernier, vous contribuerez au projet et pourrez ajouter un badge à votre profil.  

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Votre système de la santé est-il une organisation apprenante ?

10/22/2014

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Bruno Meessen, Houcine El Akhnif et Allison Kelley

Notre série de blogs relatifs à notre recherche collaborative « Muskoka » continue. Dans ce billet de blog, nous vous présentons l’angle d’attaque que nous avons retenu pour la phase 2. Notre proposition part d’une hypothèse principale: tout gouvernement qui veut avancer rapidement vers la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) doit s’assurer que son système de santé a le profil d’une organisation apprenante. Nous invitons les acteurs nationaux en charge de la CSU en Afrique Francophone à nous rejoindre pour un grand exercice d’auto-évaluation. Première étape : un atelier de développement méthodologique qui se tiendra à l'Ecole Nationale de Santé Publique de Rabat (Maroc) les 15-17 décembre 2014.




En Afrique Francophone, comme ailleurs, de nombreux pays se sont lancés dans le programme de la couverture sanitaire universelle. Les experts des Communautés de Pratique ‘Accès Financier aux Services de Santé’ et ‘Financement Basé sur la Performance’ ont la ferme intention d’aider au mieux les gouvernements dans cet ambitieux programme.

La phase 1 de notre étude a fait ressortir un constat commun : les pays font face à des situations complexes caractérisées par un enchevêtrement de régimes de financement de la santé. La progression vers la CSU va nécessiter une remise à plat de ces écheveaux. Cela ne sera possible que si les gouvernements, et les entités en charge de la couverture sanitaire universelle en particulier, sont à même de collecter l’information utile, de l’interpréter et de prendre des décisions en concordance – soit, les 3 grandes caractéristiques d’une organisation apprenante.

L’organisation apprenante c’est quoi ?

Le concept de l’organisation apprenante (OA) provient du monde de l’entreprise. Il part du constat que dans notre ère contemporaine d’interdépendance, de changements rapides et permanents, la capacité à apprendre est une aptitude-clé pour la performance organisationnelle ; dans le secteur privé, elle est même condition de survie.

Evaluer si une organisation répond aux critères de l’OA c’est donc apprécier sa capacité à traiter l’information jusqu’au point du changement de comportements, y compris dans l’infrastructure organisationnelle  et les routines. Ce concept a inspiré de nombreux experts des organisations. Notre intuition est que ce concept se prête également à la compréhension des enjeux relatifs à la CSU, tant celle-ci soulève des défis politiques, techniques et organisationnels (notamment quand on part de situations existantes confuses, comme celles documentées dans la phase 1 du projet Muskoka !).

En quoi va consister la phase 2 de l’étude « Muskoka » ?

Pour notre phase 2, la proposition est de partir du concept de l’OA et de l’appliquer au système de santé (nous parlerons donc plutôt de Système Apprenant - SA). Nous nous proposons d’élaborer une grille permettant d’apprécier dans quelle mesure les systèmes de santé, et en particulier les entités-clés pour la progression vers la CSU, répondent à ces caractéristiques de système apprenant.

Cet objectif est ambitieux par sa nouveauté. Compte tenu des ressources limitées de notre projet, notre première ambition sera donc d’ouvrir un chantier de recherche. Il s’agira surtout de prouver la pertinence du concept de SA pour aider les pays à progresser vers la CSU. En défrichant les questions conceptuelles et méthodologiques, nous espérons susciter un intérêt d’autres partenaires pour ces questions.

Cette recherche va être effectuée sur plusieurs pays. Dans chaque pays, un facilitateur-chercheur sera identifié. Il travaillera en tandem avec 1-2 experts nationaux en charge de la CSU (en fonction du nombre de ministères impliqués). Ensemble, ils conduiront une évaluation participative des capacités apprenantes dont le gouvernement dispose pour progresser vers la CSU. Cette auto-évaluation reposera sur une grille commune élaborée par une équipe internationale et les chercheurs participants. L’interprétation des résultats reposera sur la comparaison entre pays (technique du benchmarking). Nous envisageons notamment de produire une enquête en ligne à laquelle dans chaque pays, un échantillon de personnes devra répondre.

Quels bénéfices pour les ministères de la santé et partenaires participants ?

Grâce à notre étude multi-pays, chaque pays participant pourra se comparer par rapport aux autres pays participants. Il pourra identifier ce qu’il fait mieux que d’autres, mais aussi ce que d’autres font mieux que lui, au niveau des différentes fonctionnalités indispensables pour être un SA orienté vers la CSU. Cela permettra ultérieurement de programmer des visites d’étude ou des échanges entre pairs. L’auto-évaluation permettra par exemple à un ministère de la santé d’identifier ses besoins en renforcement de capacités et les soutiens à solliciter auprès de ses partenaires techniques et financiers. Les pistes d’action seront d’ailleurs le focus de la phase 3 de notre programme.

Selon nous, cette auto-évaluation multi-pays pourrait combler un vide : actuellement, la communauté internationale manque de guide clair pour accompagner les pays voulant progresser vers la CSU. Notre hypothèse est que le concept de SA pourrait offrir une structure puissante pour organiser cette progression. On notera d’ailleurs que satisfaire aux caractéristiques de SA n’est pas seulement utile à la progression vers la CSU : c’est en effet un atout pour toutes les opérations du ministère de la santé. La proposition est du reste pertinente pour tout type d’organisation et de ministères. On peut considérer qu’avec ce projet, le ministère de la santé participant aura une expérience utile à partager avec les autres ministères nationaux.

 Comment la recherche sera mise en œuvre ?

Le projet sera coordonné par les trois signataires de ce texte. Le Prof Meessen assurera la guidance scientifique du projet. Au nom des communautés de pratique, Mme Kelley facilitera le processus inter-pays. Mr Akhnif partagera son expertise sur l’OA et son application à la CSU. Une des grandes leçons de la phase 1 de notre recherche « Muskoka » a été qu’on ne peut faire l’impasse sur un atelier de lancement. Cet atelier sera organisé au Maroc, en partenariat avec l'Ecole Nationale de Santé Publique. Chaque pays participant devra envoyer une délégation de maximum 3 personnes : le facilitateur principal (si possible, un chercheur indépendant du Ministère de la Santé), un cadre technique du Ministère de la Santé en charge de la CSU et un cadre technique de tout autre ministère impliqué dans la CSU.

Les objectifs de l’atelier seront :
1. Familiariser les délégations avec le concept du SA.
2. Présenter une grille d’évaluation (draft) développée par l’équipe de l’IMT et finaliser la grille et la méthodologie définitives tous ensemble.
3. S’accorder sur le bon processus pour l’administration de cette grille au niveau du pays.
4. S’accorder sur un planning et un échéancier pour les différents livrables.

Votre ministère de la santé est intéressé ? Contactez-nous !

Nous avons décidé d’ouvrir ce projet à tout pays d’Afrique Francophone, même ceux n’ayant pas participé à la phase 1 du projet ‘Muskoka’. Nous espérons pouvoir notamment sécuriser la participation de pays avec des états d’avancement différents en matière de CSU. Nous ne voulons pas que l’atelier de lancement soit une barrière à la participation : grâce à un partenariat avec le réseau P4H, nous  devrions pouvoir prendre en charge votre délégation nationale. Le travail à faire ensuite au niveau du pays aura un coût limité (il s’agira essentiellement d’organiser des réunions de travail et de rémunérer le chercheur-facilitateur). Nous pensons que beaucoup d’entre vous trouverez un partenaire technique ou financier pour l’appui nécessaire.

Le caractère introspectif de ce projet fait que la motivation des ministères de la santé à conduire l’auto-évaluation sera cruciale. Nous avons donc décidé de poser comme condition de participation une lettre de soutien signée par le Ministre (ou le secrétaire général) en charge de la politique de la CSU dans votre pays. Ce billet de blog est donc un appel aux entités en charge de la CSU et à leurs partenaires techniques et financiers. Si vous êtes intéressés par ce projet, contactez-nous. Nous aimerions notamment discuter avec vous de la composition possible de votre équipe nationale.



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La Couverture Sanitaire Universelle : ce sera l’œuvre d’urbanistes, pas d’architectes

9/27/2014

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Bruno Meessen

Dans un récent blog, Allison Kelley partageait les résultats d’une recherche collaborative menée sur la couverture sanitaire universelle (CSU). Le principal résultat était la confirmation que le financement de la santé, en Afrique Francophone, est grandement fragmenté. Pour Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers), ce résultat invite les experts mobilisés par la CSU à réévaluer et étoffer leurs capacités techniques. Il va falloir ‘faire du financement de la santé’ autrement. 


En Afrique Francophone, comme ailleurs, de nombreux pays se sont lancés dans l’ambitieux programme de la couverture sanitaire universelle. L’étude conduite par Allison Kelley et son équipe multinationale confirme que le financement de la santé dans les pays d’Afrique Francophone est aujourd’hui fragmenté et varié. Le remplissage du cube de la couverture universelle va consister en un agencement de petites boîtes, de nature très diverse, les unes sur les autres. Le grand défi sera d’y apporter de la cohérence.

Urbanistes wanted !

La CSU ne va donc pas se construire sur un terrain vierge : il y a déjà du bâti, des routes, des places et des gens qui vivent dans la nouvelle ville à construire. Si vous me permettez une métaphore, il va s’agir bien plus d’urbanisme que d’architecture.

Dans la communauté des experts actifs sur le financement de santé, nous avons fait beaucoup d’architecture ces 20 dernières années. Nous avons été fort occupés avec la conception de régimes de financement (scheme design) et leur mise en œuvre. Quelques-uns d’entre nous (les plus ‘anciens’) ont mis en place le recouvrement des coûts ; plus tard, certains se sont appliqués à lancer des mutuelles ; quelques années plus tard, d’autres se sont retrouvés à mettre en œuvre des politiques de gratuité, quelques-uns se sont consacrés aux mécanismes d’assistance aux plus pauvres et groupes vulnérables (fond d’équité, vouchers…) ; beaucoup d’entre nous sommes aujourd’hui occupés à monter des programmes de financement basé sur la performance. Une des originalités de l’étude multi-pays est aussi de montrer que beaucoup de choses ont été mises en place loin du regard des spécialistes du financement de la santé – je pense en particulier à tous les programmes verticaux, qui ont imposé leur propres règles de gratuité, leur stocks de médicaments distincts, etc.

Comme le montre l’étude multi-pays, tous ces efforts ont désormais marqué le paysage du financement de la santé de nombreux pays. Au Cameroun par exemple, vous avez aujourd’hui, un peu de tous ces régimes. A certains égards, c’est intéressant, plusieurs de ces mécanismes sont potentiellement complémentaires. Mais comme le montre le rapport de l’étude, le résultat peut aussi être marqué par des incohérences, des absences, un manque d’harmonie, des synergies non saisies et beaucoup de lourdeur administrative.


Architectes et urbanistes : deux métiers différents

Le programme de la CSU va demander à remettre de l’ordre dans tout cela. C’est quelque chose de nouveau. Tant pour les experts que pour les organisations (1), il va falloir acquérir de nouvelles capacités.

L’architecte écoute son commanditaire (ses envies, ses besoins actuels…), dessine la maison sur une feuille blanche et puis supervise l’entrepreneur afin qu’il respecte bien les plans. Aujourd’hui, il est même possible d’acheter une maison standard.  

L’urbaniste fait face à des défis bien différents. Premièrement, le territoire à aménager est rarement celui d’un seul propriétaire : il doit prendre en compte les droits des occupants. Ces derniers peuvent d’ailleurs défendre leurs intérêts de multiples façons, formelles ou informelles.

Bien plus que l’architecte, l’urbaniste doit intégrer les intérêts de la collectivité. Il doit pouvoir faire des choix : parfois il doit prôner la sauvegarde de la structure d’un quartier ou même d’un simple bâtiment pour leur apport à la ville. Mais parfois, il doit aussi recommander de raser des bâtiments pour créer un nouvel espace. Le Paris que nous aimons tous, nous le devons au Préfet Hausmann qui décida de raser le Paris médiéval au profit de larges avenues et de bâtiments élevés.

Pour faire ces choix aux conséquences profondes et avec des effets à long terme, l’urbaniste doit anticiper. Il doit prendre en compte les besoins futurs (démographie, nouveaux moyens de transport…) et les fonctionnalités qu’il faudra assurer dans la ville. Pour développer cette vision, il doit notamment pouvoir faire appel à des disciplines diverses : architecture, ingénierie, démographie, sociologie, sciences politiques, économie, psychologie, santé publique…


Un changement de cap pour beaucoup d’entre nous

Pour réussir la CSU, nous devons travailler à notre propre mise à jour. Nous allons devoir penser autrement le financement de la santé. Les mots-clés vont devenir convergence, harmonisation, dialogue et anticipation. Nos sujets de recherche doivent changer. Comme mentionné dans un blog antérieur, les économistes de la santé doivent urgemment développé un intérêt pour l’économie politique, le grand parent pauvre de notre discipline.

Tous, nous devons comprendre comment mobiliser les nombreuses parties prenantes. Les décideurs vont devoir aussi apprendre à faire des choix. Certains régimes de financement de la santé sont contradictoires. Je pense par exemple qu’à moins d’une conversion significative de leur nature par les pouvoirs politiques, les petites mutuelles volontaires vont sans doute vivre le destin des maisons médiévales de Paris. En effet, avec la volonté de progresser vers la CSU, les questions de l’échelle et des droits pour tous deviennent bien plus importantes.

Les experts travaillant dans les agences de l’aide vont devoir aussi intégrer dans leur action les nécessités posées par la volonté des pays à progresser vers la CSU. Comme le montre bien l’étude multi-pays, les priorités des agences ont fortement marqué le paysage du financement de la santé en Afrique Francophone. Il y a un grand décalage entre tout le bruit fait autour de la CSU et la pratique de beaucoup d’agences, dans leur coin, des financements et allocations de ressources ciblés et verticalisés.

Les CoPs doivent aussi réfléchir à leur propre mise à jour. Sans vouloir préjuger du futur des CoPs (nous l’espérons de longue durée, mais cela dépend aussi du soutien de partenaires), nous sommes convaincus que nous pouvons aider les experts dans cette transition vers une expertise plus vaste et englobante. Cet objectif va certainement inspirer nos activités à venir.



Note:
(1) Nous reviendrons sur les défis pour les Ministères de la Santé, comme structures organisationnelles, dans un prochain blog
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Financement de la santé en Afrique Francophone : l’écheveau de des régimes comme point de départ pour la couverture sanitaire universelle

9/17/2014

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Allison Kelley

Pendant un an, des experts issus de 12 pays d’Afrique Francophone (1), ont collaboré sur un projet relatif à la fragmentation dans le financement de la santé dans leurs pays. Dans ce billet de blog, le premier d’une série, Allison Kelley présente les principaux résultats de la première phase du projet et plus particulièrement l’analyse transversale des études-pays. 


En novembre dernier sur ce blog, nous vous avions présenté un projet collaboratif que deux CoP (financement basé sur la performance et accès financier aux services de santé) lançaient sur la problématique de la Couverture Sanitaire Universelle.

Ce projet, financé par le Fond Français Muskoka et l’ONG Cordaid, était pour les CoPs une première : il s’agissait de tester notre capacité à mener à bien un travail de documentation d’une situation particulière (la fragmentation du financement de la santé) dans un grand nombre de pays. Notre hypothèse est que par leur nature et le réseau qu’elle constitue (la CoP FBP compte désormais 1.500 experts, la CoP AFSS 800), les CoPs peuvent compléter les travaux de recherche et de documentation mené par les autres acteurs (centres de recherche, agence de l’aide…).  Dans ce premier blog, nous partageons avec vous les résultats de l’analyse transversale des études-pays.

La Couverture Sanitaire Universelle : un gros malentendu

Par définition, progresser vers la couverture sanitaire universelle (CSU) revient à progresser sur au moins trois grandes dimensions : (1) le nombre de personnes couvertes (2) la composition et la qualité du panier de services de santé auxquelles elles ont droit, et (3) la réduction de la contribution financière directe engendrée par le recours aux soins. Cette progression est souvent mal comprise, certains pensent par exemple que progresser vers la CSU consiste à introduire un système d’assurance obligatoire universelle unique. La vérité est que dans chaque pays, grâce aux régimes de financement de la santé (RFS) existants, la population bénéficie déjà, dans une certaine mesure, d’une couverture. Progresser vers la CSU consiste donc bien plus à apporter cohérence et efficience dans la combinaison de ces RFS déjà en place que lancer un RFS de plus.

La situation dans 12 pays d’Afrique Francophone

A titre de rappel, l’objectif de cette première phase de notre projet « Muskoka » était d’établir la cartographie des régimes de financement de la santé présents dans 12 pays africains francophones, soit presqu’un quart du continent. Pour atteindre une destination comme la CSU, il faut d’abord connaître avec précision son point de départ !

Le rapport des résultats de la première étape est désormais disponible (voir la rubrique "Resources" de ce site). L’analyse transversale capitalise sur la documentation individuelle de chaque pays par des experts nationaux des CdP. (3) Cette phase a été riche de leçons. Elle confirme que nous sommes bien face à des écheveaux de RFS.

* Notre étude a confirmé la grande fragmentation des RFS aujourd’hui dans les pays africains. Selon notre méthode de comptage, nous avons en moyenne 23 RFS par pays.

* Au-delà du simple comptage (qui nous a déjà bien occupé), dresser cette cartographie a été plus difficile que prévu : dans plusieurs pays, nous avons buté contre le problème de la disponibilité des informations sur les mécanismes de financement de la santé. L’information financière est souvent lacunaire. Cela freine le leadership de l’Etat dans le pilotage de la CSU et entrave une bonne compréhension à tous les niveaux de cette situation complexe, et donc aussi une meilleure articulation des mécanismes de financement.

* De fait, nos cartographies montrent que dans beaucoup de pays, coexistent simultanément des « trous »  dans la couverture de la population (personnes non couvertes ou très peu couvertes) et des redondances (certains groupes bénéficiant d’une possible prise en charge par plusieurs RFS). On peut citer l'exemple d'une fonctionnaire qui dispose d'une assurance-santé et accouche dans un hospital où l'accouchement est gratuit. La verticalité au niveau des prestations prise en charge et la sélectivité des populations ciblées se traduisent en couverture très partielle, qui ne garantissent pas une continuité dans la prise en charge thérapeutique.

* Nous avons également constaté un manque de cohérence en termes de prévisibilité et régularité des modalités de financement des structures de soins; cela constitue un obstacle important à l’extension effective de la CSU.

* La majorité de ces RFS ont un financement dépendant de l’extérieur. Cela a une influence considérable sur la structure du financement de la santé et aggrave non seulement le problème de fragmentation, mais aussi celui de gouvernance du financement de la santé. Le rôle dominant des programmes spécialisés entraine la verticalisation de la prise en charge et le manque de centralisation au niveau du Ministère de la Santé des informations, notamment financières, gérées par les bailleurs extérieurs.

Défi commun, mais chemin individuel vers la CSU…

Le résultat général de cette phase est de faire ressortir un défi commun aux 12 pays de l’étude.  Cette profusion de RFS, mais aussi les insuffisances actuelles au niveau de leur coordination (comme le prouve l’absence de données centralisées et ouvertes à tous), nous laissent penser que dans de nombreux pays, progresser vers la CSU va être complexe : il va falloir remettre de l’ordre dans tous ces RFS : en fusionner certains, en arrêter d’autres…

Pour faire cela, il va falloir mettre de nombreux acteurs, autour de la table, plusieurs ministères et agences publiques, mais aussi des programmes multiples et leurs partenaires techniques et financiers, des organes privés (comme les mutuelles), des représentants des associations professionnelles...

Le défi est qu’il n’existe pas de solution unique en guise de chemin vers la CSU. Chaque cas sera particulier.

Nous avons une certitude, et elle est valable pour tous les pays: la progression vers la CSU va nécessiter les gouvernements, et les Ministres de la Santé en particulier, à développer une grande capacité à collecter de l’information, à l’interpréter et à prendre des décisions en concordance. La gestion des connaissances et l’aptitude à analyser sa situation, les forces, contraintes, opportunités et menaces seront des conditions nécessaires pour progresser vers la CUS.

Comme vous le lirez dans un prochain blog, cette analyse a grandement déterminé notre réflexion pour ce qui devra la seconde phase de ce projet mené par les CoPs. 



Pour accéder au rapport: cliquer ici.

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Maroc : le grand chantier de la couverture sanitaire universelle

4/7/2014

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Une équipe de la Banque  africaine de développement (BAD) était récemment au Maroc. Ça a été l’occasion  pour la Dr Bouchra Assarag, membre de la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé, de  faire le point sur l’appui offert par la BAD à la couverture sanitaire  universelle qui se met en place dans le pays. C’est l’économiste principale de  la santé et chargée de programme pour le Maroc, Madame Laurence Lannes, qui  répond à ses questions.

En décembre, La  Banque africaine de développement (BAD) et le Royaume du Maroc ont signé un  accord de prêt d’un montant de 115 millions d’euros. Celui-ci est destiné à  financer la troisième phase du Programme d’appui à la réforme de la couverture médicale (PARCOUM III) exécuté en 2013 et 2014. Pouvez-vous nous dire pourquoi  le Maroc, et nous parler un peu de ce programme, ses objectifs et ses résultats  escomptés?

Dans le domaine de la santé, la BAD a appuyé le Gouvernement par des opérations d'appui budgétaire dans ce secteur dès 2002, lorsque la réforme de la couverture médicale de base a commencé au Maroc. Le programme d’appui à la réforme de la couverture médicale (PARCOUM) a ainsi vu le jour et en est aujourd’hui à sa troisième phase. C’est un programme qui vise à mettre en place des filets de protection sociale pour assurer l’accès financier aux soins de santé et à réaliser des progrès en vue de la couverture universelle en santé au Maroc. 

Octroyée en deux tranches pour les années 2013 et  2014, la phase 3 du PARCOUM contribuera à cinq grands chantiers. Tout d’abord, atteindre une couverture de 93 % de la population ciblée par le RAMED. Par la suite, il s’agira de parvenir à intégrer progressivement certaines catégories sociales dans l’assurance maladie obligatoire (AMO), en visant au moins 200 000 affiliés supplémentaires, ainsi que l’établissement d’une vision stratégique à long terme pour la couverture des professions indépendantes. Le programme achevé, la disponibilité des services de qualité devrait s’en voir améliorée. Ce projet permettra aussi une autre réalisation importante, celle de rationaliser le recours aux soins, avec l’augmentation des populations couvertes qui disposeront d’un médecin de famille, pour atteindre un taux de 40% en 2014 sachant qu’on n’en compte que 21% aujourd’hui. Enfin, le projet entend promouvoir la voix citoyenne et renforcer la redevabilité au Maroc, grâce à la mise en place d’un projet pilote, qui permettra d’évaluer la perception de la qualité des soins par les usagers. 
 
Le Maroc a lancé  plusieurs projets sociaux de grande envergure. Le gouvernement a ainsi déployé d’importants efforts pour améliorer l’accès aux soins, notamment avec la mise en place du RAMED (Régime d'assistance médicale). Toutefois, les dépenses de santé représentent encore un  fardeau pour les ménages marocains, les exposant ainsi à un risque d’appauvrissement; cela est surtout vrai pour les populations moins bien couvertes comme les independants. Qu’est-ce que ce programme va apporter à ces catégories de population et en particulier aux indépendants? 
  
En effet, les défis en matière d’accès financier aux soins de santé restent importants. L’accès aux soins de santé est limité par une couverture du risque maladie encore restreinte. Quant aux dépenses de santé au Maroc, elles représentent encore un lourd fardeau pour les ménages quand on sait que ces derniers supportent plus de la moitié des dépenses totales de santé, soit 53.6% pour être précis. 

A l’instar d’autres pays ayant opté pour le développement de l’assurance maladie, le Maroc se trouve confronté à des problématiques complexes qui appellent une action déterminée sur le long terme, en particulier en ce qui concerne la couverture médicale des travailleurs indépendants, le financement des différents régimes d’assurance, la mise en œuvre du principe de solidarité et la régulation du marché des médicaments.

Aujourd’hui, près d’un tiers de la population marocaine reste exclue de l’assurance maladie obligatoire. Selon le recensement des travailleurs indépendants, l’effectif total de la population active travaillant à compte propre est estimé à près de 3,4 millions de personnes, soit environ 10 millions d’individus avec leurs ayants-droit. Cette population est très hétérogène ; on y compte à la fois les professions libérales, les commerçants, les artisans ou encore les travailleurs mobiles. Les mieux organisés et les plus solvables disposent déjà d’une assurance médicale privée établie pour leur corporation comme c’est le cas pour les avocats,  mais les plus défavorisés ne bénéficient encore d’aucune couverture.

Bien que la loi 65-00 sur la couverture médicale de base prévoie la prise en charge des travailleurs indépendants par l’AMO, le choix d’un scénario de couverture et la définition des modalités pratiques de  couverture pour cette population restent encore à définir. C’est là que se situe la valeur ajoutée du PARCOUM III. Ce programme veille à la réalisation de progrès tangibles vers la mise en place d’un régime destiné aux indépendants. Ceci se manifestera par la proposition de scénarios de couverture pour les indépendants ainsi que la présentation d’un projet de stratégie de couverture des indépendants au comité de pilotage de la réforme. Il est également prévu d’intégrer les indépendants à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et de présenter au conseil du Gouvernement le projet de loi relatif à la couverture des étudiants. De nombreux résultats sont attendus à la fin de ce programme dont notamment l’intégration progressive de certaines catégories dans l’AMO avec au moins 200 000 affiliés supplémentaires et l’établissement d’une vision stratégique à long terme pour la couverture des indépendants. 
 
Vous venez de terminer votre visite au Maroc, que pouvez-vous nous dire sur cette visite, objectifs, et résultats attendus ? 
 
Une équipe de la BAD a en effet conduit en février la supervision du PARCOUM III. L’équipe a ainsi pu apprécier certaines avancées dans le pilotage de la réforme de la couverture médicale. Elle a également constaté que des incertitudes demeurent quant au financement de la réforme. Ces incertitudes portent principalement sur le coût de l’extension de la couverture médicale aux indépendants et de la généralisation du RAMED, les sources de financement pour la réforme, le fonctionnement du Fonds d’Appui à la Cohésion Sociale dont des ressources sont affectées au RAMED,  les mécanismes de remboursement et bien d’autres encore. Mais l’assistance technique financée par la BAD pour la mise en place d’une stratégie de financement du secteur de la santé devrait apporter des éclaircissements et proposer des options de financement. Nous avons d’ailleurs pu observer la forte attente que cette  assistance technique suscite. Les progrès en matière d’accès géographique aux soins de santé et d’amélioration de la qualité des services sont encore lents, et certaines mesures prévues par le programme pour 2013 n’ont pas été atteintes.  La mise en place de mécanismes de redevabilité et de participation citoyenne se fait également attendre. 

Comment voyez-vous l’évolution du Maroc vers la couverture universelle de santé et les perspectives d’avenir ? 

Nous sommes heureux de voir que le Maroc suit sa progression vers la couverture universelle de santé, en témoignent les progrès indéniables réalisés en matière d’extension de la couverture médicale et de gouvernance de la réforme. Toutefois, il s’agit d’une réforme complexe et certains aspects méritent plus d’attention pour assurer la fourniture de soins de qualité tout en étant abordables à l’ensemble de la population. 
 
Les défis pour l’avenir ont trait au financement équitable et pérenne de la réforme mais aussi à l’amélioration de l’accessibilité et de la qualité des soins. Des efforts considérables devront être déployés en matière de production et gestion de données de qualité tant financières et comptables que sur les ressources humaines et les services de santé. L’engagement du Gouvernement sera nécessaire pour faire passer les réformes liées à la couverture des indépendants, à la carte sanitaire, aux partenariats public-privé, etc. Enfin, l’ensemble des acteurs devront se mobiliser pour améliorer l’équité dans l’accès aux soins, contrôler le coût des médicaments et rationaliser le recours aux soins. 
 
Il sera nécessaire à l’avenir, de penser à la convergence des politiques sociales et limiter la fragmentation des systèmes. Le dossier de la couverture médicale devra se rapprocher d’autres problématiques liées à la protection sociale, telles que la retraite et la mise en place d’autres filets de protection sociale. Le prochain appui de la BAD au Gouvernement du Maroc devrait aller dans ce sens. 

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Couverture Médicale Universelle au Sénégal : « Les conditions de succès passent par  l’adhésion obligatoire à un régime d’assurance maladie et le ciblage des bénéficiaires des politiques de gratuité »

1/21/2014

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Maymouna Ba, chercheuse au CREPOS Dakar, interviewe le Dr Farba Lamine Sall, Conseiller en Economie de la Santé au Bureau OMS du Sénégal. Ensemble, ils discutent, en toute franchise, des options adoptées par le Sénégal pour la couverture maladie universelle (CMU) (interview conduit le 2 décembre 2013). 

Nous avons assisté au lancement de la CMU au Sénégal en octobre dernier, où on a d’abord mis le focus sur la gratuité des enfants de moins de 5 ans. Selon vous, cette stratégie s’inscrit-elle dans l'objectif global de la couverture universelle ?

Si la CMU, c’est favoriser l’accès aux soins, dire que tous les enfants de moins de cinq ans sont soignés gratuitement y contribue. Maintenant la question est de savoir comment tout ceci se met en œuvre de façon à ne pas compromettre l’équilibre global du système. Le système est un tout et pour que des mesures comme celles là soient vraiment effectives, il faut que le dispositif de prise en charge soit à niveau. Je ne dis pas qu’il faut s’arrêter et attendre que toutes les conditions soient réunies pour bouger. Je crois qu’il faut construire tout en même temps. Mais, il faut d’ores et déjà se dire qu’il y a des obligations à satisfaire pour que cette mesure ne soit pas vaine. En réalité, on se rend compte que la gratuité des moins de cinq ans ne concerne, dans un premier temps, que la gratuité de la consultation au niveau des postes et centres de santé et la gratuité des urgences au niveau hospitalier. Maintenant, même seulement cela, c’est assez lourd ; il faut des ressources.

Vous venez de dire qu’il faut construire tout en même temps, mais êtes-vous d’accord sur le fait qu’il y a quand même des préalables nécessaires à la mise en place d’une CMU, en termes de financement par exemple ?

J’imagine que ces préalables ont été assurés par le Ministère de la Santé, en se mettant au moins d’accord sur ce qui était possible, en calculant le coût de l’opération. Ce n’est pas pour rien que le Ministère limite dans un premier temps la gratuité à la consultation. Donc, on peut penser qu’on y va à petites doses. La consultation, c’est ce qui coûte le moins de toute façon. Ce n’est pas là où se trouve réellement l’enjeu. En dehors des consultations, vous avez des analyses, des examens à faire ; le gros se situe à ce niveau là. Maintenant, avec le ‘rush’ qu’il y a à partir du moment où on dit que la consultation est gratuite, c’est d’autres éléments de discrimination qui vont entrer en jeu s’il n’y a pas une offre conséquente en face. C’est comme si vous disiez que la dialyse est gratuite alors que vous n’avez pas suffisamment de postes où la dialyse se fait. Qu’est ce que vous allez créer ? Des files d’attentes importantes! Conséquences de files d’attentes importantes : des dessous-de-table, donc des difficultés, alors qu’on cherchait à alléger le circuit du patient. Tout ceci veut dire que si on identifie un obstacle à la consommation, il faut s’assurer qu’en levant l’obstacle, d’autres obstacles ne se créent pas.

Il est dit qu’au Sénégal, la CMU s’appuiera principalement sur le développement des mutuelles de santé. On parle en même temps du maintien des politiques de gratuités existantes. Est-ce que cela est bien cohérent?

Selon moi, le grand problème au Sénégal, c’est qu’on veut concilier des choses difficilement conciliables. Vous ne pouvez pas dire que « ma priorité c’est l’assurance-maladie » et lever l’autre main pour dire : « Priorité au renforcement des gratuités ». Vous êtes en train de faire ce qu’on appelle des incitations négatives. Si vous rendez gratuits tous les motifs de paiement, et donc tous les motifs d’adhésion à une mutuelle, les gens ne vont pas aller dans une mutuelle.

Les principaux motifs de recours aux soins au Sénégal concernent le paludisme, la santé de l’enfant, la santé de la femme, surtout celle en état de grossesse et qui va accoucher, la santé des personnes du 3ème âge. Je dis donc que si vous rendez gratuit ces principaux motifs de recours aux soins, vous êtes en train d’enlever le motif d’adhésion aux mutuelles. Et cela est contradictoire dans un contexte de pauvreté où les ressources sont totalement happées par les dépenses obligatoires. L’idéal aurait été d’inclure les mutuelles de santé dans ces dépenses obligatoires, de deux façons. La première est de rendre l’adhésion obligatoire, la deuxième est d’amener les gens à avoir des raisons d’adhérer à une mutuelle, des raisons de mettre de l’argent de côté pour faire face à une dépense imprévue qui peut être non supportable par eux. Et ces deux façons sont quasiment absentes ici. Ceci est un véritable problème si on veut ‘booster’ la mutualité.

Est-ce à dire que le fait de passer par les mutuelles de santé, lesquelles fonctionnent principalement sur l’adhésion volontaire, n’est pas la meilleure option ?

Cela fait maintenant 24 ans que je suis dans le monde de la mutualité. Ma 1ère expérience a été d’encadrer un de mes étudiants qui travaillait sur la mutuelle de Fandène mise en place en 1989. Mais, depuis 1989, on a l’impression que c’est une histoire qui est encore en phase expérimentale. C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a un dispositif nouveau : des incitations financières ont été mises en place pour subventionner les cotisations à 50%. Mais, les 50% qu’il faut mettre pour avoir la subvention représentent quelque chose pour quelqu’un qui a d’autres dépenses obligatoires. Pour moi, l’option est difficilement lisible. Je crois que les conditions de succès tournent autour d’une obligation d’adhésion à un régime d’assurance maladie quel que soit l’appellation. Il faut aussi oublier le terme gratuité. Selon moi, la meilleure façon de faire de la gratuité c’est de la refuser. A mon avis, pour faire une bonne gratuité, il faut que tout le monde paye. Si tout le monde paye, les travailleurs sociaux, pour qui c’est la spécialité, identifieront ceux qui ne peuvent pas payer…

Et on retombe sur la question du ciblage qui, dans beaucoup de contextes, n’a pas été toujours efficace…

Le problème du ciblage va nécessairement se poser. Si le ciblage fait bénéficier des services de gratuité à des gens qui n’en ont pas besoin, c’est parce qu’il n’a pas été bien fait. Le ciblage ne peut pas être fait à partir du Ministère de la Santé. C’est la collectivité locale qui a plus d’aptitude à déceler le vrai indigent. Ce n’est pas parce qu’on a mal ciblé qu’il ne faut pas cibler. On a l’obligation de cibler parce qu’on ne peut pas tout faire pour tout le monde. Donc, il faut faire ce qu’il faut pour ceux qui doivent en bénéficier. Prenons la gratuité des soins des enfants de moins de 5 ans. Si on avait appliqué le principe du « tout le monde paie », en disant simplement à ceux qui ont une assurance de la présenter, ça aurait été déjà pas mal. Parce que les assurés, ils ont déjà payé leur prime d’assurance. Ils ne demandent qu’une chose, que la structure sanitaire réclame l’argent à l’assureur. Si vous dites que c’est gratuit pour tout le monde, les gens n’envoient pas la facture à l’assurance. En procédant ainsi, ils sont en train de compromettre la capacité de financement de la structure de santé et donc sa capacité à garantir une qualité des prestations sur une longue durée. Si on ne fait pas l’effort de cibler, on est en train d’affaiblir notre système de santé et, sous prétexte de protéger des vulnérables, on est en train d’enrichir des assureurs.

C’est clair qu’il faut protéger les vulnérables. Mais tous les vulnérables ne sont pas indigents. Oui, il faut lever les entraves à l’utilisation. Oui, il faut éviter que le paiement ne soit un obstacle. Mais, il faut deux choses en même temps. Il faut garantir une contrepartie financière à toute prestation produite si on veut assurer la pérennité de la qualité des services. Et pour que ceci soit possible, il faut que le nombre de personnes ne supportant pas le coût de traitement de façon directe soit réduit aux seuls ayants droit. Selon moi, il y a iniquité à chaque fois qu’on aura fait bénéficier à quelqu’un qui n’en a pas droit d’un service, alors que c’est au nom de l’équité qu’on avait pris la mesure. On ne peut pas vouloir bien faire marcher les choses, engager des fonds dans le secteur de la santé et faire l’économie d’efforts à fournir.

On a vu un engagement politique à un plus haut niveau avec cette CMU. C’est le Président de la République lui-même qui porte cette affaire sur le devant de la scène et d’aucuns disent que c’est une garantie de réussite. Partagez vous cet avis ?

Je n’ai pas la même lecture. La solution de facilité c’est de dire «  l’engagement politique n’a jamais été aussi fort ». Mais, est-ce que le non développement des mutuelles depuis l’expérience de Fandène ne s’explique que par la faiblesse de l’engagement politique ? Tant que les gens n’aborderont pas la question de façon frontale, en se disant « ça fait 20 ans, 30 ans qu’on fait et que la mayonnaise ne prend pas. Pourquoi ? ». L’engagement politique sera peut-être une des explications ; la faible attractivité des prestations, une autre explication ; la discontinuité des soins, une autre ; le manque de contrôle du système de tarification et de facturation, une autre. On peut faire une liste. Maintenant, par rapport à chaque explication, quelles sont les stratégies à mettre en œuvre pour renverser la tendance ? Personnellement, parmi tout cela, je mets un grand facteur explicatif qui est l’adhésion volontaire. De mon point de vue, l’adhésion volontaire dans le cadre de la mutualité ne peut se concevoir que dans une approche d'assurance-complémentaire. Il faut donc aller jusqu’au bout de l’analyse et prendre des mesures très fortes comme l'adhésion obligatoire. 

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Les politiques d’exemptions et subventions pour les services de santé maternelle en Afrique : des résultats concluants

12/9/2013

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Dans ce billet de blog, Isidore Sieleunou, co-facilitateur de la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé (CdP AFSS), revient sur la conférence qui s'est tenue la semaine dernière à Ouagadougou (25-28/11/2013). La conférence était organisée conjointement avec le consortium FEMHealth et les universités de Heidelberg et Montréal. 

En 2011, la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé (CdP AFSS) s’était réunie à Bamako pour faire le point sur la formulation et la mise en œuvre des politiques de gratuité en santé maternelle. En conclusion de l’atelier, un programme de recherche avait été formulé. Deux ans plus tard, la CdP AFSS, conjointement avec différents partenaires académiques, a remis les couverts. Cette fois, il s’agissait surtout d’évaluer l’efficacité de ces politiques. Ont-elles contribué positivement à une meilleure santé maternelle ? Ont-elles protégé les ménages contre les dépenses catastrophiques ? Comment s’est faite leur intégration dans les systèmes de santé ?

L’intérêt était grand : la conférence a réuni plus de 120 experts, des décideurs politiques de haut niveau, des acteurs de la mise en œuvre, des chercheurs et des agents des institutions multilatérale et bilatérale, gouvernementale et non gouvernementale.

La semaine d’activités a été riche en événements, selon un format innovateur 1+3+1 (visite de terrain le premier jour, 3 jours de présentation et débats, formation le dernier jour ; chacun étant libre de confectionner son propre programme). Le point culminant a certainement été la clôture de la conférence par le Ministre-Délégué au Développement de la France Monsieur Pascal Canfin et le Ministre de la Santé du Burkina Faso Monsieur Léné Sebgo. Voilà, une reconnaissance politique majeure pour notre CdP ! 

  
Des politiques qui marchent

Rappelons que depuis plus d’une décennie, de nombreux pays africains ont lancé des politiques nationales d’exemption dans le but de favoriser l’atteinte des OMD, mais aussi dans le souci de réduire les dépenses de santé à charge des populations.

Ces politiques, dans leur contenu, sont variables d’un pays à un autre. Le Bénin par exemple couvre uniquement les soins pour les césariennes alors que le Burkina Faso étend cette prise en charge pendant toute la grossesse et au nouveau-né même si dans ce dernier pays, un co-paiement équivalent à 20% des coûts directs reste à payer par les ménages. Entre les deux situations, on retrouve une multitude de combinaisons intermédiaires.

On en avait beaucoup parlé à Bamako : la plupart de ces politiques d’exemption ont été trop rapidement mises en œuvre, directement à l’échelle nationale, sans phase pilote, sans des mesures d’accompagnement adéquats, et surtout sans planification d’un volet d’évaluation qui puisse permettre de mesurer leurs effets.

Ces caractéristiques ont posé d’emblée des défis méthodologiques pour les chercheurs, mais divers programmes de recherches ont été entrepris et plusieurs équipes de recherches sont arrivées, malgré tout, à documenter ces politiques. Du reste, les gestionnaires de ces politiques ainsi que les acteurs opérationnels ont aussi accumulé des savoirs tacites tout au long de ces dernières années.

Les résultats des études présentées à Ougadougou sont remarquables et montrent que les politiques d’exemptions/subventions pour les services de santé maternelle ont :
  • favorisé une plus grande utilisation des services de santé maternelles tels que les consultations prénatales ou plus fondamentalement les accouchements assistés; 
  • dans la mesure où beaucoup de femmes des classes aisées recouraient déjà aux formations sanitaires pour de tels services, l’augmentation provient bien des classes les plus pauvres. Ce phénomène de rattrapage par les plus pauvres est particulièrement manifeste au Burkina Faso et au Maroc ; 
  • entraîné un accès important à la césarienne avec diminution parfois de la létalité post césarienne et une réduction considérable des besoins obstétricaux non couverts au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée et au Maroc (même si la situation, en termes de qualité de la prise en charge, peut varier, comme l’a montré une étude du projet FEMHealth au Bénin) ;
  • contribué à réduire les montants supportés par les ménages au Burkina Faso et au Maroc.

Une étude dans un district au Burkina Faso a par ailleurs montré que ces politiques de subventions des services de santé maternelle pouvaient renforcer le pouvoir d’agir  des femmes par le truchement d’un pouvoir de décision accru à l’intérieur du ménage (élimination de l’inquiétude sur la mobilisation des ressources et maîtrise de l’itinéraire thérapeutique par les femmes). Elles ont par le même temps entraîné un recours plus rapide aux services de santé pour les femmes et leurs enfants.

Mais ne nous leurrons pas: des difficultés existent et certains résultats restent mitigés. Une étude a relevé par exemple des problèmes du surplus de travail pour les soignants au Niger. Il semble également qu’au Bénin, ce sont surtout les femmes riches qui ont profité de la gratuité des césariennes.

Force est de reconnaitre que ces défis ne sont pas liés à l’abolition du paiement en tant que telle, mais sont plutôt dus à des insuffisances dans sa conception, son application ou au niveau du système de santé. Mais les défis de la mise en œuvre de ces politiques ne signifient pas pour autant que ces politiques ne connaissent pas de succès : les pays apprennent de leur expérience. Le succès observé avec un pays comme le Burkina Faso réside aussi dans la capacité du pays à générer des données probantes et à les utiliser ensuite pour ajuster la mise en œuvre.

Le futur : une nouvelle génération de politiques plus ciblées?

Selon moi, le débat ne devrait plus se cristalliser autour de la question « pour ou contre » les politiques d’exemption/subvention. Il faut désormais regarder pays par pays.

Dans les pays où ces gratuités ou ces subventions ont « marché » au point que désormais les taux de couverture des accouchements assistés sont élevés (Burkina Faso et Maroc) ou dans les pays où ces taux étaient déjà élevés (Bénin), il est probablement temps de réfléchir à l’étape suivante, des modèles de seconde génération, où par exemple on couplerait différents régimes de financement pour juguler un défi bien précis.

Un exemple est l’imparfaite atteinte par les politiques de subvention/exemption de certains groupes de population vulnérable du fait que les obstacles à l'accès restent tout simplement énormes à surmonter pour ceux-ci, qui par conséquent, n’arrivent souvent pas jusqu'aux formations sanitaires. Je me souviens encore de ce médecin de l’Hôpital Régional de Kaya qui, durant la visite de terrain, nous disait : « je ne comprends pas : les soins sont gratuits, mais les femmes ne viennent pas ».

Au regard du succès et de l’efficacité de nombreux programmes de chèque santé sur l'utilisation, la qualité et l'équité (un exemple du Kenya a été présenté durant la conférence), il serait par exemple intéressant de coupler exemption/subvention et chèque santé pour les plus pauvres. Cela rendrait les programmes d’exemption/subvention plus solides et plus efficaces pour améliorer la santé des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés.

Cette conférence a par ailleurs sonné comme une réplique au récent forum de Bonn sur la couverture sanitaire universelle (CSU). Durant ce forum de trois jours, un éventail de stratégies incluant toutes les dimensions de la CSU avait été discuté, allant de l’achat stratégique des services aux systèmes assurantiels, des transferts aux chèques …. mais aucune mention sur l’abolition des paiements directs. Les options pour l’évolution vers la CSU ne sont rien d’autres qu’un agencement cohérent des régimes de financement visant à répondre à la demande croissante pour de meilleurs services de santé, en maintenant ouvertes toutes les options politiques et en adaptant celles-ci aux circonstances spécifiques de chaque pays. Les politiques d’exemption/subvention font leurs preuves et ne peuvent pas rester en dehors des instruments pour une CSU en Afrique.

Dans leur ultime propos de clôture de la conférence, les Ministres Français Délégué au Développement et Burkinabé de la Santé ont chacun tenu à féliciter le succès de l’approche CoP en soulignant le caractère incontournable d’un échange approfondi entre les différents détenteurs du savoir dans le but de faire avancer l’agenda des défis du système de santé.

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Couverture Universelle en Santé: une étude multi-pays pour comprendre les défis liés à la fragmentation des régimes de financement de la santé

11/22/2013

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Allison Kelley

Dans ce billet de blog, Allison Kelley présente une recherche descriptive qui va être menée par des experts des communauté de pratiques « Accès Financier aux Services de Santé » et « Financement Basé sur la Performance » dans 12 pays francophones.  Le projet innove par son recours à un modèle collaboratif.

La « couverture universelle en santé » - CUS – a fait un bond sur les agendas politiques nationaux et internationaux. Les chefs d’état, les poids lourds des partenaires au développement, même les ONG internationales, tout le monde veut aller de l’avant. Quel accord ! Quel rêve ! Sauf que – et comme c’est souvent le cas – le diable se trouve dans les détails et ici dans leurs multitude, tant les mécanismes de financement abondent dans les pays africains : tarification des soins, allocation budgétaire, soutien en ressources physiques, mutuelles de santé, politiques de gratuité des soins, exemption des plus pauvres, financement basé sur la performance… à titre d’exemple, un de nos experts a pu déjà décompter 29 mécanismes différents au Niger !

Une telle fragmentation dans le financement de la santé, sans parler même des défis de qualité des soins et des ressources humaines, peut donc laisser songeur face à une certaine rhétorique en faveur de la CUS. Comment rassembler les pièces du puzzle de financement de la santé et les rendre cohérente à l’échelle nationale ? Dans de nombreux pays, c’est une multitude d’acteurs qui sont engagés dans la mise en place et le fonctionnement de ces régimes de financement de la santé (RFS), tous avec leurs propres objectifs. Beaucoup de ces acteurs n’ont pas nécessairement conscience que de la sorte, ils contribuent de facto à la couverture universelle sanitaire dans leur pays (1). Ils n’ont pas nécessairement non plus envie de collaborer ou d’être ‘fusionnés’.

La confusion et la diversité quant aux aspects relatifs à la gouvernance, aux objectifs poursuivis, au niveau d’intervention, aux groupes-cibles, aux sources de financement, aux budgets disponibles, aux critères d’éligibilité, à la gestion, à la performance, sont telles que plus personne ne dispose aujourd’hui d’une vue d’ensemble. Celle-ci est pourtant indispensable si le pays veut progresser vers un système national de financement plus équitable et efficient. Une telle vision d’ensemble permettrait en effet d’identifier les groupes sociaux les moins bien couverts, ceux qui le sont parfois deux fois (et les gagnants finaux de cette double couverture), les inefficiences, etc. Et je dirais que c’est une préalable avant de définir et de mettre en place une stratégie nationale de financement de la santé.

Une recherche multi-pays

Grâce à  l’appui financier des Fonds français « Muskoka » et de l’ONG Cordaid, des experts des communautés de pratique  « Accès Financier aux Services de Santé » et  « Financement Basé sur la Performance » entament une recherche collaborative dans douze pays d’Afrique sub-Saharienne francophone. Leur ambition est de documenter, de façon rapide et légère, l’écheveau des RFS. Il est espéré que cette « mise en carte » des RFS dans chacun des pays permettra de révéler la complexité de chaque situation nationale. Nous espérons également que la comparaison inter-pays permettra d’identifier des situations récurrentes (‘patterns’) qu’il nous faudra, sur base des savoirs disponibles en économie de la santé et économie politique, interpréter comme favorable ou défavorable à la progression vers la couverture universelle de la santé (2).  


Un processus collaboratif de A à Z

Cette recherche, modeste dans ses objectifs scientifiques (uniquement de la documentation descriptive exploitant des données secondaires générales et les savoirs détenus par les experts), est par contre innovante sur le plan méthodologique : depuis son début jusqu’à sa fin, elle repose sur un processus collaboratif.

Au printemps 2012 (oui, cela peut prendre du temps entre lancer une idée et la réaliser !), un brainstorming virtuel a été organisé sur les groupes de discussion en ligne des deux communautés de pratique. Il s’agissait pour nos membres de suggérer des thèmes de recherche pour une éventuelle proposition à soumettre au Fond Muskoka.  Nous avons ensuite soumis ces thèmes à un vote électronique des mêmes experts. Leur vote a été clair : la priorité est d’avancer dans la compréhension des articulations à trouver entre les nombreux RFS qui s’accumulent dans chaque pays.

Pour respecter ce large intérêt, nous avons opté pour un modèle de recherche qui serait ouvert à un maximum d’expériences (plutôt que de se concentrer sur 1-2 pays) : une description légère, un peu sur le modèle de ce qui avait été produit pour préparer l’atelier de Bamako (weblink). Nous avons dès lors lancé un large appel aux candidatures individuelles pour réaliser cette recherche. Le financement Muskoka étant orienté vers les pays francophones (et malheureusement, seulement une sélection d’entre eux), nous nous sommes retrouvés avec des candidats dans 10 pays : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, la RCA, la RDC, le Sénégal, le Tchad, le Togo. Notre modèle collaboratif a toutefois permis à ce que projet soit, grâce au soutien de Cordaid, rejoint par deux pays « non-Muskoka » : le Burundi et le Cameroun.

Après la signature du contrat au printemps 2013, nous avons procédé à la mise en place de l’équipe de recherche. Une grille d’étude a été élaborée, partagée avec les équipes-pays impliquées et améliorée à partir de leurs commentaires. De la vraie co-production !

Etapes à venir

La recherche a désormais commencé. Les chercheurs sont en discussion continue sur les défis, les astuces, les stratégies pour dénicher les données financières…

Les résultats de la première phase de recherche – la mise en carte des RFS dans les 12 pays et une synthèse transversale de la situation – seront présentés à la Conférence AfHEA à Nairobi en mars et partagés plus largement avant mi-2014. Cette vue sur un quart des pays du continent devrait nous permettre de dégager des leçons génériques et peut-être de formuler quelques recommandations.

Début 2014, nous commencerons par ailleurs à préparer la deuxième phase (2014-2015) de cette recherche. Notre intention est d’élaborer une grille plus détaillée que nous testerons déjà dans au moins un pays. La 2° phase consisterait alors à mener ces analyses plus approfondies dans un maximum de pays (cela dépendra du budget disponible et des résultats par pays).

Il s’agira d’identifier les pertes d’efficience et d’équité générées par la multiplicité des RFS et essayer d’identifier des pistes d’action. Il sera alors possible, espérons-nous, de formuler des recommandations pour chaque pays documenté dans cette seconde phase.

Une telle recherche est bien un terrain nouveau pour nos CoPs. C’est la première fois que nous sollicitons ainsi certains de nos membres pour une documentation systématique. Ce qui nous paraît intéressant avec ce projet est que nous allons nous insérer dans un terrain peu occupé aujourd’hui : celui des études multi-pays. Entre les études individuelles approfondissant le financement de la santé d’un pays et les tableaux produits chaque année par l’OMS sur les dépenses de santé, il y a un espace ! Les CoPs ont peut-être un rôle à jouer, compte tenu de leur implantation désormais dans quasi tous les pays africains.  La réussite dépendra toutefois de certains facteurs tels que de notre capacité à nous coordonner et à nous entraider, le cas échéant. Nous veillerons dès lors à documenter ce modèle original de collaboration.

On vous donne rendez-vous à dans quelques mois. En espérant qu’on pourra apporter un nouveau savoir sur comment exploiter la multiplicité des RFS existants pour progresser vers la CUS.

Notes

(1)  Celle-ci est en effet assimilée, à tort, avec la couverture-maladie (qui comme son nom l’indique se désintéresse de la prévention et promotion de la santé) ou même avec la mise en place d’une assurance-maladie obligatoire (Voyez déjà comment nous peinons à traduire le concept de « Universal Health Coverage » en français !).
(2) Entendue comme une situation au niveau national d’un usage optimal des ressources pour assurer l’accès de chacun à des soins de qualité, respectueux de sa personne et assurant une protection contre l’appauvrissement

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Couverture universelle en Afrique : pour un modèle 2.0

10/6/2013

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Les équipes de facilitation des CoP financement de HHA*

Début septembre, les facilitateurs des CoP se sont réunis à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers pour réfléchir sur le chemin parcouru avec les CoPs HHA et baliser le développement futur.** Dans ce billet de blog, les facilitateurs des 3 CoPs ‘Financement’ reviennent sur le rôle que les communautés de pratique peuvent jouer en faveur de l’agenda de la couverture universelle. Ils font aussi appel à vos contributions.

La couverture universelle (CU) – entendue comme l’ambition d’assurer à tout un chacun l’accès aux services de santé dont il a besoin sans qu’il ait à souffrir de conséquences économiques lourdes lors de l’utilisation – est montée avec force à l’agenda international ces dernières années. Bon, la CU, c’est un peu coller une nouvelle étiquette sur une vieille bouteille, mais si ça aide à mobiliser les troupes, pourquoi pas ?

A l’heure actuelle, la communauté internationale est encore dans de grandes tractations sur le contenu exact des priorités qui seront retenues pour l’agenda post-OMD. Comme en témoigne différentes actions, rapports et discours produits pour la dernière Assemblée Générale des Nations Unies, on peut avoir l’espoir que la CU fera partie des priorités. Quelles que soient les décisions prises au niveau mondial, de nombreux gouvernements du Sud se sont réveillés et ont remis l’accès à des soins de qualité sur leur propre agenda. En avant donc pour la « CU », en Afrique également.

Plus d’attention pour la CU de la part des CoPs

Au niveau des communautés de pratique « HHA », la CU nous occupe depuis le départ, mais il nous apparaît opportun de mieux mettre en valeur notre contribution dans le futur. Les CoPs ont été voulues par HHA pour remplir au moins une fonction : consolider, pour le bénéfice des pays, au niveau des experts nationaux et internationaux, les répertoires de pratiques et connaissances relatifs aux système de santé en Afrique. Cette consolidation, nous l’entendons comme un accroissement du nombre et des profils d’experts maîtrisant ces répertoires, donc un effort tant en termes de volume (inclusion de nouveaux experts et davantage de partage entre des profils variés) que d’expansion individuelle des savoirs. La théorie de changement des communautés de pratique prévoit que cette consolidation passe par l’échange, la coproduction, la systématisation et dissémination des savoirs relatifs à ces répertoires techniques. La forte croissance de plusieurs CoPs en termes de membres (la CoP FBP par exemple compte aujourd’hui plus de 1.000 membres) confirme le besoin que ressentent les experts à se mettre en réseau pour mieux dominer les problématiques liées au financement de la santé.

Contribution possible des CoPs : la force du modèle collaboratif

Notre implication personnelle dans la facilitation nous a définitivement convaincus que par leur mode de fonctionnement ouvert, collaboratif et facilité, les CoPs ont une contribution propre à apporter à l’agenda de la CU.

Cette contribution peut prendre au moins deux formes.

D’une part, les CoPs permettent la dissémination des connaissances générées par les nombreux acteurs contribuant, en dehors des CoPs,  à l’agenda global de la CU. Ce partage se fait via nos plateformes en ligne, mais aussi et peut-être surtout, lors des événements en face à face que nous organisons. Un excellent exemple est la conférence que la CoP Accès Financier aux Services de Santé (AFSS) organisera fin novembre à Ouagadougou : en partenariat avec les chercheurs du Nord et d’Afrique, c’est une conférence de grande qualité qui se prépare. Nous constatons aussi qu’un nombre croissant d’acteurs nous invitent à leurs propres événements ou réunions de travail, pour qu’on y partage nos observations et savoirs, mais aussi pour travailler avec eux sur la bonne dissémination des résultats de leurs propres activités (par exemple, la CoP Accès Financier est désormais membre consultatif du comité technique régional d’appui aux stratégies d’extension de la Couverture Médicale Universelle dans les pays de l’UEMOA).

D’autre part, et de façon plus originale, la dynamique collaborative propre aux CoPs permet de solliciter les centaines de cerveaux ‘connectés’ à nos plateformes. Ce qui dans le langage des technologies de l’information et de la communication est aujourd’hui appelé le modèle 2.0 ou de façon plus spécifique le ‘crowdsourcing’. Par l’échange et le débat, les membres des CoP peuvent contribuer à l’identification des bonnes pratiques (en termes de design et mise en œuvre des régimes financiers notamment). Cela requiert toutefois une bonne dialectique, que ce soit lors des discussions en ligne ou d’un atelier. À cet égard, nous sommes conscients qu’une certaine responsabilité réside au niveau des facilitateurs : il s’agit en effet de faire le tri entre les opinions et les faits, de distinguer ce qui est de l’ordre de l’hypothèse et ce qui a été démontré. Nous sommes convaincus que par ce processus, un savoir original émerge.

Nos nombreux experts, par leur implication sur le ‘terrain’ (dans les ministères, les formations sanitaires, les unités d’appui…) peuvent aussi éclairer la communauté internationales d’une part sur les enjeux relatifs à la faisabilité, mais aussi sur les résultats observés dans leur pays. Par leur ancrage dans les opérations, nos membres peuvent ainsi maintenir un certain ‘reality check’ pour les grandes déclarations internationales ou nationale. Fin 2012, la CoP FBP avait accueilli une discussion en ligne assez vive à cet égard. Au-delà des discours rassembleurs, il faut en effet des résultats. En Afrique, les questions de mise en œuvre resteront centrales.

Une recherche multi-pays à venir

Mais nos CoPs ne doivent pas être réduites à leurs forums virtuels ou réunions en face-à-face. Certaines CoP vont aussi se lancer dans des projets plus ambitieux. Les CoPs AFSS et FBP se sont ainsi associées pour mener une recherche exploratoire descriptive dans 12 pays africains francophones. Ce projet est rendu possible grâce à un financement que nous avons obtenu de la France (Fond Muskoka), avec un appui complémentaire de l’ONG Cordaid. Il s’agira plus particulièrement de documenter les régimes financement de la santé déjà en place dans ces pays, de comprendre leur complémentarité, mais aussi trouver des pistes d’action pour dénouer ce qui est parfois devenu un véritable écheveau, tant les régimes s’empilent les uns sur les autres. La CU, c’est aussi mettre de l’ordre et de la cohérence dans tout ce qui se fait déjà en matière de couverture des risques et des besoins. Ce projet de recherche multi-pays, original par son modèle collaboratif, vous sera très prochainement présenté sur Health Financing in Africa.

Votre participation

Les CoP ont prouvé qu’elles trouvaient leur place à côté des acteurs traditionnels comme les ministères de la santé, les agences internationales et bilatérales, les ONG ou les institutions académiques. Nous sommes convaincus qu’elles peuvent contribuer de façon très positive à l’agenda de la CU, si elles reçoivent le soutien multilatéral qu’elles méritent : de la part des sponsors, des différents acteurs, mais aussi de leurs propres membres. 

Nous profitons de l’occasion de ce billet pour vous rappeler que Health Financing in Africa est le blog de tous les membres des communautés de pratique financement de HHA. Si vous voulez nous soumettre une proposition, n’hésitez pas. En 2013 et 2014, nous serons particulièrement intéressés par des informations sur les progrès de la couverture universelle dans votre pays, les défis rencontrés, les processus en cours de mise en place.

Notes:
*CoP Accès Financier aux Services de Santé : Yamba Kafando, Allison Gamble Kelley, Isidore Sieleunou ; CoP Financement basé sur la Performance : Nicolas de Borman, Serge Mayaka, Bruno Meessen, Emmanuel Ngabire ;CoP Evidence Based Planning and Budgeting : Nadège Ade, Jérôme Pfaffmann
** Plus d’information sur cette réunion sera partagée ultérieurement.

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Politique de gratuité en santé maternelle : un panorama rapide dans 11 pays africains

9/23/2013

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Bouchra Assarag (Ecole Nationale de Santé Publique, Rabat) interviewe Fabienne Richard (Institut de Médecine Tropicale, Anvers) au sujet d’une récente publication portant sur les politiques de gratuité en santé maternelle. 


Dans votre article, vous abordez les différentes politiques de gratuité des services de santé maternelle dans 11 pays en Afrique. Quel était votre objectif et quelle a été votre stratégie pour collecter l’information?

Cet article s’appuie sur une étude que nous avons réalisée pour préparer la réunion de la CoP Accès financier à Bamako en novembre 2011. L’atelier portait sur les politique d’exemption des services de santé maternelle. Nous  avons fait ce travail préparatoire pour donner aux participants une vue globale de ce qui se faisait actuellement dans différents pays anglophones ou francophones en matière d’exemption ciblé sur la santé maternelle. La comparaison de 11 pays en terme de paquets de soins couverts et de mécanismes financiers choisis par les pays a été un bon point de départ pour les échanges.

Pour recueillir l’information, nous avons d’abord élaboré une grille de collecte en deux parties (un volet sur le paquet couvert et un volet sur les modalités de financement) que nous avons testé au Burkina Faso. Une fois la grille validée nous l’avons envoyé dans les 11 pays à la personne ou au service en charge du suivi de la politique d’exemption ; ce sont en général des techniciens du Ministère de la Santé et/ou du Ministère des Finances qui ont complété la fiche. Nous avons parfois fait appel à des chercheurs sur place pour valider ou compléter la fiche quand certaines données étaient incomplètes. Nous avons ensuite essayé de voir les points communs et les différences entre les pays.

Quelles sont, en résumé, les principales conclusions de votre analyse?

Premièrement, qu’il existe une grande variation en terme de services couverts ou de types de coûts couverts par les politiques d’exemption en santé maternelle. La stratégie minimale, partout, a été de rendre la césarienne gratuite, mais ensuite les variantes autour de ce minimum commun sont importantes : complications ou pas, accouchements normaux ou pas, soins post-avortements ou pas, etc. Les justifications pour tel ou tel paquet couvert en termes de bénéfices pour la santé ou en terme de réduction des dépenses catastrophiques sont rarement explicités dans la formulation de la politique.  Les gouvernements n’ont pas toujours laissé l’opportunité aux techniciens de faire des estimations et des analyses du coût-efficacité de telle ou telle option. Certaines politiques ont été décidées de manière très rapide par le président dans un contexte de campagne électorale, ce qui n’a pas facilité leur mise en œuvre.

Deuxièmement, l’exemption pour les soins de santé maternelle n’est pas la seule initiative ciblée pour réduire les barrières financières. Ces dernières années ont vu le fleurissement d’une multitude d’initiatives pour réduire la charge financière de certains groupes de population (femmes enceintes, enfants, personnes âgées, indigents…) ou  de patients souffrant de certaines pathologies (VIH, Paludisme, tuberculose…). Cela devient très complexe pour les soignants de s’y retrouver, de savoir quel papier remplir pour prétendre à telle prise en charge gratuite. Ces initiatives, la plupart du temps gérées de manière séparée par différentes directions au niveau central, sont une charge au niveau de l’hôpital ou du district (outils de suivi spécifiques, mécanismes de remboursement différents, etc…).  Certaines personnes vont être doublement couvertes, comme un enfant de moins de cinq ans et  atteint d’une malaria sévère, car plusieurs pays ont des programmes pour les moins de cinq ans et pour la malaria. Mais un adolescent de 15 ans qui est victime d’un accident de circulation avec sa mobylette en ville par exemple aura beaucoup moins de chance, il ne rentre dans aucune catégorie…or c’est de la chirurgie et ça coûte cher…  Une femme de 40 ans qui souffre d’une fistule vésico-vaginale suite à un accouchement difficile, idem. On lui répondra que ce n’est pas dans la liste des interventions obstétricales urgentes.

En résumé, même si ces politiques d’exemption sont parties d’une bonne intention d’améliorer la santé maternelle et de réduire la charge financière des familles, elles risquent de ne pas atteindre leurs objectifs parce qu’elles ont été formulées de manière trop étroite (en ne sélectionnant que la césarienne dans la paquet couvert) ou parce que leur mise en œuvre n’a pas été suffisamment bien préparée.

Il y a quelques années, vous avez coordonné un ouvrage collectif intitulé «Réduire les barrières financières aux soins obstétricaux dans les pays à faibles ressources». Quel lien feriez-vous entre cet ouvrage et ce nouvel article ? Quelle est votre analyse personnelle de ces politiques de gratuité en santé maternelle, que ce soit en termes de mise en œuvre, d’impact pour les femmes ou les enfants, ou de répercussions sur les systèmes de santé ?

Je dirais que pas grand-chose n’a changé en terme de mise en œuvre des politiques depuis l’écriture de notre ouvrage :  dans presque tous les pays, il y a eu un écart entre ce qui était prévu théoriquement et ce qui a été compris et mis en œuvre. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela : une formulation floue de la politique (chacun interprète donc à sa façon le contenu du paquet), un manque de suivi de la politique et de mesures de contrôle qui permettent de redresser la barre si on voit qu’on s’éloigne trop de la politique telle qu’elle a été conçue, une absence de mesures d’accompagnement en termes de ressources humaines et matérielles.

Mon analyse personnelle, basée sur mes observations de terrain (comme j’ai pu partager le quotidien de personnel de santé de première ligne dans plusieurs pays africains), c’est que les ressources humaines sont le cœur du système de santé et sont le maillon essentiel pour la réussite de la politique d’exemption. L’état aura beau injecter des millions dans une politique d’exemption et d’annoncer que tout est gratuit, si dans les hôpitaux, les soignants ou les autres personnels continuent à pratiquer des paiements informels cela annule complètement l’effet de la politique. Avant de lancer de telles politiques, on doit bien réfléchir à comment on peut impliquer les agents de première ligne pour qu’ils soient acteurs de la politique.

Pour le futur, en ce qui concerne l’enchevêtrement de politiques ciblées d’exemption dont je parlais précédemment, je pense vraiment qu’on devrait mettre ensemble toutes ces ressources pour arriver à la couverture universelle.  Beaucoup de pays africains ont mis sur pied des groupes de réflexion pour l’assurance maladie – c’est positif – mais parfois avec des interlocuteurs internationaux sans impliquer leurs collègues qui gèrent les politiques d’exemptions ciblées. Il y a donc encore un gros travail de coordination au niveau national pour mettre les efforts de tous ensemble. J’ai compris que les communautés de pratique avaient reçu un financement Muskoka de la France pour travailler là-dessus, c’est une très bonne nouvelle, car il y du pain sur la planche. 

On vous retrouve à la conférence de la communauté de pratique en Novembre à Ouagadougou?

Bien sûr! J'ai entendu que le programme serait de grande qualité. Avec beaucoup d'autres chercheurs, notamment du Bénin, Burkina Faso, Mali et Maroc, nous présenterons les résultats du projet FEMHealth, qui s'est concentré sur les politiques d'exemption en santé maternelle. J'ai bon espoir que cette conférence apportera des réponses à des questions qui restaient ouvertes après l'atelier de Bamako... et notre panorama sur 11 pays.


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