Pendant un an, des experts issus de 12 pays d’Afrique Francophone (1), ont collaboré sur un projet relatif à la fragmentation dans le financement de la santé dans leurs pays. Dans ce billet de blog, le premier d’une série, Allison Kelley présente les principaux résultats de la première phase du projet et plus particulièrement l’analyse transversale des études-pays.
En novembre dernier sur ce blog, nous vous avions présenté un projet collaboratif que deux CoP (financement basé sur la performance et accès financier aux services de santé) lançaient sur la problématique de la Couverture Sanitaire Universelle.
Ce projet, financé par le Fond Français Muskoka et l’ONG Cordaid, était pour les CoPs une première : il s’agissait de tester notre capacité à mener à bien un travail de documentation d’une situation particulière (la fragmentation du financement de la santé) dans un grand nombre de pays. Notre hypothèse est que par leur nature et le réseau qu’elle constitue (la CoP FBP compte désormais 1.500 experts, la CoP AFSS 800), les CoPs peuvent compléter les travaux de recherche et de documentation mené par les autres acteurs (centres de recherche, agence de l’aide…). Dans ce premier blog, nous partageons avec vous les résultats de l’analyse transversale des études-pays.
La Couverture Sanitaire Universelle : un gros malentendu
Par définition, progresser vers la couverture sanitaire universelle (CSU) revient à progresser sur au moins trois grandes dimensions : (1) le nombre de personnes couvertes (2) la composition et la qualité du panier de services de santé auxquelles elles ont droit, et (3) la réduction de la contribution financière directe engendrée par le recours aux soins. Cette progression est souvent mal comprise, certains pensent par exemple que progresser vers la CSU consiste à introduire un système d’assurance obligatoire universelle unique. La vérité est que dans chaque pays, grâce aux régimes de financement de la santé (RFS) existants, la population bénéficie déjà, dans une certaine mesure, d’une couverture. Progresser vers la CSU consiste donc bien plus à apporter cohérence et efficience dans la combinaison de ces RFS déjà en place que lancer un RFS de plus.
La situation dans 12 pays d’Afrique Francophone
A titre de rappel, l’objectif de cette première phase de notre projet « Muskoka » était d’établir la cartographie des régimes de financement de la santé présents dans 12 pays africains francophones, soit presqu’un quart du continent. Pour atteindre une destination comme la CSU, il faut d’abord connaître avec précision son point de départ !
Le rapport des résultats de la première étape est désormais disponible (voir la rubrique "Resources" de ce site). L’analyse transversale capitalise sur la documentation individuelle de chaque pays par des experts nationaux des CdP. (3) Cette phase a été riche de leçons. Elle confirme que nous sommes bien face à des écheveaux de RFS.
* Notre étude a confirmé la grande fragmentation des RFS aujourd’hui dans les pays africains. Selon notre méthode de comptage, nous avons en moyenne 23 RFS par pays.
* Au-delà du simple comptage (qui nous a déjà bien occupé), dresser cette cartographie a été plus difficile que prévu : dans plusieurs pays, nous avons buté contre le problème de la disponibilité des informations sur les mécanismes de financement de la santé. L’information financière est souvent lacunaire. Cela freine le leadership de l’Etat dans le pilotage de la CSU et entrave une bonne compréhension à tous les niveaux de cette situation complexe, et donc aussi une meilleure articulation des mécanismes de financement.
* De fait, nos cartographies montrent que dans beaucoup de pays, coexistent simultanément des « trous » dans la couverture de la population (personnes non couvertes ou très peu couvertes) et des redondances (certains groupes bénéficiant d’une possible prise en charge par plusieurs RFS). On peut citer l'exemple d'une fonctionnaire qui dispose d'une assurance-santé et accouche dans un hospital où l'accouchement est gratuit. La verticalité au niveau des prestations prise en charge et la sélectivité des populations ciblées se traduisent en couverture très partielle, qui ne garantissent pas une continuité dans la prise en charge thérapeutique.
* Nous avons également constaté un manque de cohérence en termes de prévisibilité et régularité des modalités de financement des structures de soins; cela constitue un obstacle important à l’extension effective de la CSU.
* La majorité de ces RFS ont un financement dépendant de l’extérieur. Cela a une influence considérable sur la structure du financement de la santé et aggrave non seulement le problème de fragmentation, mais aussi celui de gouvernance du financement de la santé. Le rôle dominant des programmes spécialisés entraine la verticalisation de la prise en charge et le manque de centralisation au niveau du Ministère de la Santé des informations, notamment financières, gérées par les bailleurs extérieurs.
Défi commun, mais chemin individuel vers la CSU…
Le résultat général de cette phase est de faire ressortir un défi commun aux 12 pays de l’étude. Cette profusion de RFS, mais aussi les insuffisances actuelles au niveau de leur coordination (comme le prouve l’absence de données centralisées et ouvertes à tous), nous laissent penser que dans de nombreux pays, progresser vers la CSU va être complexe : il va falloir remettre de l’ordre dans tous ces RFS : en fusionner certains, en arrêter d’autres…
Pour faire cela, il va falloir mettre de nombreux acteurs, autour de la table, plusieurs ministères et agences publiques, mais aussi des programmes multiples et leurs partenaires techniques et financiers, des organes privés (comme les mutuelles), des représentants des associations professionnelles...
Le défi est qu’il n’existe pas de solution unique en guise de chemin vers la CSU. Chaque cas sera particulier.
Nous avons une certitude, et elle est valable pour tous les pays: la progression vers la CSU va nécessiter les gouvernements, et les Ministres de la Santé en particulier, à développer une grande capacité à collecter de l’information, à l’interpréter et à prendre des décisions en concordance. La gestion des connaissances et l’aptitude à analyser sa situation, les forces, contraintes, opportunités et menaces seront des conditions nécessaires pour progresser vers la CUS.
Comme vous le lirez dans un prochain blog, cette analyse a grandement déterminé notre réflexion pour ce qui devra la seconde phase de ce projet mené par les CoPs.
Pour accéder au rapport: cliquer ici.