Financing Health in Africa - Le blog
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Le financement basé sur la performance et la mise en œuvre des stratégies nationales de santé : un débat à poursuivre

4/28/2014

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Mathieu Noirhomme

Les approches de financement basé sur la performance (FBP) étaient encore considérées il y a peu comme des approches pilotes spécifiques. Elles deviennent aujourd’hui un instrument central de mise en œuvre des politiques et stratégies nationales de santé pour un nombre croissant de gouvernements et d’agences de coopération. Ceci pose de manière accrue la question de l’intégration et de l’alignement des stratégies FBP. Cela aura été le sujet d’un débat en ligne de trois jours, dont les éléments clés sont résumés ci-dessous. Un débat d’actualité, et qui demanderait d’être poussé plus avant, notamment dans le cadre des recherches qui seront conduites dans le cadre du récent appel à projet de l’Alliance pour la Recherche sur les Politiques et Systèmes de Santé.


Le débat a été soulevé en janvier par Mathieu Noirhomme, consultant indépendant sur des questions de dialogue politique et de renforcement du système de santé. Mathieu a pris comme point de départ le cas du Burundi, où il contribuait alors à une revue à mi-parcours du plan national de développement sanitaire (PNDS). Son questionnement s’articulait en deux points : (1) le processus d’intégration du FBP dans le cycle national de planification politique et stratégique ; (2) les risques liés à l’utilisation du FBP pour véhiculer d’autres mécanismes de financement.

Ceci aura donné lieu à un débat court et dense de trois jours. Il a principalement tourné autour du cas burundais, mais les réflexions peuvent aisément s’étendre à d’autres pays.

Le FBP comme outil dans le cycle de planification politique et stratégique

Le FBP peut être un outil puissant de planification stratégique, car il permet de refocaliser les interventions en fonction des évolutions des priorités stratégiques nationales et locales. Cela demande une cohérence réciproque entre les documents politiques principaux (notamment le PNDS) et les approches de FBP sur les orientations centrales et les organes et cycles de planification : d’un côté le FBP doit refléter les priorités nationales, de l’autre, les politiques nationales doivent offrir un rôle concret aux stratégies de FBP. En pratique, au Burundi, Mathieu constate que (1) le FBP est présent mais peu développé au sein du PNDS et que (2) plusieurs acteurs du niveau central disent encore à ce jour voir la Cellule Technique Nationale FBP comme un système de planification parallèle au niveau du ministère, insuffisamment connecté avec les principales directions systémiques (direction de la planification, direction de la santé). Cela induit un risque de voir émerger des orientations différentes entre les exercices de planification opérationnelle et les orientation supportées par le FBP.

Bruno Meessen (facilitateur de la CoP PBF) réagit à ce sujet, en établissant un lien avec d’autres pays où le FBP prend une place centrale dans les politiques nationales mais n’est que peu ou pas reflété dans le plan national de développement sanitaire (PNDS), et questionnant les participants de Communauté de Pratique (CdP) sur la situation dans leur pays.

Concernant le Burundi, Olivier Basenya (expert FBP, ministère de la Santé, Burundi) rappelle que le FBP constitue l’un des axes stratégiques du PNDS et un axe prioritaire du cadre stratégique de relance économique et de lutte contre la pauvreté. Il souligne, comme Bruno le faisait, l’importance d’un alignement entre stratégies nationales et mécanismes de financement. Mathieu approuve en ramenant le propos sur leur traduction opérationnelle. Il précise notamment que le FBP, bien qu’effectivement représenté dans le PNDS, est sous-développé dans le texte par rapport à l’importance stratégique qu’il revêt dans les opérations. Il rappelle également les difficultés pratiques récurrentes d’harmonisation entre PNDS, comité technique FBP, programmes verticaux et programmes des partenaires.

Rigobert Mpendwanzi (consultant Banque Mondiale) souligne les avancées importantes effectuées à ce sujet au Burundi ces dernières années. La planification opérationnelle est depuis 2012 placée sous l’autorité de la direction générale de la planification et conforme aux méthodes que celle-ci a fixées. Selon lui, s’il y a encore des difficultés d’alignement, cela serait lié à des problèmes de compréhension au niveau central sur ce qu’est le FBP. Ces problèmes seraient dépassés depuis longtemps pour les acteurs de terrain.

Delmond Kyanza (conseiller en financement de la santé, Management Science for Health, République Démocratique du Congo) nous offre une illustration du même type avec la situation en République Démocratique du Congo (RDC). Le FBP n’est pas représenté dans le PNDS alors que son importance stratégique est aujourd’hui reconnue. Il déplore également une même opportunité manquée au niveau du document de politique et stratégies de financement du secteur de la santé. Ceci tiendrait à une évolution de l’adhésion à l’approche, qui était encore insuffisante à l’époque de l’élaboration du PNDS. Il plaide pour une meilleure prise en compte du FBP à l’avenir en le présentant comme un vecteur de synergie entre mécanismes de financement. Michel Muvudi (gestionnaire, Arcadie consulting, RDC) complète l’analyse en mettant en garde contre le risque de fragmentation dans les zones où les cadres de concertations sont faibles / absents et où le FBP est mis en place dans une approche projet.

La dernière intervention à ce sujet d’Eric Bigirimana (Directeur, Bregmans Consulting & Research, Burundi) offre une synthèse critique et un message à l’ensemble des pays intéressés. Eric y insiste sur l’importance d’avoir des approches de FBP solides avant de les inscrire dans le PNDS, et ce en vue d’éviter de déforcer la stratégie via des approches bâclées. Il voit dans « l’impréparation et la précipitation issues de l’autorité politique » la cause centrale des problèmes de mise en œuvre. Selon lui, le Burundi a tiré les leçons du passé en prenant le temps aujourd’hui d’un travail technique préparatoire à l’introduction de la Carte d’Assistance Médicale (CAM) au sein du FBP. De manière plus large, il confirme le point de vue général du besoin d’une conjonction de différents mécanismes de financement pour répondre aux défis de santé et d’accès aux soins.

Le FBP comme véhicule pour d’autres moyens de financement

Si l’on dispose d’un canal efficient, il est cohérent de vouloir y greffer d’autres mécanismes de financement. Le principe n’est pas en doute. Par contre, Mathieu pose la question de la mise en œuvre, et particulièrement du travail préparatoire relatif aux autres mécanismes.

Au Burundi, le paiement de l’exemption des soins (pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans) transite depuis 2010 via le même canal que le FBP. Dans plusieurs structures sanitaires, les prestataires affirment que ces paiements absorbent l’intégralité des montants perçus, et ne permettent plus de dégager les ressources additionnelles propres au FBP. D’autres ne formulent pas de plainte à ce sujet. Les causes sont multiples (design, hypothèses à l’origine des forfaits, performance effective de la structure) et méritent discussion. Mais quelles que soient les causes, un constat transparaît : la fusion de deux mécanismes peut mener à une baisse d’adhésion de certains prestataires au système de FBP, qui à elle seule est préoccupante.

Olivier Basenya réagit directement, en reposant à juste titre les arguments en faveur d’une synergie de mécanismes de financement. Il reconnaît que certaines stratégies connexes, si sous-financées, présentent le risque de fragiliser l’ensemble du montage financier. Il préconise de conditionner la fusion d’un nouveau mécanisme à une préparation technique rigoureuse, comme cela se fait actuellement pour la Carte Assistance Médicale (CAM) au Burundi. Il rappelle également que l’ensemble des mécanismes seront cadrés dans la future stratégie nationale de financement de la santé.

Mathieu marque son accord sur ces points, mais met en avant les réalités opérationnelles observées, principalement une priorité aux remboursements des prestations offertes gratuitement, et dans certains cas une réduction des dotations effectivement perçues. Il pose deux questions à ce sujet (1) ne faudrait-il pas impliquer plus intimement les prestataires de soins dans la détermination de ce qu’est une prescription rationnelle et le forfait relatif ; (2) n’y aurait-il pas un intérêt à « earmarker » une partie des financements pour éviter une dilution de l’effet FBP.

Olivier recentre le débat sur la deuxième question. Le problème selon lui n’est pas tant sur l’earmarking que de « savoir si les ressources financières reçues mensuellement par la formation sanitaire quelle que soit la source lui permette de fonctionner (…) ». Rigobert Mpendwanzi insiste à ce sujet : le problème tient à un sous-financement des stratégies adoptées au niveau national. « La CAM et la gratuité doivent être judicieusement conçues et adéquatement financées pour que le FBP ne soit pas réduit à la lutte pour combler le gap. »

Dans les faits, cela ne contredit pas, mais au contraire illustre à nouveau les fragilités croisées : si le montant ou le mécanisme de calcul d’une stratégie de financement est insuffisant, c’est l’ensemble des mécanismes fusionnés (dont le FBP) qui peut en pâtir.

Sur la première question, Olivier et Rigobert défendent tous deux la méthodologie d’élaboration des forfaits qui aurait selon eux impliqué de manière adéquate les acteurs du niveau opérationnel. Olivier précise également que les montants reçus par les centres de santé sont appropriés selon les données collectées par le comité technique FBP. Le principal problème résiduel résiderait au niveau des hôpitaux pour lesquels les forfaits sont considérés par les prestataires comme insuffisants.

Mathieu nuance le propos sur ces deux points en rappelant les observations de terrain contradictoires et appelle à ouvrir le débat en dehors du cas burundais. Longin Gashubije (Ministère de la Santé, Burundi) abonde dans ce sens et apporte un nouvel élément en pointant l’irrégularité des paiements effectués par le Gouvernement. Selon lui, cela induirait le risque de réduire l’intérêt des prestataires pour le FBP et de les détourner des bonnes pratiques en la matière. En ce sens, il repose sur la table la possibilité d’assurer qu’une partie de financement soit garantie pour le FBP, sans formuler de piste technique.

Synthèse du débat

Dans un message qui s’avérera être le dernier de ce débat, Mathieu synthétise et rappelle les fondamentaux de la question de la fusion de différents mécanismes. (1) Oui, il y a de sérieux arguments en faveur de synergies opérationnelles que personne dans ce débat n’a contestées. (2) En pratique, certaines structures voient les ressources du FBP servir pour le remboursement de prestations exemptées. Pour celles-ci, on n’est plus face à une rémunération à la performance mais à un paiement de la gratuité. Quelles que soient les causes, l’effet FBP s’est sans doute délité. (3) Cela lance un appel à la prudence lors du design et du suivi de fusions de mécanismes de financement. Olivier et Rigobert l’ont beaucoup abordé sur la question des budgets disponibles. D’autres considérations peuvent être prises en compte. Cela a d’autant plus d’importance dans des pays où le FBP devient l’un des principaux vecteurs de financement.

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Financement Basé sur la Performance et autonomie des formations sanitaires : synthèse d’un débat en ligne

2/20/2014

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Léonard Ntakarutimana

Quelles sont les responsabilités des équipes-cadres de district dans un district sanitaire dans lequel un système de financement basé sur la performance (FBP) a été introduit ? C’est à cette question que Léonard Ntakarutimana (Institut National de Santé Publique, Bujumbura) tente de répondre en prenant appui sur une discussion qui s’est tenue fin août et début septembre 2013 sur le groupe de discussion en ligne de la communauté des pratiques FBP. Une discussion qui a soulevé une certaine passion : au total 19 intervenants et 32 messages (vous pouvez retrouver la discussion dans son intégralité ici). 


Introduction

Le 28 août 2013, j’ai partagé avec les membres de la Communauté des Pratiques FBP un petit texte au travers duquel je m’interrogeais sur les limites du rôle de régulation des équipes cadres de district (ECD) à l’égard des formations sanitaires (FoSa) évoluant dans le cadre d’un système FBP. Mon interrogation partait du constat d’un désaccord entre, d’une part les prestataires d’un centre de santé du Burundi qui estimaient qu’ils avaient le droit d’obtenir la prime à la performance conformément au prescrit du manuel des Procédures de FBP applicables au niveau national, et d’autre part le Médecin Chef de District qui avait imposé une règle « locale » d’octroi de la prime qui était contraire à la directive contenue dans le manuel des procédures FBP.(1)

Abus de pouvoir de l’ECD ? Bonne intention ? Dans mon message à la communauté des experts, je posais la question : « L’excès de régulation exercé sur le fonctionnement des formations sanitaires  pourrait-il constituer un facteur limitant la performance et le développement des formations sanitaires utilisant l’approche FBP »? Je faisais également appel à un partage d’expérience : ce que j’avais observé était-il exceptionnel ou était-ce observé ailleurs en Afrique ? Cette question a suscité un vif débat au sein de la CoP FBP ;  les différents points de vue seront passés en revue dans les lignes qui suivent.(2) Mais d’abord, commençons par situer le débat dans son contexte.


La problématique de l’autonomie de gestion des formations sanitaires

Au sein de la communauté des experts FBP, il existe un large consensus que l’autonomie de gestion des FoSa est un élément clé de la stratégie : elle permet aux gestionnaires des FoSa de prendre des mesures visant à augmenter la production de services de qualité. Mais que devons-nous exactement entendre par cette notion d’autonomie ?

L’encyclopédie Wikipedia nous rappelle qu’étymologiquement, autonomie vient du grec « autos » : soi-même et « nomos » : loi, règle. C’était le droit que les Romains avaient laissé à certaines villes grecques de se gouverner par leurs propres lois. Le dictionnaire Larousse, quant à lui, définit l’autonomie comme étant « une situation d’une collectivité, d’un organisme public dotés de pouvoirs et d’institutions leur permettant de gérer les affaires qui leur sont propres sans interférence du pouvoir central ».

Ça, c’est pour la définition maximaliste. Dans les faits, nos sociétés sont bien régies par tout un écheveau de règles, de lois, en bref, d’institutions. Aucun élément de la société n’est donc totalement autonome. Un hôpital qui s’est vu accordé un statut autonome de gestion devra par exemple respecter le droit du travail, des règles de sécurité, etc. Il va de soi que le Ministère de la Santé va garder des zones d’autorité. De même, la cité grecque qui abusait de son autonomie et trahissait la loyauté attendue par Rome, était rapidement confrontée au courroux des légions romaines. 

Notre première observation est donc bien que l’autonomie est une question de degré. La bonne question est plutôt celle de son contenu exact.

Il est ainsi reconnu par tous les experts FBP que cette autonomie de gestion n’efface pas le rôle régalien de l’Etat qui, à travers le Ministère de la Santé et ses structures déconcentrées et décentralisées (comme les bureaux de district), veille au respect de la politique sectorielle de santé et des normes en matière de prestation de soins.

Le diable est dans les détails : en pratique, la limite entre l’autonomie des FoSa et le contrôle exercé par le MSP n’est pas nette ; et ceci est à l’origine de conflits entre les FoSa et les ECD, tels que celui que j’ai évoqué en début de blog. Ces conflits, s’ils ne sont pas résolus,  peuvent entraîner une démotivation des personnels de santé et mettre en péril la mise en œuvre du FBP. Nous sommes donc face à une ‘zone’ que nous avons laissée jusqu’à présent relativement indéterminée ou que nous avons peu négociée avec les parties concernées: le rôle exact des ECD quand le district accueille un système FBP.


Les points de vue et propositions des membres de la CoP FBP

 Le message original a suscité de nombreuses réactions. Voici un résumé de ces dernières.

Bruno Meessen (Professeur à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers, Belgique et Facilitateur de la CoP FBP), qui par le passé avait aussi observé un excès de contrôle par une ECD au Burundi, y voit l’indication d’un manque de conscience au niveau des ECD que le FBP marque un changement de paradigme.  Ceci dit, il pense aussi que les experts FBP se trompent quand ils cantonnent les ECD au statut d’un organe de régulation. En plus de la fonction de régulation, il rappelle que les ECD sont censées jouer un rôle-clé dans la coordination du système local de santé, un rôle de leadership dans la réponse aux défis sanitaires émergents ou non prévus par le FBP (ex : une épidémie) et le rôle de renforcement des capacités des personnels des FoSa situées dans leur zone de responsabilité. On notera que la récente conférence organisée par la CoP Prestation des Services de Santé (Dakar 21-23 octobre 2013) a été riche en recommandations à ce niveau (rapport accessible en cliquant ici)

Tout en étant d’accord avec le besoin de davantage d’autonomie des FoSa, Bruno souligne cependant un défi qui reste à relever : celui de faire comprendre à la hiérarchie sanitaire que le système sanitaire sera  plus fort comme un tout lorsque la mission de chaque élément sera mieux définie et que les interférences cesseront. Il prévient qu’il faudra s’armer de patience car un tel changement de paradigme ne se fait pas d’un coup, mais bien progressivement.

Comme solutions, Bruno préconise : poursuivre de la communication sur le changement de paradigme, éviter les conflits d’idéologie, inter-projets ou interpersonnels et montrer qu’il y a de la place pour des ECD fortes.  Pour Bruno, la communauté des experts FBP doit être consciente que l’avancée vers une plus grande autonomie des formations sanitaires publiques en Afrique repose sur ses épaules.


Le point de vue des « modérés »

Joël Arthur Kiendrébéogo (AEDES-Tchad, Médecin et Economiste de la santé) relève que la notion-même de régulation n’est pas forcément comprise par tous de la même façon ; et qu’une certaine confusion persiste au sujet des  termes « autonomie », « contrôle » et « indépendance ». Il pose en outre la question de savoir si tout le monde s’accorde sur l’objet de ce qui doit être régulé. Tout comme Bruno, il pense qu’il est de la responsabilité des experts du FBP de lever toutes ces ambiguïtés.

S’agissant de la notion d’autonomie des FoSa, Joël Arthur en citant Jean Perrot et al. (in « L’incitation à la performance des prestataires de services de soins » ; OMS, 2010), distingue deux courants de pensées : (i) les partisans du néo-libéralisme pur et dur pour lesquels il faut laisser le prestataire de services de santé utiliser les fonds qu’il a reçus comme il l’entend, avec l’hypothèse que c'est lui qui connaît le mieux ses besoins et qu'il saura prendre la meilleure décision quant à l'utilisation des fonds pour améliorer la production de résultats et (ii) les « modérés » qui pensent qu’on ne peut pas se désintéresser de l'utilisation des fonds par les prestataires pour des raisons de redevabilité (car il s'agit généralement d'argent public) ou simplement du fait que cette utilisation est elle-même stratégique pour améliorer la production de résultats ultérieurs. Ils pensent donc qu’il faut s'assurer que les prestataires utiliseront au mieux ces fonds, étant supposé que les FOSA n’ont pas toujours les bonnes stratégies pour améliorer leur performance ou qu'ils ne font pas toujours les meilleures choses.

Joël Arthur compte parmi ces partisans d’un certain interventionnisme de l’Etat. Il justifie sa position pour deux raisons essentielles : (i)  dans beaucoup de situations (pays), les distorsions du marché (situations de monopoles, asymétrie d’information entre différents acteurs du système de santé, capacités très inégales entre les FoSa) sont si importantes que les mécanismes de lois du marché ne peuvent pas fonctionner correctement ; (ii) la bonne gouvernance reste à construire dans de nombreux pays ; et les bonnes pratiques de gestion financière et comptable ne sont pas encore en place.

Joël Arthur conclut en optant pour une autonomie des FOSA dans la définition de leur plan d’action ; la régulation ne devant intervenir que pour s’assurer que les activités définies dans les plans d’action sont conformes à la politique sanitaire nationale et qu’elles sont bien exécutées. Cependant, il relève que le manque criant de personnels compétents dans la plupart de situations constitue une entrave majeure ; et que dans ces conditions, un accompagnement minimum  des FoSa s’impose.

Matar Camara (Spécialiste en Renforcement des Systèmes de Santé, USAID-Sénégal), distingue deux  situations de FoSa.  Dans la première catégorie, les responsables de FoSa prennent des initiatives pour améliorer le cadre de travail ou la couverture ; ils utilisent correctement les ressources du FBP. Ceux-ci n’ont pas besoin d’accompagnement.

Dans la deuxième catégorie de FoSa,  les responsables sont incapables de prendre des initiatives et attendent plutôt qu’on leur donne des directives à exécuter. Dans cette deuxième catégorie,  les FoSa ont besoin d’un accompagnement, d’un éclairage (renforcement des capacités) leur permettant d’élaborer et d’évaluer périodiquement des plans d’actions budgétisés, un préalable à l’atteinte des objectifs.

Cette distinction entre les «  bons » et de « mauvais » élèves parmi les FoSa est soutenue par Michel Muvudi (Spécialiste de Santé Publique, Projet d’appui au PNDS/10ème FED-Union Européenne, RD Congo), qui,  comme Matar, propose une attitude différente à adopter par les ECD selon le cas. Michel rappelle que le district est un ensemble hétérogène qui a besoin de coordination – la mission-même des ECD est de trouver cette harmonie fonctionnelle. A l’endroit des «  mauvais élèves » qui utilisent mal leurs ressources (non-respect des lignes de dépense, malversation, insuffisance en gestion etc.), les ECD qui, selon lui, ont aussi la fonction de contrôle administratif, devront recadrer et corriger les distorsions. En revanche, ce contrôle administratif ne serait pas indiqué à l’endroit des « bons élèves ». Bref, Michel  trouve que quatre éléments essentiels doivent être pris en compte pour mieux aborder la question des limites qui devraient exister entre l’autonomie des FoSa et le contrôle par les ECD : (i) la façon démontrée (positive ou négative) dont les FoSa utilisent leur autonomie, (ii) la redevabilité des FoSa,  (iii) la façon dont les ECD assurent leur rôle de régulation vis-à-vis des FoSa et (iv) la manière dont l’autorité de tutelle fixe et contrôle la ligne séparant l’autonomie des Fosa et la régulation de celles-ci par l’ECD.

Pour que le FBP soit couronné de succès, Michel suggère de former tous  les acteurs  et d’introduire l’approche à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, étant donné que la production des services de qualité dans les FoSa dépend aussi de la manière dont celles-ci  sont encadrées  et  de la qualité de relation qu'elles entretiennent avec la hiérarchie en rapport avec le respect des normes et directives.

Eric Bigirimana (Médecin, Ms Sciences, BREGMANS Consulting & Research, Burundi ; Manager de l'AAP Sud-Ouest Cameroun) revient sur l’idée exprimée par Bruno selon laquelle les différents acteurs du système de santé interprètent différemment les principes véhiculés par le FBP. Par conséquent, il propose de revoir ces principes pour pouvoir dégager  une meilleure orientation. Tout comme Bruno, Eric pense que, si dans le cas du CDS du Burundi rapporté par Léonard,  les ECD agissent de manière directive en mettant en place des règles nouvelles, cela suggère que leurs attributions, leurs rôles et leurs responsabilités dans le montage du FBP ne sont pas clairs. Cela indique peut-être la nécessité d’être plus précis dans le manuel de procédure FBP. Mais cela suggère aussi de vérifier que ce que leur demande le FBP est bien compatible avec les prérogatives déléguées par le MSP aux ECD.  Cette confusion serait le plus souvent constatée dans les pays ayant mis en place le FBP en le focalisant sur les formations sanitaires de première et de deuxième ligne tout en donnant un rôle dérisoire aux ‘régulateurs’aux différents niveaux.

Dans certains pays, nous aurions donc négligé d’accorder aux niveaux intermédiaires leur juste place dans le FBP. Eric n’est pas sûr que détacher ainsi les FoSa de leur relation privilégiée avec les ECD est la bonne stratégie. Cela priverait notamment les FoSa de l’appui et de l’encadrement technique indispensables à l’atteinte d’une performance optimale, surtout lorsque les personnels  des FoSa ont un faible niveau de compétence.  Pour éviter cette situation, Eric soutient l’application du FBP comme un outil qui renforce tout le système sanitaire. Dans cette logique, les principes et les bonnes pratiques de l’approche s’appliqueraient à tous les acteurs du système de santé, les régulateurs y compris.

Enfin, Eric soutient que les ECD doivent veiller au respect des normes sanitaires. Les ECD doivent plus particulièrement s’assurer que les FoSa font des choix de stratégies qui cadrent avec ces normes sans pour autant chercher à se substituer à elles dans leur prise de décision.

Pour ce qui est de la liberté des FoSa à utiliser leurs fonds, Eric pense que les régulateurs doivent agir par un coaching persuasif et donner un appui aux Fosa pour opérer des choix techniquement efficients. Ainsi par exemple, dans tous les investissements réalisés par les FoSa, le régulateur se doit de vérifier si les choix collent avec les normes établies par le Ministère de la Santé en vue de prévenir   des investissements non prioritaires ou qui ne respectent pas les normes sanitaires.

De l’avis d’Eric, « le régulateur doit garder un œil sur les activités des FoSa ainsi que sur les choix qu’elles font dans le but de faire respecter les normes sanitaires et pour apporter un appui technique sur l’élaboration du Business Plan ainsi que sur sa mise en œuvre. Cependant, il ne doit pas chercher à se substituer au personnel de la FoSa lors de la prise de décision ». Cette ligne de pensée rejoint celle des « Modérés » qui avait été exposée par Joël Arthur Kiendrébéogo.
L’idée de redéfinition (clarification) des concepts (fonctions) déjà exprimée par Joël Arthur Kiendrébéogo et Eric Bigirimana est également soutenue par Bemadjingar Pascal (Médecin, Responsable FBR, Tchad). Pour ce dernier les concepts à redéfinir sont entre autres, la régulation, la supervision et l’encadrement. Sans cette clarification, le travail des ECD risquerait de nuire à l’autonomie de gestion des FoSa.


Un point de vue plus néolibéral

Comme vous l’avez sans doute observé par le passé, notre CoP accueille une diversité d’opinions. C’est Jean ClaudeTaptue Fotso (Manager, Agence d’Achat des performances, Littoral - Cameroun) qui s’est lancé pour défendre une ligne plus ‘néo-libérale’.

Il n’est pas d’accord avec l’idée exprimée par Eric selon laquelle les ECD disposeraient de compétences suffisantes pour encadrer les FoSa et les amener à observer les meilleures pratiques du FBP (élaboration des plans d’action, choix des stratégies à utiliser pour produire les résultats, etc.).

 Pour lui, si certaines ECD ne jouent pas suffisamment leur rôle, c’est simplement parce qu’elles ne sont pas bien formées sur le FBP. C’est lors des formations sur le FBP qu’ils prennent connaissance et maîtrisent les principes, les meilleures pratiques et les rôles des différents acteurs du FBP. Pour Jean Claude, les idées des ‘régulateurs’ sont suffisamment prises en compte lorsqu’ils décident des indicateurs à acheter et fixent leurs prix ; pour la mise en œuvre, il pense que c’est aux FoSa de décider.

 Il va plus loin en affirmant que l’ingérence des ECD pourrait même étouffer l’émergence des ‘génies’ parmi les prestataires des CDS, qui sont capables d’offrir des services appréciables pourvu qu’ils soient suffisamment motivés. Il fustige le cas de certains superviseurs du niveau central, moins formés sur le FBP que les acteurs du niveau opérationnel, et dont l’action sur le terrain peut parfois nuire au FBP.  Il souligne également la vision réductionniste de certains acteurs, qui résument le FBP à un simple mécanisme d’allocation des fonds, avant de préciser que le FBP va bien au-delà pour être une véritable réforme. Il soutient la séparation des fonctions et des rôles comme condition au développement harmonieux du FBP et du système de santé. Plus loin, Jean Claude soutient que le rôle des ECD doit également être de veiller au respect des normes de qualité, de gestion administrative et financière par les FoSa, idéalement par une activité de‘coaching’. 

Sa solution: tous les acteurs du FBP (les prestataires, les régulateurs, les financeurs, les décideurs impliqués de près ou de loin) devraient être bien formés sur le FBP (il fait allusion au type de formation de 14 jours souvent organisée ici et là sur le FBP) pour jouer pleinement leur rôle, que ce soit au niveau politique, stratégique ou opérationnel.  Sur ce dernier point, Jean Claude est donc plus consensuel.

S’agissant des manuels de procédures, Jean Claude rejoint l’idée exprimée par Eric pour reconnaitre que ce type de document devrait être bien rédigé de façon à garantir la séparation des fonctions et l’autonomie de gestion des FoSa.

L’idée de former tous les acteurs du FBP est soutenue par Joël Arthur, qui toutefois estime que ce serait simplifier les choses que de penser qu’une bonne formation signifierait «avoir suivi le type de formation de 14 jours sur le FBP » auquel fait allusion Jean Claude.  En outre, il revient sur l’idée d’ajouter l’élément « contexte » (nature et importance des inputs mis en place par chaque pays, processus de production), étant donné que des acteurs même très bien formés sur le FBP pourraient aboutir à de mauvais résultats simplement parce que le contexte dans lequel ils évoluent n’est pas favorable. Dans cette même logique, Joël Arthur ajoute que certaines dispositions des manuels de procédures FBP pourraient justement avoir été mises exprès dans ces  documents pour mieux prendre en compte du contexte dans lequel le FBP est mis en œuvre. 

Joël  Arthur rappelle l’idée souvent émise par différents experts, que le FBP n’est qu’un catalyseur pour le renforcement du système de santé ; mais qu’il ne doit pas être considéré comme une solution miracle à tous les problèmes. En outre, il pense que la mise en œuvre de cette approche devrait être un processus dynamique qui n’obéit pas  à « la loi de tout ou rien » souvent avancée par certains praticiens du FBP selon lesquels « soit on fait du FBP soit on n’en fait pas »

Cette loi du tout ou rien semble cependant soutenue par Jean PierreTsafack (Médecin, Manager AAP Bertoua-Cameroun), qui affirme que « mettre le PBF en œuvre sans maîtriser ses meilleures pratiques c'est faire autre chose et non le PBF ».

Patrice Ngouadjio Kougoum (Médecin, Manager Adjoint AAP Sud-Ouest, Cameroun) soutient la vue que le rôle des ECD ne doit pas rester dérisoire. Il pose la question de savoir comment l’ECD doit jouer pleinement son rôle d’amener les FoSa à être plus performantes. La question se pose plus particulièrement lorsque le ‘génie’ du Chef de la FoSa ne se développe pas ou que la performance (quantitative) des FoSa se développe très rapidement au détriment de la qualité. En outre, Patrice se demande comment l’on pourrait lier la performance des ECD (qui avec certaines grilles, atteint facilement 100%) à celle des FoSa de leurs districts sanitaires. Rena Eichler (Broad Branch, USA) répondra à cette question quelques jours plus tard en donnant un exemple de la Tanzanie (où les primes des ECD sont notamment dépendantes de la performance agrégée des FoSa, mécanisme qui par contre les exclut de la fonction de vérification). Joseph Shu donnera, pour sa part, un exemple de checklist utilisé au Cameroun.

Pour Jean Claude Taptue, l’autonomie des FoSa offre l’occasion à celles-ci de se désigner de bons responsables capables de diriger et de remplacer ceux qui en sont incapables. Face à certaines FoSa dont la performance est mauvaise pour des raisons évoquées par Jean Pierre, Jean Claude estime que ces FoSa peuvent être sanctionnées ; et les sanctions peuvent aller jusqu’à la suspension de leur contrat de performance, et ce jusqu’à ce qu’ils changent de chefs. C’est ce qu’il appelle « associer le bâton et la carotte ». S’agissant de l’évaluation des ECD, il propose d’abandonner les indicateurs de processus des DS pour se focaliser sur les indicateurs de qualité des FoSa de leur zone d’intervention.


Quatre fausses prémisses ?

Eric, revenant sur la position de Jean Claude et d’autres experts du FBP qui, selon lui, défendent l’autonomie « totale » des FoSa pense que leur position part de prémisses qui sont basées sur certaines fausses perceptions.

Première fausse prémisse : Ingérence des ECD dans le travail des Fosa 

Pour Eric, cette vision de ce qu’il appelle « les Puristes » du FBP part d’une fausse perception du rôle que doivent jouer les ECD. Tout partirait de leur vision négative quant au travail des ECD, qualifié d’ « ingérence », pour signifier une entrave ou une perturbation ou même une nuisance au développement des FoSa. C’est cette vision qui conduit à  assimiler la séparation des fonctions ou l’autonomie de gestion à la rupture des liens fonctionnels entre les FoSa et les ECD.

Eric propose à la place une vision selon laquelle les ECD sont là pour faire un travail d’encadrement et de coaching auprès des FoSa en vue de les aider à améliorer leurs prestations. Pour lui, il ne faudrait pas partir du fait que certaines ECD ne s’acquittent pas correctement de leurs tâches pour ignorer le rôle positif des ECD qui jouent correctement le rôle qui est le leur : le coaching persuasif. Eric pense que ce coaching persuasif n’entrave en rien l’inventivité des Fosa. Au contraire, il alimenterait la réflexion au niveau des FoSa en apportant un éclairage sur les dimensions mal maîtrisées par le personnel des FoSa.

Pour Eric, le rôle de coaching des FoSa par les ECD doit être maintenu étant donné que,  lorsque les résultats s’améliorent dans une FoSa, on salue son‘génie’ alors que lorsqu’ils sont mauvais, le réflexe sera de blâmer les équipes des FoSa parce qu’on ne comprend pas les processus sous-jacents aux résultats produits (positifs ou négatifs) au niveau opérationnel, alors que cette faible performance serait probablement la résultante d’un faible niveau de coaching par les ECD.

Répondant à la question posée par Patrice, Eric pense que l’autonomie de gestion prônée par le FBP ne devrait pas rimer avec une totale indépendance des Fosa vis-à-vis des ECD notamment sur les liens fonctionnels. Au contraire, il pense que la rupture fait courir le risque de démembrement, qui entraîne à son tour une fragmentation et une fragilisation du district de santé et de surcroît, la fragilisation du système de santé. Toutefois, ces liens fonctionnels ne signifient pas que l’ECD décide à la place des FoSa ou qu’elle dicte ce que ces dernières doivent faire, d’où Eric revient sur le besoin de définir clairement les attributions des rôles et des responsabilités des uns et des autres dans le cadre du FBP via le manuel des procédures.

Deuxième fausse prémisse : Les prestataires au niveau des Fosa sont les mieux placés pour connaître les besoins des populations et pour trouver des solutions à leurs problèmes

Avec cette prémisse, Eric pense qu’il y a quelque part une exagération, étant donné que les professionnels de santé  évoluant dans la plupart des centres de santé et des hôpitaux de district en Afrique seraient formés sur la prestation des soins cliniques (à quelques différences près entre pays). Leur cursus a en fait promus une « vision biomédicale de la santé » directement liée aux activités qu’ils feront dans les FoSa. Eric estime que dans ce type de formation, des aspects  importants de santé publique ne sont pas ou sont très peu développés. Il pense notamment aux aspects psycho-sociaux de la santé qui permettent de bien comprendre les enjeux de santé au niveau communautaire. Ceci suggère que les ECD (les seules supposées avoir des compétences techniques suffisantes en la matière) doivent encadrer les FoSa.

Troisième fausse prémisse : lorsque les indicateurs ne s’améliorent pas, il faut augmenter leurs coûts unitaires pour qu’ils décollent 

Pour Eric, cette prémisse est fondée sur la croyance que l’argent est le seul facteur motivant, ce qui n’est pas vrai. Si l’incitatif financier est l’un parmi les plus importants notamment dans les pays à faibles revenus, il serait loin d’être le seul dans les secteurs sociaux comme la santé où certaines valeurs sociales sont très fortes. Et il ajoute : « Penser qu’agir uniquement sur le levier des incitatifs financiers suffira c’est méconnaître les déterminants socio-comportementaux des professionnels de la santé quelque soit le pays où vous appliquez le FBP ». Basile Keugoung (éditeur de la lettre Politiques Internationales de Santé, Cameroun) soutient un argument analogue.

Quatrième fausse prémisse :   L’autonomie de gestion signifierait pour « les puristes »,   une totale indépendance entre différents acteurs

Ici également Eric pense que c’est une mauvaise interprétation  porteuse de risques pour le système de santé. Cette mauvaise interprétation aurait également un impact sur l’interprétation de la séparation des fonctions. Il rappelle que le rôle des ECD auprès des FoSa est indispensable, notamment pour s’assurer de l’élaboration des plans d’action de qualité et de leur mise en œuvre, la bonne utilisation de l’outil d’indice, la supervision, la gestion et l’analyse des données des FoSa de son aire de responsabilité.


La discussion s’est clôturée, avec des contributions de Christine Ename, Bruno Meessen, Michel Muvudi et Jean Claude Taptue sur la fonction du coaching, une fonction-clé oubliée dans la conceptualisation du FBP. Dans son partage d’expérience, Michel détaille avec clarté les trois grands enjeux d’un bon coaching : les aptitudes du coach, la méthodologie du coaching et une bonne compréhension des caractéristiques du groupe-cible du coaching.    

Le mot de la fin reviendra à Joël Arthur qui recommande que le FBP soit intégré dans le curriculum de formations initiales des personnels de santé en Afrique. Ce serait certainement la meilleure façon d’assurer la transition entre paradigmes !



Synthèse de la discussion

Notre sujet a suscité un large intérêt auprès des experts et praticiens, cela indique que la problématique est perçue comme importante. Les différentes contributions permettent de dégager les principales leçons suivantes :

1.    Le FBP est une approche reconnue comme innovante dans le financement de la santé. Loin d’être une simple allocation des fonds, il est une véritable réforme du secteur de la santé. A ce titre, il redessine la carte des responsabilités dans le système de santé, y compris au niveau décentralisé.

La communauté FBP a identifié un corpus de principes. Certains ont été rapidement énoncés et leur contenu exact est resté en partie indéterminé ou insuffisamment négocié avec les parties concernées. C’est le cas de l’autonomie des FoSa, en particulier dans leur relation aux ECD. Celles-ci étant parfois bien installées dans leurs rôles et prérogatives, peuvent entraver le développement du FBP, à tort ou à raison.

2.     Il ressort de notre discussion qu’il y a débat sur le degré d’autonomie à conférer aux FoSa vis-à-vis de leur ECD.

Certains experts tiennent à la responsabilisation des ECD, notamment dans l’accompagnement des FoSa. Leurs principaux arguments sont : (i) les districts sont des ensembles hétérogènes ; la responsabilité des ECD est d’organiser le système local de santé ; en découle une coresponsabilité dans la performance relative des FOSA de leur zone d’intervention que ce soit sur le plan qualitatif que quantitatif ;  (ii) les FoSa n’ont pas des capacités de production, de gestion ou d’innovation identiques; les moins performantes ont besoin d’un renforcement des capacités et d’un coaching ; (iii) les FoSa utilisent les fonds publics qui doivent être bien gérés en tenant compte de la politique sectorielle du Ministère de la santé et de leur plan d’action ; (iv) les prestataires des FoSa du niveau opérationnel en Afrique ont généralement un faible niveau de connaissance sur différents aspects de la santé publique ; ils ont besoin d’une guidance de proximité à cet égard. Les experts de ce courant sont aussi soucieux de développer des solutions en phase avec le contexte et se méfient d’une pensée FBP standard qui deviendrait trop idéologique. Ils prônent ainsi une implication des ECD ‘sur mesure’ : minimale si la FoSa est performante, proactive si la FoSa est défaillante. Ils rappellent que l’incitant financier, quoique très important, n’est pas le seul déterminant de la performance des prestataires; il est donc important d’utiliser les mécanismes dont disposent les ECD. La séniorité et l’expérience de ses membres (dans la mesure où il en est bien ainsi) sont un vrai atout à exploiter.

Un autre courant veut jouer de façon plus radicale la carte de l’autonomie des FoSa. Les experts de ce courant ont foi dans les lois du marché. Ils expriment un certain doute sur les capacités des ECD elles-mêmes. Ils pensent aussi qu’il ne faut pas essayer de remédier à tout de façon paternaliste; il faut ainsi accepter que le destin d’un manager incapable d’améliorer la performance de sa FoSa est peut-être de se faire remplacer.

                                                                                                                   
Notre proposition

Notre responsabilité n’est pas de départager ces deux courants. Notre avis est que c’est à chaque expert, face à une situation donnée, à déterminer la voie pertinente. Voici des points d’action qui nous semblent toutefois pouvoir rassembler un large soutien au sein de la CoP :                                                   

Le FBP marque un changement de paradigme : il prône une redéfinition et un recadrage des rôles et responsabilités des différents acteurs et à tous les niveaux, y compris au niveau du district de santé. Le niveau central du Ministère de la Santé doit être conscient de cette évolution et l’accompagner, notamment en donnant des directives pour prévenir les interférences intempestives par les ECD.

Du côté des acteurs mettant en œuvre le FBP, on peut sans doute prévenir un ‘rejet de la greffe’ en ayant une démarche proactive à destination des ECD.

Celle-ci peut consister en :

1.    Assurer que la formation d’initiation au FBP se fasse bien à destination de tous les acteurs de mise en œuvre, à tous les niveaux de la pyramide sanitaire, y compris les ECD. A terme, elle devrait être intégrée dans le curriculum de formation initiale du personnel de santé.  

2.    Discuter avec les ECD de leur rôle dans un système FBP, en particulier les fonctions dont ils sont premiers responsables. Il est important en effet de noter que le FBP a des attentes positives vis-à-vis des ECD : c’est à elles par exemple de veiller à ce que les FoSa prennent en compte les politiques et directives du Ministère de la Santé dans l’élaboration de leurs plans d’action. Les ECD peuvent aussi être sollicitées pour la vérification, etc.

3.    Il faut aussi avoir un dialogue sur les fonctions qu’ils assumaient précédemment (en distinguant peut-être celles qui étaient plus théoriques que réelles) et identifier les implications possibles de certaines recommandations du FBP (comme l’autonomie des FoSa) sur leurs prérogatives.

4.    Il faut aussi essayer d’intégrer les ECD dans les mécanismes d’incitation à la performance, en développant des batteries d’indicateurs capturant leurs fonctions principales.

5.    En général, il faut promouvoir une collaboration constructive entre les prestataires (FoSa), les ECD et l’agence d’achat; celle-ci passe par un dialogue inclusif dès la conception. Le principal objectif de ce dialogue doit être de clarifier d’une part le contenu exact de notions comme l’autonomie, la supervision ou la régulation et d’autre part, de préciser qui assumera certaines fonctions importantes du système local de santé : la formation continue, le coaching, etc. Cette clarification doit être intégrée dans le manuel de procédures.  Mais au préalable, il est important de bien comprendre les mécanismes garantissant une pleine efficacité de ces fonctions (cf. les contributions relatives au coaching). 

6.    Comme débattu et décidé à Dakar, il est temps de renouveler la vision du district de santé. Les ECD doivent réinventer leur rôle en établissant leur influence sur leur capacité à guider et conseiller, bien plus que sur leur autorité. 



Notes :

(1)    La règle locale était qu’un CDS ne pouvait accéder à la prime FBP que s’il avait une réserve en banque d’au moins trente millions de francs burundais, soit environ vingt mille dollars américains ; tandis que le manuel des procédures FBP conditionnait l’octroi de cette prime à l’existence d’un bénéfice, c’est-à-dire  des recettes du mois supérieures aux prévisions de dépenses du mois suivant ; et à l’existence des fonds permettant de couvrir au moins 60 jours de fonctionnement, stock de médicaments exclu.

(2)    Par obligation de synthèse, nous avons sélectionné certaines des interventions plus emblématiques. Nous vous renvoyons à la transcription intégrale de la discussion pour l’ensemble des contributions.


 


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Interview avec Agostino Paganini (2/2): "l'Initiative de Bamako est morte il y a longtemps"

4/26/2013

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La deuxième partie de notre entretien avec le Dr Agostino Paganini nous amène à traiter de l'évolution de l'Initiative de Bamako dans le temps et de sa dimension politique. Après son travail en tant que directeur de l'Initiative de Bamako de l'UNICEF à New-York, le Dr Paganini a continué à travailler avec l'UNICEF en tant que chef d'équipe pour la santé dans les situations d'urgence et en tant que directeur pays en Somalie. Il a également travaillé comme consultant senior pour la Banque Mondiale et conseille le directeur de CUAMM (Médecins avec l'Afrique). (Vous pouvez accéder à la première partie de l'interview ici)

Avec le recul, certaines personnes disent que le programme de l'Initiative de Bamako a rarement été correctement mis en œuvre. Dans un post sur ce blog et dans un article, Valery Ridde dit même que nous devrions peut-être abolir l'Initiative de Bamako. Comment voyez-vous la mise en œuvre des principes de Bamako jusqu'à maintenant?

Je pense que cette initiative est morte il y a longtemps. Je pense que certains de ces principes sont toujours incroyablement valables et que certains des problèmes auxquels elle tentait de répondre existent toujours. Le problème de la responsabilité publique et de la participation des populations dans la gestion de leur système de santé aurait dû être mieux pris en compte avec plus de démocratie, mais il est toujours laissé sans intérêt dans de nombreux pays africains. Le problème des dépenses « out-of-pocket » sans aucune règle est également toujours extrêmement valable. On peut appeler cela l'Initiative de Bamako ou on peut l’appeler comme on veut, cela n'a pas vraiment d'importance: quelques-uns des problèmes auxquels l'Initiative de Bamako tentait de répondre sont toujours là et certaines des expériences et des principes (dont certains ont été appliqués et certains ont été mal appliqués) sont toujours d'actualité. Mais l'initiative, non, je ne pense pas qu'il existe chose comme l’initiative de Bamako en vie pour le moment. Tout du moins, je n'ai rien vu.

Seriez-vous d'accord avec Susan Rifkin, qui déclare que l'Initiative de Bamako a élargi les horizons de la participation de la communauté? Est-ce que l’utilisation du terme redevabilité communautaire au lieu de participation change quelque chose ?

Soyons clairs, la redevabilité communautaire cela veut dire la redevabilité envers la communauté. La différence avec cette notion c’est que les communautés deviennent propriétaires (« shareholders »). Avant ils payaient sous la table, maintenant ils paient et ils peuvent demander "qu'avez-vous fait de l'argent?", "pourquoi n'avez-vous pas fait ceci ou cela?". C'est la différence entre un processus participatif vague et une représentation et une participation dans la gestion de l'unité de santé. Et c'est quelque chose sur lequel nous devons encore travailler. Les gens n'ont pas voix au chapitre (« voice ») et aucune porte de sortie (« exit ») dans les pays à faible revenu, sauf bien sûr d’aller dans le secteur privé, mais ce n'est pas une option pour les pauvres.

Dans sa récente interview sur ce blog, Sassy Molyneux insiste sur le fait qu'il faut « examiner attentivement la rémunération et les autres formes d'incitations pour les représentants de la communauté, les défis de l'asymétrie entre le personnel de santé et les représentants de la communauté en matière de ressources et de pouvoir, et l'importance de bâtir des relations de confiance ». Pour moi, cela ressemble un peu à considérer la « politique locale » de santé. Il m'a toujours semblé que peu d'attention était portée à la dimension politique dans l’Initiative de Bamako. Nous sommes pourtant dans une sorte de processus politique, non?

Oui, c’est politique. Et ne pas comprendre que c'est politique est la plus grosse erreur que vous pourriez faire. Je pense que dans la communauté de la santé publique, nous sommes parfois très naïfs. Nous pensons à la supervision et à la formation comme les clefs de tout, mais la santé c’est politique. C'est pourquoi les États-Unis ont leur système de santé, et c'est pourquoi les Scandinaves ont un système de santé différent. La science est la science, mais la façon dont la science est disponible ainsi que la qualité et l'équité de l'accès aux soins sont des questions politiques. Nous devons accepter que le chemin pour obtenir des soins de santé de haute qualité et équitables est difficile et que nous ne sommes pas encore là. Il y a encore une énorme asymétrie entre le personnel de santé et la population, et c'est un signe que la démocratie n'est pas encore là. Nous devons commencer à partir de ce problème. Ce que j'ai vu avec l'Initiative de Bamako est une question profondément politique, et non strictement technique. Mais bien sûr, les gens utilisent des choses et des déclarations de différentes manières et ils ont utilisé cette initiative en fonction de leurs propres intérêts et points de vue.

Vingt-cinq ans ont passé. Vous avez une grande expérience des soins de santé primaires dans les pays à faible revenu. Quelles seront les clés pour les soins de santé primaires au cours des 25 prochaines années?

Ce que je vois venir est plus de privatisation et plus d'urbanisation. Les gens semblent trouver dans les zones urbaines et même dans les bidonvilles des opportunités qu'ils n'ont pas dans leurs zones rurales. Certains pays sont de plus en plus avancés dans l'établissement de l'assurance-maladie –ce qui est une excellente chose, je pense. A la fin de mon travail sur l'Initiative de Bamako, nous étions focalisés sur deux choses (il y avait deux équipes). L'une était le monitoring communautaire, car l’information c’est le pouvoir. L'autre était l'assurance locale. L'assurance maladie est un enjeu majeur, mais elle est difficile à établir. Dans de nombreux cas les programmes commencent à l'échelon national, et pourtant, en Europe ce sont des mécanismes de solidarité locaux qui ont été les assurances initiales.

Nous devons travailler sur la responsabilité/redevabilité publique et l’équité. Ce sont les deux domaines clés. Allons-nous dans cette direction? Je ne suis pas sûr. Je pense que dans certains pays, nous le sommes, mais dans la majorité des autres pays, le secteur privé est de plus en plus important car les gens ont plus de ressources et le secteur public reste sous-financé. Qui plus est, ce secteur public est très inefficace à moins qu'il y ait une forme de redevabilité envers le public. C'est le bilan mitigé que j'ai. D'un côté, il y a des pays qui progressent bien ; prenez par exemple l'expérience du Rwanda avec les mutuelles de santé et la nouvelle politique de rémunération du personnel. Mais de l'autre côté, il y a beaucoup d'autres pays, qui, je pense, ne vont pas dans le même sens.

Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée et que vous auriez souhaité que je vous pose ? Ou bien une conclusion que vous souhaiteriez faire?

Pas vraiment, pour moi c'était une expérience fascinante. J'ai réalisé que c'était aussi un débat passionnant. Certaines de ces questions sont, comme je l'ai dit, très politiques et certaines sont extrêmement pertinentes aujourd'hui. Nous devons aborder la relation entre le patient, le client et le fournisseur de services. Le débat actuel sur le financement basé sur la performance, qui lie financement non aux médicaments, mais aux résultats, est également très intéressant. Bien sûr, cela ne résoudra pas tous les problèmes. Je pense que nous devrions être en mesure de voir quelles ont été les bonnes expériences dans le passé et aller de l'avant, en ajoutant de nouvelles expériences. La responsabilité publique de base et le rôle des populations sont extrêmement importants, la bonne gouvernance des centres de santé est très importante, mais le financement basé sur les résultats est également très prometteur si nous le combinons avec d'autres choses que nous avons apprises. Nous ne devons pas passer de mode en la mode, mais de prendre en compte le passé, comprendre ce que nous avons appris et le développer.


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La Nouvelle Economie Institutionnelle, une clé pour comprendre le programme du financement basé sur la performance

1/28/2013

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Serge Mayaka


Serge Mayaka (Ecole de Santé Publique Kinshasa, doctorant à l’Université Catholique de Louvain) interviewe Maria Bertone (doctorante à la London School of Hygiene & Tropical Medicine) et Bruno Meessen (IMT, Anvers) sur leur récent article présentant un cadre d'analyse pour étudier les liens entre les arrangements institutionnels et la performance des systèmes de santé, avec une application à deux expériences FBP au Burundi.

 On peut dire que votre article tombe à point nommé pour le débat sur le Financement Basé sur la Performance (FBP). Pourriez-vous nous résumer ses messages principaux?

Maria Bertone: Le papier poursuit deux objectifs. C’est tout d’abord une contribution sur le plan conceptuel. Il s’agit d’articuler différents concepts issus de la Nouvelle Economie Institutionnelle pour faciliter l’étude des systèmes de santé. Concrètement, le papier propose un cadre d’analyse simplifié pour analyser des modifications des arrangements institutionnels structurant un système de santé. L’article comporte, à titre illustratif, une application du cadre d’analyse à deux expériences pilotes de FBP au Burundi. Cette application au FBP permet dès lors l’atteinte d’un 2° résultat : dégager des leçons sur des enjeux de design et de mise en œuvre du FBP. L’atteinte de ce second résultat valide d’une certaine façon notre proposition théorique.

Si l’article n’apportera probablement pas beaucoup au FBP du Burundi (depuis cette étude, un modèle unifié a été mis en place à l’échelle du pays), certaines leçons plus génériques peuvent être intéressantes, par exemple en matière d’évaluation des dispositifs FBP. Si nous ne contestons pas la nécessité d’études d’impact, l’article rappelle que la configuration institutionnelle de chaque FBP est différente et que chaque étude d’impact devra donc être interprétée en tenant compte de la nature particulière de ce dernier.

Plusieurs auteurs ont récemment prôné l’approche des « systèmes adaptatifs complexes » pour étudier les systèmes de santé. Une telle suggestion a été faite pour le FBP, notamment pour dégager les effets inattendus. Avez-vous répondu à leur recommandation?

Bruno Meessen : Je ne suis pas très familier avec cette approche; je serais curieux de voir ce qui pourrait en sortir, après application au FBP. La seule chose que je puisse en dire est que ce serait une erreur de l’adopter  avec le présupposé qu’on serait en manque de clés pour comprendre le FBP, ses intentions et ses effets. Le message sous-jacent de notre article est que la Nouvelle Economie Institutionnelle est un corpus théorique puissant pour mieux comprendre comment réformer les systèmes de santé. A titre personnel, je peux en tout cas dire qu’elle m’a aidé à structurer ma propre réflexion théorique et politique ces dix dernières années.

A cet égard, peut-être l’article va-t-il aussi évacuer un malentendu. Ça va surprendre certains médecins lisant cet interview, mais j’ai déjà entendu la critique que « le problème du FBP est qu’il a été conçu par des médecins, pas par des économistes de la santé: les concepteurs ne connaissent pas la vaste littérature sur les mécanismes de paiement». Avec cet article, nous voulions montrer qu’au contraire, les fondements théoriques du FBP sont substantiels. Ils sont peut-être même plus englobants que la littérature de l’économie de la santé : de fait, pour traiter des questions comme la redistribution des rôles dans un système ou l’introduction de nouvelles règles du jeu, l’économie des organisations (organisation economics) est une boîte à outils bien plus étoffée.

Maria, quelle suggestion ferais-tu à un jeune chercheur qui voudrait appliquer ce cadre d’analyse, par exemple s’il aborde le FBP dans un contexte différent de celui du Burundi ?

Adapter et appliquer le cadre analytique à une situation précise a été un exercice stimulant. Cela m’a forcé à regarder les deux expériences depuis une nouvelle perspective. J’ai été surprise par le fait qu’il m’ait permis de découvrir de nouveaux aspects et de mieux comprendre pourquoi les deux dispositifs fonctionnaient différemment.

Je dirais que l’application du cadre nécessite certaines notions théoriques et une compréhension du programme de la Nouvelle Economie Institutionnelle. Au mieux, nous avons là un « squelette », il reste à chaque chercheur de mettre la « chair » dessus.  Si un bagage en sciences sociales est sans doute souhaitable, nous espérons que le papier va faciliter le dialogue entre économistes et théoriciens des systèmes de santé. Il permet en tout cas d’établir des liens avec des travaux antérieurs (par exemple ceux de Thomas Bossert sur les droits décisionnels) et contemporains (par exemple ceux de Kenneth Leonard sur la motivation).

Les jeunes chercheurs apprécieront sans doute la démonstration que les études de cas sont légitimes en matière de FBP. On pourrait certainement faire plus d’études de cas comparatives.

Bruno, Maria parle de « squelette ». Dans quelle direction, vois-tu les développements scientifiques, en particulier dans le domaine du FBP ?

BM: Les développements possibles sont multiples. Ma recommandation aux chercheurs qui ne veulent ou ne peuvent conduire une étude d’impact est de se concentrer sur ce qui pourrait expliquer que l’on n’obtienne pas ce qu’on l’espérait obtenir avec le FBP (ou que l’on obtienne quelque chose que l’on ne voulait pas obtenir !). Les raisons de « plantage » d’un dispositif FBP sont multiples, mais elles s’inscriraient probablement dans trois grandes catégories (non-exclusives): soit c’est le design qui était mauvais, soit c’est le processus de mise en œuvre qui a été inapproprié, soit c’est la théorie FBP qui est défaillante.

Notre cadre d’analyse vise avant tout à étudier les erreurs du premier type : une inadéquation entre un design et un contexte, qui aboutit au final à un résultat sous-optimal. Autrement dit, le FBP était mal conçu (par exemple, parce qu'on a fait du FBP en couper/coller). A cet égard, les développements du cadre d’analyse pourraient aller vers plus de détails dans la description des arrangements institutionnels, des droits de propriété ou des rapports de force entre acteurs.

Il y a ensuite les erreurs du second type, lors de la mise en oeuvre. Comme la montré la littérature récente sur les gratuités des soins, documenter ces problèmes est relativement trivial et il ne faudra probablement pas s’encombrer d’éléments trop théoriques. Je ne suis pas sûr donc que notre cadre d’analyse sera d’une grande utilité.

Mais il existe un troisième type d’erreurs : celles qui découleraient de faiblesse dans la théorie sous-tendant les propositions FBP. La recherche peut aider à réduire ce risque en consolidant les bases théoriques du FBP. Des chercheurs bien équipés en sciences humaines et méthodes empiriques pourraient creuser les mécanismes d’ordre plus psychologique, notamment les aspects motivationnels et cognitifs. La « théorie FBP » repose en effet sur l’hypothèse de l’homo oeconomicus. La force de cette dernière en termes de modélisation et prédiction n’est plus à démontrer, mais elle reste une simplification de la psychologie humaine). Notre cadre laisse ainsi indéterminée la question de l’interaction entre la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque. Nous ne disons rien non plus sur comment les individus modifient leurs préférences, développent des attentes ou traitent l’information qu’on leur dispense. Ce sont des aspects qui peuvent peser (dans un sens comme dans un autre) dans l’efficacité d’une révision d’arrangements institutionnels. C’est sans doute le programme de recherche le plus ambitieux, qui demande de se défaire de ses propres convictions et de s’appliquer dans ses travaux empiriques. Quelqu’un comme Kenneth Leonard montre la voie.

Revenons maintenant à votre étude au Burundi. Maria, peux-tu nous résumer les principaux résultats de la comparaison des deux expériences Fbp de Ngozi et Bubanza?

MB: Notre analyse explique comment et pourquoi les deux dispositifs ont fonctionné différemment. J’insisterais sur trois résultats.

Le premier porte sur le rôle de l’agence d’achat. Nous montrons que son rôle a été organisé de façon différente dans les deux projets. A Ngozi, la fonction d’achat était tenue par un comité constitué de représentant de l’agence de mise en œuvre (l’Institut Tropical Suisse) et la hiérarchie sanitaire locale, sous la présidence du directeur de la province sanitaire. A Bubanza, la fonction a été assignée à une agence indépendante gérée par l’ONG (Cordaid). Cette seconde approche a permis une définition bien plus claire des responsabilités et limité les conflits d’intérêt ; son inconvénient est qu’elle a abouti à une transfert excessif de « droits décisionnels » (un concept-clé dans la Nouvelle Economie Institutionnelle) à une agence externe à la structure de l’Etat. Pour la petite histoire, la question de l’identité de l’acteur qui doit détenir la fonction d’achat a suscité un débat très vif au Burundi en 2009. Au final, le Ministère de la Santé et ses partenaires ont innové et opté pour un modèle mixte sécurisant tant l’implication de l’Etat que celle d’acteurs externes.

Deuxièmement, notre analyse montre que le support et la guidance fournis aux formations sanitaires lors de l’introduction d’un dispositif FBP – ce qui est souvent référé sous le vocable de coaching par les experts FBP- sont clés pour le succès d’un FBP. En effet, il est crucial d’aider les prestataires de soins à comprendre la teneur des nouvelles institutions, des nouvelles règles du jeux, qui sont mises en place. Dans notre analyse, il apparaît que le coaching est en fait un mécanisme ‘soft’ mais puissant dans l’imposition (enforcement en anglais) et l’adoption des nouvelles règles du jeux. Dans les interventions FBP, il est souvent pensé que la vérification est le principal mécanisme d’imposition des règles – notre analyse montre que les agences d’achat ont en fait une palette d’instruments.

Ceci nous amène à notre troisième leçon. Un de ces instruments est la rhétorique. Nous avons découvert une relative divergence entre cette dernière et les pratiques concrètes des acteurs sur le terrain. Par exemple, à Bubanza, les experts interviewés mais aussi leurs documents de référence mettaient en avant le concept de la ‘boîte noire’, qui réfère à l’autonomie totale des prestataires dans leur utilisation des ressources financières collectées grâce au FBP. En pratique, le coaching que l’agence d’achat ainsi que certains outils de gestion (comme le ‘business plan’, qui dans le « langage FBP » réfère à un plan d’actions) réduisent cette autonomie. Il ne s’agit pas ici de dire que le coaching ou les plans d’action sont inutiles – que du contraire ! – mais de montrer combien ce qui est mis en œuvre peut diverger du plan et de la rhétorique. D’autres chercheurs, comme Freddie Ssengooba dans son analyse de l’expérience pilote en Ouganda (qui pour rappel, n’était pas un FBP comme on l’entend aujourd’hui en Afrique), avaient déjà montré une divergence entre le plan et la mise en œuvre ; il l’expliquait par les difficultés de mise en œuvre.

La situation que nous décrivons est différente. Elle est plutôt analogue à celle identifiée par Jean-Benoît Falisse relativement au mécanisme de ‘voix des usagers’, qui n'est peut-être pas aussi effectif qu'on ne le prétend. Notre analyse institutionnelle suggère que la rhétorique est en fait un mécanisme cognitif clé pour imposer les nouvelles règles du jeu. Au stade initial d’introduction d’un FBP, une rhétorique cohérente, radicale et forte va aider à marquer le changement avec le passé, à clarifier la teneur des nouvelles règles du jeu. Ceci jette une autre lumière sur la rhétorique « FBP », qui nous le savons, irrite certains observateurs : elle a une fonction interne pour faciliter l’adoption des nouvelles institutions. 

Aux lecteurs de juger, mais nous pensons que ces trois exemples montrent qu’une analyse institutionnelle approfondie des expériences FBP peut être riche d’enseignements. Nous sommes certainement curieux de connaître leur avis.

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La pomme de Newton

3/13/2012

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Bruno Meessen

Il est temps d’acter le fait que les arrangements institutionnels et les incitants qu’ils établissent sont déterminants dans la performance des systèmes de santé aussi dans les pays pauvres. Grâce au développement des systèmes d’assurance et du FBP, la prise de conscience est en train de se faire en Afrique. Dans ce blog, Bruno Meessen met en exergue la contribution spécifique du FBP.

Récemment, j’ai publié sur ce blog un texte rappelant à tous que l’Afrique est aussi une terre d’enjeux politiques. J’y partageais l’avis que les économistes de la santé actifs sur le continent négligent trop souvent cette dimension.

Très régulièrement, je m’étonne d’une bizarrerie qui me paraît encore plus frappante. A lire certains auteurs, à entendre certains commentateurs, à parler avec certains pairs scientifiques – permettez-moi de ne pas mettre des weblinks à ces trois niveaux !, il serait possible de concevoir des politiques de santé en Afrique (et dans les pays à faible revenu, car la littérature et les propositions sont assez homogènes) sans prendre en compte les incitants instaurés par les arrangements institutionnels et les contrats qui sous-tendent ces politiques.(1) La vision ce ces experts n’est pas marginale : elle a dominé la pensée sur les systèmes de santé pendant des décennies et reste encore le mode de pensée de nombreux acteurs engagés dans le renforcement des systèmes de santé en Afrique.

La problématique des incitants (en particulier pour les prestataires de soins) occupe pourtant un grand nombre de spécialistes des systèmes de santé  partout ailleurs dans le monde. Les systèmes de santé des pays ‘riches’ ont, ces dernières décennies, eu ‘droit’ à des réformes profondes de leurs arrangements institutionnels,  des structures de gouvernance et des mécanismes de paiement des prestataires en particulier.  Le mouvement est aussi très net dans les pays à revenu intermédiaires, notamment du côté des pays anciennement socialistes. 

J’étais, il y a deux semaines, à une réunion sur les modes de paiement des prestataires de soins organisée par le « Joint Learning Network for Universal Health Coverage ». Nous y avons entendu des présentations fascinantes, notamment sur la Kirghizie et l’Estonie… et partagé bien entendu l’analyse que le mode de rémunération des prestataires va être un enjeu-clé dans la progression vers la couverture universelle dans tous les pays du monde.

Une question trop peu traitée par les chercheurs et agences internationales actifs en Afrique

A contrario, je fais le pari que quiconque prendrait la peine de passer en revue la littérature produite sur les systèmes de santé des pays pauvres, même celle produite par les économistes trouverait bien peu de travaux empiriques et d’écrits traitant explicitement la problématique des arrangements institutionnels structurant les systèmes de santé, sur les incitants qu’ils établissent ou même pour être plus spécifique, sur les mécanismes de paiement des prestataires.(2) Ces vingt dernières années, ce sont d’autres sujets – comme l’accès financier pour ce qui concerne les économistes – qui ont mobilisé l’essentiel de l’attention.

On pourrait gloser sur le peu d’attention des chercheurs sur cet aspect. De facto, ils font ainsi l’impasse sur les nombreuses leçons produites par les différents courants des sciences économiques  qui, ces dernières décennies, ont pris les arrangements institutionnels comme déterminants fondamentaux de l’efficience dans les interactions humaines.(3)

Sur le plan politique, ce déficit d’attention n’est pas neutre. La recommandation implicitement faite aux pays africains est qu’ils peuvent continuer leur périple vers la couverture universelle avec le modèle en place : un service de santé national (« national health service ») caractérisé par un Etat assumant tous les rôles : celui du propriétaire, d’employeur, de fournisseur, d’acheteur, de régulateur, d’administrateur… Un système où les structures de santé ont le statut d’administration et reçoivent leurs ressources sous forme de lignes budgétaires ou même en nature. C’est ce statu quo que la dynamique FBP conteste.

La contribution du FBP

Le FBP a des défauts. Il bénéficie sans doute d’un effet d’engouement, et profite en effet d’un vent favorable en ce qui concerne les ressources des bailleurs de fonds. Probablement le modèle est perfectible, et certainement faudra-t-il le revoir au fur et à mesure que les défis sanitaires changent et que les acteurs du système s’adaptent et que les effets pervers s’accentuent. C’est le vécu de tout système de santé moderne.

Mais Le FBP a déjà eu au moins un grand mérite : celui d’avoir mis la question des incitants au centre de la réflexion sur les systèmes de santé africains.(4) Ceci s’est déjà traduit  par la mise en exergue de certains enjeux négligés précédemment – comme la possible pertinence de mieux séparer les fonctions dans un système de santé, par un renouvellement de la réflexion sur certaines questions délaissées (la décentralisation et l’autonomie des structures de santé par exemple) et par une forte impulsion à la réflexion sur les modes de paiement des prestataires de soins. Cela est manifeste dans les premiers travaux sur les expériences pilotes, dans les travaux plus récents produits par les membres de la CoP, mais aussi presque quotidiennement sur le groupe de discussion en ligne de la CoP FBP.(5)

Une mode ou… la pomme de Newton?

L’enjeu pour les systèmes de santé africains, n’est sans doute pas « FBP » ou pas. Le vrai enjeu, c’est apprendre à regarder les systèmes de santé comme des arrangements institutionnels complexes qui établissent des incitants pour les différentes parties prenantes de ces systèmes; c’est acter que lorsque ces incitants sont non alignés sur les objectifs de ces systèmes de santé, ils sont sujets à modification.

Adopter ce nouveau regard, c’est reconnaître que la question des incitants s’impose à l’homme dans son rapport à ses semblables, un peu comme la gravité terrestre s’impose à lui dans son rapport aux choses. On raconte que Newton conçut sa théorie de la gravité après avoir reçu une pomme sur la tête. Il semble bien qu’une pomme soit tombée sur les systèmes de santé africains…

Notes :
(1)  Attention, incitant ne veut pas nécessairement dire “prime » ou « gain financier”. Un incitant est un gain en termes de bien-être que l’on peut s’approprier en adoptant un comportement instrumental donné. L’étudiant en théologie a un incitant à réussir ses examens : grâce à son diplôme, il s’ouvre d’autres opportunités de carrière et d’épanouissement personnel dans l’exercice de son sacerdoce à l’intérieur de l’Eglise.
(2)   Bien entendu, d’une façon ou l’autre, la question des incitants sera sous-jacente à de nombreuses problématiques. Nous recommandons à ce que ces enjeux soient bien plus explicites. Certains chercheurs actifs en Afrique se sont attelés à ce défi ; je pense par exemple aux  travaux de
Kenneth Leonard ou Natasha Palmer.
(3)   La liste des économistes actifs dans le domaine est longue, mais si on s’en tient aux lauréats du « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel », avec Herbert Simon, Ronald Coase, Douglass North, Georges Akerlof, Michael Spence, Joseph Stiglitz, Elinor Ostrom et Oliver Williamson - on couvre assez bien le spectre des courants et des propositions. 
(4)   Soyons de bon compte. L’autre dynamique qui a mis le projecteur sur la problématique des incitants est celle des assurances de santé. Mais jusqu’à présent la discussion avait été surtout cantonnée sur le montage institutionnel pour la mise en commun des risques (cf  la littérature sur les mutuelles) et en ce qui concerne le mode de paiement, sur
les qualités relatives du paiement par capitation versus le paiement à l’acte.
(5)   La discussion d'il y a deux dernières semaines portait sur comment rémunérer des prestataires délivrant des services aux enfants malnutris ou aux malades chroniques. Elle a impliqué notamment des experts basés dans les pays suivants : Pays-Bas, Congo, Etats-Unis, Tchad, République Centre Afrique, Belgique, Cameroun, Cambodge et Rwanda. 
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Liaison du financement aux résultats dans le secteur de la santé: pas seulement un agenda de bailleurs de fonds

12/22/2011

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Dans ce blog, Bruno Meessen soutient que conditionner le financement aux résultats est aussi une proposition africaine. Un test-clé pour les projets d’aide basée sur les résultats sera d’ailleurs de savoir comment ils consolideront les initiatives de réforme déjà en cours au niveau de plusieurs pays.

Au cours de ces dernières semaines, nous avons eu l'occasion de lire deux contributions intéressantes sur l'évolution progressive de l'aide internationale vers la logique «de l’argent contre des résultats». Commençons par la plus récente. Sur le blog  Broker Online, Marcus Leroy, un ancien assistant technique pour la coopération belge, critique la domination croissante dans le secteur de l’aide internationale de la logique de conditionner le financement à l’atteinte des résultats.

La réflexion de Leroy est riche et elle se déroule en deux temps : tout d’abord  à un niveau conceptuel et ensuite à un niveau opérationnel. Dans ce texte, je voudrais me concentrer sur quelques points relatifs aux faits (les questions philosophiques et morales qu’il identifie je les réserve peut-être pour un texte ultérieur). Pour rester proche de mon expertise, je m'en tiendrai à discuter la problématique au financement basé sur les résultats dans le seul secteur de la santé.

Tout d'abord, dissipons tout malentendu : je partage l’avis de M. Leroy quant au fait que l’aide conditionnée aux résultats (Performance Based Aid en anglais, et ABP pour ‘aide basée sur la performance’ dans la suite de cet article) n'est pas sans risques. Il en identifie plusieurs d'entre eux, dont certains ont été discutés lors de notre dernière conférence du Réseau « Incentives for Health Provider Performance Network »  au CERDI. Les différentes présentations partagées à Clermont-Ferrand nous ont aidé à mieux comprendre les propositions sur la table: certaines sont bien avancées (par exemple celle de GAVI), d'autres - peut-être les plus radicales -, comme l'aide « Cash on Delivery » (que l’on pourrait traduire en français : « Paiement comptant à la livraison »)  ou TrAid+ sont encore en développement. Toutes ces propositions sont vraiment intéressantes. Cependant, la demi-journée d'échanges a également fait prendre conscience que la PBA ne sera pas la panacée qu’une partie du secteur de l’aide cherche depuis plusieurs décennies.

Face à l'inconnu, il est naturel de ressentir une certaine crainte. Le PBA ne fait pas exception. Ma principale préoccupation personnelle est que les bailleurs qui décideront de conditionner leur assistance financière  aux résultats atteints par le pays récipiendaire optent pour une définition étroite des cibles à atteindre au sein d'un secteur, ce qui pourrait conduire à peu d’effets systématiques bénéfiques pour l’ensemble du secteur ou la société en générale. Pire, un système d'incitation se concentrant sur un seul problème de santé pourrait avoir des effets de distorsion majeure pour l'ensemble du secteur. Je comprends que des experts aux Etats-Unis et en Europe travaillent sur ces questions en ce moment même. Nous avons entendu lors d'une réunion récente d'agences que DFID, l’agence d’aide bilatérale du Royaume-Uni, progressait dans le développement de son instrument d'aide basée sur la performance. Nous leur souhaitons sincèrement beaucoup de succès.

Trois points de critique

Mais j’ai aussi des points de désaccord avec Leroy. Je voudrais en développer trois, sur base de notre expérience dans le secteur de la santé en Afrique.

D'abord, je pense qu'il est important de faire la distinction entre l’aide basée sur la  performance (ABP) et le financement basé sur la performance (FBP, et PBF en anglais). L’ABP porte sur une révision du contrat d’assistance entre un bailleur de fonds et un pays bénéficiaire. Le FBP, lui, s’appuie sur une transformation profonde des arrangements institutionnels structurant les relations des différents acteurs composant le secteur de la santé d’un pays : c’est bien plus que le changement d’un seul contrat.  Certains commentateurs confondent les deux stratégies. C'est une erreur d’interprétation.

J'encourage M. Leroy à lire les articles et rapports présentant les expériences de FBP dans le secteur de la santé. Il notera que toute une communauté d'experts et d'acteurs sont impliqués dans cette démarche, qu’ils sont pleins d’ambition et ont une vue sur le long terme. Nous l'invitons à visiter les secteurs de la santé au Rwanda ou au Burundi. Il pourra observer combien le FBP peut être ‘transformationnel’. Il verra aussi comment le FBP peut amener les bailleurs à harmoniser leurs interventions et peut aider un gouvernement à reprendre la main (si les bailleurs sont prêts à se conformer à la Déclaration de Paris, qui n'est bien sûr pas toujours le cas).

Deuxièmement, il ne faut pas écarter trop vite le programme réformateur de la Nouvelle Gestion Publique (New Public Management) (comme Leroy semble faire). Beaucoup de pays à faible revenu ont besoin de telles réformes de leur secteur public. Comme avec tout programme réformiste, des erreurs ont certainement été faites et seront encore faites. Mais ce n'est pas parce que, disons, le plan d'incitation financière mis en place par Sarkozy pour la police française est controversé que les formations sanitaires en Afrique sub-saharienne ne doivent pas être rémunérées en tenant compte des services (tant en termes de quantité et de qualité) qu’elles fournissent à la société. Il ne va pas de soi que les preuves (ou opinions) récoltées pour d'autres secteurs, en d'autres temps et dans des contextes totalement différents soient pertinentes pour le secteur de la santé en Afrique sub-Saharienne.

Ceci  m'amène directement à mon troisième point, celui que je considère comme le plus important. C'est une grosse erreur de considérer que le souci d’avoir plus de résultats pour les fonds investis est un agenda mené par le Nord et les boucs-émissaires que peuvent êtres les bailleurs de fonds. Pour se faire une opinion, il suffit de lire le point de vue de M. Donald Kaberuka, président de la Banque Africaine de Développement et ancien ministre des Finances du Rwanda, récemment publié dans The Lancet. Certains d'entre vous, ne connaissent peut-être pas M. Kaberuka ; il est sans doute l'un des réformateurs les plus actifs et engagés d’Afrique. Les énormes progrès réalisés au Rwanda au cours de la dernière décennie ne sont pas seulement une histoire de leadership politique au plus haut niveau ; c’est aussi le fait de réformes «techniquement» pertinentes et bien menées. Bien sûr Paul Kagame joue un rôle-clé, mais beaucoup des progrès au Rwanda découlent aussi de l'engagement de toute une génération de techniciens rwandais, dévoués et visionnaires. Certains sont encore dans le pays, d'autres, comme M. Kaberuka, partagent désormais leur expérience et leur vision au niveau régional.

Le papier M. Kaberuka est court et ciblé. Le principal message est simple: grâce à la croissance économique, les pays africains peuvent s'attendre à avoir plus de ressources domestiques dans un avenir proche. Ce dont ils ont aujourd’hui le plus besoin c’est de la redevabilité (accountability). Bien que l'auteur affiche une compréhension large de la notion de redevabilité dans son texte (il inclut notamment la démocratie), il insiste aussi sur ce qu’elle signifie dans une perspective de finances publiques: elle doit se matérialiser dans des mécanismes assurant que l'argent public apporte plus d'avantages aux citoyens. Les antécédents de M. Kaberuka et son article donnent une indication claire des options institutionnelles qu'il a en tête, et le FBP fait partie du 'paquet' de mesures.

Serait-ce juste là la vision d'un ex-ministre des Finances éclairé? Lors d'un atelier sur le FBP organisé par la Banque mondiale à Limbé (Cameroun) il y a trois semaines, j'ai pu à nouveau constater à quel point ce programme réformateur est en fait cher à de nombreux hauts fonctionnaires et techniciens africains (même si l'échantillon était évidemment biaisé). Mon point est le suivant : le programme de redevabilité formulé avec éloquence par M. Kaberuka  bénéficie d’une adhésion large en Afrique et il n’est certainement pas imposé de l'extérieur.

Une double proposition

En conclusion, l’ABP est au haute sur l’agenda des bailleurs de fonds du Nord ; elle le restera probablement dans les années à venir. Certains experts de l'aide expriment leurs préoccupations. Dans son message, M. Leroy soulève à juste titre la question de la marge de manœuvre et de l’autonomie des pays qui seront sous contrat. L’ABP va-t-elle respecter pleinement la souveraineté des pays bénéficiaires (elle entend en tout cas laisser ces derniers choisir les stratégies), ou ne sera-t-elle qu’un autre outil pour les bailleurs pour imposer leurs propres objectifs et préférences? Je suis peut-être naïf, mais je devine que les bailleurs optant pour l’ABP veilleront à mener une négociation équitable et équilibrée avec le pays bénéficiaire. Mais sera-ce suffisant pour évacuer la profonde méfiance que certains intervenants ont développé envers les agences d'aide bilatérale?

J'ai à cet égard deux propositions constructives pour les bailleurs intéressés par l’ABP.

Premièrement, il est essentiel et urgent d'obtenir la perspective des pays bénéficiaires sur l’ABP. Ce serait formidable si cette indispensable consultation était transparente (c'est peut-être le cas dans certains cas, mais je ne suis pas au courant). Pourquoi ne pas organiser quelques ‘rounds’ de discussions structurés avec quelques parlements dans le Sud? Comme nous le rappellent Kaberuka et Leroy, la redevabilité doit être dirigée d'abord vers les citoyens des pays bénéficiaires. J'espère que la performance de l’ABP à cet égard sera supérieure à celle des instruments d’aide existants.

Si un tel processus de consultation des parties prenantes n'est pas possible, une autre option serait de proposer la stratégie de l’ABP tout d’abord au Rwanda. Après le sommet de Busan, nous savons que ce serait un moyen efficace pour mieux connaître la perspective des dirigeants africains sur cet instrument d'aide (au moins nous aurions la perspective d’un dirigeant qui n’a pas peur d’exprimer son point de vue).

A notre petite échelle, nous ferons en sorte que notre blog Financing Health in Africa serve de plateforme pour que les experts africains puissent partager leurs vues et observations sur l’ABP. Nous pensons en effet que les communautés de pratique peuvent jouer un rôle dans cette obligation – qui s’impose également aux bailleurs - à plus de redevabilité.

Ma deuxième proposition est d'identifier correctement ce qui sera un succès dans un contrat d’ABP. Je dirais que le critère principal ne sera pas si l’ABP parvient à enrayer l'épidémie de VIH/SIDA ou à réduire la mortalité maternelle (même si de tels résultats seraient évidemment de vrais exploits qu’on appréciera tous). Le véritable test pour l’aide basée sur la performance sera de savoir si elle parvient à consolider les mécanismes mis en place par le gouvernement du pays récipiendiaire en matière de redevabilité envers ses propres citoyens.  À cet égard, la façon dont l’ABP s’articulera sur les différentes réformes améliorant la redevabilité dans le secteur de la santé (voir la liste  non exhaustive proposée par Donald Kaberuka) sera déterminante.





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