Le Bénin, comme de nombreux pays, est aujourd’hui engagés sur la voie de la Couverture Sanitaire Universelle (CSU). Il semble désormais acquis qu’il n’existe pas « un » mais « des » chemins pour parvenir à la CSU. Ce chemin propre n’est pas facile à trouver. Comme tout autre pays, le Bénin va devoir développer une forte capacité à rassembler l’information pertinente, à l’interpréter et à prendre des décisions en concordance. Soit les trois grandes caractéristiques d’une démarche apprenante.
Engagé dans la mise en place d’un ambitieux plan RAMU, le Bénin était donc heureux de participer à l’étude multi-pays CUAF. Cette participation a été rendue possible grâce au soutien de la GIZ, dans le cadre de l’initiative P4H.
Pour rappel, le principal objectif assigné à cette recherche multi-centrique était de documenter dans quelle mesure les systèmes ‘CSU’ des pays participants à l’étude répondaient aux critères du modèle d’un Système Apprenant (pour une présentation plus développée de la démarche, voir ce blog précédent).
Collecte et analyse des données au Bénin
La conduite de l’étude au Bénin s’est déroulée en six phases: (1) l’appropriation et contextualisation de l’outil par tous les membres de l’équipe; (2) l’identification de l’échantillon des informateurs-clés actifs au cœur du système CSU; (3) la sensibilisation des acteurs (l’équipe a profité au tant que faire se peut, de l’opportunité des réunions statuaires sectorielles telles que le Comité de Direction, des ateliers, les réunions des partenaires); (4) l’administration des questionnaires aux personnes ressources identifiées; (5) l’analyse des données et rédaction du rapport provisoire; et (6) l’atelier de validation des résultats par des acteurs ayant participé ou non à l’enquête.
Au total, 31 personnes sur des 48 personnes initialement identifiées ont été interviewées, soit 64,5%. Les personnes non atteintes étaient : les membres du Conseil d’Administration de l’ANAM (non fonctionnel), les députés membres de la commission des affaires sociales et des lois ainsi que le représentant des syndicats. Le contexte politique tendu de pré-campagne des élections présidentielles de février 2016 a été pour beaucoup dans cette participation un peu plus faible qu’espérée.
Résultats principaux
Nous vous invitons bien sûr à lire notre rapport. Dans ce billet de blog, nous allons juste revenir sur les résultats qui nous semblent les plus importants. Sachez que le score maximal que notre « système CSU » pouvait avoir était de 7, à chaque fois. A notre avis, un score en-dessous de 5 témoigne d’une situation problématique.
B1 : Leadership en faveur de l’apprentissage
Vingt questions du questionnaire portaient sur le leadership. Vous reconnaîtrez que demander à des acteurs de rendre un avis sur le leadership pour la CSU n’est pas chose courante ! À la lumière des résultats obtenus, le leadership en faveur de l’apprentissage pour la CSU a eu un score de 4,93. Selon nous, c’est un score insatisfaisant. Quand on regarde les questions en détail, on constate que nos répondants identifient des points forts (par exemple, au niveau de la volonté politique en faveur de la CSU), mais aussi des points faibles.. On notera en particulier l’insuffisante coordination entre les acteurs censés conduire l’agenda national (notamment sur la signification même de la CSU et sur les messages à délivrer aux média). La longue et infructueuse saga du RAMU a probablement contribué à cette évaluation négative.
B2 : Environnement et culture organisationnels supportifs
La moyenne globale au niveau de ce bloc de 31 questions est de 5,06. Ainsi, nous avons au total 14 réponses en-dessous du seuil de 5 contre 17 au-dessus. Parmi les points de satisfaction, on notera par exemple le fait qu’il est aisé de solliciter de l’expertise de pointe, notamment grâce aux partenaires. Par contre, on peut noter plusieurs scores trop bas. Il s’agit notamment de la culture technique en faveur de la CSU. Des renforcements de capacité systémiques sont nécessaires à ce niveau : selon nos répondants, nous devons progresser dans notre usage des données quantitatives, apprendre à développer des scenarios et faire des simulations chiffrées, mieux saisir les gains liés aux technologies de l’information et de la communication. Cette plus grande maîtrise technique aidera les conducteurs nationaux à avoir une relation plus équilibrée avec leurs partenaires techniques et financiers (notre étude montre que les contributions de ces derniers sont appréciées).
B3 : Processus et pratiques d’apprentissage
Le score (4,9) au niveau du bloc « processus et pratique d’apprentissage » est en dessous du score de 5 retenu comme seuil. Notre étude suggère plusieurs pistes d’amélioration. Il s’agirait notamment de mettre en place un agenda d’apprentissage propre à la CSU, d’assurer un meilleur usage de certaines méthodes (ex. résolution de problèmes), favoriser l’expérimentation et s’assurer que les experts seniors ne partent pas à la retraite sans avoir transmis leurs savoirs.
Observations faites durant l’atelier de validation
Cette étude était le premier travail d’évaluation des capacités apprenantes du système CSU du Bénin. Les scores obtenus ont été partagés avec des experts CSU nationaux lors d’un atelier de validation à Cotonou les 13 et 14 juin 2016 (1). Les participants ont été répartis en trois groupes (un par ‘bloc’ de notre cadre d’analyse). Ensemble, ils ont passé en revue les scores de leur bloc, ont pu les commenter, mais aussi les interpréter ou parfois les contester sur base de leur propre expérience. Les connaissances et commentaires qui ont émergé de ces travaux de groupe ont inspiré les points ci-dessous.
Du leadership en faveur de l’apprentissage: Les participants ont en fait trouvé le score de 4,93 pour le leadership flatteur. Selon eux la situation est plus problématique. Les participant ont confirmé que les différents acteurs de la CSU au Bénin n’ont pas le même niveau de compréhension, ni une compréhension commune, du concept de la CSU et de ses objectifs. En conséquence l’absence d’un pôle unique de validation des messages à transmettre aux médias sur la CSU explique les contradictions dans le contenu des messages portés au grand public sur l’agenda de la CSU. Ils ont noté une prise de conscience au niveau de l’Etat et des leaders politiques par rapport à la nécessité de la CSU, mais ces derniers font preuve de peu de réalisme et de patience dans la conduite de l’agenda CSU en ne cherchant pas de réponses rigoureuses aux questions stratégiques. Les participants se sont aussi plaint de la gestion autocratique sur la CSU et de la trop faible mobilisation des techniciens et experts nationaux. Ils ont attribué cela au profil trop souvent techniquement faible des personnes aux postes de décision. En effet, les nominations sont politisées et faites sans attention aux procédures classiques de recrutement en fonction du profil du poste. En conséquence, en lieu et place de techniciens pointus capables de constituer une locomotive pour tirer le wagon de la CSU il y a plutôt à la tête des organisations des politiciens peu au fait des enjeux techniques de la CSU.
De l’environnement et de la culture organisationnels supportifs à l’apprentissage pour la CSU: Nous avons vu plus haut que l’environnement et la culture organisationnels supportifs au Bénin a eu un score de 5,06. Mais à nouveau, les participants ont trouvé ce score flatteur. Plusieurs points à améliorer ont été discutés par les participants. Aujourd’hui, dans l’administration publique, le développement du personnel n’est pas un centre d’intérêt stratégique ; la capitalisation des acquis n’est pas une réalité. Les compétences nationales sont peu valorisées. Ils ont souligné la très faible implication des institutions de recherche et de formation dans la mise en route de la CSU. Par ailleurs, l’information qui devrait être perçu comme un facteur de cohésion et de renforcement des acteurs de la CSU est vue comme un facteur de pouvoir, une arme contre les collaborateurs. En conséquence les différents acteurs de la CSU travaillent en silos. Enfin, les participants à l’atelier ont évoqué une absence d’outil de recherche et d’évaluation performant favorisant la capitalisation et l’innovation dans les organisations en charge du CSU.
Du processus et de la pratique de l’apprentissage: Le processus et pratiques d’apprentissage au Bénin a eu un score de 4,95, donc insatisfaisant, que les participants à l’atelier trouvent dans l’ensemble proches de la réalité. Les participants ont confirmé que le partage d’expérience entre pairs et le transfert de connaissance entre générations n’est pas une réalité au Bénin. Trop de personnes préfèrent garder la connaissance et le savoir pour eux ; même à l’approche de la retraite, il n y a aucune pression sur nos ‘seniors’: ils partent à la retraite avec leurs connaissances ‘sous le bras’. Une autre raison évoquée est que très peu de données quantitatives et qualitatives sont disponibles à tous les niveaux de la pyramide sanitaire sur la mise en œuvre du processus CSU au Bénin. Ce manque d’information de qualité sur le processus CSU à tous les niveaux a été aggravé par le flou orchestré autour des multiples lancements du RAMU au Bénin pour rien. Enfin, dans les structures publiques et spécifiquement au niveau central et intermédiaire, très peu de mécanismes existent pour identifier et promouvoir les bonnes pratiques. Pourtant une culture de transparence, de la disponibilité et du partage d’information quantitative et qualitative basée sur les données probantes est le seul gage d’un processus apprenant et d’une mise en œuvre efficace et efficiente de la CSU.
Conclusion et recommandations
Cette étude a permis d’évaluer le processus de mise en route de la CSU dans notre pays. Dans l’ensemble, notre système CSU dispose des éléments requis pour être un système apprenant, mais il est loin d’être un modèle de «système apprenant complet». Cela nous laisse une grande marge d’amélioration. Surtout que la mise en place du dispositif de la CSU est un long chemin à parcourir et requiert un modèle propre au pays et construit sur l’existant.
Sur base des scores produits par cette étude et leurs propres observations, les participants à l’atelier de validation ont émis les recommandations suivantes à destination des acteurs de la CSU. Ces derniers doivent s’engager dans :
• la formation des acteurs (à tous les niveaux de la pyramide sanitaire) sur les enjeux de leadership, du management des ressources humaines, du fonctionnement en équipe de travail et de la recherche-action;
• un plaidoyer à l’endroit du gouvernement en vue de la dépolitisation de l’administration et pour la mise en concurrence lors du recrutement aux postes techniques. Ce plaidoyer peut être conduit avec l’appui de la société civile;
• le coaching et la supervision à travers une équipe restreinte (avec un cahier de charge) pour assurer la veille stratégique sur la capacité d’apprentissage systémique en vue d’optimiser le processus de mise en place de la CSU;
• la mise en place, en collaboration avec le Hub CoP Bénin, d’une plate-forme interactive de formation, de coaching et de diffusion des résultats et progrès réalisés dans l’apprentissage;
• la collaboration avec l’équipe de coordination internationale des CoPs en vue de la mise en place d’un groupe de travail d’experts africains sur l’organisation apprenante en matière de CSU;
• l’audit de toutes les stratégies existantes en vue de ressortir les goulots d’étranglement et y apporter des corrections.