Dans un récent blog, Allison Kelley partageait les résultats d’une recherche collaborative menée sur la couverture sanitaire universelle (CSU). Le principal résultat était la confirmation que le financement de la santé, en Afrique Francophone, est grandement fragmenté. Pour Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers), ce résultat invite les experts mobilisés par la CSU à réévaluer et étoffer leurs capacités techniques. Il va falloir ‘faire du financement de la santé’ autrement.
En Afrique Francophone, comme ailleurs, de nombreux pays se sont lancés dans l’ambitieux programme de la couverture sanitaire universelle. L’étude conduite par Allison Kelley et son équipe multinationale confirme que le financement de la santé dans les pays d’Afrique Francophone est aujourd’hui fragmenté et varié. Le remplissage du cube de la couverture universelle va consister en un agencement de petites boîtes, de nature très diverse, les unes sur les autres. Le grand défi sera d’y apporter de la cohérence.
Urbanistes wanted !
La CSU ne va donc pas se construire sur un terrain vierge : il y a déjà du bâti, des routes, des places et des gens qui vivent dans la nouvelle ville à construire. Si vous me permettez une métaphore, il va s’agir bien plus d’urbanisme que d’architecture.
Dans la communauté des experts actifs sur le financement de santé, nous avons fait beaucoup d’architecture ces 20 dernières années. Nous avons été fort occupés avec la conception de régimes de financement (scheme design) et leur mise en œuvre. Quelques-uns d’entre nous (les plus ‘anciens’) ont mis en place le recouvrement des coûts ; plus tard, certains se sont appliqués à lancer des mutuelles ; quelques années plus tard, d’autres se sont retrouvés à mettre en œuvre des politiques de gratuité, quelques-uns se sont consacrés aux mécanismes d’assistance aux plus pauvres et groupes vulnérables (fond d’équité, vouchers…) ; beaucoup d’entre nous sommes aujourd’hui occupés à monter des programmes de financement basé sur la performance. Une des originalités de l’étude multi-pays est aussi de montrer que beaucoup de choses ont été mises en place loin du regard des spécialistes du financement de la santé – je pense en particulier à tous les programmes verticaux, qui ont imposé leur propres règles de gratuité, leur stocks de médicaments distincts, etc.
Comme le montre l’étude multi-pays, tous ces efforts ont désormais marqué le paysage du financement de la santé de nombreux pays. Au Cameroun par exemple, vous avez aujourd’hui, un peu de tous ces régimes. A certains égards, c’est intéressant, plusieurs de ces mécanismes sont potentiellement complémentaires. Mais comme le montre le rapport de l’étude, le résultat peut aussi être marqué par des incohérences, des absences, un manque d’harmonie, des synergies non saisies et beaucoup de lourdeur administrative.
Architectes et urbanistes : deux métiers différents
Le programme de la CSU va demander à remettre de l’ordre dans tout cela. C’est quelque chose de nouveau. Tant pour les experts que pour les organisations (1), il va falloir acquérir de nouvelles capacités.
L’architecte écoute son commanditaire (ses envies, ses besoins actuels…), dessine la maison sur une feuille blanche et puis supervise l’entrepreneur afin qu’il respecte bien les plans. Aujourd’hui, il est même possible d’acheter une maison standard.
L’urbaniste fait face à des défis bien différents. Premièrement, le territoire à aménager est rarement celui d’un seul propriétaire : il doit prendre en compte les droits des occupants. Ces derniers peuvent d’ailleurs défendre leurs intérêts de multiples façons, formelles ou informelles.
Bien plus que l’architecte, l’urbaniste doit intégrer les intérêts de la collectivité. Il doit pouvoir faire des choix : parfois il doit prôner la sauvegarde de la structure d’un quartier ou même d’un simple bâtiment pour leur apport à la ville. Mais parfois, il doit aussi recommander de raser des bâtiments pour créer un nouvel espace. Le Paris que nous aimons tous, nous le devons au Préfet Hausmann qui décida de raser le Paris médiéval au profit de larges avenues et de bâtiments élevés.
Pour faire ces choix aux conséquences profondes et avec des effets à long terme, l’urbaniste doit anticiper. Il doit prendre en compte les besoins futurs (démographie, nouveaux moyens de transport…) et les fonctionnalités qu’il faudra assurer dans la ville. Pour développer cette vision, il doit notamment pouvoir faire appel à des disciplines diverses : architecture, ingénierie, démographie, sociologie, sciences politiques, économie, psychologie, santé publique…
Un changement de cap pour beaucoup d’entre nous
Pour réussir la CSU, nous devons travailler à notre propre mise à jour. Nous allons devoir penser autrement le financement de la santé. Les mots-clés vont devenir convergence, harmonisation, dialogue et anticipation. Nos sujets de recherche doivent changer. Comme mentionné dans un blog antérieur, les économistes de la santé doivent urgemment développé un intérêt pour l’économie politique, le grand parent pauvre de notre discipline.
Tous, nous devons comprendre comment mobiliser les nombreuses parties prenantes. Les décideurs vont devoir aussi apprendre à faire des choix. Certains régimes de financement de la santé sont contradictoires. Je pense par exemple qu’à moins d’une conversion significative de leur nature par les pouvoirs politiques, les petites mutuelles volontaires vont sans doute vivre le destin des maisons médiévales de Paris. En effet, avec la volonté de progresser vers la CSU, les questions de l’échelle et des droits pour tous deviennent bien plus importantes.
Les experts travaillant dans les agences de l’aide vont devoir aussi intégrer dans leur action les nécessités posées par la volonté des pays à progresser vers la CSU. Comme le montre bien l’étude multi-pays, les priorités des agences ont fortement marqué le paysage du financement de la santé en Afrique Francophone. Il y a un grand décalage entre tout le bruit fait autour de la CSU et la pratique de beaucoup d’agences, dans leur coin, des financements et allocations de ressources ciblés et verticalisés.
Les CoPs doivent aussi réfléchir à leur propre mise à jour. Sans vouloir préjuger du futur des CoPs (nous l’espérons de longue durée, mais cela dépend aussi du soutien de partenaires), nous sommes convaincus que nous pouvons aider les experts dans cette transition vers une expertise plus vaste et englobante. Cet objectif va certainement inspirer nos activités à venir.
Note:
(1) Nous reviendrons sur les défis pour les Ministères de la Santé, comme structures organisationnelles, dans un prochain blog.