Depuis 2014, la Chaire REALISME (Recherche Appliquées Interventionnelles en Santé Mondiale et Equité) a été mise en place à l’Université de Montréal. Le professeur Valéry Ridde, détenteur de cette chaire, nous présente ses activités, défis et perspectives. Un interview réalisé par Fadima Bocoum. Qu’est-ce qu’une chaire ? Professeur Valéry RIDDE: Il y a eu un appel des Instituts de Recherche en Santé du Canada (IRSC) pour financer des chaires de recherches en santé publique appliquée. J’ai participé et obtenu un financement de 5 ans non renouvelable. L’idée du financement de la chaire part du fait que les professeurs à l’université ont plusieurs charges de travail dont la charge la plus importante est évidement l’enseignement et la supervision des étudiants. Ils font de la recherche mais pas autant que certains le souhaiteraient. Ainsi, le financement obtenu permet de subventionner une partie du salaire du professeur mais en échange l’université doit lui laisser 80% de son temps pour faire de la recherche. |
La Chaire REALISME a débuté en 2014 et prendra fin en 2019. Elle vise à développer des connaissances sur la question de la science de la mise en œuvre des interventions en santé publique notamment en santé mondiale puisque je travaille essentiellement au Sud. Il y a donc des activités qui se font autour de la chaire. Les fonds permettent de disposer d’une coordinatrice (Linda François) qui est basée à Montréal, et qui coordonne toutes les activités de la chaire. Ils permettent également de recruter des jeunes chercheurs, ou de préparer des demandes de subventions ou encore de répondre à des appels d’offres. Ils servent également à financer des bourses à des étudiants, qui font leur thèse ou mémoire, puisqu’une partie de la chaire vise à développer aussi la relève scientifique. Un autre volet est de développer une expertise dans le domaine des transferts de connaissances de manière dynamique et innovante. Par exemple, on fait des films sur des transferts de connaissances et on présente nos résultats de recherche d’une manière innovante avec des infographies. Nous organisons aussi des formations sur le sujet. Enfin la chaire veut aussi développer une réflexion sur les méthodes mixtes et surtout renforcer la réflexion au sein de la Francophonie. Nous avons ainsi participé à plusieurs colloques et à la création d’un Wiki francophone sur l’utilisation des méthodes mixtes.
Quel est le champ concerné par la Chaire REALISME ?
L’idée est que dans le domaine de la santé publique, notamment ici en Afrique de l’Ouest, il y a beaucoup d’études qui visent à comprendre l’efficacité des interventions. Mais ça ne nous dit pas pourquoi elles sont efficaces ou pas, ou pourquoi c’est efficace et dans quel contexte c’est efficace et dans quel autre contexte ce ne l’est pas. Peut être qu’on va trouver que ça marche bien dans une région mais ça ne marche pas bien dans une autre etc. C’est ce qu’on appelle la science de la mise en œuvre. En anglais ils appellent ça « implementation sciences » mais il y a plusieurs manières de comprendre. Il y a une manière classique qui vise plutôt à développer des connaissances sur la manière dont on utilise des données probantes pour utiliser des interventions, comment on renforce les pratiques de santé publique fondées sur des données probantes. Mais ce n’est pas ça qui m’intéresse mais plutôt comment les interventions de santé publique sont mise en œuvre. Comprendre qu’est ce qui fonctionne, dans quel contexte, avec qui, dans quelle configuration pour que ça puisse être efficace. Finalement c’est de rentrer dans ce qu’on appelle la « boîte noire » de l’intervention et comprendre qu’est ce qui se passe pour essayer de voir ce qu’on peut faire. La chaire vise à développer des connaissances autour de ces enjeux. En ce moment à Ouagadougou par exemple, nous avons mis en place une intervention communautaire de lutte contre la dengue qui a mobilisé les communautés dans un quartier et nous essayons de comprendre qu’est ce qui fait que ça marche, qu’est ce qui fait que ça ne marche pas. C’est ça qu’on appelle la science de la mise en œuvre.
Quel intérêt aurait un décideur de visiter le site de la chaire ?
La plupart de nos travaux sont orientés vers la prise de décision. Aussi, nous faisons surtout de la recherche appliquée dans laquelle nous impliquons des décideurs dans les différents pays où nous travaillons. Un décideur ou un intervenant serait intéressé d’aller sur le site internet de la chaire parce que le site regroupe plus de 200 publications scientifiques sur les thématiques de la recherche interventionnelle ou d’analyse de mis en œuvre qui sont mises en ligne gratuitement. Pour nous, la question de l’accès libre aux connaissances est essentiel. Ensuite, il y a une série d’outils, avec des exemples, qui servent à l’évaluation des interventions. Par exemple, un outil pour analyser la manière dont on tient compte des inégalités de santé dans les interventions ou pour évaluer la pérennité et la transférabilité des interventions en santé, etc … Nous avons plusieurs outils qui peuvent être téléchargés sur ce site. Depuis plus d’une année, nous avons créé une collection de documents de travaux scientifiques dans laquelle il est possible de publier sur des sujets liés aux interventions de santé mondiale. Cette collection s’appelle des cahiers Réalismes. Le dernier numéro vient de sortir et concerne l’approche qualitative pour l’évaluation des interventions.
Quels liens existent-ils entre la chaire et les CoPs ?
Nous travaillons sur des sujets qui sont proches des CoPs et nous sommes aussi membre des CoPs et avons participé à l’organisation de plusieurs évènements avec des CoPs. De plus, nous avons créé avec Miseli et AGIR un espace de mini CoP informelle, comme par exemple pour notre programme de recherche entre le Mali et le Burkina de sorte que les responsables sur la question du Financement Basé sur les Résultats et de la prise en charge des indigents puissent se rencontrer dans des ateliers de thématiques. Ils ont aussi été formés au transfert des connaissances avec l’équipe Renard dirigée par Christian Dagenais. C’est dire combien nous sommes préoccupés par la recherche sur le transfert de connaissance à travers, par exemple, l’usage des CoPs. Mais le problème des CoPs est que le débat critique est souvent difficile et on se retrouve parfois dans des consensus qui ne font pas forcément avancer les réflexions.
Quels sont les défis auxquels la chaire doit faire face ?
Le premier défi c’est sa pérennité car c’est un financement non renouvelable. Le 2ème défi est de trouver des financements pour faire la recherche. Nous sommes dans un contexte où il y a peu de ressources, que ce soit au Canada ou en Europe pour faire de la recherche en général et de la recherche sur la mise en œuvre en particulier. Beaucoup d’argent est donné pour la recherche pour l’évaluation d’impact et très peu pour l’évaluation de la mise en œuvre. On dit beaucoup de choses avec peu d’argent pour l’évaluation la mise en œuvre alors qu’on dit souvent peu de choses avec beaucoup d’argent pour l’évaluation d’impact et ça c’est un autre défi important.
Quelles sont les perspectives ?
J’aimerais continuer à développer des recherches interventionnelles mais dans une perspective globale où l’on peut étudier les impacts, le processus, l’efficacité dans une perspective interdisciplinaire et avec des méthodes mixtes. En même temps, je voudrais continuer la recherche sur les systèmes de santé et politiques de santé parce qu’il y a encore un manque de connaissances important dans le monde francophone. Il y a de très bons anthropologues qui regardent les choses à un niveau très micro, de très bon politologues et sociologues qui regardent les choses à un niveau très macro mais entre les deux, au niveau méso sur l’analyse des politiques et des systèmes en Afrique de l’Ouest et francophone en particulier, rares sont les travaux. Il y a encore peu de chercheurs qui regardent ces enjeux dans des perspectives systémiques de complexité de processus et je crois que c’est quelque chose qu’il faudra développer.
Enfin, je pense que les bailleurs pourraient s’inspirer de l’expérience de la chaire au Canada et l’adapter à l’Afrique de l’Ouest pour un chercheur Ouest africain. Il y a un véritable besoin de la part des bailleurs internationaux, mais surtout des bailleurs et gouvernements africains, d’orienter les priorités de recherche, en donnant un financement récurrent sur plusieurs années non pas à une institution mais un chercheur qui pourrait développer lui-même un champ de recherche. Ce financement pourrait être renouvelé sur la base de l’efficacité des chercheurs, l’efficacité de la production des connaissances. Qu’on soit africain, canadien, européen, nous sommes tous évalués de la même manière: la qualité scientifique de notre production mais aussi sa pertinence sociale.