Avec le recul, certaines personnes disent que le programme de l'Initiative de Bamako a rarement été correctement mis en œuvre. Dans un post sur ce blog et dans un article, Valery Ridde dit même que nous devrions peut-être abolir l'Initiative de Bamako. Comment voyez-vous la mise en œuvre des principes de Bamako jusqu'à maintenant?
Je pense que cette initiative est morte il y a longtemps. Je pense que certains de ces principes sont toujours incroyablement valables et que certains des problèmes auxquels elle tentait de répondre existent toujours. Le problème de la responsabilité publique et de la participation des populations dans la gestion de leur système de santé aurait dû être mieux pris en compte avec plus de démocratie, mais il est toujours laissé sans intérêt dans de nombreux pays africains. Le problème des dépenses « out-of-pocket » sans aucune règle est également toujours extrêmement valable. On peut appeler cela l'Initiative de Bamako ou on peut l’appeler comme on veut, cela n'a pas vraiment d'importance: quelques-uns des problèmes auxquels l'Initiative de Bamako tentait de répondre sont toujours là et certaines des expériences et des principes (dont certains ont été appliqués et certains ont été mal appliqués) sont toujours d'actualité. Mais l'initiative, non, je ne pense pas qu'il existe chose comme l’initiative de Bamako en vie pour le moment. Tout du moins, je n'ai rien vu.
Seriez-vous d'accord avec Susan Rifkin, qui déclare que l'Initiative de Bamako a élargi les horizons de la participation de la communauté? Est-ce que l’utilisation du terme redevabilité communautaire au lieu de participation change quelque chose ?
Soyons clairs, la redevabilité communautaire cela veut dire la redevabilité envers la communauté. La différence avec cette notion c’est que les communautés deviennent propriétaires (« shareholders »). Avant ils payaient sous la table, maintenant ils paient et ils peuvent demander "qu'avez-vous fait de l'argent?", "pourquoi n'avez-vous pas fait ceci ou cela?". C'est la différence entre un processus participatif vague et une représentation et une participation dans la gestion de l'unité de santé. Et c'est quelque chose sur lequel nous devons encore travailler. Les gens n'ont pas voix au chapitre (« voice ») et aucune porte de sortie (« exit ») dans les pays à faible revenu, sauf bien sûr d’aller dans le secteur privé, mais ce n'est pas une option pour les pauvres.
Dans sa récente interview sur ce blog, Sassy Molyneux insiste sur le fait qu'il faut « examiner attentivement la rémunération et les autres formes d'incitations pour les représentants de la communauté, les défis de l'asymétrie entre le personnel de santé et les représentants de la communauté en matière de ressources et de pouvoir, et l'importance de bâtir des relations de confiance ». Pour moi, cela ressemble un peu à considérer la « politique locale » de santé. Il m'a toujours semblé que peu d'attention était portée à la dimension politique dans l’Initiative de Bamako. Nous sommes pourtant dans une sorte de processus politique, non?
Oui, c’est politique. Et ne pas comprendre que c'est politique est la plus grosse erreur que vous pourriez faire. Je pense que dans la communauté de la santé publique, nous sommes parfois très naïfs. Nous pensons à la supervision et à la formation comme les clefs de tout, mais la santé c’est politique. C'est pourquoi les États-Unis ont leur système de santé, et c'est pourquoi les Scandinaves ont un système de santé différent. La science est la science, mais la façon dont la science est disponible ainsi que la qualité et l'équité de l'accès aux soins sont des questions politiques. Nous devons accepter que le chemin pour obtenir des soins de santé de haute qualité et équitables est difficile et que nous ne sommes pas encore là. Il y a encore une énorme asymétrie entre le personnel de santé et la population, et c'est un signe que la démocratie n'est pas encore là. Nous devons commencer à partir de ce problème. Ce que j'ai vu avec l'Initiative de Bamako est une question profondément politique, et non strictement technique. Mais bien sûr, les gens utilisent des choses et des déclarations de différentes manières et ils ont utilisé cette initiative en fonction de leurs propres intérêts et points de vue.
Vingt-cinq ans ont passé. Vous avez une grande expérience des soins de santé primaires dans les pays à faible revenu. Quelles seront les clés pour les soins de santé primaires au cours des 25 prochaines années?
Ce que je vois venir est plus de privatisation et plus d'urbanisation. Les gens semblent trouver dans les zones urbaines et même dans les bidonvilles des opportunités qu'ils n'ont pas dans leurs zones rurales. Certains pays sont de plus en plus avancés dans l'établissement de l'assurance-maladie –ce qui est une excellente chose, je pense. A la fin de mon travail sur l'Initiative de Bamako, nous étions focalisés sur deux choses (il y avait deux équipes). L'une était le monitoring communautaire, car l’information c’est le pouvoir. L'autre était l'assurance locale. L'assurance maladie est un enjeu majeur, mais elle est difficile à établir. Dans de nombreux cas les programmes commencent à l'échelon national, et pourtant, en Europe ce sont des mécanismes de solidarité locaux qui ont été les assurances initiales.
Nous devons travailler sur la responsabilité/redevabilité publique et l’équité. Ce sont les deux domaines clés. Allons-nous dans cette direction? Je ne suis pas sûr. Je pense que dans certains pays, nous le sommes, mais dans la majorité des autres pays, le secteur privé est de plus en plus important car les gens ont plus de ressources et le secteur public reste sous-financé. Qui plus est, ce secteur public est très inefficace à moins qu'il y ait une forme de redevabilité envers le public. C'est le bilan mitigé que j'ai. D'un côté, il y a des pays qui progressent bien ; prenez par exemple l'expérience du Rwanda avec les mutuelles de santé et la nouvelle politique de rémunération du personnel. Mais de l'autre côté, il y a beaucoup d'autres pays, qui, je pense, ne vont pas dans le même sens.
Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée et que vous auriez souhaité que je vous pose ? Ou bien une conclusion que vous souhaiteriez faire?
Pas vraiment, pour moi c'était une expérience fascinante. J'ai réalisé que c'était aussi un débat passionnant. Certaines de ces questions sont, comme je l'ai dit, très politiques et certaines sont extrêmement pertinentes aujourd'hui. Nous devons aborder la relation entre le patient, le client et le fournisseur de services. Le débat actuel sur le financement basé sur la performance, qui lie financement non aux médicaments, mais aux résultats, est également très intéressant. Bien sûr, cela ne résoudra pas tous les problèmes. Je pense que nous devrions être en mesure de voir quelles ont été les bonnes expériences dans le passé et aller de l'avant, en ajoutant de nouvelles expériences. La responsabilité publique de base et le rôle des populations sont extrêmement importants, la bonne gouvernance des centres de santé est très importante, mais le financement basé sur les résultats est également très prometteur si nous le combinons avec d'autres choses que nous avons apprises. Nous ne devons pas passer de mode en la mode, mais de prendre en compte le passé, comprendre ce que nous avons appris et le développer.