Financing Health in Africa - Le blog
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En marche vers l’assurance maladie nationale: l’échelonnement par composant

4/11/2017

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Erik Josephson

De nombreux pays d'Afrique sub-saharienne cherchent à mettre en place une assurance-maladie nationale avec l'ambition de parvenir à une couverture universelle. Quand on suit une des approches classiques, le lancement d'une assurance-maladie nationale nécessite d'établir une technostructure complexe et complète dès le départ. Mon hypothèse est que les différents composants de l'assurance-maladie nationale pourraient être échelonnés dans le temps. Le composant de l'achat stratégique serait le point de départ.

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Il est frappant de constater à quel point l'agenda de la couverture sanitaire universelle (CSU) a été, d'un point de vue financier, confondu avec l'assurance-maladie contributive. Certaines raisons sont compréhensibles. Dans de nombreux pays à faible revenu, la santé est actuellement financée par une combinaison de recettes fiscales, de dépenses à charge des patients et de financements extérieurs. Il existe une tension entre l'objectif de mobiliser des ressources pour la santé - qui suggère de maintenir le paiement par les patients - et l'objectif d'accès à tous - qui suggère de supprimer cette contribution. Beaucoup de pays ne veulent pas perdre les recettes directes de la population - le paiement de primes d'assurance devient alors l'option privilégiée.

Ces derniers mois, j'ai été interpelé par le défi rencontrés par les pays d'Afrique sub-saharienne qui se sont engagés dans le développement d'une assurance-maladie nationale (contributive). Mon analyse est que si l'élaboration d'un régime national d'assurance-maladie est un défi, ce n'est pas nécessairement parce que la gestion d'un tel plan est compliquée et administrativement lourde (bien que cela soit certainement vrai), mais plutôt en raison des approches adoptées pour le mettre en place.

Les approches classiques d'échelonnement

J'ai observé trois approches pour échelonner la mise en place de l'assurance-maladie nationale: (i) l'approche 'big bang' - on couvre la population de l'ensemble du pays en une fois; (ii) l'approche qui consiste à commencer par un segment de population, généralement un segment de l'économie formelle (ex. les fonctionnaires), dans certains pays simultanément avec le segment de population pauvre (on crée alors le problème du «chaînon manquant»); ou (iii) le pays commence par un certain niveau de prestation de soins de santé, par exemple les soins hospitaliers. Dans plusieurs cas, une combinaison de ces approches a été utilisée.

Le Ghana a opté pour le 'big bang' (bien que cette approche ait été basée sur des mutuelles ayant démarré au niveau des districts). Le Kenya dispose depuis plusieurs décennies d'un mécanisme d'assurance obligatoire pour les soins hospitaliers pour les employés du gouvernement; ce dernier est lentement converti en un régime contributif pour tous les niveaux de soins et pour l'ensemble de la population. La Tanzanie dispose d'un fonds d'assurance qui a débuté avec des employés du gouvernement et a évolué pour intégrer d'autres niveaux de population. Récemment, certains pays, comme le Libéria ou la Sierra Leone, qui envisagent d'établir une assurance-maladie nationale, ont reçu le conseil de la rendre contributive et de l'appliquer directement à l'ensemble de la population. Le Lesotho envisage lui, de progresser par groupe de population en ciblant progressivement le secteur informel. Les expériences de ces dernières années des pays pionniers, comme le Ghana et le Kenya, nous invitent à faire une pause et à bien réfléchir sur cette question stratégique d'échelonnement.

En effet l'on constate, dans les modèles déjà en place, une série de difficultés importantes au démarrage, notamment au niveau de la gouvernance, du paquet de soins, de la qualité des services et de la protection financière. Au Kenya, concevoir un modèle et atteindre un consensus, ou simplement mettre de côté les préoccupations de certains groupes d'intérêt, a pris des années. La faiblesse de la gouvernance du NHIF (Fonds national d'assurance hospitalière) au Kenya s'est révélée dès le début de sa transition vers un rôle plus large, ce qui a suscité des appels à la réforme. Au Ghana, où l'adhésion au NHIS (National Health Insurance Scheme) stagne entre 30% et 40% de la population depuis plusieurs années pour une multitude de raisons, même ceux qui peuvent se le permettre ne s'inscrivent pas, pas plus que ceux qui sont exemptés de payer des primes. Un comité gouvernemental a récemment identifié les défis auxquels le NHIS ghanéen est confronté; il a relevé plusieurs failles, notamment l'incapacité de nombreux citoyens à se permettre une contribution financière, la faible qualité des soins, le fait que de nombreuses formations sanitaires ne sont pas capables de prester le paquet de bénéfices... Il existe des données probantes suggérant que, plutôt que d'améliorer l'accès aux soins, être couvert par le NHIS relègue les patients à un service de deuxième classe. De même, il semble que le système de paiement direct par les usagers, qui pourtant était à l'origine des frustrations ayant mené à la mise en œuvre du NHIS, a encore de beaux jours devant lui.

Dans les approches classiques d'échelonnement (big bang, population, géographie, niveau de prestation de services), même quand la couverture est mise en place de façon progressive, toutes les capacités de gestion et de gouvernance doivent être mises en place dès le début. Cela pose deux défis. Tout d'abord, des ressources importantes doivent être affectées, dès le démarrage, à la gestion administrative de l'assurance-maladie : il faut en effet mettre en place les mécanismes qui permettent l'enrôlement des membres, le paiement des  primes (dans les systèmes contributifs), l'identification des pauvres, la gestion des demandes de remboursement, le développement ou l'acquisition de logiciels, la gestion des fonds d'assurance, la contractualisation des formations sanitaires, l'accréditation, etc.. Deuxièmement, la capacité des ressources humaines doit être présente dès le départ pour gérer les différentes unités de l'agence d'achat. Ce sont là, tous des systèmes bien complexes, chacun méritant la plus grande attention.

Est-ce vraiment la bonne stratégie de mise en place d'une assurance-maladie nationale? Compte tenu des gros problèmes auxquels les pays d'Afrique sub-saharienne pionniers ont été confrontés, les pays qui s'engagent aujourd'hui doivent, selon moi, envisager un autre mode d'échelonnement.

Proposition pour un échelonnement par composant


En opposition aux méthodes classiques d'échelonnement, imaginons une méthode basée sur les différents composants du financement et de la prestation des services de santé. Par 'composant', je veux faire  référence aux différentes sous-fonctions au niveau des trois principales fonctions du financement de la santé (génération de revenus, mise en commun, achat), ainsi qu'à celles au niveau de la prestation des services. L'idée serait d'établir les différents composants nécessaires à un système national selon une logique graduelle, mais raisonnée. On commencerait par se concentrer sur l'amélioration de l'offre de services de santé et la mise en place de la fonction d'achat. Ensuite seulement, on essaierait d'aller vers la population pour lui demander de s'inscire à l'assurance, de payer sa cotisation pour disposer d'une couverture contractuelle. Il n'y a sans doute pas de manière définie de mettre en œuvre un tel échelonnement - il est probable que le contexte jouerait. Mais la logique aurait tout son poids:  certains composants viendraient avant d'autres.

Un exemple d'une telle méthode d'échelonnement consisterait à commencer sur base des seuls financements publics et des bailleurs de fonds. La première étape serait de se concentrer sur la mise en place d'une capacité d'achat stratégique sommaire, incluant la détermination d'un paquet de soins limité. Pour ensuite d'évoluer, sur une base à établir en fonction du contexte, vers les éléments suivants: l'autonomisation des formations sanitaires (où cela n'existe pas encore); l'exploitation de l'information fournie par les prestataires pour mieux calibrer le paiement; la mise en place d'une entité publique d'achat stratégique; l'accréditation et l'intégration des prestataires privés; l'imposition des conditions contractuelles, y compris  la résiliation du contrat lorsque cela s'avère nécessaire. A partir de ce point, on gonflerait progressivement le nombre de services remboursés et on sophistiquerait les mécanismes de paiement (en trouvant le bon mixte de rémunération à l'acte et de paiement par capitation pour les coûts opérationnels non salariaux). Cette expansion serait assurée par l'agence publique d'achat (plutôt que par le Ministère des Finances ou de l'Unité des Finances du Ministère de la Santé). Il faudrait bien sûr aussi mettre en place les solutions pour assurer l'équité (ex. exemption des plus pauvres) et l'efficience (ex. échelonnement des soins).

La séquence exacte est bien sûr à préciser, mais la règle d'or serait de laisser les composants vraiment difficiles pour la fin. Dans cette catégorie de 'composants difficiles', je range certainement ce qui relève de la collecte des contributions par les ménages. Les pays s'attaqueraient donc aux défis complexes de la perception de cotisations et à l'attribution des droits qui en découlent en fin de processus, quand les capacités d'achat et de prestation de soins de qualité sont en place et en mesure de répondre aux attentes des populations.

Ce qui est intéressant, c'est que de nombreux pays africains sont justement en train de mettre en place une telle capacité d'achat stratégique restreinte : le financement basé sur la performance (FBP)! Au cours de la dernière décennie, grâce au FBP, les structures, les processus et l'expertise humaine ont été développés dans de nombreux pays, y compris ceux qui envisagent l'assurance-maladie contributive. Dans ce cas de figure, ma proposition serait d'exploiter le FBP comme point de départ pour passer, composant par composant, d'un embryon de capacité d'achat stratégique à une assurance-maladie complète.

L'ordre de l'échelonnement par fonction, ainsi que le calendrier, sont certainement discutables et dépendent du contexte. Cependant, cette manière de voir les choses comporte de nombreux avantages. Tout d'abord, la mise en place progressive d'une assurance-maladie nationale  par composant  est un processus beaucoup plus gérable que celui qui consiste à tout faire en une seule fois. L'approche 'tous les composants tout d'un coup' est complexe à gérer pour quiconque, a fortiori par les pays qui n'ont pas la capacité requise en effectifs ou en compétences. Deuxièmement, l'approche 'échelonnement par composant' fournit une feuille de route claire pour les décideurs, leur permettant de se concentrer sur les éléments clés pour acheter des services de qualité. Troisièmement, la construction par composant est un chemin beaucoup moins coûteux administrativement que l'approche globale. Quatrièmement, les difficultés rencontrées au cours de la construction par composant auront des effets systémiques négatifs moins nombreux que dans le cadre d'une approche 'tous les composants d'un coup'. Cinquièmement, l'échelonnement par composant peut prendre comme point de départ un système (le FBP) qui est désormais présent dans une grande partie de l'Afrique sub-saharienne. Sixièmement, dans cette approche, la capacité d'achat stratégique est construite dès le début du processus, ce qui permet d'éviter les problèmes ultérieurs que l'on a pu observer dans certains pays (il peut être difficile de sortir d'un système de remboursement une fois qu'il est bien établi). Septièmement, (dans le cas des mécanismes contributifs), en laissant à plus tard la génération de revenus, on laisse au gouvernement davantage de temps pour se concentrer sur l'amélioration de la fonction d'achat d'une part et, d'autre part, sur l'offre de services de santé; on laisse à plus tard les enjeux complexes, coûteux et politiquement plus lourds liés au contrat formel entre l'assuré et l'assureur national. Et enfin, cette approche est intrinsèquement plus équitable que les approches classiques. En effet, dans les mécanismes contributifs, puisque l'on est débarassé de l'impératif immédiat de percevoir des cotisations, les améliorations ne vont pas uniquement pour ceux  qui peuvent se permettre de payer les primes.

Ceci fait-il sens? Je propose humblement cette approche pour les pays à revenu faible ou intermédiaire voulant passer d'un financement passif à un  achat stratégique gérable. Il y a sans aucun doute beaucoup de problèmes à aborder que je n'ai pas soulignée dans ce billet de blog. Aussi, je serais très heureux de lire vos réactions et suggestions pour rendre cette approche plus robuste.

Un projet Collectivity a été lancé en marge de cet article. En commentant ce dernier, vous contribuerez au projet et pourrez ajouter un badge à votre profil.  

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Financement de la santé en Afrique Francophone : l’écheveau de des régimes comme point de départ pour la couverture sanitaire universelle

9/17/2014

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Allison Kelley

Pendant un an, des experts issus de 12 pays d’Afrique Francophone (1), ont collaboré sur un projet relatif à la fragmentation dans le financement de la santé dans leurs pays. Dans ce billet de blog, le premier d’une série, Allison Kelley présente les principaux résultats de la première phase du projet et plus particulièrement l’analyse transversale des études-pays. 


En novembre dernier sur ce blog, nous vous avions présenté un projet collaboratif que deux CoP (financement basé sur la performance et accès financier aux services de santé) lançaient sur la problématique de la Couverture Sanitaire Universelle.

Ce projet, financé par le Fond Français Muskoka et l’ONG Cordaid, était pour les CoPs une première : il s’agissait de tester notre capacité à mener à bien un travail de documentation d’une situation particulière (la fragmentation du financement de la santé) dans un grand nombre de pays. Notre hypothèse est que par leur nature et le réseau qu’elle constitue (la CoP FBP compte désormais 1.500 experts, la CoP AFSS 800), les CoPs peuvent compléter les travaux de recherche et de documentation mené par les autres acteurs (centres de recherche, agence de l’aide…).  Dans ce premier blog, nous partageons avec vous les résultats de l’analyse transversale des études-pays.

La Couverture Sanitaire Universelle : un gros malentendu

Par définition, progresser vers la couverture sanitaire universelle (CSU) revient à progresser sur au moins trois grandes dimensions : (1) le nombre de personnes couvertes (2) la composition et la qualité du panier de services de santé auxquelles elles ont droit, et (3) la réduction de la contribution financière directe engendrée par le recours aux soins. Cette progression est souvent mal comprise, certains pensent par exemple que progresser vers la CSU consiste à introduire un système d’assurance obligatoire universelle unique. La vérité est que dans chaque pays, grâce aux régimes de financement de la santé (RFS) existants, la population bénéficie déjà, dans une certaine mesure, d’une couverture. Progresser vers la CSU consiste donc bien plus à apporter cohérence et efficience dans la combinaison de ces RFS déjà en place que lancer un RFS de plus.

La situation dans 12 pays d’Afrique Francophone

A titre de rappel, l’objectif de cette première phase de notre projet « Muskoka » était d’établir la cartographie des régimes de financement de la santé présents dans 12 pays africains francophones, soit presqu’un quart du continent. Pour atteindre une destination comme la CSU, il faut d’abord connaître avec précision son point de départ !

Le rapport des résultats de la première étape est désormais disponible (voir la rubrique "Resources" de ce site). L’analyse transversale capitalise sur la documentation individuelle de chaque pays par des experts nationaux des CdP. (3) Cette phase a été riche de leçons. Elle confirme que nous sommes bien face à des écheveaux de RFS.

* Notre étude a confirmé la grande fragmentation des RFS aujourd’hui dans les pays africains. Selon notre méthode de comptage, nous avons en moyenne 23 RFS par pays.

* Au-delà du simple comptage (qui nous a déjà bien occupé), dresser cette cartographie a été plus difficile que prévu : dans plusieurs pays, nous avons buté contre le problème de la disponibilité des informations sur les mécanismes de financement de la santé. L’information financière est souvent lacunaire. Cela freine le leadership de l’Etat dans le pilotage de la CSU et entrave une bonne compréhension à tous les niveaux de cette situation complexe, et donc aussi une meilleure articulation des mécanismes de financement.

* De fait, nos cartographies montrent que dans beaucoup de pays, coexistent simultanément des « trous »  dans la couverture de la population (personnes non couvertes ou très peu couvertes) et des redondances (certains groupes bénéficiant d’une possible prise en charge par plusieurs RFS). On peut citer l'exemple d'une fonctionnaire qui dispose d'une assurance-santé et accouche dans un hospital où l'accouchement est gratuit. La verticalité au niveau des prestations prise en charge et la sélectivité des populations ciblées se traduisent en couverture très partielle, qui ne garantissent pas une continuité dans la prise en charge thérapeutique.

* Nous avons également constaté un manque de cohérence en termes de prévisibilité et régularité des modalités de financement des structures de soins; cela constitue un obstacle important à l’extension effective de la CSU.

* La majorité de ces RFS ont un financement dépendant de l’extérieur. Cela a une influence considérable sur la structure du financement de la santé et aggrave non seulement le problème de fragmentation, mais aussi celui de gouvernance du financement de la santé. Le rôle dominant des programmes spécialisés entraine la verticalisation de la prise en charge et le manque de centralisation au niveau du Ministère de la Santé des informations, notamment financières, gérées par les bailleurs extérieurs.

Défi commun, mais chemin individuel vers la CSU…

Le résultat général de cette phase est de faire ressortir un défi commun aux 12 pays de l’étude.  Cette profusion de RFS, mais aussi les insuffisances actuelles au niveau de leur coordination (comme le prouve l’absence de données centralisées et ouvertes à tous), nous laissent penser que dans de nombreux pays, progresser vers la CSU va être complexe : il va falloir remettre de l’ordre dans tous ces RFS : en fusionner certains, en arrêter d’autres…

Pour faire cela, il va falloir mettre de nombreux acteurs, autour de la table, plusieurs ministères et agences publiques, mais aussi des programmes multiples et leurs partenaires techniques et financiers, des organes privés (comme les mutuelles), des représentants des associations professionnelles...

Le défi est qu’il n’existe pas de solution unique en guise de chemin vers la CSU. Chaque cas sera particulier.

Nous avons une certitude, et elle est valable pour tous les pays: la progression vers la CSU va nécessiter les gouvernements, et les Ministres de la Santé en particulier, à développer une grande capacité à collecter de l’information, à l’interpréter et à prendre des décisions en concordance. La gestion des connaissances et l’aptitude à analyser sa situation, les forces, contraintes, opportunités et menaces seront des conditions nécessaires pour progresser vers la CUS.

Comme vous le lirez dans un prochain blog, cette analyse a grandement déterminé notre réflexion pour ce qui devra la seconde phase de ce projet mené par les CoPs. 



Pour accéder au rapport: cliquer ici.

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Couverture Médicale Universelle au Sénégal : « Les conditions de succès passent par  l’adhésion obligatoire à un régime d’assurance maladie et le ciblage des bénéficiaires des politiques de gratuité »

1/21/2014

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Maymouna Ba, chercheuse au CREPOS Dakar, interviewe le Dr Farba Lamine Sall, Conseiller en Economie de la Santé au Bureau OMS du Sénégal. Ensemble, ils discutent, en toute franchise, des options adoptées par le Sénégal pour la couverture maladie universelle (CMU) (interview conduit le 2 décembre 2013). 

Nous avons assisté au lancement de la CMU au Sénégal en octobre dernier, où on a d’abord mis le focus sur la gratuité des enfants de moins de 5 ans. Selon vous, cette stratégie s’inscrit-elle dans l'objectif global de la couverture universelle ?

Si la CMU, c’est favoriser l’accès aux soins, dire que tous les enfants de moins de cinq ans sont soignés gratuitement y contribue. Maintenant la question est de savoir comment tout ceci se met en œuvre de façon à ne pas compromettre l’équilibre global du système. Le système est un tout et pour que des mesures comme celles là soient vraiment effectives, il faut que le dispositif de prise en charge soit à niveau. Je ne dis pas qu’il faut s’arrêter et attendre que toutes les conditions soient réunies pour bouger. Je crois qu’il faut construire tout en même temps. Mais, il faut d’ores et déjà se dire qu’il y a des obligations à satisfaire pour que cette mesure ne soit pas vaine. En réalité, on se rend compte que la gratuité des moins de cinq ans ne concerne, dans un premier temps, que la gratuité de la consultation au niveau des postes et centres de santé et la gratuité des urgences au niveau hospitalier. Maintenant, même seulement cela, c’est assez lourd ; il faut des ressources.

Vous venez de dire qu’il faut construire tout en même temps, mais êtes-vous d’accord sur le fait qu’il y a quand même des préalables nécessaires à la mise en place d’une CMU, en termes de financement par exemple ?

J’imagine que ces préalables ont été assurés par le Ministère de la Santé, en se mettant au moins d’accord sur ce qui était possible, en calculant le coût de l’opération. Ce n’est pas pour rien que le Ministère limite dans un premier temps la gratuité à la consultation. Donc, on peut penser qu’on y va à petites doses. La consultation, c’est ce qui coûte le moins de toute façon. Ce n’est pas là où se trouve réellement l’enjeu. En dehors des consultations, vous avez des analyses, des examens à faire ; le gros se situe à ce niveau là. Maintenant, avec le ‘rush’ qu’il y a à partir du moment où on dit que la consultation est gratuite, c’est d’autres éléments de discrimination qui vont entrer en jeu s’il n’y a pas une offre conséquente en face. C’est comme si vous disiez que la dialyse est gratuite alors que vous n’avez pas suffisamment de postes où la dialyse se fait. Qu’est ce que vous allez créer ? Des files d’attentes importantes! Conséquences de files d’attentes importantes : des dessous-de-table, donc des difficultés, alors qu’on cherchait à alléger le circuit du patient. Tout ceci veut dire que si on identifie un obstacle à la consommation, il faut s’assurer qu’en levant l’obstacle, d’autres obstacles ne se créent pas.

Il est dit qu’au Sénégal, la CMU s’appuiera principalement sur le développement des mutuelles de santé. On parle en même temps du maintien des politiques de gratuités existantes. Est-ce que cela est bien cohérent?

Selon moi, le grand problème au Sénégal, c’est qu’on veut concilier des choses difficilement conciliables. Vous ne pouvez pas dire que « ma priorité c’est l’assurance-maladie » et lever l’autre main pour dire : « Priorité au renforcement des gratuités ». Vous êtes en train de faire ce qu’on appelle des incitations négatives. Si vous rendez gratuits tous les motifs de paiement, et donc tous les motifs d’adhésion à une mutuelle, les gens ne vont pas aller dans une mutuelle.

Les principaux motifs de recours aux soins au Sénégal concernent le paludisme, la santé de l’enfant, la santé de la femme, surtout celle en état de grossesse et qui va accoucher, la santé des personnes du 3ème âge. Je dis donc que si vous rendez gratuit ces principaux motifs de recours aux soins, vous êtes en train d’enlever le motif d’adhésion aux mutuelles. Et cela est contradictoire dans un contexte de pauvreté où les ressources sont totalement happées par les dépenses obligatoires. L’idéal aurait été d’inclure les mutuelles de santé dans ces dépenses obligatoires, de deux façons. La première est de rendre l’adhésion obligatoire, la deuxième est d’amener les gens à avoir des raisons d’adhérer à une mutuelle, des raisons de mettre de l’argent de côté pour faire face à une dépense imprévue qui peut être non supportable par eux. Et ces deux façons sont quasiment absentes ici. Ceci est un véritable problème si on veut ‘booster’ la mutualité.

Est-ce à dire que le fait de passer par les mutuelles de santé, lesquelles fonctionnent principalement sur l’adhésion volontaire, n’est pas la meilleure option ?

Cela fait maintenant 24 ans que je suis dans le monde de la mutualité. Ma 1ère expérience a été d’encadrer un de mes étudiants qui travaillait sur la mutuelle de Fandène mise en place en 1989. Mais, depuis 1989, on a l’impression que c’est une histoire qui est encore en phase expérimentale. C’est vrai qu’aujourd’hui, il y a un dispositif nouveau : des incitations financières ont été mises en place pour subventionner les cotisations à 50%. Mais, les 50% qu’il faut mettre pour avoir la subvention représentent quelque chose pour quelqu’un qui a d’autres dépenses obligatoires. Pour moi, l’option est difficilement lisible. Je crois que les conditions de succès tournent autour d’une obligation d’adhésion à un régime d’assurance maladie quel que soit l’appellation. Il faut aussi oublier le terme gratuité. Selon moi, la meilleure façon de faire de la gratuité c’est de la refuser. A mon avis, pour faire une bonne gratuité, il faut que tout le monde paye. Si tout le monde paye, les travailleurs sociaux, pour qui c’est la spécialité, identifieront ceux qui ne peuvent pas payer…

Et on retombe sur la question du ciblage qui, dans beaucoup de contextes, n’a pas été toujours efficace…

Le problème du ciblage va nécessairement se poser. Si le ciblage fait bénéficier des services de gratuité à des gens qui n’en ont pas besoin, c’est parce qu’il n’a pas été bien fait. Le ciblage ne peut pas être fait à partir du Ministère de la Santé. C’est la collectivité locale qui a plus d’aptitude à déceler le vrai indigent. Ce n’est pas parce qu’on a mal ciblé qu’il ne faut pas cibler. On a l’obligation de cibler parce qu’on ne peut pas tout faire pour tout le monde. Donc, il faut faire ce qu’il faut pour ceux qui doivent en bénéficier. Prenons la gratuité des soins des enfants de moins de 5 ans. Si on avait appliqué le principe du « tout le monde paie », en disant simplement à ceux qui ont une assurance de la présenter, ça aurait été déjà pas mal. Parce que les assurés, ils ont déjà payé leur prime d’assurance. Ils ne demandent qu’une chose, que la structure sanitaire réclame l’argent à l’assureur. Si vous dites que c’est gratuit pour tout le monde, les gens n’envoient pas la facture à l’assurance. En procédant ainsi, ils sont en train de compromettre la capacité de financement de la structure de santé et donc sa capacité à garantir une qualité des prestations sur une longue durée. Si on ne fait pas l’effort de cibler, on est en train d’affaiblir notre système de santé et, sous prétexte de protéger des vulnérables, on est en train d’enrichir des assureurs.

C’est clair qu’il faut protéger les vulnérables. Mais tous les vulnérables ne sont pas indigents. Oui, il faut lever les entraves à l’utilisation. Oui, il faut éviter que le paiement ne soit un obstacle. Mais, il faut deux choses en même temps. Il faut garantir une contrepartie financière à toute prestation produite si on veut assurer la pérennité de la qualité des services. Et pour que ceci soit possible, il faut que le nombre de personnes ne supportant pas le coût de traitement de façon directe soit réduit aux seuls ayants droit. Selon moi, il y a iniquité à chaque fois qu’on aura fait bénéficier à quelqu’un qui n’en a pas droit d’un service, alors que c’est au nom de l’équité qu’on avait pris la mesure. On ne peut pas vouloir bien faire marcher les choses, engager des fonds dans le secteur de la santé et faire l’économie d’efforts à fournir.

On a vu un engagement politique à un plus haut niveau avec cette CMU. C’est le Président de la République lui-même qui porte cette affaire sur le devant de la scène et d’aucuns disent que c’est une garantie de réussite. Partagez vous cet avis ?

Je n’ai pas la même lecture. La solution de facilité c’est de dire «  l’engagement politique n’a jamais été aussi fort ». Mais, est-ce que le non développement des mutuelles depuis l’expérience de Fandène ne s’explique que par la faiblesse de l’engagement politique ? Tant que les gens n’aborderont pas la question de façon frontale, en se disant « ça fait 20 ans, 30 ans qu’on fait et que la mayonnaise ne prend pas. Pourquoi ? ». L’engagement politique sera peut-être une des explications ; la faible attractivité des prestations, une autre explication ; la discontinuité des soins, une autre ; le manque de contrôle du système de tarification et de facturation, une autre. On peut faire une liste. Maintenant, par rapport à chaque explication, quelles sont les stratégies à mettre en œuvre pour renverser la tendance ? Personnellement, parmi tout cela, je mets un grand facteur explicatif qui est l’adhésion volontaire. De mon point de vue, l’adhésion volontaire dans le cadre de la mutualité ne peut se concevoir que dans une approche d'assurance-complémentaire. Il faut donc aller jusqu’au bout de l’analyse et prendre des mesures très fortes comme l'adhésion obligatoire. 

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Couverture Universelle en Santé: une étude multi-pays pour comprendre les défis liés à la fragmentation des régimes de financement de la santé

11/22/2013

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Allison Kelley

Dans ce billet de blog, Allison Kelley présente une recherche descriptive qui va être menée par des experts des communauté de pratiques « Accès Financier aux Services de Santé » et « Financement Basé sur la Performance » dans 12 pays francophones.  Le projet innove par son recours à un modèle collaboratif.

La « couverture universelle en santé » - CUS – a fait un bond sur les agendas politiques nationaux et internationaux. Les chefs d’état, les poids lourds des partenaires au développement, même les ONG internationales, tout le monde veut aller de l’avant. Quel accord ! Quel rêve ! Sauf que – et comme c’est souvent le cas – le diable se trouve dans les détails et ici dans leurs multitude, tant les mécanismes de financement abondent dans les pays africains : tarification des soins, allocation budgétaire, soutien en ressources physiques, mutuelles de santé, politiques de gratuité des soins, exemption des plus pauvres, financement basé sur la performance… à titre d’exemple, un de nos experts a pu déjà décompter 29 mécanismes différents au Niger !

Une telle fragmentation dans le financement de la santé, sans parler même des défis de qualité des soins et des ressources humaines, peut donc laisser songeur face à une certaine rhétorique en faveur de la CUS. Comment rassembler les pièces du puzzle de financement de la santé et les rendre cohérente à l’échelle nationale ? Dans de nombreux pays, c’est une multitude d’acteurs qui sont engagés dans la mise en place et le fonctionnement de ces régimes de financement de la santé (RFS), tous avec leurs propres objectifs. Beaucoup de ces acteurs n’ont pas nécessairement conscience que de la sorte, ils contribuent de facto à la couverture universelle sanitaire dans leur pays (1). Ils n’ont pas nécessairement non plus envie de collaborer ou d’être ‘fusionnés’.

La confusion et la diversité quant aux aspects relatifs à la gouvernance, aux objectifs poursuivis, au niveau d’intervention, aux groupes-cibles, aux sources de financement, aux budgets disponibles, aux critères d’éligibilité, à la gestion, à la performance, sont telles que plus personne ne dispose aujourd’hui d’une vue d’ensemble. Celle-ci est pourtant indispensable si le pays veut progresser vers un système national de financement plus équitable et efficient. Une telle vision d’ensemble permettrait en effet d’identifier les groupes sociaux les moins bien couverts, ceux qui le sont parfois deux fois (et les gagnants finaux de cette double couverture), les inefficiences, etc. Et je dirais que c’est une préalable avant de définir et de mettre en place une stratégie nationale de financement de la santé.

Une recherche multi-pays

Grâce à  l’appui financier des Fonds français « Muskoka » et de l’ONG Cordaid, des experts des communautés de pratique  « Accès Financier aux Services de Santé » et  « Financement Basé sur la Performance » entament une recherche collaborative dans douze pays d’Afrique sub-Saharienne francophone. Leur ambition est de documenter, de façon rapide et légère, l’écheveau des RFS. Il est espéré que cette « mise en carte » des RFS dans chacun des pays permettra de révéler la complexité de chaque situation nationale. Nous espérons également que la comparaison inter-pays permettra d’identifier des situations récurrentes (‘patterns’) qu’il nous faudra, sur base des savoirs disponibles en économie de la santé et économie politique, interpréter comme favorable ou défavorable à la progression vers la couverture universelle de la santé (2).  


Un processus collaboratif de A à Z

Cette recherche, modeste dans ses objectifs scientifiques (uniquement de la documentation descriptive exploitant des données secondaires générales et les savoirs détenus par les experts), est par contre innovante sur le plan méthodologique : depuis son début jusqu’à sa fin, elle repose sur un processus collaboratif.

Au printemps 2012 (oui, cela peut prendre du temps entre lancer une idée et la réaliser !), un brainstorming virtuel a été organisé sur les groupes de discussion en ligne des deux communautés de pratique. Il s’agissait pour nos membres de suggérer des thèmes de recherche pour une éventuelle proposition à soumettre au Fond Muskoka.  Nous avons ensuite soumis ces thèmes à un vote électronique des mêmes experts. Leur vote a été clair : la priorité est d’avancer dans la compréhension des articulations à trouver entre les nombreux RFS qui s’accumulent dans chaque pays.

Pour respecter ce large intérêt, nous avons opté pour un modèle de recherche qui serait ouvert à un maximum d’expériences (plutôt que de se concentrer sur 1-2 pays) : une description légère, un peu sur le modèle de ce qui avait été produit pour préparer l’atelier de Bamako (weblink). Nous avons dès lors lancé un large appel aux candidatures individuelles pour réaliser cette recherche. Le financement Muskoka étant orienté vers les pays francophones (et malheureusement, seulement une sélection d’entre eux), nous nous sommes retrouvés avec des candidats dans 10 pays : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, la RCA, la RDC, le Sénégal, le Tchad, le Togo. Notre modèle collaboratif a toutefois permis à ce que projet soit, grâce au soutien de Cordaid, rejoint par deux pays « non-Muskoka » : le Burundi et le Cameroun.

Après la signature du contrat au printemps 2013, nous avons procédé à la mise en place de l’équipe de recherche. Une grille d’étude a été élaborée, partagée avec les équipes-pays impliquées et améliorée à partir de leurs commentaires. De la vraie co-production !

Etapes à venir

La recherche a désormais commencé. Les chercheurs sont en discussion continue sur les défis, les astuces, les stratégies pour dénicher les données financières…

Les résultats de la première phase de recherche – la mise en carte des RFS dans les 12 pays et une synthèse transversale de la situation – seront présentés à la Conférence AfHEA à Nairobi en mars et partagés plus largement avant mi-2014. Cette vue sur un quart des pays du continent devrait nous permettre de dégager des leçons génériques et peut-être de formuler quelques recommandations.

Début 2014, nous commencerons par ailleurs à préparer la deuxième phase (2014-2015) de cette recherche. Notre intention est d’élaborer une grille plus détaillée que nous testerons déjà dans au moins un pays. La 2° phase consisterait alors à mener ces analyses plus approfondies dans un maximum de pays (cela dépendra du budget disponible et des résultats par pays).

Il s’agira d’identifier les pertes d’efficience et d’équité générées par la multiplicité des RFS et essayer d’identifier des pistes d’action. Il sera alors possible, espérons-nous, de formuler des recommandations pour chaque pays documenté dans cette seconde phase.

Une telle recherche est bien un terrain nouveau pour nos CoPs. C’est la première fois que nous sollicitons ainsi certains de nos membres pour une documentation systématique. Ce qui nous paraît intéressant avec ce projet est que nous allons nous insérer dans un terrain peu occupé aujourd’hui : celui des études multi-pays. Entre les études individuelles approfondissant le financement de la santé d’un pays et les tableaux produits chaque année par l’OMS sur les dépenses de santé, il y a un espace ! Les CoPs ont peut-être un rôle à jouer, compte tenu de leur implantation désormais dans quasi tous les pays africains.  La réussite dépendra toutefois de certains facteurs tels que de notre capacité à nous coordonner et à nous entraider, le cas échéant. Nous veillerons dès lors à documenter ce modèle original de collaboration.

On vous donne rendez-vous à dans quelques mois. En espérant qu’on pourra apporter un nouveau savoir sur comment exploiter la multiplicité des RFS existants pour progresser vers la CUS.

Notes

(1)  Celle-ci est en effet assimilée, à tort, avec la couverture-maladie (qui comme son nom l’indique se désintéresse de la prévention et promotion de la santé) ou même avec la mise en place d’une assurance-maladie obligatoire (Voyez déjà comment nous peinons à traduire le concept de « Universal Health Coverage » en français !).
(2) Entendue comme une situation au niveau national d’un usage optimal des ressources pour assurer l’accès de chacun à des soins de qualité, respectueux de sa personne et assurant une protection contre l’appauvrissement

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La contribution des mutuelles au financement de la santé : interview de Bruno Galland

8/29/2013

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Allison Kelley

Lors d’un récent séminaire international organisé par l’Agence Française de Développement, Allison Kelley a interviewé Bruno Galland, Conseiller Thématique sur les mutuelles de santé, Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale, au Centre International de Développement et de Recherche (CIDR). La discussion a porté sur les mutuelles de santé, la gouvernance et l’articulation d’une stratégie nationale (et locale) de financement.

AK: Vous êtes un grand expert sur les mutuelles de santé. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de leur état de développement?

BG: En Afrique, et pour les non-salariés, le terme “mutuelle de santé” couvre deux réalités différentes:  il y a des mutuelles à adhésion volontaire, et dans un pays, le Rwanda des mutuelles à adhésion obligatoire. Pour le bilan des mutuelles à adhésion volontaire, tout le monde l’a fait :  elles n’ont pas été au rendez-vous de ce que l’on attendait, probablement parce qu’on en attendait trop : les mutuelles à l’adhésion volontaire qui ne sont pas massivement appuyées par l’Etat ne peuvent pas permettre couvrir efficacement le secteur informel.  

La question des mutuelles a donc logiquement rejoint l’agenda politique de la Couverture Universelle. On peut noter que la majorité des pays qui se posent la question de savoir comment couvrir les populations du secteur informel et agricole, se retournent vers les mutuelles de santé.

Mais ce n’est qu’un aspect du bilan : Il y a les deux faces à la mutualité – la composante financement de la santé/assurance, et la dimension gouvernance participative. Les mutuelles ont été un instrument de régulation efficace (de contrepouvoir) des conditions de la délivrance des soins.  Un effet des mutuelles promus par le CIDR , documenté au Benin dans une évaluation faite avec l’Université de Montréal, est l’abolition des pratiques parallèles préexistantes. On voit bien que l’organisation des usagers, la contractualisation avec les prestataires, les mécanismes de contrôle sont un élément de régulation.

Dans ce contexte hautement politique de la Couverture Universelle en santé, quel rôle voyez-vous pour les mutuelles?

Si on parle de la Couverture Universelle dans un pays donné, il faut couvrir le secteur informel – la question est « comment ? »

Quand on parle de l’assurance, on parle de risques. La première priorité c’est d’abord d’essayer de diminuer le risque de tomber malade et celui de ne pas avoir de recours possible (c’est-à-dire des soins d’une qualité acceptable). Alors là, on rentre dans des questions qui traitent à l’organisation des systèmes de santé, mais on va rejoindre celle des mutuelles. Pourquoi ? Par ce que depuis des années, on a des problèmes de personnel qui sont souvent de qualification et en nombre insuffisants, mais qui sont aussi des problèmes de gestion et de gouvernance. Le deuxième problème qu’on n’arrive pas à résoudre– celui des médicaments – c’est bien un problème de financement, mais encore une question de capacité de  gestion et de manque de gouvernance.  Donc finalement on bute toujours sur cette question – celle de la régulation administrée d’un système de santé. J’observe  qu’ en Afrique, cette régulation administrée seule,  ne fonctionne pas ou mal ; il n’y a pas de redevabilité.  Avec les mutuelles – et c’est pour ça qu’elles doivent garder leur autonomie – il  est possible d’avoir une régulation par la demande, une régulation contractualisée, d’être au service de l’amélioration de la qualité. Je ne dis pas que la régulation contractuelle peut remplacer la régulation administrée, mais c’est surement dans une combinaison des deux qu’on aura des sauts qualificatifs en matière de gouvernance et de régulation des systèmes de santé.

On voit énormément de fragmentation en ce qui concerne les mécanismes de financement dans un même pays – quelle vision avez-vous pour plus de cohérence?

Il faut arrêter de prêcher chacun pour son école. En matière de financement de la santé, il y a de la place pour tout le monde. Il faut avoir une approche globale et cohérente. Elle doit se définir au niveau national et se gérer au niveau local. Les mutuelles, elles ont une place dans un dispositif cohérent d’organisation des soins et de gestion professionnelle des mécanismes de financement.

Pour des raisons de santé publique ou d’équité, on peut instaurer des  « poches » de gratuité, pour certaines maladies, ….ou  pour des catégories de la population. Il faut y aller petit à petit selon les ressources disponibles car l’addition des poches de gratuité peut avoir un coût difficilement supportable par les finances publiques et l’aide internationale.  Et il y aura encore une place pour des mécanismes de partage de risque. Et bien sûr il y aura toujours ceux qui ne peuvent pas payer leurs soins au moment de se faire soigner et pour lesquels il faut un mécanisme spécifique de partage des risques.

Il y a de la place pour tout le monde ! Ce qui se passe aujourd’hui est que nous sommes dans la politique du roitelet : un bailleur « Je prends une province pour financer  par exemple un Financement Basé sur les Résultats » et en ‘chasse’ les autres ; un autre dit « je prends en charge les indigents » ; il y a un troisième qui dit « je vais faire des mutuelles ». Rares sont les pays où ces différents mécanismes de financement sont associés de façon cohérente. Chaque bailleur développe des mécanismes coûteux de gestion et de contrôle de son financement.

N’oublions pas que quand on aide les gens à monter une mutuelle, on crée des capacités de gestion, une capacité à acheter des soins, à identifier des personnes éligibles (les ayants droit) , à contrôler leur consommation, et à rendre compte des cotisations qui leur ont été confiées. La professionnalisation de la gestion est aussi un élément de leur efficacité.

Cette capacité de gestion – on la met en place sur la base des cotisations des membres dans un premier temps, mais on peut tout à fait l’adapter à la gestion d’autres mécanismes de financement. C’est ce qui a été fait aux Comores où le même service de gestion gère de la micro-assurance et un fonds d’achat de la performance (financé par l’AFD dans le cadre du programme PASCO).

Le coût de la gratuité des soins ne se limite pas à ce qu’on va donner aux prestataires ; il y a aussi un coût de gestion, et tant qu’on n’aura pas accepté que la gestion d’un mécanisme de financement a un coût, on n’avancera pas. Le bon sens en termes d’efficience est d’essayer de mutualiser ces coûts. La vision est d’avoir des financements intégrés des systèmes de soins au niveau local : par exemple des poches de gratuité, pour les 0 à 5 ans, les malades du SIDA ou pour d’autres maladies ciblées, et pour les indigents, ,et un système d’assurance pour ceux qui ne sont pas éligibles à ces mécanismes de gratuité mais ont une capacité contributive.

La cohérence elle doit être aussi bien au niveau des politiques nationales, dans la conception et la mise en cohérence de ces différents mécanismes de financement que locale dans leur gestion intégrée. En développant des dispositifs décentralisés et intégrés de gestion qu’on peut améliorer l’efficience de la gestion de ces mécanismes. On peut le faire en commençant avec des mutuelles ou avec d’autres mécanismes de financement. Il s’agit d’un investissement à moyen terme.

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