Lors d’un récent séminaire international organisé par l’Agence Française de Développement, Allison Kelley a interviewé Bruno Galland, Conseiller Thématique sur les mutuelles de santé, Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale, au Centre International de Développement et de Recherche (CIDR). La discussion a porté sur les mutuelles de santé, la gouvernance et l’articulation d’une stratégie nationale (et locale) de financement.
AK: Vous êtes un grand expert sur les mutuelles de santé. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de leur état de développement?
BG: En Afrique, et pour les non-salariés, le terme “mutuelle de santé” couvre deux réalités différentes: il y a des mutuelles à adhésion volontaire, et dans un pays, le Rwanda des mutuelles à adhésion obligatoire. Pour le bilan des mutuelles à adhésion volontaire, tout le monde l’a fait : elles n’ont pas été au rendez-vous de ce que l’on attendait, probablement parce qu’on en attendait trop : les mutuelles à l’adhésion volontaire qui ne sont pas massivement appuyées par l’Etat ne peuvent pas permettre couvrir efficacement le secteur informel.
La question des mutuelles a donc logiquement rejoint l’agenda politique de la Couverture Universelle. On peut noter que la majorité des pays qui se posent la question de savoir comment couvrir les populations du secteur informel et agricole, se retournent vers les mutuelles de santé.
Mais ce n’est qu’un aspect du bilan : Il y a les deux faces à la mutualité – la composante financement de la santé/assurance, et la dimension gouvernance participative. Les mutuelles ont été un instrument de régulation efficace (de contrepouvoir) des conditions de la délivrance des soins. Un effet des mutuelles promus par le CIDR , documenté au Benin dans une évaluation faite avec l’Université de Montréal, est l’abolition des pratiques parallèles préexistantes. On voit bien que l’organisation des usagers, la contractualisation avec les prestataires, les mécanismes de contrôle sont un élément de régulation.
Dans ce contexte hautement politique de la Couverture Universelle en santé, quel rôle voyez-vous pour les mutuelles?
Si on parle de la Couverture Universelle dans un pays donné, il faut couvrir le secteur informel – la question est « comment ? »
Quand on parle de l’assurance, on parle de risques. La première priorité c’est d’abord d’essayer de diminuer le risque de tomber malade et celui de ne pas avoir de recours possible (c’est-à-dire des soins d’une qualité acceptable). Alors là, on rentre dans des questions qui traitent à l’organisation des systèmes de santé, mais on va rejoindre celle des mutuelles. Pourquoi ? Par ce que depuis des années, on a des problèmes de personnel qui sont souvent de qualification et en nombre insuffisants, mais qui sont aussi des problèmes de gestion et de gouvernance. Le deuxième problème qu’on n’arrive pas à résoudre– celui des médicaments – c’est bien un problème de financement, mais encore une question de capacité de gestion et de manque de gouvernance. Donc finalement on bute toujours sur cette question – celle de la régulation administrée d’un système de santé. J’observe qu’ en Afrique, cette régulation administrée seule, ne fonctionne pas ou mal ; il n’y a pas de redevabilité. Avec les mutuelles – et c’est pour ça qu’elles doivent garder leur autonomie – il est possible d’avoir une régulation par la demande, une régulation contractualisée, d’être au service de l’amélioration de la qualité. Je ne dis pas que la régulation contractuelle peut remplacer la régulation administrée, mais c’est surement dans une combinaison des deux qu’on aura des sauts qualificatifs en matière de gouvernance et de régulation des systèmes de santé.
On voit énormément de fragmentation en ce qui concerne les mécanismes de financement dans un même pays – quelle vision avez-vous pour plus de cohérence?
Il faut arrêter de prêcher chacun pour son école. En matière de financement de la santé, il y a de la place pour tout le monde. Il faut avoir une approche globale et cohérente. Elle doit se définir au niveau national et se gérer au niveau local. Les mutuelles, elles ont une place dans un dispositif cohérent d’organisation des soins et de gestion professionnelle des mécanismes de financement.
Pour des raisons de santé publique ou d’équité, on peut instaurer des « poches » de gratuité, pour certaines maladies, ….ou pour des catégories de la population. Il faut y aller petit à petit selon les ressources disponibles car l’addition des poches de gratuité peut avoir un coût difficilement supportable par les finances publiques et l’aide internationale. Et il y aura encore une place pour des mécanismes de partage de risque. Et bien sûr il y aura toujours ceux qui ne peuvent pas payer leurs soins au moment de se faire soigner et pour lesquels il faut un mécanisme spécifique de partage des risques.
Il y a de la place pour tout le monde ! Ce qui se passe aujourd’hui est que nous sommes dans la politique du roitelet : un bailleur « Je prends une province pour financer par exemple un Financement Basé sur les Résultats » et en ‘chasse’ les autres ; un autre dit « je prends en charge les indigents » ; il y a un troisième qui dit « je vais faire des mutuelles ». Rares sont les pays où ces différents mécanismes de financement sont associés de façon cohérente. Chaque bailleur développe des mécanismes coûteux de gestion et de contrôle de son financement.
N’oublions pas que quand on aide les gens à monter une mutuelle, on crée des capacités de gestion, une capacité à acheter des soins, à identifier des personnes éligibles (les ayants droit) , à contrôler leur consommation, et à rendre compte des cotisations qui leur ont été confiées. La professionnalisation de la gestion est aussi un élément de leur efficacité.
Cette capacité de gestion – on la met en place sur la base des cotisations des membres dans un premier temps, mais on peut tout à fait l’adapter à la gestion d’autres mécanismes de financement. C’est ce qui a été fait aux Comores où le même service de gestion gère de la micro-assurance et un fonds d’achat de la performance (financé par l’AFD dans le cadre du programme PASCO).
Le coût de la gratuité des soins ne se limite pas à ce qu’on va donner aux prestataires ; il y a aussi un coût de gestion, et tant qu’on n’aura pas accepté que la gestion d’un mécanisme de financement a un coût, on n’avancera pas. Le bon sens en termes d’efficience est d’essayer de mutualiser ces coûts. La vision est d’avoir des financements intégrés des systèmes de soins au niveau local : par exemple des poches de gratuité, pour les 0 à 5 ans, les malades du SIDA ou pour d’autres maladies ciblées, et pour les indigents, ,et un système d’assurance pour ceux qui ne sont pas éligibles à ces mécanismes de gratuité mais ont une capacité contributive.
La cohérence elle doit être aussi bien au niveau des politiques nationales, dans la conception et la mise en cohérence de ces différents mécanismes de financement que locale dans leur gestion intégrée. En développant des dispositifs décentralisés et intégrés de gestion qu’on peut améliorer l’efficience de la gestion de ces mécanismes. On peut le faire en commençant avec des mutuelles ou avec d’autres mécanismes de financement. Il s’agit d’un investissement à moyen terme.