Le Financement Basé sur la Performance (FBP) est désormais mis en œuvre dans un grand nombre de pays. Nous assurer que la stratégie du FBP continue à être améliorée doit recevoir toute notre attention. Dans ce billet de blog, je reviens sur le défi de la qualité des soins. Je vous présente aussi ce que la Communauté de Pratique compte faire à son niveau. Nous cherchons des experts disposés à nous aider à organiser une première réunion internationale. Pourquoi pas vous ?
Le fait que le FBP vise à augmenter la production de services de santé, dans des pays où les services sont largement sous-utilisés, est chose connue. C’est aussi une chose simple à comprendre : si on vous paie en fonction du nombre d’unités que vous produisez, tant que votre coût de production marginal est inférieur au prix auquel vous êtes rémunéré, vous avez un incitant à augmenter votre production.
Très tôt, le FBP a été présenté, aussi, comme une stratégie d’amélioration de la qualité. Sur ce plan, la théorie de changement est plus complexe, car les canaux sont multiples et potentiellement contradictoires. Sans être exhaustif, voici quelques éléments importants.
Payer pour du volume a déjà une influence sur la qualité…
Un premier canal est l’effet ‘ressources’. Le FBP va injecter de l’argent au niveau de la formation sanitaire. Avec ces ressources, le manager peut prendre de nombreuses décisions pour renforcer la qualité des soins ou des services. Il peut par exemple recruter un personnel plus qualifié ; il peut aussi améliorer la qualité du service (par exemple transformer la disposition d’une salle pour protéger l’intimité des usagers). Ma conviction est que de telles améliorations sont faites, spontanément, dans de nombreuses formations sanitaires sous FBP.
Un autre canal découle du fait que certains éléments de qualité sont des déterminants de la performance quantitative. En rémunérant cette dernière, on incite aussi, indirectement, le personnel à améliorer ces éléments de qualité. A titre d’illustration, le centre de santé motivé à vacciner plus d’enfants va s’efforcer de ne pas avoir des ruptures de stock de vaccins; dans sa volonté d’attirer plus d’usagers, il va modifier ses horaires d’ouverture… ou comme nous l’avait reporté en toute honnêteté une infirmière rwandaise lors d’une étude qualitative en 2004 : « désormais, nous sourions aux malades ».
Mais il y a aussi des éléments de qualité des soins qui ne sont pas des déterminants positifs du volume. C’est notamment le cas de tous les éléments de qualité qui ne sont pas observables par l’usager (ex : la stérilité du matériel chirurgical) ou qui sont ignorés par le personnel. Un infirmier qui par manque de formation, fait une erreur de diagnostic de façon systématique va a priori continuer à la faire quel que soit le nombre de malades en consultation. Il y a enfin les situations d’incitations perverses où la quantité dégrade la qualité. C’est le cas de l’ infirmier qui pour faire du volume bâcle sa consultation.
On peut se demander alors quel effet de l’achat de la quantité sur la qualité. La vérité est qu’on ne sait pas trop. On peut supposer que certains éléments de qualité s’améliorent – notamment au niveau des aspects visibles par l’usager. Mais on ne peut exclure que sur d’autres aspects, la qualité souffre.
Une piste de solution : introduction des grilles de qualité
Pour traiter ce problème, les systèmes FBP ont rapidement introduit des grilles d’indicateurs de qualité dans le système de rémunération. Ceux qui étaient au Rwanda au tout début du FBP se souviendront que cette introduction a été sujette à débat (entre experts du FBP).
Les arguments en faveur de ces grilles étaient les suivants : « comme acheteur, je ne veux pas acheter seulement de la quantité ; je veux m’assurer que chaque service que j’achète soit de qualité » ; « en payant uniquement pour la quantité, on risque d’inciter les formations sanitaires à faire du volume, au détriment de la qualité » ; « en payant pour la qualité, on envoie le signal aux formations sanitaires que la qualité est importante ».
Les arguments contre ces grilles étaient : « la qualité est multidimensionnelle ; de nombreux éléments importants sont difficiles à mesurer ; nous risquons de n’inciter que ce qui est facilement mesurable » ; « de nombreux déterminants de la qualité relèvent de causes plus profondes, par exemple la formation initiale du personnel soignant ».
Comme souvent, il y avait du vrai dans les deux visions. Dans de nombreux pays adoptant le FBP, le niveau de qualité de départ est souvent très bas – il est pertinent alors de créer des incitants à la présence d’équipement de base et au respect de règles essentielles. Il faut un autoclave pour stériliser les instruments chirurgicaux ; toute formation sanitaire doit avoir des toilettes propres. Ceci a amené les systèmes FBP a développé de longues listes d’indicateurs avec un focus sur la disponibilité des équipements et intrants. Les données de routine ont montré presque partout que les formations sanitaires sont sensibles à ces incitants et on voit alors l’indice de qualité s’améliorer.
Mais ceux qui posaient la question du biais dans la mesure avaient aussi raison. Ceux qui étaient à notre conférence à Dar-es-Salaam s’en souviendront : une revue des listes d’indicateurs qualité dans les systèmes FBP a montré que les grilles d’indicateurs sont biaisées vers ce qui est mesurable facilement – notamment la présence des équipements (matériel, etc) (cette étude a désormais été publiée, ici). Les grilles d’indicateurs qualité ignorent des déterminants importants de la qualité des soins (ex : les connaissances du personnel de la santé) et n’essaient pas de mesurer la qualité des prestations en tant que telles. Il y a donc un risque réel que ce qui est capturé par les revues trimestrielles ne suffise pas pour garantir une qualité génératrice de bénéfices sanitaires. Pour faire bref : c’est important que l’infirmier ait un stéthoscope et des médicaments, mais s’il ignore comment faire une consultation pédiatrique de qualité et néglige la prise de paramètres-clés, il y a un grand risque que le diagnostic soit erroné ou incomplet.
Cela pose des problèmes de différents ordres. Mais pour faire court, on pourrait aboutir à un résultat contraire à notre ambition : des taux de couverture plus élevés, mais des taux de mortalité qui ne bougent pas, simplement parce que les services sont de qualité trop faible.
La bataille pour la qualité des soins : aussi notre responsabilité
Les questions abondent. Avons-nous utilisé toute la puissance du FBP pour améliorer la qualité des soins ? Ou au contraire, ne surestimons-nous pas l’apport que le FBP peut faire ? Quels sont les bons mécanismes pour changer le comportement des cliniciens ? Qu’est-ce qui relève de la formation initiale et relève d’un problème plus en amont ? Qu’est-ce qui est mesurable et vulnérable à un système de motivation ? Comment devons-nous articuler le FBP aux autres stratégies d’amélioration de la qualité des soins (cercle d’assurance-qualité, accréditation…) ?
Ces questions et beaucoup d’autres sont en train de monter sur l’agenda international. Elles dépassent bien sûr la seule communauté FBP. Toute la communauté de la santé internationale est en fait interpelée par le problème. Une commission spéciale a ainsi été mise en place par le Lancet Global Health. Toutefois, du côté de la CoP FBP, nous devons assumer notre juste part de ce qui s’annonce un programme d’apprentissage de grande ampleur.
C’est à cette fin que notre CoP s’engagera en 2017 dans le lancement de différentes activités s’attaquant à la problématique de la qualité des soins. Nous allons procéder par phase – notamment pour calibrer notre investissement à hauteur de nos capacités organisationnelles et de nos ressources. Notre analyse est que notre attention doit se porter sur deux points en priorité.
D’une part, nous devons rouvrir la réflexion sur les théories de changement actionnées par le FBP. Les mécanismes mis en branle par le FBP sont bien complexes que ce qui en a été dit jusqu’à présent. La question des théories de changement est globale, mais elle est particulièrement importante pour l’enjeu de la qualité des soins. Nous avons abordé ce point déjà à Dar-es-Salaam ; nous devons désormais passer à la vitesse supérieure. Des blogs et articles sont en vue.
D’autre part, nous devons mener également une réflexion de fond sur les indicateurs de qualité aujourd’hui collectés dans les systèmes FBP. Le temps de l’analyse critique est venu. Ce second chantier est ambitieux – nous allons donc le mener par étape. Comme première étape, nous avons décidé de porter notre attention sur les indicateurs relatifs à la qualité des services de planning familial. Cette problématique a, selon nous, l’avantage d’être bien circonscrite. C’est aussi un domaine dans lequel un travail de qualité a déjà été produit. Concrètement, nous avons décidé d’organiser une réunion internationale à laquelle nous allons convier des experts du planning familial et des experts FBP. Ensemble, ils vont se pencher sur les indicateurs, dégager des pistes d’action, formuler un agenda de recherche interventionnelle.
Pour soutenir ce processus, nous sommes actuellement à la recherche d’experts de ces deux disciplines. Nous avons créé un projet sur notre plateforme Collectivity. La première responsabilité de ces experts va être de nous aider à organiser cette réunion d’experts. Si vous êtes intéressés à nous donner un coup de main, c’est le moment de postuler (ici). La réunion est prévue pour la fin de d’été. Elle se tiendra dans la belle ville d’Anvers... Pourquoi pas avec vous?