Financing Health in Africa - Le blog
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Initiative de Bamako: quelques réflexions pour clôturer notre série

2/10/2014

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Jean-Benoît Falisse

Cela fera bientôt 27 ans que l'Initiative de Bamako a été lancée et que la participation communautaire est entrée au cœur des politiques de santé en Afrique. Au travers de huit interviews, d’une réflexion personnelle, et surtout de vos nombreux commentaires, en français comme en anglais, nous avons pu apercevoir la complexité de ce qui un jour fut la « solution miracle » de la participation communautaire. Le débat n’est certainement pas clos mais la série touche à sa fin et je me livre donc à l’exercice un peu périlleux d’en faire une synthèse très subjective, qui comme souvent, apporte plus de questions que de réponses.

Tout d’abord, notre série a permis de replacer l’Initiative de Bamako dans le continuum des stratégies et politiques de santé internationale (global health dirions-nous aujourd’hui). Les sources d’inspiration de Bamako sont, de prime abord, un peu floues, quelque part entre les « médecins aux pieds nus » chinois et la conférence d'Alma-Ata sur les soins de santé primaires en 1977. Cependant, l’interview de Walter Kessler nous montre comment au début des années 1980, Médecins Sans Frontières a mis en place, au Mali et ultérieurement au Tcad, des initiatives qui ont inspiré Bamako et lancé les premiers comités de santé. Susan Rifkin et Agostino Paganini expliquent le relatif succès de l’initiative à ses débuts, grâce à l’implication de terrain de l’UNICEF et au leadership charismatique et dynamique du duo de têtes formées par le Docteur Mahler (OMS) et Mr. Grant (UNICEF). Comme le préfigure déjà l’expérience de MSF avec les magasins de santé dans les années 1980, la participation prônée par Bamako s’inscrit dès le début en parallèle avec l’introduction du recouvrement des coûts, que les Etats justifient par la crise de la dette. Dès ses origines, l'Initiative de Bamako revêt donc une double facette dont même cette série, se focalisant pourtant exclusivement sur les aspects de participation communautaire, n'aura pu se défaire. Côté pile, il y a l'émancipation des communautés et leur auto-prise en charge, et côté face, il y a un accès « plus cher » aux soins. La question, qui se pose toujours aujourd'hui, et qui est répondue par la négative par Sophie Witter, est de savoir s’il y a un sens à continuer à lier les deux.

Une fois sortie de ses origines malienne, la participation communautaire version Bamako, avec le comité de santé comme mécanisme central, se répand comme une trainée de poudre en Afrique. Cependant, le contexte est très souvent négligé, et des stratégies qui marchent à certains endroits fonctionnent nettement moins bien à d’autres. Il n’y a pas de taille unique, comme l’illustrent les expériences de RDC, où le principe passe bien, et de l’Ouganda voisin, où le principe de gestion communautaire de la santé va à contre-courant des pratiques traditionnelles. Une fois passé l’enthousiasme initial, les initiatives de participation communautaire, qui sont de moins en moins soutenues par les Etats, éveillent la désagréable suspicion d'un désengagement des Etats vis-à-vis de de la santé de leurs populations. La participation communautaire ne s’impose pas. Néanmoins, pour rester dans l’esprit de la « santé pour tous », humaniser les rapports à la santé et développer des systèmes non-technocratiques dans lesquels la santé est comprise de façon globale, la prise en main par la communauté elle-même reste une piste prometteuse. C’est d’ailleurs dans cet esprit que la troisième recommandation de la récente conférence de Dakar parle de renforcer les capacités de la population pour en faire un « véritable partenaire pour l’analyse de ses problèmes de santé, et pour la planification, l’exécution et l’évaluation des interventions de santé ».

Au moment d’écrire ce billet, l'Initiative de Bamako est bel et bien morte. Et depuis longtemps. Le volet recouvrement des soins est allègrement critiqué. Le volet participation communautaire, plus gourmand en ressources, facilement détourné à des fins politiciennes, et aux effets moins rapides et directs que prévus, n’a pas non plus été la solution miracle attendue. Néanmoins, l’idée de rendre aux populations une place plus centrale dans leurs soins continue à vivre. En différents endroits du globe, de nouvelles formes de redevabilité des prestataires de santé par rapport à leurs usagers et d’implication directe des citoyens dans leur santé, se mettent en place. Pour fonctionner, elles doivent davantage tenir compte des situations locales et être intéressantes pour les populations qui participent ; la communauté a besoin de voir son intérêt à s’impliquer. C'est en somme ce que nous disent les responsables du projet Tuungane d’IRC, qui a généralisé une approche participative pour reconstruire les communautés (et leurs services de santé) dans l’Est de la RDC, et le Dr. Canut du Burundi qui nous montre comment les agents de santé communautaires peuvent devenir d’importants auxiliaires du système de santé, si ils sont correctement incités. La participation communautaire ne s’improvise pas, l’exemple des ASACO du Mali nous montre qu’un investissement soutenu et une solide organisation sont nécessaires pour faire perdurer le système. Une fois dépassée la vision naïve qu'on pourrait avoir de la communauté (cette dernière va, ex nihilo, subitement s’organiser pour améliorer sa santé), le défi semble être de favoriser la participation en trouvant des façons de l’induire et de la maintenir, sans pour autant la manipuler.

Dans cette optique, la recherche est toujours balbutiante et plus d’études sont nécessaires, probablement en utilisant des méthodes mixtes qui vont au-delà de la simple étude de cas. Il est essentiel de mieux comprendre le lien entre les structures de santé et leurs usagers. Comment se construit la participation des populations? Comment mène-t-elle (ou non) à une amélioration de leur santé? Si le processus n’est pas linéaire, comment en rendre compte? Vingt-sept ans après l'Initiative de Bamako, nous en savons toujours très peu sur l’impact des stratégies de participation communautaire sur la santé et l’accès à la santé des populations ; surtout en comparaison aux études sur d’autres grandes stratégies de global health comme les mutuelles, le financement basé sur la performance, ou encore la gratuité.

L'éléphant dans la salle de cette série, c'est la question du pouvoir. La participation communautaire est fondamentalement une question de pouvoir, disputé entre staff médical, autorités médicale et population, ou au sein de la population elle-même. Elle ne se limite pas non plus au strict cadre médical. L'aventure malienne, la chronologie de la mise en place des mécanismes de participation communautaire en Ouganda, ou le système ASACO nous rappellent que la participation est ‘politique’, dans le sens de la gestion des affaires publiques. Si ce n’était plus le cas, si la dimension de pouvoir était retirée de la participation communautaire, nous n’aurions plus à faire qu’à un pastiche de participation, une coquille vide qui perdrait rapidement de son intérêt. Plutôt que de continuer à éluder la question du pouvoir et d’habiller la participation communautaire des habits d’une question « technique », il est essentiel de reconnaitre que la question de la participation est fondamentalement celle de la redistribution du pouvoir et des prises de décisions sur l’organisation et les orientations des soins de santé.

Finalement, cette série nous rappelle qu’il n’y a pas de stratégie miracle en santé publique internationale. Comme le financement basé sur la performance, comme la gratuité des soins, et comme toutes les grandes stratégies de global health, la participation communautaire ne peut suffire, à elle seule, à atteindre la santé pour tous. D’abord parce que l’idée doit muter au contact du terrain et ensuite parce qu’elle n’est qu’un élément, qui répond à une partie des questions, et qui doit s’articuler à d’autres stratégies qui répondent à d’autres questions. 


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La contribution des mutuelles au financement de la santé : interview de Bruno Galland

8/29/2013

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Allison Kelley

Lors d’un récent séminaire international organisé par l’Agence Française de Développement, Allison Kelley a interviewé Bruno Galland, Conseiller Thématique sur les mutuelles de santé, Afrique de l’Est et l’Afrique Centrale, au Centre International de Développement et de Recherche (CIDR). La discussion a porté sur les mutuelles de santé, la gouvernance et l’articulation d’une stratégie nationale (et locale) de financement.

AK: Vous êtes un grand expert sur les mutuelles de santé. Quel bilan tirez-vous aujourd’hui de leur état de développement?

BG: En Afrique, et pour les non-salariés, le terme “mutuelle de santé” couvre deux réalités différentes:  il y a des mutuelles à adhésion volontaire, et dans un pays, le Rwanda des mutuelles à adhésion obligatoire. Pour le bilan des mutuelles à adhésion volontaire, tout le monde l’a fait :  elles n’ont pas été au rendez-vous de ce que l’on attendait, probablement parce qu’on en attendait trop : les mutuelles à l’adhésion volontaire qui ne sont pas massivement appuyées par l’Etat ne peuvent pas permettre couvrir efficacement le secteur informel.  

La question des mutuelles a donc logiquement rejoint l’agenda politique de la Couverture Universelle. On peut noter que la majorité des pays qui se posent la question de savoir comment couvrir les populations du secteur informel et agricole, se retournent vers les mutuelles de santé.

Mais ce n’est qu’un aspect du bilan : Il y a les deux faces à la mutualité – la composante financement de la santé/assurance, et la dimension gouvernance participative. Les mutuelles ont été un instrument de régulation efficace (de contrepouvoir) des conditions de la délivrance des soins.  Un effet des mutuelles promus par le CIDR , documenté au Benin dans une évaluation faite avec l’Université de Montréal, est l’abolition des pratiques parallèles préexistantes. On voit bien que l’organisation des usagers, la contractualisation avec les prestataires, les mécanismes de contrôle sont un élément de régulation.

Dans ce contexte hautement politique de la Couverture Universelle en santé, quel rôle voyez-vous pour les mutuelles?

Si on parle de la Couverture Universelle dans un pays donné, il faut couvrir le secteur informel – la question est « comment ? »

Quand on parle de l’assurance, on parle de risques. La première priorité c’est d’abord d’essayer de diminuer le risque de tomber malade et celui de ne pas avoir de recours possible (c’est-à-dire des soins d’une qualité acceptable). Alors là, on rentre dans des questions qui traitent à l’organisation des systèmes de santé, mais on va rejoindre celle des mutuelles. Pourquoi ? Par ce que depuis des années, on a des problèmes de personnel qui sont souvent de qualification et en nombre insuffisants, mais qui sont aussi des problèmes de gestion et de gouvernance. Le deuxième problème qu’on n’arrive pas à résoudre– celui des médicaments – c’est bien un problème de financement, mais encore une question de capacité de  gestion et de manque de gouvernance.  Donc finalement on bute toujours sur cette question – celle de la régulation administrée d’un système de santé. J’observe  qu’ en Afrique, cette régulation administrée seule,  ne fonctionne pas ou mal ; il n’y a pas de redevabilité.  Avec les mutuelles – et c’est pour ça qu’elles doivent garder leur autonomie – il  est possible d’avoir une régulation par la demande, une régulation contractualisée, d’être au service de l’amélioration de la qualité. Je ne dis pas que la régulation contractuelle peut remplacer la régulation administrée, mais c’est surement dans une combinaison des deux qu’on aura des sauts qualificatifs en matière de gouvernance et de régulation des systèmes de santé.

On voit énormément de fragmentation en ce qui concerne les mécanismes de financement dans un même pays – quelle vision avez-vous pour plus de cohérence?

Il faut arrêter de prêcher chacun pour son école. En matière de financement de la santé, il y a de la place pour tout le monde. Il faut avoir une approche globale et cohérente. Elle doit se définir au niveau national et se gérer au niveau local. Les mutuelles, elles ont une place dans un dispositif cohérent d’organisation des soins et de gestion professionnelle des mécanismes de financement.

Pour des raisons de santé publique ou d’équité, on peut instaurer des  « poches » de gratuité, pour certaines maladies, ….ou  pour des catégories de la population. Il faut y aller petit à petit selon les ressources disponibles car l’addition des poches de gratuité peut avoir un coût difficilement supportable par les finances publiques et l’aide internationale.  Et il y aura encore une place pour des mécanismes de partage de risque. Et bien sûr il y aura toujours ceux qui ne peuvent pas payer leurs soins au moment de se faire soigner et pour lesquels il faut un mécanisme spécifique de partage des risques.

Il y a de la place pour tout le monde ! Ce qui se passe aujourd’hui est que nous sommes dans la politique du roitelet : un bailleur « Je prends une province pour financer  par exemple un Financement Basé sur les Résultats » et en ‘chasse’ les autres ; un autre dit « je prends en charge les indigents » ; il y a un troisième qui dit « je vais faire des mutuelles ». Rares sont les pays où ces différents mécanismes de financement sont associés de façon cohérente. Chaque bailleur développe des mécanismes coûteux de gestion et de contrôle de son financement.

N’oublions pas que quand on aide les gens à monter une mutuelle, on crée des capacités de gestion, une capacité à acheter des soins, à identifier des personnes éligibles (les ayants droit) , à contrôler leur consommation, et à rendre compte des cotisations qui leur ont été confiées. La professionnalisation de la gestion est aussi un élément de leur efficacité.

Cette capacité de gestion – on la met en place sur la base des cotisations des membres dans un premier temps, mais on peut tout à fait l’adapter à la gestion d’autres mécanismes de financement. C’est ce qui a été fait aux Comores où le même service de gestion gère de la micro-assurance et un fonds d’achat de la performance (financé par l’AFD dans le cadre du programme PASCO).

Le coût de la gratuité des soins ne se limite pas à ce qu’on va donner aux prestataires ; il y a aussi un coût de gestion, et tant qu’on n’aura pas accepté que la gestion d’un mécanisme de financement a un coût, on n’avancera pas. Le bon sens en termes d’efficience est d’essayer de mutualiser ces coûts. La vision est d’avoir des financements intégrés des systèmes de soins au niveau local : par exemple des poches de gratuité, pour les 0 à 5 ans, les malades du SIDA ou pour d’autres maladies ciblées, et pour les indigents, ,et un système d’assurance pour ceux qui ne sont pas éligibles à ces mécanismes de gratuité mais ont une capacité contributive.

La cohérence elle doit être aussi bien au niveau des politiques nationales, dans la conception et la mise en cohérence de ces différents mécanismes de financement que locale dans leur gestion intégrée. En développant des dispositifs décentralisés et intégrés de gestion qu’on peut améliorer l’efficience de la gestion de ces mécanismes. On peut le faire en commençant avec des mutuelles ou avec d’autres mécanismes de financement. Il s’agit d’un investissement à moyen terme.

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L'Initiative de Bamako 25 ans après - une réflection personnelle

7/13/2013

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Notre série sur les 25 ans de l'Initiative de Bamako touche progressivement à sa fin. Nous avons invité Sophie Witter (Université d'Aberdeen) à partager quelques réflexions sur l'Initiative de Bamako. Dans les semaines à venir, nous présenterons deux dernières interviews et quelques réflexions pour conclure (SCOOP: nous avons trouvé un des pères inconnus de l'Initiative de Bamako, qui, soit dit en passant, va répondre à certaines des questions soulevées par Sophie Witter).

Comme l'appel lancé à l’occasion de l’anniversaire de la déclaration le dit, l'Initiative de Bamako de 1987 a porté sur deux idées: (1) l'introduction (ou la formalisation) des frais d'utilisation et (2) la participation communautaire dans la gestion des ressources, dont les médicaments essentiels qui sont désormais vendus aux utilisateurs. Même si la facturation des frais d’utilisation aux utilisateurs a peut-être été une réponse nécessaire au moment où les dépenses publiques dans les secteurs sociaux s’effondraient, il y a toujours eu pour moi quelque chose d’un peu particulier à lier ces deux idées (la facturation des services à la population d'un côté et la participation communautaire de l'autre).

Au fil des années et des décennies qui ont suivi, les deux ont semblé se confondre, de telle façon que le paiement des services par la population a été assimilé à leur participation. Si les gens n’étaient pas obligés de payer, ils n’auraient quelque part pas le droit de droit de participer à la gestion des services publics. La réflexion allait un peu dans ce sens. Mais pourquoi? Je dirais que:

1. L'implication dans la gestion est une variable indépendante - si vous voulez que les gens se joigne à des comités, aient de l’influence sur les priorités ou participent à des activités communautaires, allez de l'avant, c’est très bien. Que les gens paient pour des services n'a aucune incidence sur cette question. Lorsque les services sont financés publiquement, les utilisateurs sont toujours des contribuables et des citoyens. Ils ont tout autant le droit d'influer sur la façon dont les services sont fournis.

2. Si vous devez faire payer les services parce que vous n'avez pas suffisamment de fonds, dites-le directement. Reconnaissez que c'est un mal nécessaire, qui sera, espérons-le, temporaire. Ne déguisons pas cela avec les avantages imaginaires de la participation communautaire.

3. Si la participation est une tellement bonne chose, pourquoi est-elle limitée aux zones défavorisées et aux populations pauvres? L'Initiative de Bamako se concentrait sur les districts ruraux, qui étaient ceux en substance ceux qui ne recevaient pas beaucoup de financement public. Ainsi, ceux qui pouvaient le moins se permettre de payer payaient, tandis que les zones urbaines pourraient se tourner vers des hôpitaux mieux financés, dont on ne s'attendait pas à ce qu’ils soient gérés par la population.

4. Nous avons besoin de reconnaître que s'impliquer dans la gestion des ressources et d'autres fonctions a des coûts très réels pour les participants. Ceux que vous voudriez voir les plus représentés sont ceux qui ont le moins de temps à perdre. En particulier, les pauvres et les femmes sont pauvres en temps – ils luttent pour survivre, ils travaillent, ils essayent de trouver du temps pour élever leurs enfants.

5. Enfin, la participation communautaire - qui, si elle est faite avec tact, peut être un outil précieux pour accroitre responsabilité du fournisseur de services - a besoin de fonctionner avec une bonne supervision, une réglementation, et en définissant les bonnes incitations pour les structures de santé et leur personnel. Si le système local de soins de santé publique est basé sur l'argent de la vente de médicaments et de services, car il l'était sous l'Initiative de Bamako, alors aucun comité d'usagers ne sera en mesure de protéger les patients contre les abus.

Alors que nous considérons rétrospectivement l'Initiative de Bamako, réfléchissons sur la pensée confuse qui allait avec, et réjouissons-nous d’entrer dans une ère où il y a un plus grand engagement national et international, pour tendre vers la couverture universelle, avec plus de financement public des services de santé essentiels. Confrontons-nous aux défis cruciaux d’une plus grande responsabilisation des fournisseurs de services et de la participation réelle - et non pas à la sorte de participation qui signifiait que vous deviez payer si vous vouliez que votre enfant survive.


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Financement basé sur la performance: l'enjeu du secret professionnel

7/1/2013

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Joël Arthur Kiendrébéogo

Le lundi 11 mars 2013, Joël Arthur Kiendrébéogo (AEDES, Tchad), médecin et économiste de la santé, partageait sur le groupe de discussion en ligne de la Communauté de Pratique PBF (CoP PBF) sa préoccupation sur la protection des informations médicales utilisées pour les activités de vérification dans le cadre du PBF. Son message suscita un riche débat où expériences et réflexions furent échangées. Dans cet article, Joël revient sur la question, résume les différentes propositions échangées par les membres de la CoP et formule des recommandations.

1.      La problématique du secret médical 

« Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret », affirmait Louis Portes, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins en France, lors d’une Communication à l’Académie des sciences morales et politiques le 5 juin 1950. Cette préoccupation autour de la question de la protection des informations médicales remonte aux origines de la profession médicale. Ainsi le serment d’Hippocrate, vieux d’au moins 2300 ans et que prononce tout médecin avant son entrée en fonction, stipule selon sa version dite de Montpellier que «… Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne servira pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le crime… ». Mais on préfère de plus en plus le terme de « secret professionnel » à celui usuel de « secret médical » pour souligner que cette obligation de secret n’est pas propre aux médecins mais s’applique aussi à tout professionnel de santé ou tout professionnel travaillant dans le système de santé (personnel administratif, assistants sociaux, psychologues etc.) et en dehors (avocats, magistrats etc.). Le code pénal français dans ses articles 226-13 et 226-14, en vigueur depuis le 1er janvier 2002, ne mentionne même plus de profession spécifique, mais parle d’ « informations à caractère secret » détenue par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire.

Pourquoi cette confidentialité est-elle importante ? 

Pour des raisons d’ordre professionnel, éthique et légal! 

La confiance du patient envers le professionnel de santé est indispensable pour que le premier révèle au second des informations cliniques importantes afin qu’un bon diagnostic puisse être posé et un traitement adéquat prescrit. La qualité des soins est donc directement en jeu ici. La rupture de la clause de confidentialité peut également faire baisser les taux de fréquentation en entraînant une attitude de méfiance de la population vis-à-vis des soins de santé modernes. Elle préfèrerait en effet rester sans soins ou se tourner vers du personnel non qualifié, ou encore s’adonner à l’automédication.  

Par ailleurs, respecter le secret c’est respecter la vie privée d’autrui, essentiel pour que le patient puisse garder le contrôle de son image public et soit à l’abri d’éventuelles discriminations. La maladie peut en effet constituer un handicap dans sa vie personnelle, sociale et/ou professionnelle. A ce titre, la confidentialité peut être considérée comme un aspect du principe éthique élémentaire du « primum non nocere » (ne pas nuire avant tout) d’Hippocrate que tout professionnel de santé devrait garder en tête dans l’exercice quotidien de ses fonctions.

La confidentialité permet enfin le respect de l’autonomie du patient. Ses données médicales lui appartiennent avant tout et il a le droit de déterminer qui peut avoir accès ou non aux informations le concernant. Ce droit demeure même après sa mort, et sa violation, même sans intention de nuire, est réprimandée.

Confidentialité pour confidentialité ?

Assurément non, car cette confidentialité n’est pas toujours absolue et des dilemmes peuvent se poser aussi bien sur le plan légal (à l’origine parfois de jurisprudence), éthique ou professionnel. Il existe en effet des situations où la loi peut autoriser ou même imposer la révélation d’informations à caractère secret, mais à des personnes autorisées. Il s’agit par exemple de permettre à certains fonctionnaires de remplir une mission d’intérêt général (rôle de régulation du système de santé) ; ou encore de certaines situations pouvant constituer une menace à la santé publique et/ou à l’ordre public (maladies à potentiel épidémique, psychiatriques…). L’enjeu dans ces cas est plus souvent de contrebalancer l’intérêt public avec la violation ou non du secret. La décision est alors prise en fonction des enjeux particuliers et des contextes spécifiques.

2.      Le secret professionnel dans le cadre du PBF

La mise en œuvre d’une politique de PBF dans la santé soulève de nombreuses interrogations relatives à la confidentialité des données à caractère civil et médical. Lors de notre discussion, les membres de la CoP PBF ont reconnu que la question mérite attention et devrait être constamment prise en compte. Comme déjà mentionné ci-dessus, le non-respect de la confidentialité peut entraîner, au-delà des questions purement légales et éthiques, des problèmes dans la démarche diagnostique et une désaffection des structures sanitaires ; ce qui toucherait même le cœur du PBF dont l'objectif est justement l’amélioration de la santé, par un accroissement de l’utilisation et de la qualité des services de santé. Le problème se pose essentiellement au niveau de la capitale activité de vérification qui concerne plusieurs entités et volets : (i) les structures sanitaires, au plan quantité et qualité (avec parfois contre-vérification) ; (ii) la communauté, pour contrôler la véracité des données fournies par les formations sanitaires et recueillir le niveau de satisfaction de la population par rapport aux soins reçus.

La problématique n’est pas la même dans chacun des cas et selon la nature des informations à vérifier. C’est habituellement avec les indicateurs de la Santé de la Reproduction (planification familiale,  infections sexuellement transmissibles et VIH/SIDA…) que les problèmes d’ordre éthique et de confidentialité se posent le plus. Même si le montage institutionnel peut varier selon les pays, les vérifications quantitatives sont souvent assurées par des agences de contractualisation et vérification (ACV) et les contre-vérifications par des ONG. Quant à la revue de la qualité, elle est généralement assurée par les autorités sanitaires,  les pairs ou les ACV. La vérification communautaire, elle, est souvent faite par des organisations à base communautaire (OBC).

Au total, nous avons comme acteurs intervenant dans les activités de vérification :

-          les autorités sanitaires superviseurs ;

-          les pairs évaluateurs (habituellement des médecins) ;

-          les agents vérificateurs et/ou contre-vérificateurs des ACV et des ONG ;

-          les enquêteurs des OBC.

Cette pluralité des acteurs est en elle-même une menace à la confidentialité des données, impliquant une plus grande prudence et la prise d’un minimum de dispositions.  

3.      Les points de vue et propositions des membres de la CoP PBF

Des discussions qui se sont tenues sur le forum, on peut globalement retenir les points suivants :

Au niveau des autorités sanitaires et des pairs

A priori, le problème ne se pose pas à leur niveau puisqu’en règle générale, des dispositifs législatifs et règlementaires leur donne accès, dans le respect de règles déontologiques, à certaines informations pour pouvoir remplir leurs missions d’intérêt général. Par ailleurs, il s’agit souvent d’agents déjà liés par le serment de confidentialité.

Au niveau des agences de contractualisation et de vérification et des ONG

L’importance que la vérification quantitative soit assurée par des vérificateurs qui soient des professionnels de santé (et qui ont donc prêté serment de confidentialité) a été souligné par plusieurs membres de la CoP comme Robert Soeters (SINA Health, Pays-Bas), Olivier Basenya (Coordinateur adjoint de la cellule PBF, Burundi), Jean Paul Niyibigira (Université de Liverpool, UK) et Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers). Mais Michel Muvudi (UE, 10ème FED, RDC) et Leonard Ntakarutimana (Institut National de Santé Publique, Burundi) pensent que cela n’est pas suffisant. Le premier estime en effet qu’ils ne sont pas dans l'exercice d'une fonction à proprement parler médicale mais de contrôle, et  qu’il serait donc judicieux de leur faire signer une clause de confidentialité avant leur mission. Le second quant à lui estime que toutes les parties prenantes à l’évaluation des activités PBF devraient être constamment sensibilisées à cette question et que les différents textes législatifs nationaux devraient être renforcés et appliqués avec plus de rigueur.  

Au niveau des organisations et associations à base communautaire

C’est à leur niveau que la question devient beaucoup plus complexe. Comme l’ont souligné Maria Paalman (Maria Paalman Health Consultancy, Pays-Bas) et Olivier Basenya, même si les enquêteurs ne sont pas au courant du diagnostic posé, les personnes interrogées lors des enquêtes communautaires peuvent légitimement se demander d'où ont été tirées des informations les concernant. En plus ces enquêtes ne sont habituellement pas réalisées par des professionnels de santé assermentés. C'est pourquoi la tendance générale est de se limiter, au niveau communautaire, aux prestations qui ne posent pas beaucoup de problèmes éthiques, comme les consultations externes, la vaccination ou les accouchements.

L’avantage d’utiliser des associations locales fait aussi son inconvénient, pour Michel Muvudi et Maria Paalman. En effet si elles sont les mieux placées pour retrouver plus facilement les clients, le problème de la confidentialité se pose avec beaucoup plus d’acuité avec elles, d’autant plus qu’elles sont constituées habituellement de personnes ayant des charges sociales particulières dans ces communautés (pasteur, responsable de groupe, conseiller, enseignant...). La solution trouvée par l’Université de Zambie face à ce dilemme, et rapportée par Maria Paalman, est de confier dans un premier temps à un volontaire issu de la communauté une liste des patients échantillonnés à enquêter avec uniquement leurs noms et adresses (sans aucune information sur le service fourni). Celui-ci tentera alors de les retrouver, de leur expliquer le but de l’étude et requerra leur consentement à y participer. En l’absence d’objection, un rendez-vous est pris et l’enquête proprement dite est réalisée dans un second temps par d’autres enquêteurs issus d’un autre village que celui des enquêtés.

Le Burundi, d’après le témoignage de Olivier Basenya et de Jean-Paul Niyibigira, a clairement choisi d’exclure des enquêtes communautaires les prestations qui posent manifestement problème (infections sexuellement transmissibles, VIH et planning familial). Mais des réflexions seraient en cours, en ce qui concerne le VIH, pour confier les enquêtes à des associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA. Malam Issa Inoussa (Cordaid, Soudan du Sud) soutient l’idée car il pourrait déjà exister au sein de ces groupes des activités de soutien à domicile ou de recherche active de perdus de vue. Il pense alors que travailler avec ces structures pourraient faciliter les choses et amoindrir la question  de la confidentialité. Mais Leonard Ntakarutimana, sans apporter une proposition concrète au problème, juge que ces manières de faire (ne pas vérifier les activités sensibles ou les confier à des associations de malades), si elles permettent de contourner un problème, en crée d’autres : d’une part les biais qu’entraîne la non inclusion des problèmes de santé concernés ; et d’autre part la stigmatisation dont pourrait faire l’objet les personnes vivant avec le VIH et les membres de ces associations en cas de conduite d’enquêtes spécifiques.

Nancy Fitch (EGPAF, USA) a rapporté l’expérience du Mozambique, en matière de visite à domicile des personnes vivant avec le VIH, où des agents de santé communautaires bien formés sont sollicités. La confidentialité reste au cœur de leurs activités, ce qui n’empêche pas d’observer (en dehors de toute politique de PBF) qu’au moins 10% des patients donnent de fausses adresses pour préserver leur anonymat et se préserver de la stigmatisation.

Deux pistes ont été proposées pour résoudre le problème en rapport avec la vérification communautaire. La première, émise par Floride Niyuhire (MSH, USA), consiste à renforcer le système de vérification quantitatif et qualitatif au niveau des formations sanitaires afin de le rendre plus sûr et plus efficace, de sorte que l’enquête communautaire puisse être assimilée à une simple enquête de satisfaction. La seconde, évoquée par Nancy Fitch et Bruno Meessen, a trait au recours à des enquêtes téléphoniques, qui permettraient en plus de réduire les questions de stigmatisation et de confidentialité les coûts des enquêtes. Pour ce faire l’accord du patient devrait auparavant être obtenu au moment où il donne un numéro de portable au personnel de la formation sanitaire. L’utilisation du logiciel EpiSurveyor (Magpi) a également été suggérée.    

Les dispositifs juridiques et règlementaires

La question du droit est assez complexe car les textes législatifs sont habituellement intriqués. En effet, en dehors de spécificités nationales, la violation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire peut être punie aux plans pénal, disciplinaire, civil et administratif. Si l’infraction pénale peut frapper tout citoyen, la faute déontologique intéresse un corps de métier donné et toutes deux peuvent ouvrir droit à des sanctions administratives et/ou à une indemnisation pour préjudice moral subi.

A défaut (ou dans l’attente) d’une disposition légale autorisant explicitement les vérificateurs à accéder aux informations médicales, Bruno Meessen propose de s’en remettre à la « jurisprudence » locale car les experts des projets PBF ne sont pas les seuls « a priori non autorisés » à consulter les registres des formations sanitaires dans le cadre de leurs activités. Mais il faudrait si possible requérir au préalable les avis des autorités sanitaires nationales et ceux des comités d’éthique pour la recherche en santé dans les différents pays. Leur implication dès la phase de conception des activités de vérification permettrait, selon Alex Hakuzimana, de résoudre déjà beaucoup de problèmes.

4.      Quels enseignements tirer ?

Le respect du secret professionnel reste au cœur de toute activité d’ordre médical pour des raisons professionnelles, légales et éthiques. Sa violation peut fragiliser le système de santé et avoir des effets contraires aux objectifs du PBF (désaffection des services de soins modernes). Les parties prenantes à la mise en œuvre des politiques de PBF à travers les pays doivent donc porter une attention particulière à la question. C’est surtout au niveau des enquêtes communautaires que les problèmes les plus complexes se posent. Celles-ci sont en effet réalisées par des non professionnels de santé issus des communautés qu’elles enquêtent, faisant que des indicateurs sensibles comme les infections sexuellement transmissibles, le VIH ou la planification familiale sont généralement exclus des champs d’investigation. Les vérificateurs et contre-vérificateurs des ACV et des ONG ne sont pas les seuls à accéder aux registres des patients dans les formations sanitaires. Les agents des mutuelles de santé ou encore les chercheurs et les enquêteurs qu’ils recrutent (pour ne citer qu’eux) y accèdent également ; ce qui nuance quelque peu le problème sans le résoudre dans le fond.

En réalité, la question du droit en rapport avec les activités de vérification et la confidentialité dans le cadre du PBF reste un peu virtuelle en Afrique subsaharienne, particulièrement en zone rurale, du fait du faible niveau d’éducation des populations.

Par ailleurs les Etats n’ont pas toujours la capacité ni les moyens de faire respecter les lois et les règlements en la matière (quand ils existent). Les priorités semblent ailleurs. Mais cela ne doit pas constituer des motifs de négligence de notre côté : c’est justement parce que les patients sont peu à même de se défendre par eux-mêmes, que nous devons redoubler d’effort aujourd’hui pour renforcer notre attention et mettre en œuvre des dispositions claires.

5.      Recommandations générales

A la lumière des enseignements que nous venons de tirer, nous formulons les recommandations générales suivantes qui pourront être analysées et éventuellement adaptées aux différents contextes particuliers :

En ce qui concerne la législation et les règlements

Initier des ateliers de réflexion sur le sujet de la confidentialité des informations médicales dans le cadre du PBF, regroupant des professionnels du droit, le Ministère de la santé, les comités d’éthiques, les associations professionnelles médicales et paramédicale (Ordres des médecins, des pharmaciens, des infirmiers…), etc.

En ce qui concerne les agents vérificateurs ou contre-vérificateurs des agences de contractualisation et des ONG

-          Recruter des professionnels de santé déjà liés à un serment de confidentialité.

-          Inclure une clause de confidentialité dans leurs contrats de prestation de services.

-          Mener régulièrement à leur endroit des activités de sensibilisation sur la question.

En ce qui concerne la vérification communautaire

-          Inclure une clause de confidentialité dans les contrats de prestation de services des organisations et associations devant mener ces vérifications.

-          Mener régulièrement à leur endroit des activités de sensibilisation sur la question.

-          Elaborer distinctement et de façon concertée des protocoles de vérification communautaire distinguant les indicateurs jugés sensibles de ceux posant moins de problèmes éthiques, en évitant de reprendre l’information sur les diagnostics ou qui permettrait de les inférer.

-          Confier la vérification des indicateurs jugés sensibles à des organisations ou associations « spécialisées » comme celles des personnes vivant avec le VIH, compétentes et ayant fait leurs preuves, en veillant à ce que cette vérification entre dans le cadre de leurs activités routinières pour minimiser les risques de stigmatisation.

-          Encourager et organiser, quand c’est possible, l’utilisation des téléphones portables ou de logiciels comme EpiSurveyor (Magpi) pour mener les enquêtes communautaires.

En général, nous devons peut-être mettre en place un groupe de travail sur cette question. Il pourrait continuer à compiler les bonnes pratiques et veiller à leur bon partage entre pays. Qu'en pensez-vous? Intéressé?


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Participation communautaire en Afrique: "ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie" - Entretien avec Fred Golooba-Mutebi.

5/17/2013

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25 ans après l'Initiative de Bamako, nous continuons notre exploration de la participation communautaire en Afrique. Le Dr. Frederick Golooba-Mutebi est politologue, il est Senior Research Fellow à l'École de l'Environnement et du Développement de l'Université de Manchester et chercheur associé au Programme sur la Politique Energétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute de Londres. Il a publié de nombreux articles sur le système de santé et la gouvernance locale, avec une concentration particulière sur l'Ouganda, le Rwanda, le Sud Soudan et l’Afrique du Sud.

Jean-Benoît Falisse: Vous avez travaillé sur les questions de participation communautaire depuis quelques années maintenant. Qu’est ce qui a déclenché votre intérêt pour ce sujet?

Fred Golooba-Mutebi:
Mon intérêt découle de la connaissance que j'avais de la façon dont la société dans laquelle je suis né fonctionne. En ayant grandi dans cette société, je savais à peu près comment les gens ressentaient et pensaient différentes choses. Un aspect clé de la participation est qu'elle suppose que les communautés, où qu'elles se trouvent, on toujours envie de s'affirmer vis-à-vis de leur dirigeants ou de personnes en position de pouvoir et d'autorité. Ma propre société est très hiérarchisée. Les gens traitent généralement leurs leaders avec déférence. Même lorsque l'on ne respecte pas un leader ou que l’on a un problème avec lui, on est plus susceptible d'éviter ce leader que de l’affronter. L'idée de la participation, avec des gens qui demandent des comptes à leurs dirigeants, est donc une proposition difficile. Traditionnellement, les dirigeants locaux ne rendaient pas directement compte à la communauté. Ils rendaient compte à leurs chefs, aux supérieurs de ceux-ci, et finalement au roi. En des temps éloignés (durant la période précoloniale), avant que la région où je suis né ne devienne plus peuplée, les gens pouvaient facilement déménager d'une région à l'autre. Cette possibilité leur permettait de quitter les zones présidées par des dirigeants qu'ils n'aimaient pour aller dans des zones avec des dirigeants qui avaient la réputation d'être bon. Pour un dirigeant, la conséquence d’être rejeté par la population qui avait « voté avec ses pieds » était souvent d’être finalement destitué par le roi. En bref, ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie de la participation populaire. Cela a déclenché chez moi un intérêt pour moi pour étudier dans quelle mesure cette participation restait possible. J'ai trouvé que cela ne l’était pas vraiment. Qu'on le veuille ou non, les traditions et les manières de voir et de faire les choses vivent très longtemps.

La participation communautaire est un principe clé de l'Initiative de Bamako. Aujourd'hui, il semble que l'Initiative de Bamako n'a pas atteint ses objectifs. Quelles en sont les principales raisons d’après vous?

Il y a plusieurs raisons. La première est que la prestation de services en matière de soins de santé échoue en raison de facteurs qui vont bien au-delà de ce à quoi la participation peut répondre ou de ce qu’elle peut rectifier. Je pense par exemple à la disponibilité des médicaments et des ressources humaines dans les zones rurales et à la supervision professionnelle nécessaire à la prestation des soins selon les normes établies. L'idée de vouloir «capturer» pour le secteur public l’argent que les gens dépensaient dans les prestations privées était une bonne chose. Cependant, la faiblesse de l’Initiative de Bamako réside dans l'hypothèse que les gens seraient autant disposés à payer pour des soins dans les établissements publics que dans des établissements privés. L’expérience en Ouganda a montré que ce n'était certainement pas le cas. Pour beaucoup de gens pauvres, payer pour les soins dans les établissements publics en plus de payer des impôts était une contradiction dans les termes. « Pourquoi payer des impôts et ensuite payer pour des services publics? » Les gens savaient que la vocation des propriétaires d'établissements privés était de «faire des affaires» et donc de faire un profit, mais l'idée que les établissements publics fassent de même était en conflit avec la compréhension de beaucoup de gens de ce que les gouvernements sont censés faire, qui est de fournir des services de soins de santé gratuits. Plutôt que de payer pour des services publics de qualité inférieure, les gens préfèrent naturellement une prestation privée de meilleure qualité et plus réactive. La prolifération des établissements privés de toutes sortes rend la possibilité de «sortir» (exit) de l'offre publique assez facile. Sur les marchés de la santé peu réglementés des pays pauvres, les prestataires privés sont plus qu'heureux de fournir à leurs clients les services qu'ils veulent, pas nécessairement ceux dont ils ont besoin. Dans les années 1990, Susan Reynolds Whyte a constaté que, dans les régions rurales en Ouganda, les gens pouvaient se présenter dans les « pharmacies » et demander ce qu'ils voulaient comme médicaments, dans les proportions qu'ils s'étaient fixés, et en cohérence avec le montant d'argent qu'ils avaient. L'Initiative de Bamako est donc en deçà de ses aspirations parce qu'elle était fondée sur des présomptions plausibles mais discutables.

Pourquoi des propositions de participation communautaires telle que l'Initiative de Bamako apparaissent-elles à la fin des années 80 '? Pourraient / devraient elles avoir été conçues différemment?

Ces initiatives sont apparues au moment où il y avait un besoin urgent de changement. L'offre publique de services de santé dans la plupart des pays en développement était catastrophique. Il y avait une nécessité d'une réflexion radicale, de trouver les moyens d'aboutir à une amélioration. Oui, ces stratégies auraient pu être conçues différemment. Le principal problème, pour autant que je le comprenne, était l’approche « one-size-fits-all » (« taille unique »), suivant laquelle des initiatives de développement sont introduites dans tous les pays de la même façon, sans égard à aucune considération contextuelle. Clairement, chaque pays est différent, et tous les pays ne peuvent pas suivre le même chemin, dans les mêmes voies prédéterminées et promues par l'industrie du développement. Chaque pays devrait essayer de faire ce qui convient à son contexte plutôt que de s’aligner sur les soi-disant «bonnes pratiques». Si des pays comme le Rwanda ont eu plus de succès que d'autres dans la réforme de leurs systèmes de santé et de leur économie, c'est parce que, comme la recherche du Programme politique énergétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute l’a découvert, ils ont choisi le « meilleur ajustement » (best fit) plutôt que pour les « meilleures pratiques » (best practices). Ces expériences nous fournissent des arguments pour remettre en cause la tendance au sein de l'industrie du développement à promouvoir des solutions universalistes aux problèmes de développement et de gouvernance.

Vous avez été une voix critique de la participation communautaire et vous venez d'Ouganda - contrairement à un bon nombre d'éminents chercheurs sur la participation de la communauté qui viennent de l'Amérique du Nord / Europe de l'Ouest. Pensez-vous qu'il y a une "doxa" (occidentale) de la participation communautaire? Était-ce surtout une lubie des bailleurs de fonds?

Comme je l'ai dit au début, mon scepticisme quant à la participation découle de ma compréhension de la façon dont la communauté dans laquelle je suis né et ai grandi fonctionne, et comment des choses telles que le leadership y sont comprises. Il n'a jamais été tiré d’une théorisation de ce qui est bon pour les communautés pauvres. Le problème avec l'industrie du développement est qu'elle est dominée par des théoriciens dont la compréhension du monde ou des mondes qu'ils veulent changer ou améliorer est limitée et informée par des visites de courte durée et dans par des interactions superficielles avec les personnes dont ils veulent améliorer l’existence. Il me semble que le problème est vraiment le libéralisme naïf des étrangers bien intentionnés mais mal orientés qui travaillent avec des initiés locaux (des insiders) qui sont trop disposés à jouer le jeu sans se poser de sérieuses questions. À mon avis, les Rwandais sont vraiment dans le bon en refusant d'être traînés/accompagnés de force, en remettant en question et en rejetant ce qu'ils croient ne fonctionnera pas pour eux et en choisissant ce qui fonctionne pour eux.

Pensez-vous qu'il serait judicieux d'envisager d'utiliser des mécanismes de participation communautaire en Amérique du Nord / Europe de l'Ouest?

Je ne le pense pas. Les mécanismes participatifs exigent beaucoup de temps des gens. Vous ne pouvez pas attendre des gens dans une communauté qu’ils organisent toutes ces réunions et prennent toutes les décisions; quel temps leur reste-t-il pour vivre? J'ai vécu en Europe. Je n'ai jamais été assis dans une seule réunion communautaire et si quelqu'un avait exigé moi d'assister à autant de réunions que ce que l’on demande à ma mère dans notre village en Ouganda, je n'aurais jamais eu le temps de le faire. Ma mère assiste à très peu de réunions pour les mêmes raisons.  Dans les quartiers de Londres où j'ai vécu, les services fonctionnaient parce que le Royaume-Uni dispose d'un Etat qui  fonctionne. C'est de cela que l'Afrique et le monde en développement a besoin, et non de la participation communautaire. Cela ne veut pas dire que la participation n'a pas de valeur. Elle peut renforcer un Etat solide dans lequel les gens peuvent se lever et exprimer leur mécontentement quand ils le jugent nécessaire. Cela ne peut marcher que dans un contexte où l'Etat est réactif. Sinon, les gens ne voient pas de raison de s'engager dans une action citoyenne qui ne donne aucun résultat.

Si je comprends bien, la participation communautaire dans les services sociaux en Ouganda a également été très fortement encouragée par l'Etat. Quelle en était la raison? Est-ce que cela n’a pas un peu plus affaibli l'Etat?


En tant que mode de développement, la participation a coïncidé avec la montée en puissance du Mouvement de résistance nationale (NRM). La direction du NRM avait testé l'intérêt des citoyens à participer à la prise de décision pendant la guerre civile quand ils ont organisé les citoyens en conseils locaux afin de leur permettre de prendre en main des choses telles que la sécurité ou le recrutement de soldats dans les zones qu’ils contrôlaient. Ces arrangements ont assez bien fonctionné et le NRM a cherché à les appliquer à la gouvernance d'après-guerre, une fois qu'il a pris le pouvoir. Le fait que ces arrangements offraient une fenêtre d’opportunité pour pénétrer les campagnes, saper les structures traditionnelles d’autorité, et renforcer leur Etat central n’est pas étranger au choix de cette stratégie. En outre, la prise du pouvoir du NRM coïncide avec la période du début de l'après-guerre froide quand la démocratisation et l'accompagnement des phénomènes tels que la décentralisation étaient à l'ordre du jour des donateurs. En ce sens, il y avait une coïncidence d'intérêts entre la direction du NRM et la communauté des donateurs. Deux décennies plus tard, nous savons qu'il y a eu beaucoup de naïveté en supposant que les gens ordinaires voulaient et étaient capables de surveiller leurs dirigeants et de diriger leurs services de base. Je ne pense pas que la participation affaiblit l'Etat, c’est plutôt qu’elle ne fait rien pour renforcer des Etats déjà faibles. Elle a permis à certains gouvernements de se soustraire à leurs responsabilités de faire fonctionner les choses et à mettre la charge sur ses citoyens qui ne possédaient ni l'envie ni la capacité pour le faire.

Dans un article récent, vous affirmez que «la coordination et la supervision verticale et horizontale et la solidité de la mise en place effective de mécanismes de rendre compte» sont les clés de la prestation efficace des services sociaux. Quel est exactement le rôle des communautés là-bas? Quel est l'avenir de la participation communautaire dans la prestation des services sociaux?

Oui, en effet, ce sont les clefs à mon avis. Les communautés devraient avoir des moyens par lesquels elles peuvent mettre la pression sur leurs dirigeants si elles jugent que c’est la chose à faire ce moment. Cela pourrait se produire si, par exemple, elles trouvent que la qualité de la prestation de service est en dessous de leurs attentes. Pour ce faire, des campagnes de sensibilisation doivent être organisées afin de s'assurer que les gens connaissent leurs droits. C'est plus ou moins la situation dans les démocraties occidentales. Les gens ne sont pas obligés - et je dis bien obligés - de participer à la prise de décision à l'échelle où les gens dans les pays pauvres le sont. Toutefois, lorsque les dirigeants prennent des décisions qu'ils jugent inacceptables, ils ont le droit de manifester ou de s'engager dans des formes d'action citoyenne qui leur permettent de transmettre leur message ou messages à ceux à qui ils sont destinés. Cependant, il ne faut pas s'attendre à ce que le changement survienne du jour au lendemain. Le genre de militantisme que nous voyons dans les démocraties avancées s’est enraciné dans de longues périodes de temps.

Il me semble que la participation populaire est rarement considérée comme un acte politique. De votre recherche et d'expérience, diriez-vous que la participation populaire est un acte politique?

Si nous sommes d'accord que la participation est destinée à influencer la prise de décision et dans un même sens l'allocation des ressources, alors il s'agit de faire un choix entre ou parmi des idées concurrentes. C’est donc un acte politique. C'est dans un sens aussi une des raisons pour lesquelles la participation populaire est une proposition difficile dans des contextes où les relations entre les dirigeants et le peuple qu'ils dirigent sont très hiérarchisée et n'entraînent pas de confrontation directe ou de contestation.


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Interview avec Agostino Paganini (2/2): "l'Initiative de Bamako est morte il y a longtemps"

4/26/2013

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La deuxième partie de notre entretien avec le Dr Agostino Paganini nous amène à traiter de l'évolution de l'Initiative de Bamako dans le temps et de sa dimension politique. Après son travail en tant que directeur de l'Initiative de Bamako de l'UNICEF à New-York, le Dr Paganini a continué à travailler avec l'UNICEF en tant que chef d'équipe pour la santé dans les situations d'urgence et en tant que directeur pays en Somalie. Il a également travaillé comme consultant senior pour la Banque Mondiale et conseille le directeur de CUAMM (Médecins avec l'Afrique). (Vous pouvez accéder à la première partie de l'interview ici)

Avec le recul, certaines personnes disent que le programme de l'Initiative de Bamako a rarement été correctement mis en œuvre. Dans un post sur ce blog et dans un article, Valery Ridde dit même que nous devrions peut-être abolir l'Initiative de Bamako. Comment voyez-vous la mise en œuvre des principes de Bamako jusqu'à maintenant?

Je pense que cette initiative est morte il y a longtemps. Je pense que certains de ces principes sont toujours incroyablement valables et que certains des problèmes auxquels elle tentait de répondre existent toujours. Le problème de la responsabilité publique et de la participation des populations dans la gestion de leur système de santé aurait dû être mieux pris en compte avec plus de démocratie, mais il est toujours laissé sans intérêt dans de nombreux pays africains. Le problème des dépenses « out-of-pocket » sans aucune règle est également toujours extrêmement valable. On peut appeler cela l'Initiative de Bamako ou on peut l’appeler comme on veut, cela n'a pas vraiment d'importance: quelques-uns des problèmes auxquels l'Initiative de Bamako tentait de répondre sont toujours là et certaines des expériences et des principes (dont certains ont été appliqués et certains ont été mal appliqués) sont toujours d'actualité. Mais l'initiative, non, je ne pense pas qu'il existe chose comme l’initiative de Bamako en vie pour le moment. Tout du moins, je n'ai rien vu.

Seriez-vous d'accord avec Susan Rifkin, qui déclare que l'Initiative de Bamako a élargi les horizons de la participation de la communauté? Est-ce que l’utilisation du terme redevabilité communautaire au lieu de participation change quelque chose ?

Soyons clairs, la redevabilité communautaire cela veut dire la redevabilité envers la communauté. La différence avec cette notion c’est que les communautés deviennent propriétaires (« shareholders »). Avant ils payaient sous la table, maintenant ils paient et ils peuvent demander "qu'avez-vous fait de l'argent?", "pourquoi n'avez-vous pas fait ceci ou cela?". C'est la différence entre un processus participatif vague et une représentation et une participation dans la gestion de l'unité de santé. Et c'est quelque chose sur lequel nous devons encore travailler. Les gens n'ont pas voix au chapitre (« voice ») et aucune porte de sortie (« exit ») dans les pays à faible revenu, sauf bien sûr d’aller dans le secteur privé, mais ce n'est pas une option pour les pauvres.

Dans sa récente interview sur ce blog, Sassy Molyneux insiste sur le fait qu'il faut « examiner attentivement la rémunération et les autres formes d'incitations pour les représentants de la communauté, les défis de l'asymétrie entre le personnel de santé et les représentants de la communauté en matière de ressources et de pouvoir, et l'importance de bâtir des relations de confiance ». Pour moi, cela ressemble un peu à considérer la « politique locale » de santé. Il m'a toujours semblé que peu d'attention était portée à la dimension politique dans l’Initiative de Bamako. Nous sommes pourtant dans une sorte de processus politique, non?

Oui, c’est politique. Et ne pas comprendre que c'est politique est la plus grosse erreur que vous pourriez faire. Je pense que dans la communauté de la santé publique, nous sommes parfois très naïfs. Nous pensons à la supervision et à la formation comme les clefs de tout, mais la santé c’est politique. C'est pourquoi les États-Unis ont leur système de santé, et c'est pourquoi les Scandinaves ont un système de santé différent. La science est la science, mais la façon dont la science est disponible ainsi que la qualité et l'équité de l'accès aux soins sont des questions politiques. Nous devons accepter que le chemin pour obtenir des soins de santé de haute qualité et équitables est difficile et que nous ne sommes pas encore là. Il y a encore une énorme asymétrie entre le personnel de santé et la population, et c'est un signe que la démocratie n'est pas encore là. Nous devons commencer à partir de ce problème. Ce que j'ai vu avec l'Initiative de Bamako est une question profondément politique, et non strictement technique. Mais bien sûr, les gens utilisent des choses et des déclarations de différentes manières et ils ont utilisé cette initiative en fonction de leurs propres intérêts et points de vue.

Vingt-cinq ans ont passé. Vous avez une grande expérience des soins de santé primaires dans les pays à faible revenu. Quelles seront les clés pour les soins de santé primaires au cours des 25 prochaines années?

Ce que je vois venir est plus de privatisation et plus d'urbanisation. Les gens semblent trouver dans les zones urbaines et même dans les bidonvilles des opportunités qu'ils n'ont pas dans leurs zones rurales. Certains pays sont de plus en plus avancés dans l'établissement de l'assurance-maladie –ce qui est une excellente chose, je pense. A la fin de mon travail sur l'Initiative de Bamako, nous étions focalisés sur deux choses (il y avait deux équipes). L'une était le monitoring communautaire, car l’information c’est le pouvoir. L'autre était l'assurance locale. L'assurance maladie est un enjeu majeur, mais elle est difficile à établir. Dans de nombreux cas les programmes commencent à l'échelon national, et pourtant, en Europe ce sont des mécanismes de solidarité locaux qui ont été les assurances initiales.

Nous devons travailler sur la responsabilité/redevabilité publique et l’équité. Ce sont les deux domaines clés. Allons-nous dans cette direction? Je ne suis pas sûr. Je pense que dans certains pays, nous le sommes, mais dans la majorité des autres pays, le secteur privé est de plus en plus important car les gens ont plus de ressources et le secteur public reste sous-financé. Qui plus est, ce secteur public est très inefficace à moins qu'il y ait une forme de redevabilité envers le public. C'est le bilan mitigé que j'ai. D'un côté, il y a des pays qui progressent bien ; prenez par exemple l'expérience du Rwanda avec les mutuelles de santé et la nouvelle politique de rémunération du personnel. Mais de l'autre côté, il y a beaucoup d'autres pays, qui, je pense, ne vont pas dans le même sens.

Est-ce qu’il y a une question que je ne vous ai pas posée et que vous auriez souhaité que je vous pose ? Ou bien une conclusion que vous souhaiteriez faire?

Pas vraiment, pour moi c'était une expérience fascinante. J'ai réalisé que c'était aussi un débat passionnant. Certaines de ces questions sont, comme je l'ai dit, très politiques et certaines sont extrêmement pertinentes aujourd'hui. Nous devons aborder la relation entre le patient, le client et le fournisseur de services. Le débat actuel sur le financement basé sur la performance, qui lie financement non aux médicaments, mais aux résultats, est également très intéressant. Bien sûr, cela ne résoudra pas tous les problèmes. Je pense que nous devrions être en mesure de voir quelles ont été les bonnes expériences dans le passé et aller de l'avant, en ajoutant de nouvelles expériences. La responsabilité publique de base et le rôle des populations sont extrêmement importants, la bonne gouvernance des centres de santé est très importante, mais le financement basé sur les résultats est également très prometteur si nous le combinons avec d'autres choses que nous avons apprises. Nous ne devons pas passer de mode en la mode, mais de prendre en compte le passé, comprendre ce que nous avons appris et le développer.


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Histoire de l'Initiative de Bamako: sous le leadership de Mr Grant (et du Dr Mahler)

4/17/2013

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Jean-Benoît Falisse

Pour l’interview suivante de notre série sur la participation communautaire et l'Initiative de Bamako, nous avons rencontré le docteur Agostino Paganini. Agostino Paganini a une vaste expérience des soins de santé primaires et d'urgence en Afrique, un domaine dans lequel il a été actif pendant plus de quarante ans. Il était le directeur de l'unité de soutien à l’initiative de Bamako au siège de l'UNICEF. L'unité travaillait en étroite collaboration avec les pays africains qui avaient manifesté leur intérêt pour les principes de l’Initiative de Bamako. Dans la première partie de l'interview que nous publions aujourd'hui, il partage son analyse de la mise en place de l'Initiative de Bamako. La semaine prochaine, nous découvrirons son analyse de l'évolution des principes de l'Initiative de Bamako au fil du temps.

Jean-Benoît Falisse: Si je ne me trompe pas, vous avez participé à la conférence de Bamako. C'était la 38e réunion régionale africaine de l'OMS, mais l'UNICEF y a également pris part. Que faisiez-vous à ce moment? D’où l'Initiative de Bamako venait-elle?

Agostino Paganini: A cette époque, je travaillais sur un programme conjoint UNICEF-OMS de soutien nutritionnel. J'étais basé à New York et techniquement je travaillais pour l'OMS. Je n'étais pas là à Bamako, mais mon expérience de l'événement est encore vivace. Je me souviens très bien des implications organisationnelles et de toutes les retombées et les aboutissants de cette initiative de M. Grant. Bien sûr, tout ce que je vais dire dans cette conversation pourrait être biaisé, c’est ma propre expérience telle que j'ai revue et comprise au fil des années. A cette époque, le Dr Halfdan Mahler était le Directeur général de l'OMS, et M. Jim Grant était le Directeur exécutif de l'UNICEF. Tous deux étaient des dirigeants extrêmement charismatiques et puissants et ils étaient deux figures majeures du débat en santé publique et sur le développement de la santé. Mahler mettait l’accent sur les soins de santé primaires, avec une vision globale et une sensibilité aux implications politiques. Grant était beaucoup plus pragmatique, il croyait en une vision de type « guerre froide », où il y avait peu de chances de progrès importants, et il croyait donc en des étapes successives qui amèneraient l'éducation à la santé dans l'arène politique. Après la déclaration de Harare [sur le renforcement du système de district de santé fondé sur les soins de santé primaires], Grant est venu avec Bamako. Pas nécessairement, contrairement à ce que certains ont cru percevoir, comme une déclaration antagoniste à Harare, mais peut-être plus comme une déclaration plus progressive, moins « visionnaire ». Bien sûr, pour lui, c'était aussi un moyen de faire du plaidoyer pour l'Afrique parce qu'il voulait plus de ressources pour l'organisation de la santé et la survie des enfants en Afrique - et il a vu la déclaration comme un moyen de les avoir. Fondamentalement, la relation entre les déclarations de Bamako et Harare pourrait être considérée dans le contexte d'un débat intellectuel entre ces deux géants des questions de développement.

Dans le contexte de ce débat intellectuel, qui faisait pression pour l'Initiative de Bamako? Quels ont été les principaux points de consensus et de divergence entre les pays et / ou organisations?

Aux côtés des ministres africains, l'UNICEF a encouragé et fait pression pour ce genre de déclaration - pour laquelle l'OMS n'était pas particulièrement enthousiaste. En fait, même certaines parties de l'UNICEF n'étaient pas très heureuse à ce sujet. Au niveau politique, ce qui était évidemment le plus difficile à accepter c'était la question des frais d'utilisation et du partage des coûts. L'UNICEF et M. Grant, sur base de ce qui se passait au Bénin et dans de nombreux pays africains, s'est rendu compte que le payeur réel en matière de santé n'était pas le gouvernement, pas plus que le bailleur, c’était le foyer, le ménage. La majorité des dépenses étaient payées directement de la poche des foyers. Il s'agissait donc de «co-financement». Comme certaines personnes identifiaient cette idée d'avoir les gens co-financer leurs services de santé avec la vision de la Banque Mondiale sur les frais d'utilisation, le débat est devenu très idéologique. Dans la proposition de l'Initiative de Bamako, il était suggéré que les gens paieraient quelque chose de leur poche. Si les bailleurs aidaient à améliorer les services en termes d'infrastructure, de disponibilité des médicaments, de formation et de supervision du personnel et de mécanismes de suivi, on aurait tort de considérer que les gens ne doivent pas contribuer du tout au coût de la prestation de services (même si c’est en payant moins que le coût réel). Cet argent resterait avec les gens qui avaient payé, au niveau du centre de santé, et il serait contrôlé par la communauté. C'était l'hypothèse. La réaction de l'autre côté a été de crier à la privatisation et d’appeler cela un moyen de faire payer les gens pour la santé, alors que la santé est un droit humain fondamental qui ne peut être vendu.

Une partie de l'Initiative de Bamako porte sur  la participation communautaire. Dans l'entrevue avec Susan Rifkin, elle explique que son intérêt pour la participation de la communauté a commencé avec l'expérience des médecins aux pieds nus en Chine. Y a-t-il quelque chose de semblable en Afrique? Quelque chose qui a convaincu les gens à Bamako?

Dans l'unité que je gérais à New York, tout le monde était absolument convaincu que le plus grand changement politique qu’a apporté l’initiative de Bamako n'était pas d’abord lié à l'argent mais à l'effort pour renforcer les communautés dans leur contrôle des centres de santé et de leur personnel. Nous avions l'impression que le personnel de santé avait alors en quelque sorte privatisé le système de santé. Le système de santé ne fonctionnait plus, il s'agissait d'un secteur privé non-réglementé où vous aviez à payer pour tout, sans aucun contrôle sur la qualité ou sur l'utilisation de l'argent. Pour nous, l'Initiative de Bamako était un moyen de renforcer la capacité des gens à faire partie et prendre part à la gestion du centre de santé. Il ne s'agissait pas de la gestion technique du centre de santé, mais bien des aspects de  «gouvernance». Est-ce que cela a été un succès? Dans certains endroits, comme au Mali au début, c'était assez bon. Pourtant, j'ai eu l'impression que, après un certain temps, l'Initiative de Bamako a été interprétée/considérée par certains des ministères de la Santé comme une excuse pour faire payer tout ce qu'ils voulaient sans aucun contrôle par la communauté sur l'argent.

Au niveau communautaire, qu’est ce qui était en place au moment de la déclaration de l'Initiative de Bamako?

Dans certains pays, il y avait des comités de santé, mais ces comités de santé n’avaient jamais de contrôle sur aucune ressource. Dans ces pays, on pourrait partir de ces comités. Cependant, dans d'autres pays comme la Guinée après Sékou Touré, il n'y avait rien. Le système de santé avait été détruit et avec le ministère de la Santé de la Guinée, des comités de gestion ont été mis en place. Ce fut le début d’un mouvement qui allait donner de la substance à la participation communautaire à travers le co-financement et la cogestion des centres de santé. Tel était le langage que nous voulions utiliser, non pas « recouvrement des coûts », mais « cogestion communautaire et co-financement ». Cela a été mis en œuvre dans différents pays et sous des étiquettes différentes. Il s'agit d'un processus fastidieux qui nécessite beaucoup d’appui au niveau communautaire.

L'Initiative de Bamako pourrait être décrite comme ayant trois piliers: (1) participation communautaire, (2) mécanismes d'autofinancement et (3) un approvisionnement régulier en médicaments. Vous avez déjà abordé les deux premières questions, pourriez-vous dire un mot sur l'approvisionnement régulier en médicaments?

L'expérience sur le terrain est que les centres de santé n'étaient pas utilisés et leur utilisation était incroyablement basse pour deux raisons: (1) une était lié à l'infrastructure et au comportement du personnel qui étaient perçus comme 'pourris' et donc les centres de santé déclinaient et l'autre (2), c'est qu'il n'y avait pas de médicaments. Les médicaments sont perçus par les utilisateurs comme un élément clé dans le processus thérapeutique, et c'est fondamentalement vrai où que vous soyez. Les gens dépensaient leur argent sur le marché non réglementé ou n'importe où ailleurs. Il était évident que les médicaments devaient être disponibles dans le centre de santé. Le centre de santé devait devenir le lieu non seulement pour les soins préventifs, mais aussi pour les services curatifs. Il ne faut pas oublier que la principale préoccupation de l'UNICEF à cette époque ce n'était pas des soins curatifs, c'était principalement la vaccination et la survie des enfants (qui sont pour la plupart liés à des soins préventifs). Toutefois, amener les personnes au centre de santé en raison de la disponibilité des médicaments pour leurs besoins curatifs était une façon de travailler sur le côté préventif.

Je prends un exemple: la survie des enfants et le paludisme sont deux problèmes très évidents de l'Afrique qui n'étaient pas très bien pris en charge. Il y avait des programmes verticaux avec des antibiotiques et des médicaments antipaludiques, mais ils n'étaient pas suffisants. Avoir un centre de santé fonctionnel était donc vu par nous comme un moyen de tendre vers une vision beaucoup plus globale des soins de santé primaires. C'était un processus graduel par lequel les staffs de santé étaient formés et les centres de santé améliorés grâce à des investissements des bailleurs de fonds et du gouvernement. Les frais de fonctionnement qui n’étaient pas couverts par le gouvernement étaient cofinancés par la communauté. La clé était d'avoir un comité qui supervise la gestion de l'argent afin qu'il y ait de la redevabilité envers le public. La participation communautaire était considérée comme un moyen de faire en sorte que le personnel médical et administratif rende compte à la population. Ce système de monitoring était fondamental car il permettrait aussi au comité de direction et au personnel d'avoir une vue sur la couverture et la vaccination, le nombre de visites, le nombre de femmes qui ont accouché, etc. De cette façon, ils pouvaient se fixer des objectifs, discuter entre membres du comité et personnel de santé des goulots d'étranglement dans le système et, en fin de compte, améliorer la durabilité, l'accès et l'utilisation correcte des services.

(à suivre)


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Un débat en ligne sur le vote à l'Assemblée Générale de l'ONU en faveur de la Couverture Universelle

2/12/2013

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Le 12 Décembre 2012, une résolution intitulée «Santé mondiale et politique étrangère» a été votée à l'ONU. Cette résolution, dont le principal objectif est la couverture universelle (CU), a déclenché un débat sur ​​le forum de discussion en ligne de la Communauté de Pratique sur le Financement Basé sur la Performance (CdP FBP). La plupart des discussions ont porté sur l'utilité de telles résolutions. Plusieurs membres sont préoccupés par un éventuel impact négatif dans les pays à faible revenu. Ce blog résume les principaux points de la discussion. 

Synthèse et traduction: Emmanuel Ngabire, 4 Février 2013.


La résolution de l'ONU sur la CU: encore plus de ravages à prévoir dans les pays à faible revenu...?

Le débat a été lancé le 13 Décembre 2012 par Alex Hakuzimana, du Rwanda, quand il fit suivre à la CdP FBP l'annonce de UHC Forward intitulée «l’Assemblée Générale de l'ONU vote la résolution en faveur de la couverture maladie universelle ». Les échanges se sont succédés rapidement ; à la fin de la 1ère journée de débat, on comptait déjà 12 contributions. Dans l'ensemble, la discussion a été constructive ; si un style parfois ‘vert’ a été utilisé, d'autres participants (ou le facilitateur de la CdP) ont veillé à recentrer le débat d'une manière douce mais ferme. Dans une réponse très mesurée par exemple, vers la fin de la discussion, Jurien Toonen a reconnu que ce débat sur "PBF & UHC" était très précieux, car c'est ce que la CdP est supposée faire. Pourtant, il a également souligné que la discussion pourrait être encore plus utile si une certaine structure était donnée, en évitant une confusion des rôles et des mandats dans le cadre de la discussion – entre les organisations internationales, les décideurs dans les pays, les opérationnels, les universitaires et les bénéficiaires. Sûrement quelque chose à prendre en compte dans les discussions à venir.

Mais commençons par le commencement. Robert Soeters (SINA Health International) a été le premier à réagir à l’email envoyé au forum de la CdP FBF par Alex – on peut donc porter à son crédit le déclenchement du débat. Dans son mail, il a noté que ces ambitieuse déclarations sont toutes sympathiques et merveilleuses, mais leur problème est que généralement elles ne déterminent pas qui prendra en charge les responsabilités financières pour tous ces nobles objectifs - à savoir « qui va payer la facture » - ni ne regardent le rapport coût-efficacité et la question de la pérennité. Il a également souligné le risque que des politiciens populistes confondent la couverture universelle avec la gratuité des soins et lancent des politiques plutôt populistes fondés sur la déclaration, comme cela fût le cas au Burundi récemment avec le système de  prépaiement appelé "Carte d'Assistance Maladie" (CAM). Dans les contextes à ressources limitées (comme les pays à faible et moyen revenu), un mécanisme de FBP peut augmenter l’efficience.

La question de «qui va payer» a été réitérée par différent membres de la CdP, qui ont également fait remarquer que nous avions déjà vu dans le passé de grandes déclarations similaires nationales et internationales (comme Alma-Ata et la Santé pour Tous ou la Déclaration d’Abuja). Dans leurs interventions, les participants à la discussion n’ont pas toujours fait une distinction claire entre la couverture universelle et les soins de santé universels, un peu comme ce qui se passe dans le débat mondial sur la couverture universelle.

Laurent Musango du bureau AFRO de l'OMS est alors intervenu pour attirer l'attention sur le système de santé comme un tout : les changements dans une composante du système de santé peuvent affecter et affectent d'autres composants de différentes façons, a-t-il soutenu. Donc, la discussion devrait  se concentrer non seulement sur le financement de la santé, mais devrait aussi prendre en compte d'autres composantes du système de santé, et de préférence d'une manière synergique. Avec la nouvelle déclaration, la direction pour les systèmes de santé est claire : c’est la couverture maladie universelle. Dans le même esprit, Pascal Birindabagabo a ajouté que l'élan de la CU doit être soutenu. Il a également proposé que les pays à revenu faible et intermédiaire et les pays mobilisent des fonds nationaux pour soutenir la CU dans leurs pays.

... Ou un moyen essentiel pour maintenir les gouvernements redevables?

Le risque que la déclaration CU reste juste un ensemble de mots sans signification opérationnelle a également été reconnu par Joseph Kutzin de l'OMS à Genève. Toutefois, il a fortement insisté sur l'importance de ces résolutions. Son expérience lui a appris que les résolutions de ce genre sont des outils que les organisations de la société civile peuvent utiliser pour tenir les pays redevables de leurs engagements. C'est un «bâton» permettant d’aligner les actions des décideurs des pays avec la déclaration. Après avoir souligné la valeur ajoutée d'une telle résolution de l'ONU, Joe a également clarifié le sens de la CU tel qu'elle a été formulée dans le Rapport sur ​​la Santé Mondiale de 2010. Dans ce rapport, l'OMS n'a pas dit que CU signifie «tout pour tout le monde, gratuitement ». La définition de l'OMS indique que tout le monde devrait pouvoir obtenir les services dont il/elle a besoin, de bonne qualité et à un coût qui ne l’appauvrit pas. Si vous opérationnalisez ce concept, a continué Joe, il est clair que la CU doit être comprise comme une direction plutôt qu’une destination. Aucun pays - pas même le plus riche – n’est capable de combler complètement l'espace entre le besoin et l'utilisation des services, mais tous les pays peuvent vouloir réduire cet écart pour améliorer la qualité et la protection financière. Les mesures politiques spécifiques au contexte portant sur ​​les priorités de santé et de développement d'un pays donné deviennent alors possibles.

Joe a reconnu que le FBP avait un attrait évident pour lui car il voit de solides liens potentiels entre l'approche FBP et un message de base sur le financement de la santé pour la CU: la nécessité d'une approche coordonnée de la politique plutôt que celle d’instruments isolés abusivement présentés comme des "solutions miracles". Le FBP est un moyen pour la construction d'un système par une action politique coordonnée. L'expérience du Burundi d’associer PBF à la gratuité des soins en est un cas, soutient-il, car il est un exemple d'une politique coordonnée.

Est-ce que ces résolutions de haut niveau prennent vraiment notre réalité en compte?

Selon Longin Gashubije du ministère de la santé au Burundi, les délégations de l'ONU qui font la promotion de ces déclarations à New York ont tendance à vivre loin de la réalité du terrain dans les pays à faible revenu. Depuis Alma Ata, la CU a été rêvée, mais malheureusement pas atteinte dans les pays comme le Burundi. Cela est dû à diverses raisons y compris les guerres endémiques, les attentes qui étaient trop élevées, la faible croissance économique, le manque de progrès sociétal et culturel, etc. Tous ces facteurs peuvent expliquer l'échec à atteindre les déclarations antérieures sur la CU. A ces causes, Mohammad Mohammed du Nigeria a ajouté un autre facteur, la corruption. Il a appelé les dirigeants africains à ouvrir les yeux: ils doivent se rendre compte que la CU n'est pas réaliste dans des pays sujets à la corruption, caractérisés par une myriade de besoins de développement et des ressources limitées. Longin a également soutenu qu’au Burundi, le déficit financier d'aujourd'hui est beaucoup trop grand (plus de 50% du budget du gouvernement), et que les deux tiers de la population vivent en dessous du seuil de pauvreté, les priorités du gouvernement ne peuvent donc pas être trop ambitieuses et devraient se concentrer sur les besoins d'abord des pauvres. Évidemment, le poids du financement de la santé est trop lourd pour le gouvernement, et les partenaires du Burundi doivent intervenir, a-t-il poursuivi. Mais les ressources externes ne peuvent pas tout résoudre. Le progrès culturel est au moins aussi important, a-t-il conclu.

Saisir la fenêtre d'opportunité au niveau mondial,  promouvoir les bonnes pratiques

Bruno Meessen de l'Institut de Médecine Tropicale d'Anvers (et facilitateur de la CdP FBP), est alors intervenu. Selon lui, la résolution CU va dans la bonne direction car elle ouvre une « fenêtre de tir » encore plus grande pour les membres de la CoP engagés dans le développement de meilleurs systèmes de financement de la santé au niveau des pays. Bruno a également conseillé aux membres de la CoP de relire attentivement le rapport de l'OMS 2010 : il souligne clairement la nécessité de trouver des mécanismes pour être plus efficient avec les ressources. Par conséquent, le FBP peut et doit tirer parti de l'élan actuel en faveur de la CU, encore plus maintenant que le monde s'éloigne de solutions standards. La complexité de la CU et la nécessité des approches spécifiques au contexte sont de plus en plus reconnues aujourd'hui. Par ailleurs, Bruno a rappelé que la déclaration ne concerne pas uniquement l'Afrique, mais aussi des pays à revenu intermédiaire, comme la Chine et le Mexique, où la CU a récemment pris de l'ampleur. La CU est d’ailleurs aussi pertinente pour les pays riches comme les Etats-Unis (cf. la réforme voulue par le Président Obama). Cette déclaration est donc bien une déclaration à ambition universelle. Comme beaucoup de ses pairs économistes, Bruno anticipe que dans un avenir pas trop lointain, l'espace budgétaire pour la CU augmentera dans de nombreux pays africains. Bientôt, les ministères des finances pourront investir des ressources nationales dans des initiatives novatrices comme le FBP, a-t-il soutenu. Néanmoins, il a convenu que dans de nombreux pays africains, il faut bien plus que de belles paroles. À cet égard, il a évoqué la perspective du mouvement de la lutte contre le sida qui n’est apparemment pas très content de la déclaration, et en particulier de la section sur «les mécanismes de financement durables pour la couverture maladie universelle» qui omet de mentionner le financement international de la santé. De nombreux activistes (comme Gorik Ooms) appellent à un mécanisme renforçant  le transfert structurel des pays riches vers les pays pauvres, dans une perspective du droit de la santé.

Le 14 Décembre, Robert Soeters a fait une deuxième intervention. Il souligne les conséquences de - ce qu'on pourrait appeler - des « déclarations généralisées peu nuancées ». Les réalités des pays diffèrent en termes de ressources, de l'organisation et de la culture ; pourtant, les grandes déclarations inspirent souvent les ministères de la santé ou présidences d'ignorer cette réalité. Robert a souligné que cela peut ensuite conduire à l’adoption de décisions populistes qui au final, peuvent détruire la qualité des services de santé existants. Il a donné l'exemple du Burundi, où le système de pré-paiement « CAM » a été promu et « conceptuellement approuvé par l'OMS », sans définir comment le financer. Le résultat prévisible est la dégradation des services de santé et la référence à des services privés très coûteux.

Sur les responsabilités de ceux qui établissent l’agenda à l'échelle mondiale (et l'OMS en particulier)

À son avis, les partisans de la CU devraient élaborer des propositions plus réalistes et responsables, adaptées au contexte des pays à faible et intermédiaire revenu. L’efficience a aussi son importance, fait valoir Robert, et là, il appelle les organisations internationales telles que l'OMS à examiner également le FBP comme une approche qui a augmenté la motivation de beaucoup de gens dans les pays à faible revenu. Faisant allusion à des articles sceptiques parus en 2011 dans le Bulletin de l'OMS et une récente revue Cochrane (qui en gros, concluait que «nous avons besoin de plus de preuves ») il a souligné que les critiques du FBP qui ne venaient pas avec de bonnes alternatives sur la façon de financer les services de santé de qualité étaient plutôt irresponsables. En effet, cela peut conduire à des situations comme ce qui s’est passé au Ministère de la Santé du Zanzibar : à l’enthousiasme initial pour le FBP, s’est substitué une impasse en matière de  politique, tout ça parce qu’il a été recommandé aux cadres nationaux de se défier du FBP vu la littérature récente sur cette approche. Le Dr. Soeters encourage le débat sur les finalités sociales dans la CdP FBP, à condition que les nuances nécessaires sur le coût, l'efficacité et la durabilité soient apportées. A son avis, par exemple, la durabilité des systèmes de santé exige qu'ils ne soient pas seulement financés, dans les pays à faible revenu, par l'aide extérieure.

Dans une deuxième intervention, Joseph Kutzin a ensuite expliqué que les résolutions de l'ONU par leur nature même, ne peuvent pas contenir des détails comme les sources de financement. Elles sont en effet le résultat d’un compromis et ne peuvent pas être très précises – c'est le prix que l’on paie pour un large soutien. Il est donc important d'avoir des attentes réalistes quant à ce qui peut provenir d'une résolution de l'ONU. La récente résolution est un signe de soutien politique croissant en faveur de la couverture universelle, a dit Joe, mais l'ampleur de l'appui à obtenir nécessitait un compromis sur les détails. Ces résolutions sont toutefois des instruments utiles pour tenir les gouvernements redevables, en particulier quand elles sont exploitées par les groupes de la société civile nationale et / ou internationale.

Joe a également réfuté certaines des allégations faites par Robert Soeters au sujet de ce qui est appelé les "positions de l'OMS". Contrairement à ce que le Dr. Soeters a indiqué dans son intervention, l'OMS n'a pas « conceptuellement approuvé » la CAM au Burundi, car il s'agit d'un accord volontaire d'assurance santé. Le rapport sur la santé dans le monde de  2010 et le récent article de Kutzin dans le Bulletin de l’OMS expriment très clairement que l'assurance-maladie volontaire n'est pas une voie viable vers la couverture universelle.

Selon Joe, Robert a également suggéré que l'OMS n'était pas très intéressé par l'efficience. En réponse, Kutzin fait référence au rapport mondial de 2010 où  une section entière («plus de santé pour l'argent") traite de l’efficience. Il a également évoqué son article récent dans le bulletin de l’OMS dans lequel il a soutenu qu’on ne peut pas tout simplement « acheter son chemin vers la couverture universelle », les coûts doivent être gérés ; traiter les principales causes de l'inefficacité doit être une priorité pour la réforme ciblée.

Un bon dialogue nécessite une plateforme commune, mais aussi une compréhension de nos rôles respectifs

Le débat s'est poursuivi avec une contribution de Bruno Meessen accordant les positions des décideurs et des techniciens. Il rappelle aux membres de la CdP qu’offrir une tribune aux praticiens et opérationnels est une préoccupation majeure (et en fait l'un des fondements) de la CdP FBP. Il reconnaît la frustration causée par des politiques conçues de façon inappropriée et sous-financées : trop souvent, les dirigeants des pays ne sont pas suffisamment à l'écoute de leurs techniciens. Il a souligné que, néanmoins, les dirigeants politiques désireux d'introduire la CU doivent être pleinement épaulés parce qu’ils sont en position de mobiliser leurs citoyens. Aussi, les partisans du FBP doivent essayer d’exploiter la dynamique en faveur de la CU. Des ponts avec les décideurs doivent être construits de façon à ce que dans le futur, les techniciens soient entendus à temps et que les erreurs soient évitées. Il croit qu’un jour la CdP - conçu comme une plateforme pour rassembler ceux qui plaident pour une politique, les décideurs politiques et les opérationnels - assurera une telle relation de confiance. Ceci dit, pour le moment, on peut faire le constat que les promoteurs de la CU se consacrent surtout à mettre la CU à l’ordre du jour. Il est temps d’accorder autant d’importance aux autres étapes du processus politique, telles que celles de la formulation des politiques et de leur mise en œuvre. Ainsi, ceux qui sont en charge de leur formulation et de leur mise en œuvre doivent également être appuyés et pourvus des ressources adéquates.

Jurien Toonen (KIT, Amsterdam) a ensuite insisté sur la nécessité d'apporter une certaine structure à la discussion, et d'éviter une confusion des rôles et des mandats dans le débat sur ​​le financement de la santé, de la prestation de soins et de la protection sociale, entre les organisations internationales, les décideurs politiques dans les pays pauvres, les opérationnels, les universitaires, les partisans et les bénéficiaires. Il a expliqué le rôle et le mandat de chacun de ces acteurs. Les organisations internationales ont un rôle dans le développement d'une vision et des stratégies visant à rendre cohérents les différents types de stratégies de santé. Alma Ata, Investir dans la Santé (Rapport de Développent dans le Monde 1993), les Objectifs du Millénaire pour le Développement pour la santé, ... tous ont donné de l’impulsion, malgré leurs défauts. Aujourd’hui, peut-être qu'on pourrait penser que la  CU est la «nouvelle mode du jour au niveau mondial », mais c'est parce que le monde a appris quelque chose: la CU est plus à l’échelle du système de santé que ses prédécesseurs, et accorde plus d'attention aux personnes les plus vulnérables. Ou, comme Tim Evans l’a montré à Bangkok: le point de départ de la CU est « l'intolérable injustice qu'un trop grand nombre n'ait pas accès aux soins de santé ». Quoi qu'il en soit, il n'est pas nécessaire de blâmer les organisations internationales (et certainement pas l’OMS) pour fournir la vision, argumente Jurien. Pour ce qui est des décideurs des pays pauvres, ils ont choisi de se lancer dans la CU, même s'ils vivent dans des pays qui ne sont pas comparables à la Chine ou aux Etats-Unis. Ils pourront se battre pour y arriver, mais la bonne nouvelle, c'est qu'ils seront plus à même, grâce à l’engouement pour la CU, d'obtenir des ministères des finances les ressources nécessaires. Malheureusement, les gens pensent souvent, à tort, que la CU équivaut à des soins de santé gratuits ou à l'assurance-maladie, mais la situation s'améliore. Dans de nombreux pays commence un dialogue sur le financement adéquat des soins de santé – les partenaires tentent de trouver le juste équilibre entre les différents instruments de financement de la santé (fondés sur l'impôt et d'autres). Si les problèmes de design ne sont pas bien abordés, ce sont les opérationnels en souffriront le plus, argumente Jurien. Le FBP souffre également de problèmes de conception et de mise en œuvre en plusieurs endroits, ces problèmes doivent être surmontés. Il est également inutile de blâmer le monde académique, poursuit Jurien. Les chercheurs sont là pour apporter la preuve que le FBP marche, et si ça marche : pourquoi, comment et dans quel environnement. La même chose est vraie pour la CU d'ailleurs. Le soutien des deux,  FBP ou CU,  doit donc être basée sur des données probantes ; ces dernières peuvent être contestées par les acteurs opérationnels, les promoteurs d’une stratégie particulière et les autres universitaires. Au lieu de nous lamenter sur la revue de la littérature « Cochrane » parce qu’elle aboutit à la conclusion que la preuve en faveur  du FBP est réduite, nous devons chercher des preuves solides, suggère Jurien. Même si vous savez que les choses marchent, la preuve est nécessaire pour le prouver. Il a rappelé aux membres de la CdP que la recherche peut appuyer une mise en œuvre réussie, comme cela fût le cas en Thaïlande où la mise en œuvre de la CU a été étayée par le travail académique. En ce qui concerne les promoteurs d’une idée ou d’une stratégie, ils devraient faire ce qu'ils font le mieux: communiquer, enclencher des débats, même de façon provocante, faire penser et réagir. Mais dans ce rôle, ils ont leurs limites, tout comme les autres acteurs ont les leurs. Enfin, la CU concerne avant tout ses bénéficiaires, « l'homme et la femme sous le baobab », comme Jurien les appelle, et leur état ​​de santé. Ce groupe, ses intérêts, devrait être le point de départ pour les discussions.

Une illustration de la CU et des éclaircissements sur la CAM au Burundi

Dans d'autres interventions, les intervenants ont précisé la notion de la CU (Bruno Meessen, Gyuri Fritsche, se référant à une visite de terrain au  Centre de santé de  Mayo-Ine dans l'Etat d'Adamawa au Nigeria, "Voila ce que c'est la CU: trouver des solutions spécifiques pour garantir que plus de gens aient accès aux services, et disposer de données pour le prouver", ...). Des éclaircissements ont également été fournis sur le régime d'assurance-santé au Burundi (par Olivier Basenya, Longin Gashubije, Bruno Meessen). Olivier a souligné que la CAM est un système d'aide à la santé plutôt qu'une assurance-maladie et il a expliqué les mesures prises depuis son introduction en 1984 en vue d'améliorer son efficacité en direction de la CU.

Conclusion

Il se dégage de cette discussion que la résolution de l'ONU constitue une opportunité pour mettre les décideurs sous pression et les mettre sous pression pour tenir leurs engagements. Par ailleurs, la CU fournit une opportunité évidente pour les promoteurs du FBP, si on pense de manière stratégique. Jurien Toonen a résumé l'opportunité en ces termes : « Si nous voulons la CU, nous aurons besoin de services de santé qui fonctionnent bien, donc du FBP". Quelques défis pour la mise en œuvre la déclaration en question ont également été soulignés. Les intervenants ont mentionné la distance à la réalité sur le terrain, des guerres sans fin, les attentes trop élevées, les questions culturelles, le financement inadéquat (tant au niveau national et qu’international),  la corruption, etc. Néanmoins, on peut espérer que l'espace budgétaire pour la CU au niveau des pays s'améliore dans un avenir pas trop lointain. Enfin, le débat a également souligné le rôle de la recherche dans l’appui à la mise en œuvre et dans la production de plus de preuves sur ce qui fonctionne, comment et pourquoi.

Le débat a été suspendu le 17 Décembre 2012, lorsque la CdP a été informée de la mort de Guylain Kilenga qui participait à un stage de formation sur le FBP à Bujumbura. RIP. 

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Série "25 ans de l'Initiative de Bamako": de la participation communautaire à la 'redevabilité' communautaire (interview avec Sassy Molyneux)

1/22/2013

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Jean-Benoit Falisse


Dans le cadre de notre série sur l’Initiative de Bamako, Jean-Benoît Falisse a interviewé Sassy Molyneux (Oxford University Research Professor et chef d’unité) qui travaille avec le programme KEMRI-WT à Kilifi, au Kenya. Elle possède une vaste expérience de recherche sur la participation et la ‘redevabilité’ communautaire en Afrique de l’Est et a récemment co-écrit une revue de la linéature sur le sujet (community accountability at peripheral health facilities: a review of the empirical literature and development of a conceptual framework).


Jean-Benoît Falisse : Qu'est ce qui a déclenché votre intérêt pour la « redevabilité communautaire » (community accountability) dans la santé? Pourriez-vous m'en dire un peu plus sur les activités de recherche KEMRI-WT sur cette question?

Sassy Molyneux : Je suis intéressée par les interactions entre les communautés et les systèmes de santé depuis des années ; j'ai commencé à travailler sur le sujet lors de ma recherche doctorale menée sur la côte kényane dans les années 1990. La participation communautaire et l'autonomisation ont longtemps été soulignées comme étant des approches importantes pour assurer un prix abordable et adapté localement, de même que des bons services préventifs et curatifs. Cependant, atteindre cet objectif est clairement loin d'être simple. Une approche impliquant les communautés qui a été promue au Kenya comme dans beaucoup d'autres pays a été l'initiative de Bamako. Au Kenya, elle comprenait la création de pharmacies communautaires. Malheureusement ces pharmacies étaient en souffrance au moment de mon travail de terrain de doctorat. Au cours des années, il y a également eu de nombreux efforts pour promouvoir la participation communautaire dans les soins de santé au Kenya, via des comités au niveau des villages et des formations sanitaires. Ces comités ont été l'objet de discussions lors de ma thèse de doctorat. Les gestionnaires de santé les présentaient comme un énorme succès, comme «l'étalon-or», mais il est apparu que lorsque les frais d'utilisation ont été réduits au Kenya dans les années 2000, leur rôle a été affaibli. Ils avaient moins de ressources sur lesquelles ils avaient leur mot à dire. Je pouvais alors voir qu'il y avait un grand potentiel, mais aussi des défis, pour choisir et travailler avec des «représentants» de ces communautés complexes dans des systèmes de santé organisés de manière très hiérarchique.

J'ai de plus en plus commencé à entendre parler de «responsabilisation des communautés», une chose qui a été et est encouragée pour toute une gamme de fins instrumentales et intrinsèques. J'ai été intrigué de ce que «cela» était vraiment, et comment cela différait ou non de la participation communautaire. Je suis intéressée à comprendre davantage la façon d'impliquer les communautés compte tenu de la difficulté de les définir, de la nature technique de nombreux aspects de la prestation des services de santé, et des relations de pouvoir complexes au sein des communautés et des systèmes de santé, et entre les prestataires de santé et les membres de la communauté. En travaillant dans un programme de recherche multidisciplinaire, je me suis également intéressée aux aspects théoriques et pratiques de l'idée de redevabilité envers la communauté au sein du système de santé à l'information et l'implication de la communauté dans les activités de recherche biomédicale.

Aujourd'hui, la plupart des auteurs et des praticiens de la santé publique parlent de «responsabilité» communautaire plutôt que de «participation» communautaire (comme on le faisait au moment de l'Initiative de Bamako). Est-ce vraiment un concept différent?

Ma compréhension est que, dans la participation communautaire, des individus ou leurs représentants influencent des éléments des systèmes de santé en faisant entendre leur voix et opinions auxquels une réponse est ensuite donnée, donc il y a un élément de redevabilité. Cela nécessite une action et des interventions malgré les défis et des systèmes qui supportent ces attitudes. Je pense que la participation communautaire est un terme plus large, qui pourrait bien aussi inclure ce que je viens de décrire [la redevabilité]. Les deux termes [participation et redevabilité] sont utilisés différemment et se chevauchent. Peut-être le plus important, quelle que soit le terme ou à travers les deux termes, est de considérer la profondeur de l'engagement communautaire, soit les niveaux d'un véritable renforcement (empowerment). De nombreux auteurs ont fait valoir que la participation communautaire peut aller de la simple information donnée aux communautés à une extrémité du spectre, à la concertation, à l'influence de la communauté et finalement au contrôle à l'autre extrémité. Ceci est important pour souligner que la mise en place de possibilités d'interaction avec les membres de la communauté ne conduit pas nécessairement à plus d'influence ou de contrôle par la communauté. En outre, il est possible d'avoir des initiatives de participation communautaire «manipulatrices» ou «symboliques» qui apportent un soutien qui n'est que de façade à une idée à la mode. C'était ma reconnaissance à la fois du potentiel mais aussi des défis et même peut-être des effets pervers liés à la responsabilisation des communautés qui m'a amené à être plus curieuse à propos de ce domaine.

Dans une revue de la littérature récente (2012), vous soulignez qu'il n'y a pas beaucoup d'études sur l'impact des mécanismes de redevabilité communautaire. Quelle en est la raison? Savons-nous réellement ce qui fonctionne?

Il y a une mise en garde légère à apporter par rapport à cette conclusion, car nous nous sommes concentrés plus précisément sur les mécanismes de redevabilité communautaire au niveau des services de santé périphériques. Il y aura donc un corpus (probablement plusieurs) de littérature que nous ne considérions pas et qui traite de la responsabilisation des communautés en dehors des mécanismes spécifiques liés aux formations sanitaires. De plus, il est probable que des recherches qui ont été menée à ce sujet aient été rédigées dans des rapports qui ne sont pas (facilement) accessible au public.

Une partie du manque est, je pense, liée aux initiatives de renforcement de la redevabilité qui font souvent partie d'interventions très complexes menées en matière de santé et de systèmes sociaux complexes. Lorsque cela est combiné avec les difficultés à définir et à mesurer de nombreux aspects de la responsabilisation des communautés (par exemple la profondeur de l'implication ou l'engagement, les niveaux d'habilitation et des changements subtils dans les relations de pouvoir), la conception et la réalisation de stratégies d'évaluation pertinentes devient très difficile. Il existe donc un besoin pour des approches méthodologiques plus innovantes; il faut aller au-delà des simples expériences randomisées ou des méthodologies qualitatives standards. C'est un défi qui est reconnu dans les systèmes de santé, on voit par exemple de plus en plus de promotion de recherches-actions (participative) et d'intérêt pour l'intégration des approches réflexives et délibératives dans les évaluations afin de s'assurer que les connaissances implicites des acteurs soient prises en compte.

La majorité de la littérature sur le sujet s'intéresse aux comités de santé qui gèrent des formations sanitaires. Pourquoi en est-il ainsi? Quels sont les autres mécanismes de 'redevabilité communautaire' existant? Lequel vous semble particulièrement prometteurs?

Comme je l'ai mentionné ci-dessus, nous nous concentrions très précisément sur les mécanismes de redevabilité liés aux structures de santé périphériques, ce qui pourrait en partie expliquer ce phénomène. Bien sûr, il existe de nombreuses autres formes de groupes communautaires qui militent pour l'amélioration de la santé, qui ne sont pas spécifiquement liés aux formations sanitaires, y compris ceux qui ont été plus spontanément initié et mis en place par les membres de la communauté eux-mêmes. Dans les formations sanitaires, il y a d'autres interventions telles que : les chartes des droits des patients (pour promouvoir la sensibilisation aux droits et intérêts en exigeant le changement), le partage de l'information, les boîtes à idées/suggestions (pour réduire les asymétries d'information et d'encourager les idées et les opinions soient exprimées) et d'autres mécanismes qui peuvent être vaguement qualifiés de surveillance communautaire. Ceux-ci impliquent souvent des membres de la communauté et les prestataires de santé qui décident ensemble des domaines d'action prioritaires / changement, de la mise en œuvre du changement, du suivi communautaire du progrès, et du partage des informations avec le public sur les progrès des formations sanitaires par rapport à des indicateurs sélectionnés. Ces initiatives sont potentiellement très intéressantes. Le défi devient alors de partager les enseignements dans différents contextes et niveaux du système de santé, et d'encourager la propagation et l'adaptation des initiatives réussies dans d'autres lieux.

À propos de la validité externe. Que pouvons-nous apprendre d'expériences nécessairement locales de responsabilisation de la communauté? Quelle est l'importance des facteurs contextuels et culturels pour expliquer le succès des mécanismes redevabilité envers la communauté?

Je pense que nous avons vu de notre examen que si même si, bien sûr, les initiatives de responsabilisation communautaire doivent être adaptées au contexte local et réactives, il y a des idées maîtresses qui émergent de façon transversale et qui sont pertinentes dans tous les sites. Une forme de généralisation théorique est donc utile pour des initiatives dans d'autres contextes. Ainsi, dans notre travail nous avons par exemple vu l'importance de la clarté du rôle des membres des comités et de leurs responsabilités, de la disponibilité de ces personnes et de l'accès à l'information. Il est également important de souligner la nécessité d'examiner attentivement la rémunération et les autres formes d'incitations pour les représentants de la communauté, les défis de l'asymétrie entre le personnel de santé et les représentants de la communauté en matière de ressources et d'énergie et l'importance de construire une relation de confiance. Bon nombre de ces aspects sont à leurs tours liées à l'intérêt réel et à la valeur que le système de santé accorde à la participation communautaire.

Vous plaidez en faveur de méthodes de recherche mixtes pour explorer les mécanismes de redevabilité communautaires. Pourriez-vous nous expliquer comment les approches qualitatives et quantitatives se complètent les unes les autres lors de l'exploration des questions de redevabilité communautaire? Est-ce que l'utilisation d'une seule méthode serait nécessairement plus incomplète ou plus faible?

Je pense que de bonnes approches qualitatives peuvent être appropriées pour explorer les complexités que j'ai décrites ci-dessus. Un défi est de donner aux auteurs assez d'espace dans l'écriture, en particulier dans les revues scientifiques, pour convaincre les lecteurs de la profondeur méthodologique et analytique de leurs études. Certaines études qualitatives semblent être des discussions de groupe relativement superficielles et des entretiens individuels à travers lesquels il est très difficile de rendre justice à notre sujet. Compléter ces approches avec des méthodes quantitatives - lorsque cela est possible et pertinent par rapport à une question spécifique - peut aider à donner une meilleure vue d'ensemble de la taille des enjeux / impacts. Cela peut être également utile dans la diffusion de la recherche; dans l'élaboration d'initiatives destinées à des auditoires particuliers. Comme indiqué plus haut, en incorporant plus de "nouvelles" approches dans les évaluations qualitatives ou mixte -par exemple des approches participatives, des activités délibératives et des réflexions avec les d'acteurs clés- les travaux de recherche pourraient être renforcés. Ici, je pense qu'il est nécessaire de continuer à partager des idées sur la façon de renforcer la fiabilité et la transférabilité des données recueillies grâce à ces approches méthodologiques, et de convaincre les autres de cette qualité dans le but d'éclairer les politiques et les pratiques. Il existe de nombreuses initiatives communautaires de responsabilisation mise en œuvre tout le temps - soit initiées et soutenues par les collectivités ou les représentants eux-mêmes, ou par les gouvernements et d'autres acteurs. Trouver de nouvelles façons de documenter et d'évaluer leurs activités de façon convaincante pour les rapporter  à des publics clés serait utile. Il faudrait pour cela une analyse non seulement des réussites, mais aussi des défis et des échecs, et des raisons de ces résultats.

Il semble qu'il y ait un renouvellement récent de la recherche sur la participation/redevabilité communautaire. Êtes-vous d'accord? Quels sont, pensez-vous, les principaux domaines restants de la recherche sur la 'redevabilité' envers la collectivité (dans le domaine de la santé)?


Je pense que la participation communautaire / la redevabilité apparaît comme un domaine d'intérêt et d'attention au niveau politique et pratique, et donc aussi dans la recherche. Ceci est peut-être aidé par la nouvelle terminologie! Mon domaine d'intérêt aujourd'hui, en m'appuyant sur des recherches antérieures, est de savoir comment les formes de redevabilité externe ou communautaires tels que les comités de santé interagissent avec et sont affectés par la culture organisationnelle et les systèmes internes de redevabilité, à savoir la redevabilité des prestataires de soins et des gestionnaires envers leurs supérieurs hiérarchiques, le système bureaucratique et à d'autres bailleurs de fonds. Je suis intéressé par l'utilisation de des méthodes de recherche traditionnelles et moins traditionnelles, comme je l'ai mentionné ci-dessus, pour explorer ces questions. Certaines de ces réflexions et idées sont reprises dans un travail sur la gouvernance co-dirigé avec le professeur Lucy Gilson et financée par DFiD dans le cadre d'un consortium de recherche (RESYST).

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25th Anniversary of the Bamako Initative Series: Community Participation in Health in Context 

10/28/2012

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Jean-Benoît Falisse

For the 25th anniversary of the Bamako Initiative and the Harare Declaration, we asked the historian and economist Jean-Benoît Falisse to conduct a series of interviews about community participation.
In this first article, he introduces the topic.

Twenty-five years ago, the African Ministers of Health invited by UNICEF and WHO in Bamako, Mali, declared their willingness to improve access to essential medicines and health services. At the core of the Bamako Initiative (BI) is the belief that the participation of users in the management (and sometimes delivery) of health services can accelerate the achievement of primary health care, which is a concept that was formalized twelve years earlier at the Alma-Ata Conference (1978). The context of the Bamako Initiative is not unlike the one that prevails today in Southern Europe: states faced a serious economic setback (at the time the oil peak leading to the debt crisis) and fiscal austerity measures were imposed upon them by international institutions like the International Monetary Fund and the World Bank.

Twenty-five years after Bamako, "health for all" unfortunately remains at best a long-term ambition. Despite some local successes, community participation in health was not the magic bullet some had hoped for. This leads to a series of questions. To what extent did participatory initiatives in health bring changes? Are our expectations for community participation too high or is it, as an international civil servant told to me recently, that "we just did not really give a chance to community participation?”

In the coming months, I will share with you different contributions on the subject (1). I will try to understand the legacy of the BI and explain past, present and future strategies of community participation in health. As a preamble to the upcoming interviews, I will briefly introduce the BI, its historical context and some recent developments in the field. I have identified five key questions.

Question 1: What community participation?

At the heart of the BI is a threefold principle: (1) self-financing mechanisms at the peripheral and household levels, (2) encouragement of community mobilisation for health (community participation) and (3) improvement of drugs supply. Additional financing by communities has often been seen as the reason for increased community participation. The direct consequence of the community participation advocated by the BI has been the set-up of elected community committees in many African countries. These committees all have the ambition to make communities (co-)manage their health centres.

The idea follows 1970s’ and 1980s’ experiences and aims at providing a better interface between service providers (care staff) and patients. In the field, the role of (co-) administrator/manager granted to the community and its health committee is nevertheless conflated with another “weaker” and less empowering form of community participation: community health workers and other heirs of the "barefoot doctors" popularised by Maoist China policies. Often implemented by vertical programs, these health workers are an instrument to deliver services at the heart of communities, mostly on issues of disease control and prevention. In many national experiences, the distinction between the different forms of participation remains blurry. In particular, there is little distinction between community participation as a way to devolve services to community members and community participation as the community (co-)management of health centres. This confusion is in part reflecting two decades of debate on participation as either an end in itself or means for other purposes.

The 'content' of community participation is one of the questions we will explore in the forthcoming series of interviews. As I am writing this text from Bukavu in the Democratic Republic of Congo, where members of health committees are also community health workers (they are sensitisation and liaison officers as well as co-managers), I believe that the issue is relevant well beyond academic circles or ideological divide.

Question 2: What integration in the political context?

Before the BI, it was rather the non-aligned and socialist sympathisers’ countries that experimented community participation (Tanzania, Kenya, India, etc.). The BI must be seen as a follow-up of the Alma-Ata Declaration, which remains a surprising commitment of the countries of the world -including in the West- to a political philosophy marked by experiences of Chinese decentralised socialism (village communities managing their health) (2). However, the BI is also the child of the Washington Consensus, new public management, “good” governance and market paradigms. In fact, the BI ideas seem to have been endorsed by a wide spectrum of international development practitioners: from the legatees of the "1968 movement" to the supporters of the Reagan / Thatcher 1980s neo-liberal come-back, from grassroots NGOs to the World Bank.

In the years that followed the BI, the debate about the nature of community participation (empowerment or instrument) has certainly occurred in some (academic) circles but on the field, roughly the same type of "health committees" have been implemented across the African continent. Surprisingly, the political dimension of citizen participation in the management of basic social services (such as health care) has been little discussed (this is the issue of “power”). Since 1987, much water has flowed under the bridge: decentralisation but also democracy have spread throughout Africa. In our series of interviews, we will consider how community participation – sometimes presented as a technocratic proposal – occurs in the context of social, political and economic mobilisation at the local level. What part of the population is included in strategies of community participation? What are the links between community participation and local and national politics?

Question 3: New health policies, new forms of participation?

Although community participation has not exactly met all expectations of the participants of the conference in Bamako, it has also evolved in contact with new health policies. Some of these policies, pretty much as the BI was in its time, have generated high hopes for improving health and access to care.

For instance, performance-based financing strategies are questioning the role of the community as a stakeholder. Can it be contracted for delivering services to the population? Can it be used as a tool to perform verification tasks in the system? Should rather community be strengthened in its role as a co-manager, as proposed by the BI? Should it become a watchdog that ensures that performances and results meet the needs of the population? How to ensure that the voice of the people continues to be transmitted and heard when financial incentives drive the system?

Free health care on a large scale also poses new challenges. Although the BI was not limited to cost recovery, it has often been read as such. In the BI model, the money collected from households paying for care is used to develop services and promote access (sometimes via a waiver scheme) to essential treatments, including for vulnerable groups identified by the health committees. With the removal of user fees, the financial interest community members have in the health centre management disappears. Could it be that the motivation of the population to participate is affected?

Free care and performance-based financing are two of the most popular health policies currently being developed in Africa and this series of interviews will assess their implications for community participation in health.

Question 4: Accountability, a paradigm shift?

The 25 years that have passed since the BI also correspond to changes in the language of international health (nowadays people talk about “global” health). The mainstream rhetoric has put "community participation" a little bit aside as the popularity of terms such as "accountability" and "transparency" has been rising. These concepts combine readily with "community" or "social", and the question now becomes whether the spirit of community participation promoted by the BI remains within the "new" concepts of accountability, governance and transparency. A whole new generation of policies and strategies of "social accountability" in health but also in other basic social services are appearing (balanced score cards, social audit, etc.). Do these strategies imply the same kind of community involvement that the one advocated by the BI? Is “community accountability” an enhanced version of "community participation" or rather its bleak ersatz?

Question 5: What about the research?

Alongside these developments in health policies and strategies, research about community participation has also evolved in the last 25 years. In the last few years, new methodologies have developed. They propose a more quantitative approach, sometimes mixed with qualitative insights and contrast with ethnographic and sociological approaches that have been usually used for the study of community participation (pre- and post-Bamako). “What can we learn from these new research methods?” and “what is the state of research on the mechanisms of community participation?” will constitute a final theme of our series.

Bearing all these issues in mind, we will meet researchers and practitioners of community participation. Listening to their reactions and comments, we hope to better understand the heritage of the Bamako Initiative and the future of community participation in health.

Notes:
(1) This is the topic of my DPhil at the University of Oxford and the central idea of different interventions Cordaid is experimenting in the African Great Lakes with Cordaid, of which I hope to document the impact soon.
(2) In retrospect, we can assume that high-income countries were taking little risk when signing a text where low and middle-income countries entrust local communities to manage and finance their health care. 


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