Le lundi 11 mars 2013, Joël Arthur Kiendrébéogo (AEDES, Tchad), médecin et économiste de la santé, partageait sur le groupe de discussion en ligne de la Communauté de Pratique PBF (CoP PBF) sa préoccupation sur la protection des informations médicales utilisées pour les activités de vérification dans le cadre du PBF. Son message suscita un riche débat où expériences et réflexions furent échangées. Dans cet article, Joël revient sur la question, résume les différentes propositions échangées par les membres de la CoP et formule des recommandations.
1. La problématique du secret médical
« Il n’y a pas de médecine sans confiance, de confiance sans confidence et de confidence sans secret », affirmait Louis Portes, Président du Conseil National de l’Ordre des Médecins en France, lors d’une Communication à l’Académie des sciences morales et politiques le 5 juin 1950. Cette préoccupation autour de la question de la protection des informations médicales remonte aux origines de la profession médicale. Ainsi le serment d’Hippocrate, vieux d’au moins 2300 ans et que prononce tout médecin avant son entrée en fonction, stipule selon sa version dite de Montpellier que «… Admis dans l’intérieur des maisons, mes yeux ne verront pas ce qui s’y passe, ma langue taira les secrets qui me seront confiés, et mon état ne servira pas à corrompre les mœurs ni à favoriser le crime… ». Mais on préfère de plus en plus le terme de « secret professionnel » à celui usuel de « secret médical » pour souligner que cette obligation de secret n’est pas propre aux médecins mais s’applique aussi à tout professionnel de santé ou tout professionnel travaillant dans le système de santé (personnel administratif, assistants sociaux, psychologues etc.) et en dehors (avocats, magistrats etc.). Le code pénal français dans ses articles 226-13 et 226-14, en vigueur depuis le 1er janvier 2002, ne mentionne même plus de profession spécifique, mais parle d’ « informations à caractère secret » détenue par une personne qui en est dépositaire soit par état ou par profession, soit en raison d'une fonction ou d'une mission temporaire.
Pourquoi cette confidentialité est-elle importante ?
Pour des raisons d’ordre professionnel, éthique et légal!
La confiance du patient envers le professionnel de santé est indispensable pour que le premier révèle au second des informations cliniques importantes afin qu’un bon diagnostic puisse être posé et un traitement adéquat prescrit. La qualité des soins est donc directement en jeu ici. La rupture de la clause de confidentialité peut également faire baisser les taux de fréquentation en entraînant une attitude de méfiance de la population vis-à-vis des soins de santé modernes. Elle préfèrerait en effet rester sans soins ou se tourner vers du personnel non qualifié, ou encore s’adonner à l’automédication.
Par ailleurs, respecter le secret c’est respecter la vie privée d’autrui, essentiel pour que le patient puisse garder le contrôle de son image public et soit à l’abri d’éventuelles discriminations. La maladie peut en effet constituer un handicap dans sa vie personnelle, sociale et/ou professionnelle. A ce titre, la confidentialité peut être considérée comme un aspect du principe éthique élémentaire du « primum non nocere » (ne pas nuire avant tout) d’Hippocrate que tout professionnel de santé devrait garder en tête dans l’exercice quotidien de ses fonctions.
La confidentialité permet enfin le respect de l’autonomie du patient. Ses données médicales lui appartiennent avant tout et il a le droit de déterminer qui peut avoir accès ou non aux informations le concernant. Ce droit demeure même après sa mort, et sa violation, même sans intention de nuire, est réprimandée.
Confidentialité pour confidentialité ?
Assurément non, car cette confidentialité n’est pas toujours absolue et des dilemmes peuvent se poser aussi bien sur le plan légal (à l’origine parfois de jurisprudence), éthique ou professionnel. Il existe en effet des situations où la loi peut autoriser ou même imposer la révélation d’informations à caractère secret, mais à des personnes autorisées. Il s’agit par exemple de permettre à certains fonctionnaires de remplir une mission d’intérêt général (rôle de régulation du système de santé) ; ou encore de certaines situations pouvant constituer une menace à la santé publique et/ou à l’ordre public (maladies à potentiel épidémique, psychiatriques…). L’enjeu dans ces cas est plus souvent de contrebalancer l’intérêt public avec la violation ou non du secret. La décision est alors prise en fonction des enjeux particuliers et des contextes spécifiques.
2. Le secret professionnel dans le cadre du PBF
La mise en œuvre d’une politique de PBF dans la santé soulève de nombreuses interrogations relatives à la confidentialité des données à caractère civil et médical. Lors de notre discussion, les membres de la CoP PBF ont reconnu que la question mérite attention et devrait être constamment prise en compte. Comme déjà mentionné ci-dessus, le non-respect de la confidentialité peut entraîner, au-delà des questions purement légales et éthiques, des problèmes dans la démarche diagnostique et une désaffection des structures sanitaires ; ce qui toucherait même le cœur du PBF dont l'objectif est justement l’amélioration de la santé, par un accroissement de l’utilisation et de la qualité des services de santé. Le problème se pose essentiellement au niveau de la capitale activité de vérification qui concerne plusieurs entités et volets : (i) les structures sanitaires, au plan quantité et qualité (avec parfois contre-vérification) ; (ii) la communauté, pour contrôler la véracité des données fournies par les formations sanitaires et recueillir le niveau de satisfaction de la population par rapport aux soins reçus.
La problématique n’est pas la même dans chacun des cas et selon la nature des informations à vérifier. C’est habituellement avec les indicateurs de la Santé de la Reproduction (planification familiale, infections sexuellement transmissibles et VIH/SIDA…) que les problèmes d’ordre éthique et de confidentialité se posent le plus. Même si le montage institutionnel peut varier selon les pays, les vérifications quantitatives sont souvent assurées par des agences de contractualisation et vérification (ACV) et les contre-vérifications par des ONG. Quant à la revue de la qualité, elle est généralement assurée par les autorités sanitaires, les pairs ou les ACV. La vérification communautaire, elle, est souvent faite par des organisations à base communautaire (OBC).
Au total, nous avons comme acteurs intervenant dans les activités de vérification :
- les autorités sanitaires superviseurs ;
- les pairs évaluateurs (habituellement des médecins) ;
- les agents vérificateurs et/ou contre-vérificateurs des ACV et des ONG ;
- les enquêteurs des OBC.
Cette pluralité des acteurs est en elle-même une menace à la confidentialité des données, impliquant une plus grande prudence et la prise d’un minimum de dispositions.
3. Les points de vue et propositions des membres de la CoP PBF
Des discussions qui se sont tenues sur le forum, on peut globalement retenir les points suivants :
Au niveau des autorités sanitaires et des pairs
A priori, le problème ne se pose pas à leur niveau puisqu’en règle générale, des dispositifs législatifs et règlementaires leur donne accès, dans le respect de règles déontologiques, à certaines informations pour pouvoir remplir leurs missions d’intérêt général. Par ailleurs, il s’agit souvent d’agents déjà liés par le serment de confidentialité.
Au niveau des agences de contractualisation et de vérification et des ONG
L’importance que la vérification quantitative soit assurée par des vérificateurs qui soient des professionnels de santé (et qui ont donc prêté serment de confidentialité) a été souligné par plusieurs membres de la CoP comme Robert Soeters (SINA Health, Pays-Bas), Olivier Basenya (Coordinateur adjoint de la cellule PBF, Burundi), Jean Paul Niyibigira (Université de Liverpool, UK) et Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers). Mais Michel Muvudi (UE, 10ème FED, RDC) et Leonard Ntakarutimana (Institut National de Santé Publique, Burundi) pensent que cela n’est pas suffisant. Le premier estime en effet qu’ils ne sont pas dans l'exercice d'une fonction à proprement parler médicale mais de contrôle, et qu’il serait donc judicieux de leur faire signer une clause de confidentialité avant leur mission. Le second quant à lui estime que toutes les parties prenantes à l’évaluation des activités PBF devraient être constamment sensibilisées à cette question et que les différents textes législatifs nationaux devraient être renforcés et appliqués avec plus de rigueur.
Au niveau des organisations et associations à base communautaire
C’est à leur niveau que la question devient beaucoup plus complexe. Comme l’ont souligné Maria Paalman (Maria Paalman Health Consultancy, Pays-Bas) et Olivier Basenya, même si les enquêteurs ne sont pas au courant du diagnostic posé, les personnes interrogées lors des enquêtes communautaires peuvent légitimement se demander d'où ont été tirées des informations les concernant. En plus ces enquêtes ne sont habituellement pas réalisées par des professionnels de santé assermentés. C'est pourquoi la tendance générale est de se limiter, au niveau communautaire, aux prestations qui ne posent pas beaucoup de problèmes éthiques, comme les consultations externes, la vaccination ou les accouchements.
L’avantage d’utiliser des associations locales fait aussi son inconvénient, pour Michel Muvudi et Maria Paalman. En effet si elles sont les mieux placées pour retrouver plus facilement les clients, le problème de la confidentialité se pose avec beaucoup plus d’acuité avec elles, d’autant plus qu’elles sont constituées habituellement de personnes ayant des charges sociales particulières dans ces communautés (pasteur, responsable de groupe, conseiller, enseignant...). La solution trouvée par l’Université de Zambie face à ce dilemme, et rapportée par Maria Paalman, est de confier dans un premier temps à un volontaire issu de la communauté une liste des patients échantillonnés à enquêter avec uniquement leurs noms et adresses (sans aucune information sur le service fourni). Celui-ci tentera alors de les retrouver, de leur expliquer le but de l’étude et requerra leur consentement à y participer. En l’absence d’objection, un rendez-vous est pris et l’enquête proprement dite est réalisée dans un second temps par d’autres enquêteurs issus d’un autre village que celui des enquêtés.
Le Burundi, d’après le témoignage de Olivier Basenya et de Jean-Paul Niyibigira, a clairement choisi d’exclure des enquêtes communautaires les prestations qui posent manifestement problème (infections sexuellement transmissibles, VIH et planning familial). Mais des réflexions seraient en cours, en ce qui concerne le VIH, pour confier les enquêtes à des associations de personnes vivant avec le VIH/SIDA. Malam Issa Inoussa (Cordaid, Soudan du Sud) soutient l’idée car il pourrait déjà exister au sein de ces groupes des activités de soutien à domicile ou de recherche active de perdus de vue. Il pense alors que travailler avec ces structures pourraient faciliter les choses et amoindrir la question de la confidentialité. Mais Leonard Ntakarutimana, sans apporter une proposition concrète au problème, juge que ces manières de faire (ne pas vérifier les activités sensibles ou les confier à des associations de malades), si elles permettent de contourner un problème, en crée d’autres : d’une part les biais qu’entraîne la non inclusion des problèmes de santé concernés ; et d’autre part la stigmatisation dont pourrait faire l’objet les personnes vivant avec le VIH et les membres de ces associations en cas de conduite d’enquêtes spécifiques.
Nancy Fitch (EGPAF, USA) a rapporté l’expérience du Mozambique, en matière de visite à domicile des personnes vivant avec le VIH, où des agents de santé communautaires bien formés sont sollicités. La confidentialité reste au cœur de leurs activités, ce qui n’empêche pas d’observer (en dehors de toute politique de PBF) qu’au moins 10% des patients donnent de fausses adresses pour préserver leur anonymat et se préserver de la stigmatisation.
Deux pistes ont été proposées pour résoudre le problème en rapport avec la vérification communautaire. La première, émise par Floride Niyuhire (MSH, USA), consiste à renforcer le système de vérification quantitatif et qualitatif au niveau des formations sanitaires afin de le rendre plus sûr et plus efficace, de sorte que l’enquête communautaire puisse être assimilée à une simple enquête de satisfaction. La seconde, évoquée par Nancy Fitch et Bruno Meessen, a trait au recours à des enquêtes téléphoniques, qui permettraient en plus de réduire les questions de stigmatisation et de confidentialité les coûts des enquêtes. Pour ce faire l’accord du patient devrait auparavant être obtenu au moment où il donne un numéro de portable au personnel de la formation sanitaire. L’utilisation du logiciel EpiSurveyor (Magpi) a également été suggérée.
Les dispositifs juridiques et règlementaires
La question du droit est assez complexe car les textes législatifs sont habituellement intriqués. En effet, en dehors de spécificités nationales, la violation d’une information à caractère secret par une personne qui en est dépositaire peut être punie aux plans pénal, disciplinaire, civil et administratif. Si l’infraction pénale peut frapper tout citoyen, la faute déontologique intéresse un corps de métier donné et toutes deux peuvent ouvrir droit à des sanctions administratives et/ou à une indemnisation pour préjudice moral subi.
A défaut (ou dans l’attente) d’une disposition légale autorisant explicitement les vérificateurs à accéder aux informations médicales, Bruno Meessen propose de s’en remettre à la « jurisprudence » locale car les experts des projets PBF ne sont pas les seuls « a priori non autorisés » à consulter les registres des formations sanitaires dans le cadre de leurs activités. Mais il faudrait si possible requérir au préalable les avis des autorités sanitaires nationales et ceux des comités d’éthique pour la recherche en santé dans les différents pays. Leur implication dès la phase de conception des activités de vérification permettrait, selon Alex Hakuzimana, de résoudre déjà beaucoup de problèmes.
4. Quels enseignements tirer ?
Le respect du secret professionnel reste au cœur de toute activité d’ordre médical pour des raisons professionnelles, légales et éthiques. Sa violation peut fragiliser le système de santé et avoir des effets contraires aux objectifs du PBF (désaffection des services de soins modernes). Les parties prenantes à la mise en œuvre des politiques de PBF à travers les pays doivent donc porter une attention particulière à la question. C’est surtout au niveau des enquêtes communautaires que les problèmes les plus complexes se posent. Celles-ci sont en effet réalisées par des non professionnels de santé issus des communautés qu’elles enquêtent, faisant que des indicateurs sensibles comme les infections sexuellement transmissibles, le VIH ou la planification familiale sont généralement exclus des champs d’investigation. Les vérificateurs et contre-vérificateurs des ACV et des ONG ne sont pas les seuls à accéder aux registres des patients dans les formations sanitaires. Les agents des mutuelles de santé ou encore les chercheurs et les enquêteurs qu’ils recrutent (pour ne citer qu’eux) y accèdent également ; ce qui nuance quelque peu le problème sans le résoudre dans le fond.
En réalité, la question du droit en rapport avec les activités de vérification et la confidentialité dans le cadre du PBF reste un peu virtuelle en Afrique subsaharienne, particulièrement en zone rurale, du fait du faible niveau d’éducation des populations.
Par ailleurs les Etats n’ont pas toujours la capacité ni les moyens de faire respecter les lois et les règlements en la matière (quand ils existent). Les priorités semblent ailleurs. Mais cela ne doit pas constituer des motifs de négligence de notre côté : c’est justement parce que les patients sont peu à même de se défendre par eux-mêmes, que nous devons redoubler d’effort aujourd’hui pour renforcer notre attention et mettre en œuvre des dispositions claires.
5. Recommandations générales
A la lumière des enseignements que nous venons de tirer, nous formulons les recommandations générales suivantes qui pourront être analysées et éventuellement adaptées aux différents contextes particuliers :
En ce qui concerne la législation et les règlements
Initier des ateliers de réflexion sur le sujet de la confidentialité des informations médicales dans le cadre du PBF, regroupant des professionnels du droit, le Ministère de la santé, les comités d’éthiques, les associations professionnelles médicales et paramédicale (Ordres des médecins, des pharmaciens, des infirmiers…), etc.
En ce qui concerne les agents vérificateurs ou contre-vérificateurs des agences de contractualisation et des ONG
- Recruter des professionnels de santé déjà liés à un serment de confidentialité.
- Inclure une clause de confidentialité dans leurs contrats de prestation de services.
- Mener régulièrement à leur endroit des activités de sensibilisation sur la question.
En ce qui concerne la vérification communautaire
- Inclure une clause de confidentialité dans les contrats de prestation de services des organisations et associations devant mener ces vérifications.
- Mener régulièrement à leur endroit des activités de sensibilisation sur la question.
- Elaborer distinctement et de façon concertée des protocoles de vérification communautaire distinguant les indicateurs jugés sensibles de ceux posant moins de problèmes éthiques, en évitant de reprendre l’information sur les diagnostics ou qui permettrait de les inférer.
- Confier la vérification des indicateurs jugés sensibles à des organisations ou associations « spécialisées » comme celles des personnes vivant avec le VIH, compétentes et ayant fait leurs preuves, en veillant à ce que cette vérification entre dans le cadre de leurs activités routinières pour minimiser les risques de stigmatisation.
- Encourager et organiser, quand c’est possible, l’utilisation des téléphones portables ou de logiciels comme EpiSurveyor (Magpi) pour mener les enquêtes communautaires.
En général, nous devons peut-être mettre en place un groupe de travail sur cette question. Il pourrait continuer à compiler les bonnes pratiques et veiller à leur bon partage entre pays. Qu'en pensez-vous? Intéressé?