Du 28 avril au 1er mai 2014, une soixantaine d’experts internationaux se sont retrouvés à Bujumbura à la faveur d'un atelier organisé par la Communauté de Pratique Financement Basé sur la Performance. L’événement était organisé en partenariat avec le Joint Learning Network for Universal Health Coverage, avec le soutien financier de la Coopération Belge au Développement et la Banque Mondiale. Il visait à réunir les nombreux experts impliqués dans la conception, le développement, la mise en œuvre et l’utilisation des solutions technologiques conçues dans le domaine du financement des services de santé. Cheickna Toure (Union Technique de la Mutualité Malienne) nous rapporte les grands messages de l’atelier.
C’est devenu un cliché de dire que les technologies de l’information et de la communication (TIC) sont en train de transformer profondément nos sociétés. Ce diagnostic s’applique également à la conduite des systèmes de santé en Afrique. Durant les quatre jours d’atelier à Bujumbura, nous avons pu apprécier la force du vent de dynamisme qui souffle sur le secteur qui intéresse les lecteurs de ce blog : les mécanismes de financement des services de santé.
Des opportunités certaines….
Au vu des nombreuses présentations (que vous pouvez retrouver ici), il est clair que les TIC constituent une grande opportunité pour améliorer la performance des systèmes de santé. Les gros progrès réalisés au niveau des interfaces font que les outils technologiques sont aujourd’hui assez simples à prendre en main ; cela permet un usage beaucoup plus ouvert que par le passé. Les sessions sur la visualisation des données et les tableaux de bord furent l'occasion pour les participants d'en faire l'expérience.
Dès la session introductive, les participants ont perçu la manière dont les TIC permettent de repousser les limites de la collecte des données. Parce qu'elles ouvrent la possibilité de recueillir davantage d'informations et de meilleure qualité au plus près de ceux qui utilisent les services de santé. Les présentations sur les solutions de liquidation électronique des prestations ou encore les dispositifs de bons électroniques (eVoucher) en ont fait la démonstration. Et pour les analyses de données, on aura très prochainement des Systèmes Nationaux d’Information Sanitaire (SNIS) beaucoup plus puissants et intégrés que par le passé. Il faut s'attendre à une convergence entre les solutions qui traitent de la demande des services et celles qui gèrent la fourniture des prestations. Cela va affiner la compréhension de l'utilisation des services et permettre une meilleure planification des activités de santé pour anticiper les besoins des usagers.
Par leur simplicité, les technologies actuelles telles que le SMS sont à même de toucher les populations pauvres. De nouveaux espaces de transparence apparaissent (Voir par exemple le portail FBR du Bénin) où sont rendues publiques une foule de données, accessibles aux usagers, aux décideurs politiques, aux gestionnaires de programme et aux bailleurs. La session sur la redevabilité sociale a mis en lumière le fait que les TIC pouvaient être un puissant outil d'amélioration de la confiance des bailleurs et des usagers (voir aussi la récente initiative de Cordaid sur l’open data dans les projets de développement). Concernant les usagers futurs, les intenses discussions ont laissé entrevoir le développement encore plus soutenu des solutions mobiles dans les années à venir.
… sans doute des limites
Malgré les promesses des TIC, il existe encore des zones non desservies ou non couvertes par les réseaux de communication. Beaucoup de participants ont attiré l'attention sur l'isolement particulier des zones rurales. Les équipements (tablettes, smartphones et autres assistants numériques) ne sont pas toujours accessibles financièrement.
Il a été relevé que certaines pesanteurs liées à l'illettrisme, à l'indigence, etc. limitent les possibilités d'utilisation des technologies disponibles. L'introduction des TIC provoque parfois de la résistance au changement (cf. l'exemple des agents hospitaliers face à l'implantation de la facturation électronique des prestations au Mali) par crainte ou par méconnaissance des effets escomptés. La multiplication de l'offre des terminaux tout en renforçant les possibilités de collecte des données personnelles, pose avec acuité la problématique de leur protection.
Des débats parfois passionnés ont eu lieu sur les incidences d'une utilisation exacerbée des TIC. Certains pensent qu'elle peut conduire à la déshumanisation de la relation des praticiens aux patients. D'autres évoquent les effets contreproductifs sur l'organisation du travail du personnel soignant.
Des exigences aussi ….
L'interopérabilité des systèmes aura été une thématique régulièrement abordée tout au long de cet atelier en tant qu'elle constitue une réelle opportunité pour une approche plus holistique du système de santé (voir à ce sujet la conception du schéma directeur d'informatisation au Rwanda). En la matière, les pays africains gagneraient à s'accorder sur un minimum de taxonomie pour faciliter les échanges inter systèmes. Ce travail doit être enrichi par l'adoption au moins de dictionnaires nationaux de données pour la santé. Une méthodologie et des prototypes ont été mis à disposition par JLN. L'on retiendra le rôle catalytique des organisations régionales et sous régionales pour encourager l'adoption des systèmes ouverts. L'initiative de l'organisation ouest africaine de la santé OOAS pour la constitution d'une base de données régionale de la santé a montré une piste intéressante.
La flexibilisation des solutions a été identifiée comme un enjeu essentiel de l'utilisation des TIC dans les programmes de santé. Les technologies doivent constamment permettre d'ajuster les services proposés aux habitudes de consommation et comportements sociaux des personnes ciblées. L'adaptation des supports et des contenus est cruciale (voir par exemple la campagne de suivi par mobile des femmes enceintes en Tanzanie par Text-to-change).
Mais chaque pays peut et doit inventer sa voie
On aura également compris que les nombreuses initiatives développées dans les différents pays méritent d'être mises en contact pour forger la créativité et booster l'intérêt pour l'utilisation des TIC. Les laboratoires d'idées du dernier jour furent des moments absolument exaltants, tant le travail collaboratif qui en a découlé, a permis aux participants d'imaginer des processus plus efficients pour la collecte des données, l'enregistrement électronique des données médicales, la gestion de l'assurance maladie, l'interopérabilité, la modélisation de l'évaluation des coûts dans le système FBR, les bons électroniques. Pour moi, ces laboratoires ont été un des moments les plus passionnants de l'atelier.
Finalement j'ai retenu au terme des quatre jours d'échange d'expériences que la solution standard (ni en terme d'outils ni en terme de technologie) adaptée à toutes les situations n'existait nulle part; chaque pays doit faire ses choix en fonction de la complexité de son système de gestion.