Dans ce billet de blog, Allison Kelley présente une recherche descriptive qui va être menée par des experts des communauté de pratiques « Accès Financier aux Services de Santé » et « Financement Basé sur la Performance » dans 12 pays francophones. Le projet innove par son recours à un modèle collaboratif.
La « couverture universelle en santé » - CUS – a fait un bond sur les agendas politiques nationaux et internationaux. Les chefs d’état, les poids lourds des partenaires au développement, même les ONG internationales, tout le monde veut aller de l’avant. Quel accord ! Quel rêve ! Sauf que – et comme c’est souvent le cas – le diable se trouve dans les détails et ici dans leurs multitude, tant les mécanismes de financement abondent dans les pays africains : tarification des soins, allocation budgétaire, soutien en ressources physiques, mutuelles de santé, politiques de gratuité des soins, exemption des plus pauvres, financement basé sur la performance… à titre d’exemple, un de nos experts a pu déjà décompter 29 mécanismes différents au Niger !
Une telle fragmentation dans le financement de la santé, sans parler même des défis de qualité des soins et des ressources humaines, peut donc laisser songeur face à une certaine rhétorique en faveur de la CUS. Comment rassembler les pièces du puzzle de financement de la santé et les rendre cohérente à l’échelle nationale ? Dans de nombreux pays, c’est une multitude d’acteurs qui sont engagés dans la mise en place et le fonctionnement de ces régimes de financement de la santé (RFS), tous avec leurs propres objectifs. Beaucoup de ces acteurs n’ont pas nécessairement conscience que de la sorte, ils contribuent de facto à la couverture universelle sanitaire dans leur pays (1). Ils n’ont pas nécessairement non plus envie de collaborer ou d’être ‘fusionnés’.
La confusion et la diversité quant aux aspects relatifs à la gouvernance, aux objectifs poursuivis, au niveau d’intervention, aux groupes-cibles, aux sources de financement, aux budgets disponibles, aux critères d’éligibilité, à la gestion, à la performance, sont telles que plus personne ne dispose aujourd’hui d’une vue d’ensemble. Celle-ci est pourtant indispensable si le pays veut progresser vers un système national de financement plus équitable et efficient. Une telle vision d’ensemble permettrait en effet d’identifier les groupes sociaux les moins bien couverts, ceux qui le sont parfois deux fois (et les gagnants finaux de cette double couverture), les inefficiences, etc. Et je dirais que c’est une préalable avant de définir et de mettre en place une stratégie nationale de financement de la santé.
Une recherche multi-pays
Grâce à l’appui financier des Fonds français « Muskoka » et de l’ONG Cordaid, des experts des communautés de pratique « Accès Financier aux Services de Santé » et « Financement Basé sur la Performance » entament une recherche collaborative dans douze pays d’Afrique sub-Saharienne francophone. Leur ambition est de documenter, de façon rapide et légère, l’écheveau des RFS. Il est espéré que cette « mise en carte » des RFS dans chacun des pays permettra de révéler la complexité de chaque situation nationale. Nous espérons également que la comparaison inter-pays permettra d’identifier des situations récurrentes (‘patterns’) qu’il nous faudra, sur base des savoirs disponibles en économie de la santé et économie politique, interpréter comme favorable ou défavorable à la progression vers la couverture universelle de la santé (2).
Un processus collaboratif de A à Z
Cette recherche, modeste dans ses objectifs scientifiques (uniquement de la documentation descriptive exploitant des données secondaires générales et les savoirs détenus par les experts), est par contre innovante sur le plan méthodologique : depuis son début jusqu’à sa fin, elle repose sur un processus collaboratif.
Au printemps 2012 (oui, cela peut prendre du temps entre lancer une idée et la réaliser !), un brainstorming virtuel a été organisé sur les groupes de discussion en ligne des deux communautés de pratique. Il s’agissait pour nos membres de suggérer des thèmes de recherche pour une éventuelle proposition à soumettre au Fond Muskoka. Nous avons ensuite soumis ces thèmes à un vote électronique des mêmes experts. Leur vote a été clair : la priorité est d’avancer dans la compréhension des articulations à trouver entre les nombreux RFS qui s’accumulent dans chaque pays.
Pour respecter ce large intérêt, nous avons opté pour un modèle de recherche qui serait ouvert à un maximum d’expériences (plutôt que de se concentrer sur 1-2 pays) : une description légère, un peu sur le modèle de ce qui avait été produit pour préparer l’atelier de Bamako (weblink). Nous avons dès lors lancé un large appel aux candidatures individuelles pour réaliser cette recherche. Le financement Muskoka étant orienté vers les pays francophones (et malheureusement, seulement une sélection d’entre eux), nous nous sommes retrouvés avec des candidats dans 10 pays : le Bénin, le Burkina Faso, la Côte d'Ivoire, la Guinée, le Mali, le Niger, la RCA, la RDC, le Sénégal, le Tchad, le Togo. Notre modèle collaboratif a toutefois permis à ce que projet soit, grâce au soutien de Cordaid, rejoint par deux pays « non-Muskoka » : le Burundi et le Cameroun.
Après la signature du contrat au printemps 2013, nous avons procédé à la mise en place de l’équipe de recherche. Une grille d’étude a été élaborée, partagée avec les équipes-pays impliquées et améliorée à partir de leurs commentaires. De la vraie co-production !
Etapes à venir
La recherche a désormais commencé. Les chercheurs sont en discussion continue sur les défis, les astuces, les stratégies pour dénicher les données financières…
Les résultats de la première phase de recherche – la mise en carte des RFS dans les 12 pays et une synthèse transversale de la situation – seront présentés à la Conférence AfHEA à Nairobi en mars et partagés plus largement avant mi-2014. Cette vue sur un quart des pays du continent devrait nous permettre de dégager des leçons génériques et peut-être de formuler quelques recommandations.
Début 2014, nous commencerons par ailleurs à préparer la deuxième phase (2014-2015) de cette recherche. Notre intention est d’élaborer une grille plus détaillée que nous testerons déjà dans au moins un pays. La 2° phase consisterait alors à mener ces analyses plus approfondies dans un maximum de pays (cela dépendra du budget disponible et des résultats par pays).
Il s’agira d’identifier les pertes d’efficience et d’équité générées par la multiplicité des RFS et essayer d’identifier des pistes d’action. Il sera alors possible, espérons-nous, de formuler des recommandations pour chaque pays documenté dans cette seconde phase.
Une telle recherche est bien un terrain nouveau pour nos CoPs. C’est la première fois que nous sollicitons ainsi certains de nos membres pour une documentation systématique. Ce qui nous paraît intéressant avec ce projet est que nous allons nous insérer dans un terrain peu occupé aujourd’hui : celui des études multi-pays. Entre les études individuelles approfondissant le financement de la santé d’un pays et les tableaux produits chaque année par l’OMS sur les dépenses de santé, il y a un espace ! Les CoPs ont peut-être un rôle à jouer, compte tenu de leur implantation désormais dans quasi tous les pays africains. La réussite dépendra toutefois de certains facteurs tels que de notre capacité à nous coordonner et à nous entraider, le cas échéant. Nous veillerons dès lors à documenter ce modèle original de collaboration.
On vous donne rendez-vous à dans quelques mois. En espérant qu’on pourra apporter un nouveau savoir sur comment exploiter la multiplicité des RFS existants pour progresser vers la CUS.
Notes
(1) Celle-ci est en effet assimilée, à tort, avec la couverture-maladie (qui comme son nom l’indique se désintéresse de la prévention et promotion de la santé) ou même avec la mise en place d’une assurance-maladie obligatoire (Voyez déjà comment nous peinons à traduire le concept de « Universal Health Coverage » en français !).
(2) Entendue comme une situation au niveau national d’un usage optimal des ressources pour assurer l’accès de chacun à des soins de qualité, respectueux de sa personne et assurant une protection contre l’appauvrissement