Financing Health in Africa - Le blog
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Série sur les 25 ans de l'Initiative de Bamako. La participation communautaire dans la santé mise en contexte.

10/28/2012

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Jean-Benoît Falisse

Dans le cadre de notre anniversaire des 25 ans de l’Initiative de Bamako et de la Déclaration de Hararé, nous avons confié à l’historien et économiste Jean-Benoît Falisse la conduite d’une série d’interviews autour de la participation communautaire. Dans ce premier texte, il introduit la thématique.

Il y a vingt-cinq ans, les Ministres de la Santé africains réunis à Bamako au Mali par l'UNICEF et l'OMS déclaraient leur volonté d'améliorer l'accès aux médicaments essentiels et aux services de santé. Au centre de l’Initiative de Bamako (IB) se trouve la conviction que la participation des usagers à la gestion (et parfois à la prestation) des services de santé peut accélérer la réalisation des soins de santé primaires formalisés douze ans avant à la conférence d'Alma-Ata (1978). Le contexte de Bamako n'est pas sans rappeler celui qui prévaut aujourd'hui en Europe du Sud : des états accusant un sérieux contrecoup économique (à l'époque la crise pétrolière et la crise de la dette) et l’imposition de mesures de rigueur budgétaire par des institutions internationales comme le Fond Monétaire International et la Banque Mondiale.

Vingt-cinq ans après Bamako, la « santé pour tous » demeure malheureusement au mieux une ambition à long-terme. Malgré des succès locaux, la participation communautaire dans la santé n'a pas été le remède espéré par certains. S’en suit une série de questions. Dans quelles mesures les initiatives de participation dans la santé ont-elles tout de même amené des changements? Est-ce que les attentes étaient trop élevées ou bien est-ce que, comme un fonctionnaire international me le disait récemment, « on n’a simplement pas vraiment donné sa chance » à la participation communautaire?

Dans les prochains mois, je vais partager avec vous différentes contributions sur le sujet (1). Il s’agira d'essayer de comprendre l'héritage de l’IB et les stratégies passées, présentes et futures de participation communautaire dans la santé. Comme préambule aux interviews à venir, j’aimerais revenir brièvement sur l’IB, sur son contexte historique et sur quelques récents développements dans le domaine. J’identifie cinq grandes questions.

Question 1 : Quelle participation communautaire?

Au cœur de l’IB figure un triple principe: celui (1) de mise en place de mécanismes d'autofinancement au niveau périphérique et des ménages, (2) de l'encouragement de la mobilisation des communautés pour la santé (la « participation communautaire ») et (3) de l'amélioration de l'approvisionnement en médicaments. Le financement, additionnel par les communautés _ il n'est officiellement pas alors question pour les états de se désengager _ va de pair avec une participation communautaire accrue ; celle-ci va se traduire par la mise en place de comités communautaires de (co-)gestion des centres de santé dans de très nombreux pays africains. L'idée est aussi, comme des expériences antérieures à Bamako l'avait déjà avancé, de fournir une meilleure interface entre soignants et soignés. Sur le terrain, le rôle de (co-)gestionnaire accordé à la communauté et à son comité de santé se confond néanmoins avec une autre participation communautaire moins habilitante, celles des agents de santé communautaires et autres héritiers des « docteurs aux pieds nus » de la Chine maoïste. Souvent mis en place par des programmes verticaux, ils sont un instrument pour toucher la communauté en son cœur, la plupart du temps sur des questions de sensibilisation aux maladies. Dans bien des expériences nationales, la distinction entre cette participation qui est une forme de prestation de services déléguée à des membres de la communauté et la participation à la co-gestion promue par l'IB restera peu claire ; cette confusion reflétant en partie le débat des deux dernières décennies sur la participation soit comme une fin en soi, soit comme un moyen. Le bon contenu de la participation communautaire sera une des questions que nous explorerons dans la série d’interviews à venir. Ecrivant  ce texte depuis Bukavu en République Démocratique du Congo, où les membres de comités de développement sanitaires  sont à la fois des relais communautaires  et des co-gestionnaires, je crois en effet que la question a une pertinence bien au-delà des sphères académiques ou d’un clivage idéologique.

Question 2 : Quelle intégration dans le contexte politique ?

Avant l’IB, ce furent plutôt les pays non-alignés et sympathisants socialistes qui furent les pionniers de la participation communautaire (Tanzanie, Kenya, Inde, etc.). L’IB s’inscrivait du reste dans la continuité de la Déclaration d’Alma Ata, qui reste une surprenante adhésion des pays du monde en entier à une philosophie politique marquée par l’expérience du socialisme décentralisé « à la chinoise » (responsabilisation des communautés locales villageoises à gérer leur santé) (2).  

Mais l’IB est aussi l’enfant du Consensus de Washington, de la « nouvelle gestion publique », de la « bonne gouvernance » et du respect des mécanismes de marché. Le concept semble avoir profité d’un espace relativement large sur le spectre politique des praticiens du développement international : depuis les héritiers de Mai 68 jusqu'aux tenants du retour libéral Reagan/Thatcher des années 1980, depuis les ONG communautaires locales jusqu'à la Banque Mondiale.

Dans les années qui suivirent, le débat mentionné plus haut sur la nature de la participation communautaire (habilitante ou instrumentale) a certes eu lieu dans certains cercles (académiques), mais on peut surtout observer qu’à la suite de l’IB, c'est un même type de “comités de santé” qui est mis en place un peu partout en Afrique. De façon surprenante, la dimension (nécessairement?) politique de la participation citoyenne à la gestion de services sociaux de base que sont les soins de santé, a souvent été peu abordée.

Depuis 1987, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts : la décentralisation mais aussi la démocratie ont largement progressé en Afrique. Dans nos interviews à venir, il nous faudra certainement étudier comment la participation communautaire - comme proposition parfois technocratique - s’inscrit dans un contexte de mobilisation sociale, politique et économique au niveau local. Quelle partie de la population est inclue dans ce genre de stratégies ? Quelles sont les articulations avec les scènes politiques locales et nationales ?

Question 3 : Nouvelles politiques de santé, nouvelles formes de participation?

Si la participation communautaire n'a pas exactement satisfait toutes les attentes des participants de la conférence de Bamako, confrontée à de nouvelles politiques de santé, elle a aussi évolué. Certaines sont, comme l'a été l’IB en son temps, porteuses de grands espoirs pour l'amélioration des services de santé et l'accès aux soins.

Les initiatives de financement basé sur la performance questionnent ainsi la place des acteurs communautaires. Peuvent-ils être contractualisés pour une série de tâches de vérification des résultats ou de prestation? Ou la « communauté » devrait-elle, au contraire, être renforcée dans son rôle de co-gestionnaire proposé par l’IB,  par exemple pour constituer un garde-fou assurant que les performances et résultats correspondent aux besoins de la population? Comment s'assurer que la voix de la population continue à être transmise et entendue quand les incitants financiers tirent le système?

La gratuité des soins de santé à large échelle pose également de nouveaux défis. Si l’IB n'était pas limitée au recouvrement des coûts, elle a souvent été lue de la sorte. La prise en charge par les ménages d'une petite partie des coûts devait en effet permettre de développer les services et de favoriser l'accès (parfois via un système d’exemption pour certains bénéficiaires) à des traitements essentiels, notamment pour des groupes vulnérables identifiés par les comités de santé. Avec la gratuité, l’intérêt financier des membres des comités de santé dans la gestion du centre de santé disparait. Leur motivation pour participer ne risque-t-elle pas d’en être affectée?

La gratuité et le financement base sur la performance étant deux des politiques de santé en fort développement en Afrique, la série d'interviews tentera d’en apprécier les implications pour la participation communautaire dans la santé.

Question 4 : La redevabilité, un changement de paradigme?

Les 25 ans qui se sont écoulés correspondent aussi à des changements dans le langage en santé internationale (on dit même santé « mondiale » ou « globale » aujourd’hui). La rhétorique des acteurs a mis un peu de côté la « participation communautaire » pour lui préférer des termes tels que  la « redevabilité » et  la « transparence ». Ces concepts se marient volontiers avec “communautaire” ou “social” ; la question qui se pose est dès lors de comprendre comment l'esprit de la participation communautaire de l’IB se retrouve, ou non, dans la « nouvelle » notion de «  redevabilité vers le bas ». Plus concrètement, toute une nouvelle génération de politiques et de stratégies visant plus de « redevabilité sociale » dans la santé mais aussi au niveau d'autres services sociaux de base est en train d'apparaître (« balanced score cards », audit social, etc.). Ces stratégies impliquent-elles le même type de participation communautaire que celle prônée par l’IB? S'agit-il d'une version renforcée de la “participation communautaire” ou au contraire de son ersatz édulcoré?

Question 5 : Quid des développements du côté de la recherche ?

Parallèlement à tous ces développements en matière d’orientation, contextes, politiques de santé et stratégies, en 25 ans la recherche en matière de système de santé a évolué. Un nouveau champ de recherche semble s'ouvrir, avec des méthodes mixtes, qualitatives et quantitatives, qui tranchent par rapport aux approches ethnographiques et sociologiques qui avaient été appliquées à l'étude de la participation communautaire pré- et post-Bamako. « Que peuvent nous apprendre ces nouvelles méthodes de recherche? » et « quel est l'état de la recherche sur les mécanismes de participation communautaire? » constitueront le dernier angle d'approche de notre série.

C’est avec donc toutes ces cinq questions en tête, que nous donnerons la parole à des chercheurs et des praticiens de la participation communautaire. Avec propres réactions et commentaires, nous espérons ainsi mieux comprendre l'héritage de l’IB et le futur de la participation communautaire dans la santé. A bientôt.

Notes :
(1) C’est le sujet de la thèse de doctorat que je mène à l’Université d’ Oxford et c’est le thème central de différentes interventions menées dans l’Afrique des Grands Lacs, dont j’espère documenter l’impact prochainement.
(2) A posteriori, on peut deviner que les pays riches ne se contraignaient guère en signant un texte où les pays pauvres s’engageaient à confier aux communautés locales la gestion et le financement de leurs soins de santé.



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La population au Burkina Faso est de plus en plus exigeante : la relation soignant-soigné est l’enjeu central

1/23/2012

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Interview de Robert Kargougou, médecin de santé publique, Directeur Régional de la Santé du  Centre-Ouest au Burkina Faso par Bruno Meessen

Le 31 août 2011, une femme est morte en couche dans une maternité à Bobo-Dioulasso. Le lendemain, après son enterrement, la population exprimait son courroux face à la négligence de la sage-femme en brulant le centre de santé. Il n’est bien sûr pas de notre ressort de rendre un avis sur cet incident ou sur la façon dont il a été géré par le gouvernement burkinabé. Par contre, il m’a semblé intéressant de consulter un de mes anciens étudiants, aujourd’hui directeur d’une autre région sanitaire du Burkina Faso, pour comprendre les causes sous-jacentes de cette exaspération des usagers (voir notamment les commentaires des lecteurs en ligne du portail « Le Faso.net », qui est repris en hyperliens plus haut). Cet interview a eu lieu à Limbe, Cameroun, dans le cadre d’un atelier sur le Financement Basé sur la Performance.

BM : Robert, quelles sont, selon toi, les causes derrière cette exaspération de la population ?

RK : Je ne veux pas me prononcer sur le cas spécifique de Bobo, dont  je ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants, mais il est vrai qu’au Burkina Faso, nous avons eu ces derniers temps, de façon éparse, des réactions violentes des populations à l’endroit des services de santé.

Une hypothèse serait que les populations sont de plus en plus exigeantes vis-à-vis des prestations qui leurs sont offertes et qu’il y a un problème de réactivité des services de santé à leur endroit. Mon expérience personnelle me laisse penser que les populations sont désormais très sensibles à la qualité humaine des soins et en particulier dans leur aspect de la relation entre prestataire et usager. Nous, agents de santé, nous n’avons pas été préparés à cela. Nos formations étaient centrées sur la biomédecine, la communication entre soignant et soigné ne recevait pas l’attention qu’elle mérite. Il y a un décalage entre les services que le personnel peut offrir, au vu de sa formation, et la demande des populations portée vers plus de dignité, de respect pour leurs besoins et souffrance.

BM : Ceci semble indiquer un besoin de revoir certains aspects dans le curriculum de formation du personnel soignant. Mais dans l’immédiat, y a-t-il des pistes d’actions ? Du côté de la population, du personnel ? Qu’avez-vous fait dans votre région ?

RK : Je voudrais tout d’abord dire que la violence n’est certainement pas la réponse à ce genre de situation. Au Burkina Faso, nous sommes dans un système démocratique. Il est possible d’interpeler pacifiquement les services publics. La violence n’est pas la façon la plus efficace pour obtenir plus de réactivité de la part des prestataires de soins.

Dans notre région, nous essayons de travailler du côté de la demande et de l’offre.

Du côté de la demande, nous allons travailler sur des mécanismes favorisant des interpellations plus citoyennes. Nous avons notamment convoqué une réunion, sous l’égide du gouverneur de la région, réunissant les différentes personnes-ressources au niveau régional. Du côté de l’administration étaient présents le gouverneur, les hauts-commissaires de province, certains maires. Au niveau de la communauté, nous avions convié tous les chefs-coutumiers de notre ville – ils ont encore un poids important dans notre société. Nous avons aussi associé la société civile, notamment les jeunes, les associations de femmes, bien sûr les représentants provinciaux du syndicat des travailleurs de la santé – qui est un syndicat très représentatif dans le secteur de la santé – la section provinciale du mouvement des droits de l’homme et des peuples et les autorités religieuses. Les ordres professionnels, qui ont un rôle important dans la régulation des prestations, ont aussi été associés ; il s’est agi de l’Ordre des Médecins, l’Ordre des Infirmiers et l’association régionale des sages-femmes. Lors de la réunion, nous avons passé le message suivant : un agent de santé qui n’est pas dans de bonnes dispositions psychologiques pour travailler ne peut pas donner toute la mesure de sa science ; il faut éduquer d’avantage les populations ; elles peuvent faire des interpellations, mais il faut respecter les droits, l’intégrité et la sécurité des agents de santé.

Mais nous avons aussi reconnu que du côté de l’offre, la qualité des soins est à revoir. Ceci rejoint un combat personnel. Depuis mon retour de l’Institut de Médecine Tropicale, je me bats pour mettre en place ce que l’on appelle l’approche centrée sur le patient. Nous avons organisé une formation pour les équipes-cadres. Il faudrait passer à l’échelle auprès du personnel de santé.

Mais il nous faut aussi travailler sur les structures d’interface entre les populations et les formations sanitaires – je pense en particulier aux comités de gestion. Grâce à la dynamique actuelle de décentralisation, nous pouvons travailler sur cet axe également. Un nouveau texte porte sur la mise en place des comités de gestion ; il prévoit au niveau de ces derniers une place pour les conseils municipaux. Le gouverneur de notre région a décidé de renouveler très rapidement les comités de gestion, beaucoup de mandats sont en effet dépassés ; il n’y avait plus d’interface efficace au niveau des centres de santé. Le gouvernement a aussi pris un arrêté conjoint à plusieurs ministères. Ce dernier met en place un comité de gestion au niveau de l’hôpital de district. Avant, il n’y avait pas d’interface à ce niveau. Le gouverneur de région a décidé qu’il fallait rapidement mettre cela en place dans les districts de la région. Ces interfaces devraient améliorer la qualité du dialogue. 

Le gouverneur a aussi insisté à ce que les assemblées générales soient tenues. Normalement, elles devraient se tenir deux fois par année. Ça devrait être un moment fort où les usagers se font faire le bilan physique, financier et de fonctionnement du centre de santé. Ces assemblées générales ne sont pas toutes tenues ; si elles se tiennent, la qualité de la représentation des populations n’est pas satisfaisante. Les associations de femmes et jeunes, les chefs coutumiers doivent être associés.

Après la réunion, le gouverneur avec l’ensemble des participants, a été dans un centre de santé pour encourager le personnel de santé et les rassurer. Ce sont là les pistes de solution adoptées au niveau régional.

BM : Je sais que ta région est une des régions pilotes pour le financement basé sur la performance (FBP) au Burkina Faso. Le FBP a-t-il un rôle à jouer dans la résolution de ce type de problème ?

RK : Oui, le FBP pourrait aussi aider, car il est centré sur la qualité des prestations. Il va aussi permettre aux prestataires d’être dans de bonnes conditions de travail et être plus réactifs : 30% des revenus du FBP seront réservés au centre de santé, le reste pourra motiver les agents de santé. Par ailleurs, au Burkina Faso, le montage prévoit d’impliquer les collectivités  territoriales. Cela devrait aussi contribuer à améliorer la qualité des relations entre les usagers et les services de santé. Le FBP va libérer le personnel et leur permettre d’offrir des services de qualité. Les agents mettront certainement en œuvre des stratégies pour attirer la population et la satisfaire. Le FBP est dès lors une des réponses au problème actuel.

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Liaison du financement aux résultats dans le secteur de la santé: pas seulement un agenda de bailleurs de fonds

12/22/2011

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Dans ce blog, Bruno Meessen soutient que conditionner le financement aux résultats est aussi une proposition africaine. Un test-clé pour les projets d’aide basée sur les résultats sera d’ailleurs de savoir comment ils consolideront les initiatives de réforme déjà en cours au niveau de plusieurs pays.

Au cours de ces dernières semaines, nous avons eu l'occasion de lire deux contributions intéressantes sur l'évolution progressive de l'aide internationale vers la logique «de l’argent contre des résultats». Commençons par la plus récente. Sur le blog  Broker Online, Marcus Leroy, un ancien assistant technique pour la coopération belge, critique la domination croissante dans le secteur de l’aide internationale de la logique de conditionner le financement à l’atteinte des résultats.

La réflexion de Leroy est riche et elle se déroule en deux temps : tout d’abord  à un niveau conceptuel et ensuite à un niveau opérationnel. Dans ce texte, je voudrais me concentrer sur quelques points relatifs aux faits (les questions philosophiques et morales qu’il identifie je les réserve peut-être pour un texte ultérieur). Pour rester proche de mon expertise, je m'en tiendrai à discuter la problématique au financement basé sur les résultats dans le seul secteur de la santé.

Tout d'abord, dissipons tout malentendu : je partage l’avis de M. Leroy quant au fait que l’aide conditionnée aux résultats (Performance Based Aid en anglais, et ABP pour ‘aide basée sur la performance’ dans la suite de cet article) n'est pas sans risques. Il en identifie plusieurs d'entre eux, dont certains ont été discutés lors de notre dernière conférence du Réseau « Incentives for Health Provider Performance Network »  au CERDI. Les différentes présentations partagées à Clermont-Ferrand nous ont aidé à mieux comprendre les propositions sur la table: certaines sont bien avancées (par exemple celle de GAVI), d'autres - peut-être les plus radicales -, comme l'aide « Cash on Delivery » (que l’on pourrait traduire en français : « Paiement comptant à la livraison »)  ou TrAid+ sont encore en développement. Toutes ces propositions sont vraiment intéressantes. Cependant, la demi-journée d'échanges a également fait prendre conscience que la PBA ne sera pas la panacée qu’une partie du secteur de l’aide cherche depuis plusieurs décennies.

Face à l'inconnu, il est naturel de ressentir une certaine crainte. Le PBA ne fait pas exception. Ma principale préoccupation personnelle est que les bailleurs qui décideront de conditionner leur assistance financière  aux résultats atteints par le pays récipiendaire optent pour une définition étroite des cibles à atteindre au sein d'un secteur, ce qui pourrait conduire à peu d’effets systématiques bénéfiques pour l’ensemble du secteur ou la société en générale. Pire, un système d'incitation se concentrant sur un seul problème de santé pourrait avoir des effets de distorsion majeure pour l'ensemble du secteur. Je comprends que des experts aux Etats-Unis et en Europe travaillent sur ces questions en ce moment même. Nous avons entendu lors d'une réunion récente d'agences que DFID, l’agence d’aide bilatérale du Royaume-Uni, progressait dans le développement de son instrument d'aide basée sur la performance. Nous leur souhaitons sincèrement beaucoup de succès.

Trois points de critique

Mais j’ai aussi des points de désaccord avec Leroy. Je voudrais en développer trois, sur base de notre expérience dans le secteur de la santé en Afrique.

D'abord, je pense qu'il est important de faire la distinction entre l’aide basée sur la  performance (ABP) et le financement basé sur la performance (FBP, et PBF en anglais). L’ABP porte sur une révision du contrat d’assistance entre un bailleur de fonds et un pays bénéficiaire. Le FBP, lui, s’appuie sur une transformation profonde des arrangements institutionnels structurant les relations des différents acteurs composant le secteur de la santé d’un pays : c’est bien plus que le changement d’un seul contrat.  Certains commentateurs confondent les deux stratégies. C'est une erreur d’interprétation.

J'encourage M. Leroy à lire les articles et rapports présentant les expériences de FBP dans le secteur de la santé. Il notera que toute une communauté d'experts et d'acteurs sont impliqués dans cette démarche, qu’ils sont pleins d’ambition et ont une vue sur le long terme. Nous l'invitons à visiter les secteurs de la santé au Rwanda ou au Burundi. Il pourra observer combien le FBP peut être ‘transformationnel’. Il verra aussi comment le FBP peut amener les bailleurs à harmoniser leurs interventions et peut aider un gouvernement à reprendre la main (si les bailleurs sont prêts à se conformer à la Déclaration de Paris, qui n'est bien sûr pas toujours le cas).

Deuxièmement, il ne faut pas écarter trop vite le programme réformateur de la Nouvelle Gestion Publique (New Public Management) (comme Leroy semble faire). Beaucoup de pays à faible revenu ont besoin de telles réformes de leur secteur public. Comme avec tout programme réformiste, des erreurs ont certainement été faites et seront encore faites. Mais ce n'est pas parce que, disons, le plan d'incitation financière mis en place par Sarkozy pour la police française est controversé que les formations sanitaires en Afrique sub-saharienne ne doivent pas être rémunérées en tenant compte des services (tant en termes de quantité et de qualité) qu’elles fournissent à la société. Il ne va pas de soi que les preuves (ou opinions) récoltées pour d'autres secteurs, en d'autres temps et dans des contextes totalement différents soient pertinentes pour le secteur de la santé en Afrique sub-Saharienne.

Ceci  m'amène directement à mon troisième point, celui que je considère comme le plus important. C'est une grosse erreur de considérer que le souci d’avoir plus de résultats pour les fonds investis est un agenda mené par le Nord et les boucs-émissaires que peuvent êtres les bailleurs de fonds. Pour se faire une opinion, il suffit de lire le point de vue de M. Donald Kaberuka, président de la Banque Africaine de Développement et ancien ministre des Finances du Rwanda, récemment publié dans The Lancet. Certains d'entre vous, ne connaissent peut-être pas M. Kaberuka ; il est sans doute l'un des réformateurs les plus actifs et engagés d’Afrique. Les énormes progrès réalisés au Rwanda au cours de la dernière décennie ne sont pas seulement une histoire de leadership politique au plus haut niveau ; c’est aussi le fait de réformes «techniquement» pertinentes et bien menées. Bien sûr Paul Kagame joue un rôle-clé, mais beaucoup des progrès au Rwanda découlent aussi de l'engagement de toute une génération de techniciens rwandais, dévoués et visionnaires. Certains sont encore dans le pays, d'autres, comme M. Kaberuka, partagent désormais leur expérience et leur vision au niveau régional.

Le papier M. Kaberuka est court et ciblé. Le principal message est simple: grâce à la croissance économique, les pays africains peuvent s'attendre à avoir plus de ressources domestiques dans un avenir proche. Ce dont ils ont aujourd’hui le plus besoin c’est de la redevabilité (accountability). Bien que l'auteur affiche une compréhension large de la notion de redevabilité dans son texte (il inclut notamment la démocratie), il insiste aussi sur ce qu’elle signifie dans une perspective de finances publiques: elle doit se matérialiser dans des mécanismes assurant que l'argent public apporte plus d'avantages aux citoyens. Les antécédents de M. Kaberuka et son article donnent une indication claire des options institutionnelles qu'il a en tête, et le FBP fait partie du 'paquet' de mesures.

Serait-ce juste là la vision d'un ex-ministre des Finances éclairé? Lors d'un atelier sur le FBP organisé par la Banque mondiale à Limbé (Cameroun) il y a trois semaines, j'ai pu à nouveau constater à quel point ce programme réformateur est en fait cher à de nombreux hauts fonctionnaires et techniciens africains (même si l'échantillon était évidemment biaisé). Mon point est le suivant : le programme de redevabilité formulé avec éloquence par M. Kaberuka  bénéficie d’une adhésion large en Afrique et il n’est certainement pas imposé de l'extérieur.

Une double proposition

En conclusion, l’ABP est au haute sur l’agenda des bailleurs de fonds du Nord ; elle le restera probablement dans les années à venir. Certains experts de l'aide expriment leurs préoccupations. Dans son message, M. Leroy soulève à juste titre la question de la marge de manœuvre et de l’autonomie des pays qui seront sous contrat. L’ABP va-t-elle respecter pleinement la souveraineté des pays bénéficiaires (elle entend en tout cas laisser ces derniers choisir les stratégies), ou ne sera-t-elle qu’un autre outil pour les bailleurs pour imposer leurs propres objectifs et préférences? Je suis peut-être naïf, mais je devine que les bailleurs optant pour l’ABP veilleront à mener une négociation équitable et équilibrée avec le pays bénéficiaire. Mais sera-ce suffisant pour évacuer la profonde méfiance que certains intervenants ont développé envers les agences d'aide bilatérale?

J'ai à cet égard deux propositions constructives pour les bailleurs intéressés par l’ABP.

Premièrement, il est essentiel et urgent d'obtenir la perspective des pays bénéficiaires sur l’ABP. Ce serait formidable si cette indispensable consultation était transparente (c'est peut-être le cas dans certains cas, mais je ne suis pas au courant). Pourquoi ne pas organiser quelques ‘rounds’ de discussions structurés avec quelques parlements dans le Sud? Comme nous le rappellent Kaberuka et Leroy, la redevabilité doit être dirigée d'abord vers les citoyens des pays bénéficiaires. J'espère que la performance de l’ABP à cet égard sera supérieure à celle des instruments d’aide existants.

Si un tel processus de consultation des parties prenantes n'est pas possible, une autre option serait de proposer la stratégie de l’ABP tout d’abord au Rwanda. Après le sommet de Busan, nous savons que ce serait un moyen efficace pour mieux connaître la perspective des dirigeants africains sur cet instrument d'aide (au moins nous aurions la perspective d’un dirigeant qui n’a pas peur d’exprimer son point de vue).

A notre petite échelle, nous ferons en sorte que notre blog Financing Health in Africa serve de plateforme pour que les experts africains puissent partager leurs vues et observations sur l’ABP. Nous pensons en effet que les communautés de pratique peuvent jouer un rôle dans cette obligation – qui s’impose également aux bailleurs - à plus de redevabilité.

Ma deuxième proposition est d'identifier correctement ce qui sera un succès dans un contrat d’ABP. Je dirais que le critère principal ne sera pas si l’ABP parvient à enrayer l'épidémie de VIH/SIDA ou à réduire la mortalité maternelle (même si de tels résultats seraient évidemment de vrais exploits qu’on appréciera tous). Le véritable test pour l’aide basée sur la performance sera de savoir si elle parvient à consolider les mécanismes mis en place par le gouvernement du pays récipiendiaire en matière de redevabilité envers ses propres citoyens.  À cet égard, la façon dont l’ABP s’articulera sur les différentes réformes améliorant la redevabilité dans le secteur de la santé (voir la liste  non exhaustive proposée par Donald Kaberuka) sera déterminante.





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