Dans chaque pays, l’agenda de la Couverture Sanitaire Universelle (CSU) soulève de nombreuses questions. Pour y répondre, une seule solution : chaque pays doit se doter de capacités systémiques d’apprentissage. Des experts des Communautés de Pratique Financement ont mesuré cette capacité dans six pays d’Afrique Francophone. Dans ce premier billet de blog, nous vous présentons les objectifs de cette recherche multi-pays, l’approche adoptée et quelques résultats relatifs aux six pays.
De nombreux pays sont aujourd’hui engagés sur la voie de la CSU. Il semble désormais acquis qu’il n’existe pas « un » mais « des » chemins pour progresser vers la CSU. Il revient donc à chaque pays de trouver son propre chemin. Cette nécessité indique au moins un principe directif universel : la nécessité pour le gouvernement et les ministères en charge de la CSU en particulier, de développer une capacité nationale à (1) rassembler l’information utile pour la CSU, (2) l’interpréter et (2) prendre des décisions en concordance. Soit les trois grandes caractéristiques d’une démarche apprenante.
Fin 2014, à l’initiative des Communautés de Pratique (CoP) Accès Financier aux Services de Santé et Financement Basé sur la Performance et avec le soutien de la France (Fond Français Muskoka et P4H), 11 délégations de pays d’Afrique Francophone se sont réunis à l’Ecole Nationale de Santé Publique de Rabat. L’objectif était de développer une méthodologie qui permettrait de mesurer, de façon participative, dans quelle mesure un pays particulier dispose d’une capacité systématique d’apprentissage en faveur de la CSU. A cette fin, il avait été convenu que les délégations devaient être composées d’une part de cadres des ministères impliqués dans la CSU et d’autre part de chercheurs.
Démarche d’évaluation
La proposition méthodologique faite par les participants de l’atelier repose sur trois idées principales.
La première est que dans chaque pays, il est possible d’identifier un « système CSU », à savoir un ensemble d’acteurs (ministères, caisses d’assurance, partenaires, Institutions académiques…) impliqués dans la mise en œuvre de l’agenda de la CSU. Pour apprécier la réalité d’un système apprenant, ce sont les dispositions, le quotidien et les pratiques de ces acteurs qu’il faut étudier.
La seconde idée est qu’il est possible de mesurer les critères de satisfaction d’un système apprenant au niveau de ce « système CSU » en prenant appui sur les travaux antérieurs des chercheurs spécialisés dans l’étude de l’apprentissage organisationnel. Nous avons conduit une revue de la littérature (qui sera publiée prochainement) et avons identifié la grille d’analyse développée par David Garvin de la Harvard Business School comme la meilleure référence pour notre propre objet d’étude. Nous avons aussi retenu sa stratégie empirique : demander aux membres de l’organisation (ou ici, du système) étudiée de donner une cote sur une série de pratiques observables au quotidien. Il était bien sûr nécessaire d’adapter les questions de Garvin à la problématique de la CSU. Cela fut fait à Rabat par les participants de l’atelier. Pratiquement, la grille comprend une série de 92 affirmations sur lesquelles le répondant est invité à se prononcer (selon une gradation sur l’exactitude de l’affirmation).
La troisième idée est qu’en utilisant une grille commune, il allait être possible de comparer les pays entre eux. Cette comparaison permettrait d’identifier les pays qui sont plus en avance sur un aspect, mais aussi les faiblesses qui se retrouvaient sur l’ensemble ou la majorité des pays.
Mise en œuvre de l’étude
Un des défis de cette recherche multi-pays était le budget limité à notre disposition. Il fut donc recommandé à chaque délégation de trouver un financement local pour la collecte des données. Dans les mois qui suivirent, six délégations parvinrent à accéder à un financement pour conduire l’étude dans leur propre pays : le Bénin, le Burkina Faso, le Cameroun, le Maroc, la RDC et le Togo.
La collecte des données a eu lieu en 2015 et pour certains derniers répondants début 2016. Pour l’ensemble des pays, nous avons pu recueillir l’avis de 239 répondants. En moyenne, 40 acteurs ont donc participé à l’auto-évaluation par pays. Cet échantillon peut paraître réduit, mais il est important de garder à l’esprit qu’il s’agissait surtout de collecter les évaluations des personnes directement impliquées dans l’agenda de la CSU. Ce noyau de personnes n’est pas nécessairement beaucoup plus large que 40 experts par pays.
Résultats
Notre recherche a produit de nombreux résultats. Les résultats spécifiques aux pays seront présentés les prochains mois sur ce blog. Nous pouvons déjà partagé avec vous certains résultats relatifs à l’ensemble de l’étude.
Un premier résultat est que les six pays ont obtenu des scores assez semblables : aucun ne s’est démarqué comme fortement supérieur ou fortement inférieur aux autres. Dans tous les pays, des progrès substantiels peuvent être faits. Selon notre étude, c’est le Burkina Faso qui a le système CSU le plus apprenant relativement aux autres.
Un second résultat est que sur plusieurs aspects, les pays ont des scores semblables. On remarque un score élevé dans tous les pays pour la présence d’un leadership politique fort en faveur de la CSU. On observe une grosse faiblesse dans tous les pays sur des enjeux comme l’usage des données quantitatives et notamment celles de routine, l’utilisation des technologies digitales et l’achat stratégique. Notre étude a aussi documenté une grosse faiblesse structurelle au niveau de ce que nous avons appelé l’agenda d’apprentissage sur la CSU. En fait, aujourd’hui, aucun pays n’a une stratégie pour coordonner l’apprentissage nécessaire pour l’agenda de la CSU. L’apprentissage est laissé au hasard des opportunités, des collaborations, des consultances, des initiatives décentralisées ; personne n’a une vue d’ensemble ; personne ne se soucie de créer une dynamique collective et coordonnée au niveau national. Avec les CoPs, c’est un enjeu sur lequel nous aimerions travailler à partir de 2017, notamment au travers des hubs pays. Comme vous le lirez dans les blogs à venir, les choses se mettent d’ailleurs en place dans certains pays.
Un dernier résultat que nous pouvons mettre en exergue est que cette étude a prouvé que nos CoPs sont potentiellement une force nouvelle pour les recherches multi-pays. D’une part, notre fort ancrage sur le terrain nous permet d’identifier des questions négligées par d’autres. Il était intéressant pour nous de découvrir que les thématiques sur lesquelles nous travaillons déjà (la capacitation des acteurs locaux par les données avec la CoP Prestation des Services de Santé) et sur lesquelles nous voulons travailler prochainement (par exemple, l’achat stratégique) ont été identifiées comme des points faibles systémiques par nos 239 répondants. D’autre part, notre forte articulation avec les acteurs nationaux, et les ministères de la santé en particulier, nous permet de mener des recherches qui sont dès le départ tournées vers l’action. C’était manifeste lors des trois ateliers nationaux de validation auxquels nous avons-nous-mêmes assisté. En bref, il y a un bel avenir pour de telles études participatives.
Merci au Fonds Français Muskoka (UNICEF), à P4H, la DGD (Belgique), au Ministère du Travail, de la Fonction Publique et de la Protection Sociale du Burkina Faso, à Cordaid et à la GIZ pour avoir soutenu cette recherche.