Le passage à l’échelle d'une intervention est traditionnellement compris comme une extension de sa couverture géographique: passer d'une zone limitée à une région ou à un pays entier. Ce n'est pas inexact — mais cela ne représente qu'une partie de la réalité du passage à échelle, surtout lorsqu’il s’agit d’une intervention complexe comme une stratégie de financement des soins de santé.
Cinq dimensions Dans le cadre de notre recherche autour du passage à échelle du FBR, nous avons identifié au moins cinq dimensions sur lesquelles le programme pourrait être élargi. Population couverte: cette dimension du passage à échelle concerne la couverture d’un plus grand nombre de personnes, ce qu’un pays peut mener à bien de plusieurs manières. Il peut étendre son intervention à de nouvelles zones géographiques. C'est par exemple ce que le Rwanda a fait entre 2002 et 2006 en acceptant un nombre croissant de partenaires (HealthNet International, Cordaid, la CTB) pour commencer à piloter de nouveaux projets dans différentes provinces. Un pays peut également progresser dans cette dimension en couvrant davantage de groupes socio-économiques. |
Paquet de bénéfices: cette dimension du passage à échelle consiste à étendre le panel des prestations de service. Un pays peut le faire de différentes manières. Il peut par exemple élargir les types de services couverts par le système - par exemple en commençant par un système de bons (vouchers) qui se concentre sur les accouchements, puis l'étendre à la planification familiale. On peut également augmenter la couverture de service en augmentant le nombre de formations sanitaires couvertes par le programme FBR (de 20 centres de santé à 100). Troisièmement, on peut élargir les critères d'admission en fonction des types d'établissements de santé contractés (par exemple, à partir d'un régime impliquant uniquement des formations publiques vers un système incluant aussi les établissements privés). Quatrièmement, on peut organiser une progression par niveau des formations sanitaires (par exemple, des seuls centres de santé primaires jusqu’aux hôpitaux de référence). Toutes ces pistes ont des implications différentes en termes de développement technique, de financement, de relations avec les différents intervenants…
Intégration du système de santé: les progrès liés à cette dimension se produisent en passant des systèmes de FBR introduits pour la première fois en tant que projets pilotes — avec un financement externe, en dehors des flux normaux et des procédures en place pour gérer les ressources du système de santé — à une intégration complète dans les systèmes de santé nationaux. Le degré d’intégration de la solution dans le fonctionnement courant d’un système de santé est d’ailleurs essentiel à sa pérennité. Ici encore, la transition peut se faire de différentes manières. La façon la plus facile d'aborder ce processus complexe est d'adopter le cadre des six composantes de l'OMS: dans quelle mesure le système FBR est-il intégré au système politique et de gouvernance national? Le financement provient-il du budget public ou seulement de donateurs? Le programme FBR utilise-t-il le système d'information sanitaire habituel?
Diffusion intersectorielle: ici, notre intention est d'examiner les changements hors secteur de la santé qui ont été initiés par des processus liés au FBR. Tant au niveau mondial qu'au niveau des pays, le développement rapide de la logique basée sur les résultats dans le secteur de la santé a donné un élan aux approches basées sur les résultats dans d'autres secteurs (ex : l’éducation). Nous pensons qu'une telle expansion peut aussi être comprise comme une sorte de passage à l’échelle.
Expansion des connaissances: les connaissances en matière de FBR sont encore minces car l'approche en est encore à ses débuts. Nous voyons l'expansion des connaissances comme un progrès sur les différents attributs du savoir. Cela peut se produire de différentes façons; par exemple, le développement de nouvelles connaissances permet de passer de politiques basées sur l’intuition à des politiques basées sur des hypothèses explicites et éventuellement des données probantes. Un autre aspect de l'intégration des connaissances concerne le déplacement du lieu du contrôle vers les acteurs internes. Dans le cas du FBR, cela peut signifier que les connaissances détenues par des consultants internationaux sont transférées à l’équipe du Ministère de la Santé. L'équipe de recherche camerounaise a produit des preuves très intéressantes à cet égard. Un autre type d'élargissement des connaissances passe de la compréhension théorique à l'expérience pratique enracinée. En conséquence, l'état ultime de la maîtrise des connaissances en matière de FBR pourrait résider dans la capacité de le réviser, d'optimiser ses avantages, d’en extraire les aspects les plus puissants et d’en abandonner les faiblesses.
Pourquoi ces cinq dimensions sont-elles importantes?
Notre hypothèse est que l'adoption d'une telle vision en cinq dimensions nous aidera à comprendre les défis auxquels nous serons confrontés lors du développement des interventions FBR. Illustrons ceci avec deux cas concrets.
Le Tchad a lancé un projet pilote de FBR en 2011. Sur les deux premières dimensions (population et service), le projet pilote était assez ambitieux et, en moins de deux ans, le Tchad a fait des progrès significatifs. Mais les progrès ont été beaucoup moins rapides pour les dimensions ‘intégration du système de santé’ et ‘expansion des connaissances’. Raison principale: la mobilisation insuffisante des décideurs politiques nationaux concernés. De ce fait, les progrès réalisés en matière de couverture de la population et des services étaient très vulnérables et, lorsque le projet de la Banque Mondiale a cessé, cette couverture a disparu. Pour plus d'informations sur ce cas intéressant, nous vous recommandons de lire notre note d'orientation.
J'ai récemment été invité au Bénin, l'un des rares pays a avoir complètement finalisé son passage à échelle en termes de couverture de la population — tous les districts sont aujourd'hui couverts par un programme FBR. La couverture des services est également très étendue - et le pays prévoit encore des progrès à ce niveau (avec une certaine extension à des fournisseurs privés à but lucratif). C'est une réalisation majeure, il faut le reconnaître. Mais où en est le Bénin en ce qui concerne les autres dimensions? Malheureusement moins loin. Au moment de ma visite (octobre 2016), il n’existait pas encore d’unité nationale de FBR et la politique n’était pas encore harmonisée à l’échelle nationale. La population était donc couverte par deux projets différents, ce qui constitue une autre source de vulnérabilité. Ma recommandation au Bénin a été d’accélérer la mise en œuvre de la dimension 'intégration du système de santé', car des progrès significatifs restaient à faire sur ce plan.
Ce manque de progrès liés à la dimension 'intégration du système de santé' est en effet problématique: mon hypothèse est que celle-ci est essentielle pour assurer la pérennité d’une politique de santé. Si une politique n'est ni harmonisée, ni cofinancée par le gouvernement (deux éléments qui, parmi d'autres, caractérisent un système bien intégré), le système FBR et la population couverte seront plus vulnérables aux reculs. Par exemple, un bailleur qui se retirerait de la politique pourrait mettre la couverture de la population en péril. Des pays comme le Rwanda et le Burundi ont opéré une intégration très efficace de leur programme de FBR à leur politique nationale (et à leur stratégie de Couverture Sanitaire Universelle). C'est l'une des raisons qui expliquent la viabilité de la politique de FBR dans ces deux pays. Le même argument s'applique au Cambodge ou à l'Arménie.
Il faut le reconnaître: le fait que le passage à échelle soit bien davantage que l'élargissement de la couverture de la population génère plus de questions que de réponses. Par exemple, on peut se demander à quelle dimension un pays devrait donner la priorité. Quelle est la bonne voie à emprunter pour chaque dimension ? Par exemple, est-il judicieux de commencer par un FBR centré sur le VIH / SIDA pour élargir ensuite le panel de prestations?
Je reviendrai bientôt avec des réflexions sur ces questions. Je vous exposerai tout d’abord la manière dont nous avons étudié le processus d'élaboration des politiques d’élargissement du FBR. Et comme vous le verrez, réussir sa mise à l'échelle passe par quatre phases principales. Celles-ci feront l’objet d’un prochain post.
Le programme de recherche "Taking Results Based Financing from Scheme to System” était coordonné par l’Alliance for Health Policy and Systems Research, avec le support de l’agence norvégienne de développement Norad, en collaboration avec le Département ‘Health Governance and Financing’ de l’OMS et l’Institut de Médecine Tropicale.