En 2011, la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé (CdP AFSS) s’était réunie à Bamako pour faire le point sur la formulation et la mise en œuvre des politiques de gratuité en santé maternelle. En conclusion de l’atelier, un programme de recherche avait été formulé. Deux ans plus tard, la CdP AFSS, conjointement avec différents partenaires académiques, a remis les couverts. Cette fois, il s’agissait surtout d’évaluer l’efficacité de ces politiques. Ont-elles contribué positivement à une meilleure santé maternelle ? Ont-elles protégé les ménages contre les dépenses catastrophiques ? Comment s’est faite leur intégration dans les systèmes de santé ?
L’intérêt était grand : la conférence a réuni plus de 120 experts, des décideurs politiques de haut niveau, des acteurs de la mise en œuvre, des chercheurs et des agents des institutions multilatérale et bilatérale, gouvernementale et non gouvernementale.
La semaine d’activités a été riche en événements, selon un format innovateur 1+3+1 (visite de terrain le premier jour, 3 jours de présentation et débats, formation le dernier jour ; chacun étant libre de confectionner son propre programme). Le point culminant a certainement été la clôture de la conférence par le Ministre-Délégué au Développement de la France Monsieur Pascal Canfin et le Ministre de la Santé du Burkina Faso Monsieur Léné Sebgo. Voilà, une reconnaissance politique majeure pour notre CdP !
Des politiques qui marchent
Rappelons que depuis plus d’une décennie, de nombreux pays africains ont lancé des politiques nationales d’exemption dans le but de favoriser l’atteinte des OMD, mais aussi dans le souci de réduire les dépenses de santé à charge des populations.
Ces politiques, dans leur contenu, sont variables d’un pays à un autre. Le Bénin par exemple couvre uniquement les soins pour les césariennes alors que le Burkina Faso étend cette prise en charge pendant toute la grossesse et au nouveau-né même si dans ce dernier pays, un co-paiement équivalent à 20% des coûts directs reste à payer par les ménages. Entre les deux situations, on retrouve une multitude de combinaisons intermédiaires.
On en avait beaucoup parlé à Bamako : la plupart de ces politiques d’exemption ont été trop rapidement mises en œuvre, directement à l’échelle nationale, sans phase pilote, sans des mesures d’accompagnement adéquats, et surtout sans planification d’un volet d’évaluation qui puisse permettre de mesurer leurs effets.
Ces caractéristiques ont posé d’emblée des défis méthodologiques pour les chercheurs, mais divers programmes de recherches ont été entrepris et plusieurs équipes de recherches sont arrivées, malgré tout, à documenter ces politiques. Du reste, les gestionnaires de ces politiques ainsi que les acteurs opérationnels ont aussi accumulé des savoirs tacites tout au long de ces dernières années.
Les résultats des études présentées à Ougadougou sont remarquables et montrent que les politiques d’exemptions/subventions pour les services de santé maternelle ont :
- favorisé une plus grande utilisation des services de santé maternelles tels que les consultations prénatales ou plus fondamentalement les accouchements assistés;
- dans la mesure où beaucoup de femmes des classes aisées recouraient déjà aux formations sanitaires pour de tels services, l’augmentation provient bien des classes les plus pauvres. Ce phénomène de rattrapage par les plus pauvres est particulièrement manifeste au Burkina Faso et au Maroc ;
- entraîné un accès important à la césarienne avec diminution parfois de la létalité post césarienne et une réduction considérable des besoins obstétricaux non couverts au Bénin, au Burkina Faso, en Guinée et au Maroc (même si la situation, en termes de qualité de la prise en charge, peut varier, comme l’a montré une étude du projet FEMHealth au Bénin) ;
- contribué à réduire les montants supportés par les ménages au Burkina Faso et au Maroc.
Une étude dans un district au Burkina Faso a par ailleurs montré que ces politiques de subventions des services de santé maternelle pouvaient renforcer le pouvoir d’agir des femmes par le truchement d’un pouvoir de décision accru à l’intérieur du ménage (élimination de l’inquiétude sur la mobilisation des ressources et maîtrise de l’itinéraire thérapeutique par les femmes). Elles ont par le même temps entraîné un recours plus rapide aux services de santé pour les femmes et leurs enfants.
Mais ne nous leurrons pas: des difficultés existent et certains résultats restent mitigés. Une étude a relevé par exemple des problèmes du surplus de travail pour les soignants au Niger. Il semble également qu’au Bénin, ce sont surtout les femmes riches qui ont profité de la gratuité des césariennes.
Force est de reconnaitre que ces défis ne sont pas liés à l’abolition du paiement en tant que telle, mais sont plutôt dus à des insuffisances dans sa conception, son application ou au niveau du système de santé. Mais les défis de la mise en œuvre de ces politiques ne signifient pas pour autant que ces politiques ne connaissent pas de succès : les pays apprennent de leur expérience. Le succès observé avec un pays comme le Burkina Faso réside aussi dans la capacité du pays à générer des données probantes et à les utiliser ensuite pour ajuster la mise en œuvre.
Le futur : une nouvelle génération de politiques plus ciblées?
Selon moi, le débat ne devrait plus se cristalliser autour de la question « pour ou contre » les politiques d’exemption/subvention. Il faut désormais regarder pays par pays.
Dans les pays où ces gratuités ou ces subventions ont « marché » au point que désormais les taux de couverture des accouchements assistés sont élevés (Burkina Faso et Maroc) ou dans les pays où ces taux étaient déjà élevés (Bénin), il est probablement temps de réfléchir à l’étape suivante, des modèles de seconde génération, où par exemple on couplerait différents régimes de financement pour juguler un défi bien précis.
Un exemple est l’imparfaite atteinte par les politiques de subvention/exemption de certains groupes de population vulnérable du fait que les obstacles à l'accès restent tout simplement énormes à surmonter pour ceux-ci, qui par conséquent, n’arrivent souvent pas jusqu'aux formations sanitaires. Je me souviens encore de ce médecin de l’Hôpital Régional de Kaya qui, durant la visite de terrain, nous disait : « je ne comprends pas : les soins sont gratuits, mais les femmes ne viennent pas ».
Au regard du succès et de l’efficacité de nombreux programmes de chèque santé sur l'utilisation, la qualité et l'équité (un exemple du Kenya a été présenté durant la conférence), il serait par exemple intéressant de coupler exemption/subvention et chèque santé pour les plus pauvres. Cela rendrait les programmes d’exemption/subvention plus solides et plus efficaces pour améliorer la santé des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés.
Cette conférence a par ailleurs sonné comme une réplique au récent forum de Bonn sur la couverture sanitaire universelle (CSU). Durant ce forum de trois jours, un éventail de stratégies incluant toutes les dimensions de la CSU avait été discuté, allant de l’achat stratégique des services aux systèmes assurantiels, des transferts aux chèques …. mais aucune mention sur l’abolition des paiements directs. Les options pour l’évolution vers la CSU ne sont rien d’autres qu’un agencement cohérent des régimes de financement visant à répondre à la demande croissante pour de meilleurs services de santé, en maintenant ouvertes toutes les options politiques et en adaptant celles-ci aux circonstances spécifiques de chaque pays. Les politiques d’exemption/subvention font leurs preuves et ne peuvent pas rester en dehors des instruments pour une CSU en Afrique.
Dans leur ultime propos de clôture de la conférence, les Ministres Français Délégué au Développement et Burkinabé de la Santé ont chacun tenu à féliciter le succès de l’approche CoP en soulignant le caractère incontournable d’un échange approfondi entre les différents détenteurs du savoir dans le but de faire avancer l’agenda des défis du système de santé.