Dans votre article, vous abordez les différentes politiques de gratuité des services de santé maternelle dans 11 pays en Afrique. Quel était votre objectif et quelle a été votre stratégie pour collecter l’information?
Cet article s’appuie sur une étude que nous avons réalisée pour préparer la réunion de la CoP Accès financier à Bamako en novembre 2011. L’atelier portait sur les politique d’exemption des services de santé maternelle. Nous avons fait ce travail préparatoire pour donner aux participants une vue globale de ce qui se faisait actuellement dans différents pays anglophones ou francophones en matière d’exemption ciblé sur la santé maternelle. La comparaison de 11 pays en terme de paquets de soins couverts et de mécanismes financiers choisis par les pays a été un bon point de départ pour les échanges.
Pour recueillir l’information, nous avons d’abord élaboré une grille de collecte en deux parties (un volet sur le paquet couvert et un volet sur les modalités de financement) que nous avons testé au Burkina Faso. Une fois la grille validée nous l’avons envoyé dans les 11 pays à la personne ou au service en charge du suivi de la politique d’exemption ; ce sont en général des techniciens du Ministère de la Santé et/ou du Ministère des Finances qui ont complété la fiche. Nous avons parfois fait appel à des chercheurs sur place pour valider ou compléter la fiche quand certaines données étaient incomplètes. Nous avons ensuite essayé de voir les points communs et les différences entre les pays.
Quelles sont, en résumé, les principales conclusions de votre analyse?
Premièrement, qu’il existe une grande variation en terme de services couverts ou de types de coûts couverts par les politiques d’exemption en santé maternelle. La stratégie minimale, partout, a été de rendre la césarienne gratuite, mais ensuite les variantes autour de ce minimum commun sont importantes : complications ou pas, accouchements normaux ou pas, soins post-avortements ou pas, etc. Les justifications pour tel ou tel paquet couvert en termes de bénéfices pour la santé ou en terme de réduction des dépenses catastrophiques sont rarement explicités dans la formulation de la politique. Les gouvernements n’ont pas toujours laissé l’opportunité aux techniciens de faire des estimations et des analyses du coût-efficacité de telle ou telle option. Certaines politiques ont été décidées de manière très rapide par le président dans un contexte de campagne électorale, ce qui n’a pas facilité leur mise en œuvre.
Deuxièmement, l’exemption pour les soins de santé maternelle n’est pas la seule initiative ciblée pour réduire les barrières financières. Ces dernières années ont vu le fleurissement d’une multitude d’initiatives pour réduire la charge financière de certains groupes de population (femmes enceintes, enfants, personnes âgées, indigents…) ou de patients souffrant de certaines pathologies (VIH, Paludisme, tuberculose…). Cela devient très complexe pour les soignants de s’y retrouver, de savoir quel papier remplir pour prétendre à telle prise en charge gratuite. Ces initiatives, la plupart du temps gérées de manière séparée par différentes directions au niveau central, sont une charge au niveau de l’hôpital ou du district (outils de suivi spécifiques, mécanismes de remboursement différents, etc…). Certaines personnes vont être doublement couvertes, comme un enfant de moins de cinq ans et atteint d’une malaria sévère, car plusieurs pays ont des programmes pour les moins de cinq ans et pour la malaria. Mais un adolescent de 15 ans qui est victime d’un accident de circulation avec sa mobylette en ville par exemple aura beaucoup moins de chance, il ne rentre dans aucune catégorie…or c’est de la chirurgie et ça coûte cher… Une femme de 40 ans qui souffre d’une fistule vésico-vaginale suite à un accouchement difficile, idem. On lui répondra que ce n’est pas dans la liste des interventions obstétricales urgentes.
En résumé, même si ces politiques d’exemption sont parties d’une bonne intention d’améliorer la santé maternelle et de réduire la charge financière des familles, elles risquent de ne pas atteindre leurs objectifs parce qu’elles ont été formulées de manière trop étroite (en ne sélectionnant que la césarienne dans la paquet couvert) ou parce que leur mise en œuvre n’a pas été suffisamment bien préparée.
Il y a quelques années, vous avez coordonné un ouvrage collectif intitulé «Réduire les barrières financières aux soins obstétricaux dans les pays à faibles ressources». Quel lien feriez-vous entre cet ouvrage et ce nouvel article ? Quelle est votre analyse personnelle de ces politiques de gratuité en santé maternelle, que ce soit en termes de mise en œuvre, d’impact pour les femmes ou les enfants, ou de répercussions sur les systèmes de santé ?
Je dirais que pas grand-chose n’a changé en terme de mise en œuvre des politiques depuis l’écriture de notre ouvrage : dans presque tous les pays, il y a eu un écart entre ce qui était prévu théoriquement et ce qui a été compris et mis en œuvre. Plusieurs facteurs peuvent expliquer cela : une formulation floue de la politique (chacun interprète donc à sa façon le contenu du paquet), un manque de suivi de la politique et de mesures de contrôle qui permettent de redresser la barre si on voit qu’on s’éloigne trop de la politique telle qu’elle a été conçue, une absence de mesures d’accompagnement en termes de ressources humaines et matérielles.
Mon analyse personnelle, basée sur mes observations de terrain (comme j’ai pu partager le quotidien de personnel de santé de première ligne dans plusieurs pays africains), c’est que les ressources humaines sont le cœur du système de santé et sont le maillon essentiel pour la réussite de la politique d’exemption. L’état aura beau injecter des millions dans une politique d’exemption et d’annoncer que tout est gratuit, si dans les hôpitaux, les soignants ou les autres personnels continuent à pratiquer des paiements informels cela annule complètement l’effet de la politique. Avant de lancer de telles politiques, on doit bien réfléchir à comment on peut impliquer les agents de première ligne pour qu’ils soient acteurs de la politique.
Pour le futur, en ce qui concerne l’enchevêtrement de politiques ciblées d’exemption dont je parlais précédemment, je pense vraiment qu’on devrait mettre ensemble toutes ces ressources pour arriver à la couverture universelle. Beaucoup de pays africains ont mis sur pied des groupes de réflexion pour l’assurance maladie – c’est positif – mais parfois avec des interlocuteurs internationaux sans impliquer leurs collègues qui gèrent les politiques d’exemptions ciblées. Il y a donc encore un gros travail de coordination au niveau national pour mettre les efforts de tous ensemble. J’ai compris que les communautés de pratique avaient reçu un financement Muskoka de la France pour travailler là-dessus, c’est une très bonne nouvelle, car il y du pain sur la planche.
On vous retrouve à la conférence de la communauté de pratique en Novembre à Ouagadougou?
Bien sûr! J'ai entendu que le programme serait de grande qualité. Avec beaucoup d'autres chercheurs, notamment du Bénin, Burkina Faso, Mali et Maroc, nous présenterons les résultats du projet FEMHealth, qui s'est concentré sur les politiques d'exemption en santé maternelle. J'ai bon espoir que cette conférence apportera des réponses à des questions qui restaient ouvertes après l'atelier de Bamako... et notre panorama sur 11 pays.