En décembre, La Banque africaine de développement (BAD) et le Royaume du Maroc ont signé un accord de prêt d’un montant de 115 millions d’euros. Celui-ci est destiné à financer la troisième phase du Programme d’appui à la réforme de la couverture médicale (PARCOUM III) exécuté en 2013 et 2014. Pouvez-vous nous dire pourquoi le Maroc, et nous parler un peu de ce programme, ses objectifs et ses résultats escomptés?
Dans le domaine de la santé, la BAD a appuyé le Gouvernement par des opérations d'appui budgétaire dans ce secteur dès 2002, lorsque la réforme de la couverture médicale de base a commencé au Maroc. Le programme d’appui à la réforme de la couverture médicale (PARCOUM) a ainsi vu le jour et en est aujourd’hui à sa troisième phase. C’est un programme qui vise à mettre en place des filets de protection sociale pour assurer l’accès financier aux soins de santé et à réaliser des progrès en vue de la couverture universelle en santé au Maroc.
Octroyée en deux tranches pour les années 2013 et 2014, la phase 3 du PARCOUM contribuera à cinq grands chantiers. Tout d’abord, atteindre une couverture de 93 % de la population ciblée par le RAMED. Par la suite, il s’agira de parvenir à intégrer progressivement certaines catégories sociales dans l’assurance maladie obligatoire (AMO), en visant au moins 200 000 affiliés supplémentaires, ainsi que l’établissement d’une vision stratégique à long terme pour la couverture des professions indépendantes. Le programme achevé, la disponibilité des services de qualité devrait s’en voir améliorée. Ce projet permettra aussi une autre réalisation importante, celle de rationaliser le recours aux soins, avec l’augmentation des populations couvertes qui disposeront d’un médecin de famille, pour atteindre un taux de 40% en 2014 sachant qu’on n’en compte que 21% aujourd’hui. Enfin, le projet entend promouvoir la voix citoyenne et renforcer la redevabilité au Maroc, grâce à la mise en place d’un projet pilote, qui permettra d’évaluer la perception de la qualité des soins par les usagers.
Le Maroc a lancé plusieurs projets sociaux de grande envergure. Le gouvernement a ainsi déployé d’importants efforts pour améliorer l’accès aux soins, notamment avec la mise en place du RAMED (Régime d'assistance médicale). Toutefois, les dépenses de santé représentent encore un fardeau pour les ménages marocains, les exposant ainsi à un risque d’appauvrissement; cela est surtout vrai pour les populations moins bien couvertes comme les independants. Qu’est-ce que ce programme va apporter à ces catégories de population et en particulier aux indépendants?
En effet, les défis en matière d’accès financier aux soins de santé restent importants. L’accès aux soins de santé est limité par une couverture du risque maladie encore restreinte. Quant aux dépenses de santé au Maroc, elles représentent encore un lourd fardeau pour les ménages quand on sait que ces derniers supportent plus de la moitié des dépenses totales de santé, soit 53.6% pour être précis.
A l’instar d’autres pays ayant opté pour le développement de l’assurance maladie, le Maroc se trouve confronté à des problématiques complexes qui appellent une action déterminée sur le long terme, en particulier en ce qui concerne la couverture médicale des travailleurs indépendants, le financement des différents régimes d’assurance, la mise en œuvre du principe de solidarité et la régulation du marché des médicaments.
Aujourd’hui, près d’un tiers de la population marocaine reste exclue de l’assurance maladie obligatoire. Selon le recensement des travailleurs indépendants, l’effectif total de la population active travaillant à compte propre est estimé à près de 3,4 millions de personnes, soit environ 10 millions d’individus avec leurs ayants-droit. Cette population est très hétérogène ; on y compte à la fois les professions libérales, les commerçants, les artisans ou encore les travailleurs mobiles. Les mieux organisés et les plus solvables disposent déjà d’une assurance médicale privée établie pour leur corporation comme c’est le cas pour les avocats, mais les plus défavorisés ne bénéficient encore d’aucune couverture.
Bien que la loi 65-00 sur la couverture médicale de base prévoie la prise en charge des travailleurs indépendants par l’AMO, le choix d’un scénario de couverture et la définition des modalités pratiques de couverture pour cette population restent encore à définir. C’est là que se situe la valeur ajoutée du PARCOUM III. Ce programme veille à la réalisation de progrès tangibles vers la mise en place d’un régime destiné aux indépendants. Ceci se manifestera par la proposition de scénarios de couverture pour les indépendants ainsi que la présentation d’un projet de stratégie de couverture des indépendants au comité de pilotage de la réforme. Il est également prévu d’intégrer les indépendants à la Caisse Nationale de Sécurité Sociale (CNSS) et de présenter au conseil du Gouvernement le projet de loi relatif à la couverture des étudiants. De nombreux résultats sont attendus à la fin de ce programme dont notamment l’intégration progressive de certaines catégories dans l’AMO avec au moins 200 000 affiliés supplémentaires et l’établissement d’une vision stratégique à long terme pour la couverture des indépendants.
Vous venez de terminer votre visite au Maroc, que pouvez-vous nous dire sur cette visite, objectifs, et résultats attendus ?
Une équipe de la BAD a en effet conduit en février la supervision du PARCOUM III. L’équipe a ainsi pu apprécier certaines avancées dans le pilotage de la réforme de la couverture médicale. Elle a également constaté que des incertitudes demeurent quant au financement de la réforme. Ces incertitudes portent principalement sur le coût de l’extension de la couverture médicale aux indépendants et de la généralisation du RAMED, les sources de financement pour la réforme, le fonctionnement du Fonds d’Appui à la Cohésion Sociale dont des ressources sont affectées au RAMED, les mécanismes de remboursement et bien d’autres encore. Mais l’assistance technique financée par la BAD pour la mise en place d’une stratégie de financement du secteur de la santé devrait apporter des éclaircissements et proposer des options de financement. Nous avons d’ailleurs pu observer la forte attente que cette assistance technique suscite. Les progrès en matière d’accès géographique aux soins de santé et d’amélioration de la qualité des services sont encore lents, et certaines mesures prévues par le programme pour 2013 n’ont pas été atteintes. La mise en place de mécanismes de redevabilité et de participation citoyenne se fait également attendre.
Comment voyez-vous l’évolution du Maroc vers la couverture universelle de santé et les perspectives d’avenir ?
Nous sommes heureux de voir que le Maroc suit sa progression vers la couverture universelle de santé, en témoignent les progrès indéniables réalisés en matière d’extension de la couverture médicale et de gouvernance de la réforme. Toutefois, il s’agit d’une réforme complexe et certains aspects méritent plus d’attention pour assurer la fourniture de soins de qualité tout en étant abordables à l’ensemble de la population.
Les défis pour l’avenir ont trait au financement équitable et pérenne de la réforme mais aussi à l’amélioration de l’accessibilité et de la qualité des soins. Des efforts considérables devront être déployés en matière de production et gestion de données de qualité tant financières et comptables que sur les ressources humaines et les services de santé. L’engagement du Gouvernement sera nécessaire pour faire passer les réformes liées à la couverture des indépendants, à la carte sanitaire, aux partenariats public-privé, etc. Enfin, l’ensemble des acteurs devront se mobiliser pour améliorer l’équité dans l’accès aux soins, contrôler le coût des médicaments et rationaliser le recours aux soins.
Il sera nécessaire à l’avenir, de penser à la convergence des politiques sociales et limiter la fragmentation des systèmes. Le dossier de la couverture médicale devra se rapprocher d’autres problématiques liées à la protection sociale, telles que la retraite et la mise en place d’autres filets de protection sociale. Le prochain appui de la BAD au Gouvernement du Maroc devrait aller dans ce sens.