Dans un blog précédent, j'ai proposé de comprendre l'extension et l'intégration d'un système de financement basé sur les résultats (FBR) comme une progression sur cinq dimensions. Dans ce deuxième post, je vous présente la deuxième leçon principale de notre programme de recherche multi-pays: cette progression, souvent, se déroule en quatre étapes.
Personnellement, une des choses que j’ai le plus appréciées dans notre recherche multi-pays était l'opportunité d'utiliser nos propres connaissances expérientielles pour l'élaboration et la mise en œuvre de la recherche (c’est un des avantages de la recherche interventionnelle). C’était une option intéressante, lorsque vous avez dans l'équipe de recherche, des experts comme Maryam Bigdeli, Eric Bigirimana, Por Ir, Joël-Arthur Kiendrébéogo ou Isidore Sieleunou (entre autres), qui ont eu une expérience pratique en matière de financement basé sur les résultats.
Ce que je savais de ma propre implication politique dans le FBR au cours des 15 dernières années dans des pays comme le Cambodge, le Rwanda ou le Burundi, c'est que la mise à l'échelle est un processus en plusieurs étapes. Lors de l'atelier de lancement, j'ai présenté à l'équipe de recherche une vue en quatre grandes étapes; Nous avons convenu que c'était l'une des choses à étudier avec le projet.
Alors, qu'avons-nous appris sur le processus de mise à l'échelle et d'intégration d’un FBR grâce à notre recherche dans 11 pays?
Quatre grandes étapes
Grâce à l'excellent travail des équipes de pays, nous avons maintenant une bonne compréhension de la façon dont les pays progressent avec leurs programmes FBR. À partir de notre échantillon de dix rapports de pays, nous voyons émerger des moments-clés qui permettent à un FBR de grandir comme politique publique dans un pays. Tout d'abord, passons en revue ces quatre grandes phases.
La phase de génération fait référence au passage d'une idée initiale «on va faire du FBR» à l'établissement d'un ou plusieurs projets pilotes démontrant la faisabilité de l'idée. Le point final ou la mesure du succès de cette phase est une « preuve de concept », qui signifie un progrès significatif sur la dimension de la connaissance («cela fonctionne dans notre contexte et nous avons appris à le faire»). Si nous prenons le Cambodge comme exemple, il s'agit d'un statut qui a été atteint en 2001 pour le New Deal (un «proto-PBF») et en 2002 pour les fonds d'équité. Si nous prenons le Rwanda, nous pouvons probablement dire que PBF a atteint ce statut en 2003. Tous les programmes documentés dans notre recherche multi-pays ont traversé cette première phase pilote. Il est important de noter que quelques-uns se sont bloqués à ce stade et n'ont pas réussi à passer à l'autre. C'est par exemple le cas du Tchad.
La phase d'adoption fait référence à la transition d'un statut de projet pilote à un statut de programme. Par «programme», on entend une structure organisationnelle centralisée dotée et mandatée par les autorités nationales pour élargir les avantages d'une stratégie spécifique à une population importante. Pour qu'un programme FBR fonctionne, un ensemble unifié, cohérent et identifiable d'arrangements institutionnels doit être mis en place. Cela inclut, entre autres, les contrats, les guidelines et les outils de gestion pour administrer le programme FBR. Si nous nous référons à mon blog précédent sur les cinq dimensions, cette phase de «déploiement» équivaut à des progrès significatifs sur les deux dimensions de la couverture de population et la couverture de services. Cette progression est possible grâce à des progrès significatifs sur la dimension de la connaissance (la connaissance augmente à la fois en termes de nombre d'experts formés au niveau national et dans la profondeur de leur expertise).
À la fin de cette phase, il existe généralement un organisme central, une agence ou un groupe de travail, qui gère un seul FBR national (c’est un cap particulièrement important s'il y avait plusieurs projets pilotes à harmoniser). Toutefois, on constate qu’à ce stade, cette unité nationale FBR fonctionne encore comme une entité parallèle, souvent avec des ressources ne provenant pas du budget national.
Au moment de notre étude, 8 des 11 pays étudiés avaient atteint cette phase d’adoption. C'est une phase lourde, surtout du point de vue opérationnel. Cela est encore plus vrai dans de grands pays comme le Cameroun et la Tanzanie.
La phase d'institutionnalisation se réfère au passage du FBR d'un statut de programme à celui de politique nationale. Ce passage se marque notamment par l’investissement de ressources nationales et l'engagement politique du ministère des Finances. Désormais, le FBR fait partie intégrante de la politique de financement de la santé du pays; il est inscrit dans les documents stratégiques nationaux et les décrets, avec un objectif déclaré de couvrir l'ensemble du pays. Cette phase se caractérise par des progrès significatifs sur la dimension de «intégration dans le système de santé», qui conduiront à l'apparition de nouvelles connaissances pour traiter les problèmes potentiellement complexes associés (comment s'adapter aux procédures de finances publiques, comment contribuer à l'amélioration permanente de la qualité des soins…).
À la fin de cette phase, le FBR est une partie centrale des mécanismes de paiement des formations sanitaires dans tout le pays et contribue de manière cohérente aux principaux objectifs du Ministère de la santé, tels que celui de la Couverture Sanitaire Universelle.
Cette phase 3 est pleine de complexité. Le défi n'est plus tellement opérationnel: il s'agit surtout d'assurer une intégration harmonieuse du système FBR dans le système national. Vous ne pouvez plus faire du "couper-coller" d'un pays à l’autre. Quelques pays ont bien géré cette phase: le Burundi et le Rwanda sont certainement les meilleurs exemples. Le cas de l’Arménie est intéressant. Le Cambodge a pris plus de temps, mais a bien progressé également.
Notre dernière phase ou celle de l'expansion fait référence à la transition du FBR d'un mécanisme de paiement des formations sanitaires à un principe clé structurant la conception et la mise en œuvre des politiques publiques en général, y compris au-delà du secteur de la santé. Dans le secteur de la santé, il inspire d'autres réformes, stimule d'autres processus de transformation (par exemple, l'achat stratégique, l’accréditation). En dehors du secteur de la santé, les principes du FBR, y compris le paiement sur base des résultats et l'autonomie des prestataires, sont considérés comme pertinents pour d'autres services publics. Une telle réflexion ‘latérale’ a été rendue possible dans le pays grâce à l'expansion des connaissances au niveau national et la confiance et expérience acquises suite à l'intégration dans le système de santé. Cette phase marque la progression sur notre cinquième dimension : celle de la «diffusion intersectorielle».
Très peu de pays ont déjà cette phase. Le Rwanda est l'un d'entre eux. Le Burundi s’en approchait, mais la crise politique des deux dernières années a malheureusement affecté la dynamique de diffusion.
Signification de ces quatre phases
Rappelons que, comme tout cadre d’analyse, cette vue en quatre phases est une représentation simplifiée de la réalité. Ce cadre est là pour attirer notre attention sur quelques problèmes clés liés à la dynamique d'un processus de mise à l'échelle. C'est aussi une représentation simplifiée de ces dynamiques. En réalité, les étapes ne seront pas toujours aussi distinctes; Il existe une continuité et des chevauchements possibles. On peut identifier plusieurs applications de cette perspective en quatre étapes.
Cette vue en quatre étapes a une certaine puissance analytique. Zubin Shroff et moi avons utilisé cette grille pour organiser notre analyse des facteurs facilitateurs et des bloquants l'extension et l'intégration. Il ressort de notre analyse que ces facteurs facilitateurs et bloquants sont spécifiques à chaque phase. La principale raison derrière cela est que la mise à l'échelle et l'intégration d'un dispositif FBR consiste à persuader un ensemble mouvant de parties prenantes. Vous ne passerez pas de la phase 1 à la phase 2 sans convaincre le Ministère de la Santé, un ou deux bailleurs aux poches profondes; vous ne passerez pas de la phase 2 à la phase 3 sans persuader les programmes nationaux et le Ministère des Finances; vous ne passerez de la phase 3 à la phase 4 sans que la plus haute autorité nationale développe un leadership fort en faveur d'un programme de réforme sociétal.
Pour obtenir l’adhésion de ces différents acteurs de la chaîne, différentes stratégies devront être adoptées. En fait, même l'identité de l'acteur qui défend le programme FBR va devoir changer au fur et à mesure: par exemple, notre étude montre que, bien que les experts internationaux soient souvent essentiels pour réussir la phase 1, à partir de la phase 2, le leadership technique devrait être assumé par cadres supérieurs du Ministère de la Santé. Pour un résumé de notre liste de facteurs habilitants et bloquants, je vous invite à lire notre note d'orientation.
Et qu'en est-il du pouvoir prescriptif? Est-il nécessaire - pour faire progresser le FBR – de suivre fidèlement cette progression en quatre phases? Personnellement, je ne vois pas cette grille de quatre phases comme une «loi universelle» - il y a probablement des pays qui fusionnent les phases 1 et 2 ou les phases 2 et 3. Toutefois, on peut se demander pourquoi tant de pays suivent la même trajectoire. Il y a probablement plusieurs raisons à cela. Permettez-moi d'en mettre une en avant.
De nombreux chercheurs ont montré que l’introduction d’une politique est un processus complexe, qui se développe rarement de manière linéaire. C'est très vrai. Mais il est important de ne pas oublier qu’une politique est une action intentionnelle: il faut s'attendre à ce que « l'entrepreneur politique » et tout autre acteur principal agissent de manière stratégique. Aborder les défis un par un, «convertir» les parties prenantes progressivement, peut faciliter le succès. La connaissance est également une ressource-clé pour les acteurs qui défendent la politique: s'ils apprennent qu'une séquence d'actions a fonctionné dans d'autres pays, on peut s'attendre à ce qu'ils s'inspirent de cette leçon.
Orientations pour notre communauté
Beaucoup d'entre vous travaillez dans des pays qui sont encore dans une phase précoce de la mise à l'échelle du FBR. Nous espérons que cette recherche multi-pays vous aidera à structurer votre action au niveau des pays. Veuillez-vous référer à notre note d'orientation pour obtenir des conseils sur la façon de ‘naviguer’ au fil de ces quatre grandes phases de développement de votre politique FBR. Note étude indique également des orientations possibles pour toute la communauté d'acteurs engagés dans le FBP. J’en vois au moins deux.
Tout d'abord, nous ne devrions pas dormir sur nos lauriers: il s'agit bien d'un long voyage, l’échec est une possibilité, de nombreux défis demeurent. Il y a un élan mondial, mais c’est à nous tous de le consolider. A l’heure actuelle, notre responsabilité principale est d'améliorer en permanence nos solutions. En 2017, la CoP FBP lancera une série de groupes de travail pour travailler sur les principales faiblesses que nous observons au niveau des pays. Nous en avons déjà lancé un projet sur la vérification et un autre démarre sur le planning familial. D’autres vont suivre. Nous espérons que beaucoup d'entre vous soutiendront cette dynamique.
Deuxièmement, nous devons aussi reconnaître que nous appartenons à un mouvement plus global. Le FBP n'est pas une fin en soi: c'est un point d'entrée pour consolider une transformation plus complète des systèmes de santé pour soutenir les progrès vers la Couverture Sanitaire Universelle. En tant que communauté, nous devons consolider les liens avec d'autres groupes. Nous le ferons par étape. Vous avez peut-être remarqué notre collaboration émergente avec l'OMS concernant la problématique de l’achat stratégique. Les choses se mettent en place. Plusieurs membres de la CoP seront ainsi présents à la conférence que l’OMS organise la semaine prochaine sur cet enjeu. Nous vous tiendrons bien sûr au courant de ces développements. Nous sommes ensemble !