Dans le cadre de la nomination de Bruno Meessen comme professeur à l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers (IMT/Anvers), une conférence académique a été organisée le 29 avril dernier à l’IMT autour du thème « le financement basé sur la performance, un levier pour progresser vers la couverture universelle en soins de santé dans les pays pauvres ». La conférence fut ponctuée par trois temps forts, à savoir : le discours de circonstance du nouveau professeur, une présentation magistrale et un débat contradictoire avec le Professeur Jean-Pierre Unger de l’IMT/Anvers. Dans ce billet, Serge Mayaka, de l’Ecole de Santé Publique de Kinshasa et doctorant à l’Université Catholique de Louvain, rapporte ce qu’il en a retenu.
Dans son discours d’ouverture (que vous pouvez retrouver ici), le Professeur Bruno Meessen, qui, avec d’autres experts africains et européens, a contribué à développer et théoriser le FBP au Rwanda il y a 10 ans, a évoqué la vague FBP qui parcourait l’Afrique. Tout en partageant ses espoirs, il a aussi souligné que l’approche reste une proposition inachevée et perfectible.
Ce qui m’a amusé le plus, c’est comment Bruno a secoué le cocotier de l’IMT (c’est le logo de l’Institut !). Le message était un peu « le FBP est un fait, pas une idée : aidez-nous à réussir ces réformes ». Il a relevé que l’IMT dispose des cadres conceptuels, des esprits et du rayonnement nécessaires, pour assumer un rôle intellectuel plus important dans l’accompagnement scientifique et politique des réformes FBP. Il a, à travers quelques points, décliné clairement sa proposition d’engagement collectif plus ferme de l’IMT au bénéfice du FBP. Le futur nous dira s’il est entendu.
La présentation magistrale qui a suivi, a surtout porté sur la nécessité d’une entente autour de critères clairs pour un débat plus sain et moins passionné à l'égard de toute proposition politique portant sur les systèmes de santé des pays pauvres. Selon lui, sans de tels critères, les participants au débat sur une proposition spécifique risquent d’être ballotés au fil des opinions ou des spéculations (voir aussi son billet de blog ultérieur).
Sa démarche réflexive (encore en cours de construction), a permis d’identifier 12 caractéristiques opérationnelles sur lesquelles il serait possible d’apprécier toute proposition politique, notamment celle concernant le financement des soins. Le temps était compté et l’orateur a dû faire vite, mais en appliquant cette grille de 12 critères au FBP, il a abouti à la conclusion que cette approche s’en sortait bien, surtout en Afrique. Il a reconnu toutefois que sur certains traits, d’autres stratégies (non exclusives) font peut-être mieux. C’est ainsi qu’il recommande de coupler le FBP avec d’autres approches.
Ce n’est pas trahir la pensée du professeur Jean Pierre Unger de l’IMT que de dire qu’il ne partage pas du tout le point de vue de Bruno sur le FBP. Ses doutes et ses critiques reposaient sur: les capacités de mise en œuvre d’un contrôle efficace pour le FBP dans les pays en développement au vu de la faible solidité de l’appareil de l’Etat (voir aussi son éditorial pour la newsletter IHP); la faible attention qu’accorde le FBP à l’éthique hippocratique et à la motivation intrinsèque ; l’évaluation inadaptée de la qualité des soins qui porte, en grande partie, sur des décisions complexes et non-standardisables ; le réel impact de la prime de performance ; la faible confiance faite aux prestataires. Comme alternative, il estime qu’il faut réfléchir à une motivation qui humanise le professionnel de santé, au lieu de le ramener à n’être qu’un agent économique. D’où sa proposition de développer et promouvoir le professionnalisme.
Au cours du débat qui s’ensuivit, de nombreuses préoccupations ont été soulevées aussi bien pour Bruno Meessen (association entre le FBP et les autres approches, avantages des effets du professionnalisme sur le FBP, les lacunes de l’évaluation de la qualité par les pairs, les risques de perturbation des finances publiques en cas d’institutionnalisation du FBP, les risques liés au montage, la compatibilité entre motivation intrinsèque et extrinsèque etc.) que pour Jean Pierre Unger (doute sur le caractère altruiste des agents de santé soucieux notamment de l’intérêt de leurs familles, avantages du professionnalisme, de la motivation intrinsèque et des ‘sermons’ dans une contexte de précarité, des propositions sur l’évaluation de la qualité des soins, la faible implication de l’IMT dans la documentation et l’analyse du FBP, etc.)
Ma synthèse personnelle
Ce qui est ressorti de ce débat est ce que nous avons pu observer ailleurs : le FBP continue à susciter des discussions animées, en particulier dans le monde académique. Selon moi, au lieu de polariser le débat, il faut aller sur le terrain, interagir et participer à l'amélioration des expériences.
Je partage l’analyse que le FBP est imparfait face à la multi-dimensionnalité de la qualité des soins et que le professionnalisme du personnel de la santé est une partie de la solution. Mais plutôt que faire de ces préoccupations des arguments contre le FBP, il faudrait les convertir en propositions d’action. Où sont les projets innovants à ce niveau de la part des adversaires du FBP? S’ils ne proposent rien de concret, c’est peut-être aux experts du FBP à prendre le problème à bras-le-corps. Un travail d’adaptation des outils FBP demeure possible, pour que le signal que le FBP souhaite apporter, ne soit pas perverti, et pour qu’on ne se focalise pas uniquement sur quelques prestations rémunérées.
Pour le reste, il faut constater qu’avec le FBP, comme pour toute autre stratégie complexe, il y a des enjeux de mise en œuvre. Mais le FBP n’a pas la prétention de vouloir tout faire seul et donc il faut voir comment monter des interventions complémentaires (gratuité, mutuelles de santé, etc.).
Pour conclure, je dirais que nous devons privilégier les leçons des expériences concrètes, faire preuve d’idéalisme, mais sans naïveté sur ce qui mobilise les individus actifs dans les systèmes de santé. En ce qui concerne le FBP, ma recommandation serait de lui donner la chance de prouver qu'il peut contribuer à améliorer la performance de nos systèmes de santé. Car une telle amélioration, nos systèmes de santé en ont bien besoin.