Le 30 septembre 2016, l'OMS et la CoP FBP organisaient, à l'Ecole Nationale de Santé Publique de Rabat, un atelier intitulé « l'Achat Stratégique, un agenda émergent pour l'Afrique ».Cet atelier était organisé à la fin de la quatrième conférence scientifique de l'AFHEA. Dans ce billet de blog, Thérèse Kunda partage ce qu'elle a appris durant la journée. Vous pouvez également accéder à une synthèse de la journée rédigée par Inke, Bruno et Allison (en anglais uniquement).
Lorsque j'ai entendu parler de cet atelier, connaissant l’expertise et l’expérience des organisateurs (l'OMS et la CoP FBP) en matière d'achat stratégique, je n'ai pas hésité à m’inscrire. Mes principales attentes étaient d’en retirer une meilleure compréhension du concept d'achat stratégique et recevoir quelques conseils pratiques sur comment nous pouvons conseiller les différents acheteurs de services de soins de santé dans mon pays.
Ce défi étant largement partagé, l'atelier a suscité un large intérêt. Il y avait environ 30 participants. Ils étaient venus du Burkina Faso, du Cameroun, de la RDC, de l'Égypte, du Mali, du Maroc, du Nigeria, du Rwanda, du Sénégal, de l'Afrique du Sud, de l'Ouganda, du Tchad, de la Tunisie, ainsi que des partenaires au développement (la Coopération Suisse, l’Alliance pour la Recherche en Politiques et Systèmes de Santé et MSH). Nous avions tous des attentes similaires : comprendre ce qui se cache vraiment derrière le concept d'achat stratégique.
Ce que j'ai appris de l'atelier
Qu'est-ce que l'achat stratégique?
Inke Mathauer a présenté le concept avec une présentation que j'ai trouvée bien utile (vous pouvez la retrouver ici, en français). L'achat stratégique consiste fondamentalement à lier le financement de la santé à l'information sur (i) les besoins de santé de la population et (ii) la performance des prestataires. Il s'agit d'un engagement actif; il doit être fondé sur des données probantes et viser à déterminer le mixte des services et le volume d’activités, en sélectionnant le bon mixte de prestataires et les modes de paiement.
Contrairement à l’achat passif (caractérisé par l'affectation des ressources à l'aide de normes, sans contrôle de la qualité), l’achat stratégique se caractérise par des systèmes de paiement qui créent des incitations délibérées pour l'efficacité et la qualité, veillent à la meilleure contractualisation des prestataires et récompensent l’amélioration de la qualité.
L’achat stratégique est un des mécanismes permettant de remédier aux inefficacités existantes dans le secteur de la santé, en plus d'améliorer les mécanismes d'approvisionnement en produits de santé. Nous avons discuté de la différence entre les notions de purchasing et de procurement. Le purchasing concerne le paiement des prestataires de services, tandis que le procurement, c’est l'achat de biens, de fournitures et de médicaments (inputs ou intrants dans le langage FBP).
Pourquoi avons-nous besoin de l'achat stratégique?
L'achat stratégique vise à accroître l'optimisation des ressources, de manière à maximiser les résultats en matière de santé (outputs et outcomes). De plus, l’achat stratégique peut promouvoir la qualité de la prestation des services, l'efficacité de l'utilisation des ressources pour la santé, la responsabilisation des prestataires et des acheteurs envers la population et améliorer la distribution équitable des ressources en harmonisant le financement et les incitatifs avec les services de santé promis.
L'expérience des pays
Au cours des travaux de groupe, nous avons eu l'occasion de discuter de la situation actuelle en termes d’achat stratégique dans les pays représentés. Nous avons aussi réfléchi sur ce qui peut être fait pour développer des connaissances politiques et techniques pour assurer un environnement plus favorable. Les discussions ont été organisées en fonction des différents domaines énumérés dans la présentation d'Inke: gouvernance, paquet de soins, système de paiement des prestataires et systèmes de gestion de l'information.
Une chose m'est parue claire : tous nos pays, bien qu'ils se situent à des stades différents de développement et présentent des structures variées de financement de la santé, ont des situations analogues quant à l'établissement de l'achat stratégique : guère avancées ! Les pays partagent certains défis. Je me propose d’en mentionner quelques-uns (pour une liste plus longue, voir le rapport de synthèse).
Tout d'abord, en ce qui concerne la gouvernance, de nombreux pays disposent d'un système de financement de la santé très fragmenté avec de multiples acheteurs (potentiels), même au sein du secteur public. Ce n’est pas une surprise pour ceux d'entre vous qui connaissent le travail de nos CoPs sur la fragmentation du financement de la santé.
Nous avons aussi convenu que dans de nombreux pays, la définition du paquet de soins n'est pas suffisamment fondée sur les données probantes et que le mixte de dispositifs de paiement des prestataires ne facilite pas le mécanisme d'achat stratégique. Enfin, nous avons observé que de nombreux pays n'ont pas réussi à mettre en place un système de gestion de l'information fiable, ce qui constitue un obstacle à l'acquisition des informations nécessaires pour faire de l’achat stratégique.
Que pourrions-nous faire?
Grâce à ce travail sur les défis, l'atelier a permis aux participants d'avancer dans leur réflexion sur l'achat stratégique. Les pays doivent être prêts à entreprendre des réformes dans différents domaines du secteur de la santé, y compris, sans s'y limiter : les mécanismes de paiement des prestataires, les ressources humaines pour la gestion de la santé, la gestion de la chaîne d'approvisionnement en médicaments, les systèmes d'information, etc.
Malgré ces défis, certains pays ont entrepris des efforts d'achat stratégique, par exemple avec le lancement du financement basé sur les résultats (FBR) (mon pays, le Rwanda en est un bon exemple), mais le chemin vers l'achat stratégique est encore long et des efforts sont nécessaires à plusieurs niveaux.
Entre participants, nous avons convenu qu'il était nécessaire que les pays élaborent des mesures concrètes en vue de l'achat stratégique (et de la CSU). Cependant, il n'y a pas de formule universelle : les mesures concrètes pour les pays à faible revenu qui dépendent en grande partie du secteur public, de l'aide extérieure et des allocations budgétaires (comme le Tchad par exemple) seront différentes de celles pour les pays à revenu intermédiaire (comme le Maroc ou l'Égypte) qui devront souvent composer avec des acteurs privés comme les assurances et les cliniques, qui peuvent être puissants.
Tous les acteurs ont un rôle à jouer. Le rôle des ministères de la santé dans le développement du leadership est évident - cela nécessitera une amélioration substantielle des capacités techniques. Dans les pays où il existe une multiplicité d'acteurs de l'aide, il sera essentiel qu'ils reconnaissent que leur action doit consolider les efforts pour progresser vers l’achat atratégique et non pas les miner. Une question clé sera d’impliquer le secteur privé, tant les acheteurs éventuels (par exemple, les assureurs privés) et les prestataires. Nous avons encore beaucoup à apprendre à cet égard.
Les participants ont exprimé la nécessité d'un document conceptuel de référence - ils ont suggéré à l'OMS de le développer. Le document de référence devrait décrire et illustrer ce que l'achat stratégique implique et identifier quelles mesures concrètes peuvent être prises pour progresser dans la bonne direction.
Il y a aussi un rôle pour nos CoPs. Il nous faut favoriser et renforcer l'échange d'expériences entre pays et entre pairs, afin de partager les bonnes pratiques. Ces échanges pourraient également servir de base pour identifier les prochaines étapes concrètes. Nous devons également établir des collaborations avec d'autres acteurs déjà actifs dans ce domaine. A Rabat, nous avons aussi commencé à identifier certaines de ces actions possibles. Il a été proposé, comme première activité, d'organiser un atelier régional regroupant les agences d'assurance maladie et les autres acteurs publics déjà impliqués dans l'achat (nous pensons en particulier aux unités nationales en charge du FBP).
Pour conclure, je dirais que cet atelier m'a permis à la fois d'acquérir des connaissances théoriques et d'apprendre des expériences d'autres pays. Je me suis engagée davantage à promouvoir l’achat stratégique, non seulement dans mon pays, mais partout où les opportunités se présenteront.