Financing Health in Africa - Le blog
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Financement basé sur les résultats : application aux soins de santé maternelle et néonatale dans les pays à revenu faible  et à revenu intermédiaire inférieur: données probantes... et quelques conseils d'une experte des chèque-santé

3/24/2013

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Isidore Sieleunou

Isidore Sieleunou (AEDES et co-facilitateur de la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé) interviewe Anna Gorter sur sa récente revue co-écrite avec Por Ir (Institut National de Santé Publique, Phnom Penh) et Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers). La revue de littérature, commanditée par le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Economique et du Développement, est accessible ici sur le site German Health Practice Collection.

Votre revue de la littérature tombe à point nommé pour le débat sur le financement basé sur les résultats (FBR). Pouvez-vous nous en résumer les principales conclusions?

Le FBR est une approche relativement nouvelle dans le domaine de la santé dans les pays à revenu faible  et à revenu intermédiaire inférieur. Face aux résultats décevants dans le secteur de la santé, il se pose comme une réponse aux attentes des populations relatives aux mortalité et morbidité maternelle, néonatale et infantile. De nombreux gouvernements sont conscients de la faible performance des prestataires de services et sont prêts à tester de nouvelles approches en santé. En conséquence, un large éventail d'approches caractérisées par une rémunération des prestataires en fonction des résultats a été développé.

Notre revue a porté sur les soins de santé maternelle et néonatale et sur ​​les effets sur la performance des prestataires de soins de santé. Nous avons étudié quatre approches: le financement basé sur la performance (FBP), la contractualisation basée sur la performance (CBP), les chèques (vouchers), et la budgétisation basée sur les résultats (BBR) (également appelée la budgétisation basée sur la performance, ou transferts intra-gouvernementaux). Nous avons examiné l'utilisation des services, la qualité des services et l'équité (c'est à dire si l'approche était en faveur des pauvres, si elle réduisait l'écart entre riches et pauvres dans l'accès aux soins). Il y a peu ou pas d'études sur le rapport coût-efficacité ou sur la pérennité. Dans l'ensemble nous avons recensé 70 documents de recherche pour 37 programmes, dont 27 avaient une rigueur conceptuelle et ont été utilisés pour les conclusions finales.

L’évidence la plus robuste a été trouvée pour les chèques, avec des preuves solides qu’ils peuvent augmenter l'utilisation et la qualité des services, et améliorer l'équité. Pour le FBP nous avons trouvé des preuves consistantes qu'il peut améliorer la qualité, mais pas de preuves suffisantes pour l'utilisation et l'équité. Pour la CBP nous avons trouvé des preuves modestes pour l'utilisation et l'équité, et des évidences insuffisantes pour la qualité. Pour la BBR il n'y avait pas assez d'études. Le système de chèque est une approche qui a un recul beaucoup plus important (depuis 1964), tandis que le FBP et la CBP ont débuté il ya seulement une décennie, d'où la différence en termes de données probantes.

Vous avez travaillé sur l'approche des chèque-santé pour une grande partie de votre carrière. Quelle place voyez-vous pour cette stratégie en Afrique?

Pour moi, les chèques-santé ont toujours été l'outil par excellence pour atteindre les populations défavorisées aux services essentiels tels que les soins de la mère et de l'enfant, la planification familiale, les IST et les soins du VIH, le cancer du col de l'utérus, etc. Cet approche aide les plus pauvres ou les défavorisés à utiliser les services de santé qui sont importants pour leur bien-être, mais qu'ils n'utilisent pas.

Nous avons développé une approche en 1995 au Nicaragua, essentiellement pour aider les travailleuses du sexe et les adolescents à accéder à la santé sexuelle et reproductive. On la voyait comme un moyen de surmonter les obstacles financiers, ainsi que d'améliorer la qualité des soins qui était aussi un obstacle important pour ces groupes. Les résultats étaient bien meilleurs que ce à quoi nous nous attendions et c'est alors que nous avons commencé à analyser les raisons de ce succès. Les chèques offrent de fortes incitations du côté de la demande (ils informent, ils orientent, ils ‘capacitent’ les clients) ainsi que du côté de l'offre (les agents de santé sont motivés à attirer plus de clients, de plus les contrats mettent souvent comme condition d’éligibilité une amélioration de la qualité technique).

Je pense que les chèques ont leur place en Afrique, notamment dans le ciblage des populations qui sont, à un moment donné, difficiles à atteindre, et aussi dans la dynamisation de l’amélioration de la prestation des services dans les formations sanitaires. Dans le système de chèques au Kenya, nous voyons que les prestataires investissent les recettes des chèques dans l'amélioration de la fonctionnalité de leur formation sanitaire et le renforcement de leur capacité (envoi du personnel en formation sur la planification familiale, rénovation des bâtiments et ambulances, achat d'équipements et fournitures, nouvelle maternité et salles d'opération, etc.). Les chèques peuvent être utilisés pour des services particulièrement critiques, là où les autres approches ont échoué. 

En Afrique, de nombreux pays ont lancé en même temps - parfois en parallèle - les différentes approches de financement des soins. Ne serait-il pas logique de les fusionner? Pouvez-vous nous dire ce que pourrait être l'effet d'une combinaison de deux ou plusieurs approches de FBR, par exemple FBP, bons et même des services de santé gratuits ciblés?

Combiner le FBP et les chèques améliorerait certainement l'efficacité des deux approches, même si cela n'a pas été fait jusqu'à présent. Comme décrit ci-dessus, les chèques peuvent inciter les clients qui ont besoin de services mais qui, même en présence d'un FBP, n'ont pas toujours pu utiliser la formation sanitaire. Distribuer des chèques offre l'opportunité de transmettre en face-à-face des informations pertinentes sur les services de santé particuliers et où ils peuvent être obtenus. Le chèque en soi inspire confiance aux clients qu'ils seront effectivement pris en charge, et cela est particulièrement important pour les groupes les plus pauvres ou défavorisés, qui très souvent manquent de confiance en soi. En outre, des avantages supplémentaires peuvent être ajoutés au système de chèque tel le paiement des frais de transport si cela s’avère un obstacle important. En ce sens, l’ajout des chèques à un FBP permettrait d'améliorer l'équité et réduire l'écart entre riches et pauvres. Les chèques sont en fait des services de santé gratuits ciblés aux groupes spéciaux dans le besoin.

Vous avez beaucoup travaillé en Amérique Centrale et plus récemment en Asie. Plusieurs systèmes de FBR documentés dans votre revue sont en effet de ces continents. Quelles leçons l’Afrique peut-elle apprendre d'eux?

Je pense que la plus importante leçon, observée dans mon travail, est que dans chaque pays que j'ai visité, il ya d'énormes groupes de population qui ont besoin de services de santé particuliers, mais ne les utilisent pas parce que les obstacles à l'accès sont tout simplement énormes à surmonter. Le système de chèques peut les aider à surmonter ces obstacles, à la fois les barrières du côté de la demande ainsi que celles du côté de l'offre. En fait, je crois qu’une importante raison pour laquelle le système de chèque est si efficace dans les effets décrits ci-dessus sur l'utilisation, la qualité et l'équité, c'est parce qu'ils modifient le comportement des clients et des prestataires en même temps.

Au regard du succès de nombreux programmes du FBP en Afrique, je pense qu'il ya un nouveau rôle pour les systèmes de chèques afin d’amener les clients qui n’arrivent toujours pas à venir dans les formations sanitaires. Cela rendrait les programmes du FBP plus solides et plus efficaces pour améliorer la santé des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés en Afrique.

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Results-Based Financing applied to maternal and newborn health care in low and lower-middle income countries: the state of the evidence… and some good tips from a voucher expert

3/19/2013

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Isidore Sieleunou (AEDES & co-facilitator of the CoP Financial Access to Health Services) interviews Anna Gorter on a recent evidence review she co-authored with Por Ir (National Institute of Public Health, Phnom Penh) and Bruno Meessen (Institute of Tropical Medicine, Antwerp). The review, commissioned by the German Federal Ministry for Economic Cooperation and Development, is accessible on the German Health Practice Collection website, here (together with other documents and power points).

Your literature review is timely for the hot debate on Result Based Financing (RBF). Could you summarize its key findings?

RBF is a relative new approach in health in Low and Low-middle-Income Countries (LLMIC). It is an answer to the disappointing results of the health sectors to meet public expectations and reduce maternal, neonatal and child mortality and morbidity. Many governments are aware of the low performance of their service providers and are ready to test new approaches health. As a result a wide range of approaches has been developed, whereby payment of providers is linked to the results providers achieve.

Our review focused on maternal and neonatal health care and on the effects on the performance of health care providers. We investigated four approaches: performance based financing (PBF), performance based contracting (PBC), vouchers, and Results Based Budgeting (RBB) (also named performance-based budgeting or intra-governmental transfers). We looked at utilisation of services, quality of services, and equity (i.e. if the approach was pro-poor, reducing the rich-poor gap in access to care). There were little or no studies on cost-effectiveness or sustainability. All in all we found 70 research papers for 37 programmes, of which 27 had a rigorous design and which were used for the final conclusions.  

The strongest evidence was found for vouchers, with robust evidence that vouchers can increase utilisation and quality of services, and improve equity. For PBF we found robust evidence that they can improve quality, but insufficient evidence for utilisation and equity. For PBC we found modest evidence for utilisation and equity and insufficient evidence for quality. For RBB there were not enough studies. Vouchers are a much older approach (since 1964), while PBF and PBC only started a decade ago, hence the difference in evidence.     

You have been working on the voucher approach for a substantial part of your career. Which place do you see for vouchers in Africa?

For me, vouchers have always been the tool par excellence to reach disadvantaged populations with critical services, such as mother and child care, family planning, STI and HIV care, cervical cancer, etc.  That is assisting the poorest or otherwise disadvantaged in using health services, which are important for their health, but which they are not using currently.

We developed the approach in 1995 in Nicaragua, basically to assist sex workers and adolescents to access sexual and reproductive health. We saw it as a way to overcome financial barriers as well as to improve the quality of care which was also an important barrier for these groups. The results were much better than we ever expected and that is when we started to analyse the reasons for this success. Vouchers provide strong incentives on the demand side (they inform, they guide, they empower the clients) as well as on the supply side (health providers are motivated to attract more clients and contracts demand also improved technical quality). 

I think that vouchers do have a place in Africa, especially in targeting those populations which are currently not reached and also in driving improvements of provision of services at the facilities. In the Kenya voucher scheme we have seen that providers invest the voucher revenue in improving the functionality of their facility and increasing their capacity (sending staff to be trained in long term family planning, repairing their buildings and ambulances, buying equipment, supplies, new maternity wards and operating theatres etc.). Vouchers could be used for especially critical services, where other approaches have not worked. 

In Africa, many countries have launched at the same time – sometimes in parallel – various health care financing approaches. Would it not make sense to merge them? Could you tell us what could be the effect of a combination of two or more RBF approaches, for instance PBF, Vouchers and even targeted free health services?

Combining PBF and vouchers would certainly increase the effectiveness of both approaches, although this has not be done so far. As described above, vouchers can bring in clients who need services but who even in the presence of a PBF still do not come to the health facility. Distributing the vouchers provides an opportunity to give face-to-face relevant information on particular health services and where these can be obtained. The voucher itself inspires confidence in the clients that they actually will be attended, and this is especially important for the poorest or otherwise disadvantaged groups, who often lack self-confidence. Furthermore, additional benefits can be added to the voucher such as payment of transportation costs if that is an important barrier.  In that sense, a voucher program on top of a PBF scheme would enhance equity and reduce the rich-poor gap. Vouchers are in fact free health services targeted to special needy groups.

You worked a lot in Central America and more recently in Asia. Several RBF schemes documented in your review are indeed from those continents. What can Africa learn from them?

I think the most important lesson observed in my work is that in each country I visited there are huge population groups who are in need of particular health services but not use them because the access barriers are simply too great to overcome. Vouchers can assist them to overcome these barriers, both barriers at the demand side as well as at the supply side. In fact I think an important reason for vouchers to be so effective in the above described effects on utilization, quality and equity is because they alter behaviour of clients and providers at the same time. However, taken into account the many successful PBF programmes in Africa, I think there is a new role for vouchers and that is bringing in those clients who still not come. This would make the PBF programmes stronger and more effective in increasing the health of the poorest and most disadvantaged groups in Africa.

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La Nouvelle Economie Institutionnelle, une clé pour comprendre le programme du financement basé sur la performance

1/28/2013

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Serge Mayaka


Serge Mayaka (Ecole de Santé Publique Kinshasa, doctorant à l’Université Catholique de Louvain) interviewe Maria Bertone (doctorante à la London School of Hygiene & Tropical Medicine) et Bruno Meessen (IMT, Anvers) sur leur récent article présentant un cadre d'analyse pour étudier les liens entre les arrangements institutionnels et la performance des systèmes de santé, avec une application à deux expériences FBP au Burundi.

 On peut dire que votre article tombe à point nommé pour le débat sur le Financement Basé sur la Performance (FBP). Pourriez-vous nous résumer ses messages principaux?

Maria Bertone: Le papier poursuit deux objectifs. C’est tout d’abord une contribution sur le plan conceptuel. Il s’agit d’articuler différents concepts issus de la Nouvelle Economie Institutionnelle pour faciliter l’étude des systèmes de santé. Concrètement, le papier propose un cadre d’analyse simplifié pour analyser des modifications des arrangements institutionnels structurant un système de santé. L’article comporte, à titre illustratif, une application du cadre d’analyse à deux expériences pilotes de FBP au Burundi. Cette application au FBP permet dès lors l’atteinte d’un 2° résultat : dégager des leçons sur des enjeux de design et de mise en œuvre du FBP. L’atteinte de ce second résultat valide d’une certaine façon notre proposition théorique.

Si l’article n’apportera probablement pas beaucoup au FBP du Burundi (depuis cette étude, un modèle unifié a été mis en place à l’échelle du pays), certaines leçons plus génériques peuvent être intéressantes, par exemple en matière d’évaluation des dispositifs FBP. Si nous ne contestons pas la nécessité d’études d’impact, l’article rappelle que la configuration institutionnelle de chaque FBP est différente et que chaque étude d’impact devra donc être interprétée en tenant compte de la nature particulière de ce dernier.

Plusieurs auteurs ont récemment prôné l’approche des « systèmes adaptatifs complexes » pour étudier les systèmes de santé. Une telle suggestion a été faite pour le FBP, notamment pour dégager les effets inattendus. Avez-vous répondu à leur recommandation?

Bruno Meessen : Je ne suis pas très familier avec cette approche; je serais curieux de voir ce qui pourrait en sortir, après application au FBP. La seule chose que je puisse en dire est que ce serait une erreur de l’adopter  avec le présupposé qu’on serait en manque de clés pour comprendre le FBP, ses intentions et ses effets. Le message sous-jacent de notre article est que la Nouvelle Economie Institutionnelle est un corpus théorique puissant pour mieux comprendre comment réformer les systèmes de santé. A titre personnel, je peux en tout cas dire qu’elle m’a aidé à structurer ma propre réflexion théorique et politique ces dix dernières années.

A cet égard, peut-être l’article va-t-il aussi évacuer un malentendu. Ça va surprendre certains médecins lisant cet interview, mais j’ai déjà entendu la critique que « le problème du FBP est qu’il a été conçu par des médecins, pas par des économistes de la santé: les concepteurs ne connaissent pas la vaste littérature sur les mécanismes de paiement». Avec cet article, nous voulions montrer qu’au contraire, les fondements théoriques du FBP sont substantiels. Ils sont peut-être même plus englobants que la littérature de l’économie de la santé : de fait, pour traiter des questions comme la redistribution des rôles dans un système ou l’introduction de nouvelles règles du jeu, l’économie des organisations (organisation economics) est une boîte à outils bien plus étoffée.

Maria, quelle suggestion ferais-tu à un jeune chercheur qui voudrait appliquer ce cadre d’analyse, par exemple s’il aborde le FBP dans un contexte différent de celui du Burundi ?

Adapter et appliquer le cadre analytique à une situation précise a été un exercice stimulant. Cela m’a forcé à regarder les deux expériences depuis une nouvelle perspective. J’ai été surprise par le fait qu’il m’ait permis de découvrir de nouveaux aspects et de mieux comprendre pourquoi les deux dispositifs fonctionnaient différemment.

Je dirais que l’application du cadre nécessite certaines notions théoriques et une compréhension du programme de la Nouvelle Economie Institutionnelle. Au mieux, nous avons là un « squelette », il reste à chaque chercheur de mettre la « chair » dessus.  Si un bagage en sciences sociales est sans doute souhaitable, nous espérons que le papier va faciliter le dialogue entre économistes et théoriciens des systèmes de santé. Il permet en tout cas d’établir des liens avec des travaux antérieurs (par exemple ceux de Thomas Bossert sur les droits décisionnels) et contemporains (par exemple ceux de Kenneth Leonard sur la motivation).

Les jeunes chercheurs apprécieront sans doute la démonstration que les études de cas sont légitimes en matière de FBP. On pourrait certainement faire plus d’études de cas comparatives.

Bruno, Maria parle de « squelette ». Dans quelle direction, vois-tu les développements scientifiques, en particulier dans le domaine du FBP ?

BM: Les développements possibles sont multiples. Ma recommandation aux chercheurs qui ne veulent ou ne peuvent conduire une étude d’impact est de se concentrer sur ce qui pourrait expliquer que l’on n’obtienne pas ce qu’on l’espérait obtenir avec le FBP (ou que l’on obtienne quelque chose que l’on ne voulait pas obtenir !). Les raisons de « plantage » d’un dispositif FBP sont multiples, mais elles s’inscriraient probablement dans trois grandes catégories (non-exclusives): soit c’est le design qui était mauvais, soit c’est le processus de mise en œuvre qui a été inapproprié, soit c’est la théorie FBP qui est défaillante.

Notre cadre d’analyse vise avant tout à étudier les erreurs du premier type : une inadéquation entre un design et un contexte, qui aboutit au final à un résultat sous-optimal. Autrement dit, le FBP était mal conçu (par exemple, parce qu'on a fait du FBP en couper/coller). A cet égard, les développements du cadre d’analyse pourraient aller vers plus de détails dans la description des arrangements institutionnels, des droits de propriété ou des rapports de force entre acteurs.

Il y a ensuite les erreurs du second type, lors de la mise en oeuvre. Comme la montré la littérature récente sur les gratuités des soins, documenter ces problèmes est relativement trivial et il ne faudra probablement pas s’encombrer d’éléments trop théoriques. Je ne suis pas sûr donc que notre cadre d’analyse sera d’une grande utilité.

Mais il existe un troisième type d’erreurs : celles qui découleraient de faiblesse dans la théorie sous-tendant les propositions FBP. La recherche peut aider à réduire ce risque en consolidant les bases théoriques du FBP. Des chercheurs bien équipés en sciences humaines et méthodes empiriques pourraient creuser les mécanismes d’ordre plus psychologique, notamment les aspects motivationnels et cognitifs. La « théorie FBP » repose en effet sur l’hypothèse de l’homo oeconomicus. La force de cette dernière en termes de modélisation et prédiction n’est plus à démontrer, mais elle reste une simplification de la psychologie humaine). Notre cadre laisse ainsi indéterminée la question de l’interaction entre la motivation extrinsèque et la motivation intrinsèque. Nous ne disons rien non plus sur comment les individus modifient leurs préférences, développent des attentes ou traitent l’information qu’on leur dispense. Ce sont des aspects qui peuvent peser (dans un sens comme dans un autre) dans l’efficacité d’une révision d’arrangements institutionnels. C’est sans doute le programme de recherche le plus ambitieux, qui demande de se défaire de ses propres convictions et de s’appliquer dans ses travaux empiriques. Quelqu’un comme Kenneth Leonard montre la voie.

Revenons maintenant à votre étude au Burundi. Maria, peux-tu nous résumer les principaux résultats de la comparaison des deux expériences Fbp de Ngozi et Bubanza?

MB: Notre analyse explique comment et pourquoi les deux dispositifs ont fonctionné différemment. J’insisterais sur trois résultats.

Le premier porte sur le rôle de l’agence d’achat. Nous montrons que son rôle a été organisé de façon différente dans les deux projets. A Ngozi, la fonction d’achat était tenue par un comité constitué de représentant de l’agence de mise en œuvre (l’Institut Tropical Suisse) et la hiérarchie sanitaire locale, sous la présidence du directeur de la province sanitaire. A Bubanza, la fonction a été assignée à une agence indépendante gérée par l’ONG (Cordaid). Cette seconde approche a permis une définition bien plus claire des responsabilités et limité les conflits d’intérêt ; son inconvénient est qu’elle a abouti à une transfert excessif de « droits décisionnels » (un concept-clé dans la Nouvelle Economie Institutionnelle) à une agence externe à la structure de l’Etat. Pour la petite histoire, la question de l’identité de l’acteur qui doit détenir la fonction d’achat a suscité un débat très vif au Burundi en 2009. Au final, le Ministère de la Santé et ses partenaires ont innové et opté pour un modèle mixte sécurisant tant l’implication de l’Etat que celle d’acteurs externes.

Deuxièmement, notre analyse montre que le support et la guidance fournis aux formations sanitaires lors de l’introduction d’un dispositif FBP – ce qui est souvent référé sous le vocable de coaching par les experts FBP- sont clés pour le succès d’un FBP. En effet, il est crucial d’aider les prestataires de soins à comprendre la teneur des nouvelles institutions, des nouvelles règles du jeux, qui sont mises en place. Dans notre analyse, il apparaît que le coaching est en fait un mécanisme ‘soft’ mais puissant dans l’imposition (enforcement en anglais) et l’adoption des nouvelles règles du jeux. Dans les interventions FBP, il est souvent pensé que la vérification est le principal mécanisme d’imposition des règles – notre analyse montre que les agences d’achat ont en fait une palette d’instruments.

Ceci nous amène à notre troisième leçon. Un de ces instruments est la rhétorique. Nous avons découvert une relative divergence entre cette dernière et les pratiques concrètes des acteurs sur le terrain. Par exemple, à Bubanza, les experts interviewés mais aussi leurs documents de référence mettaient en avant le concept de la ‘boîte noire’, qui réfère à l’autonomie totale des prestataires dans leur utilisation des ressources financières collectées grâce au FBP. En pratique, le coaching que l’agence d’achat ainsi que certains outils de gestion (comme le ‘business plan’, qui dans le « langage FBP » réfère à un plan d’actions) réduisent cette autonomie. Il ne s’agit pas ici de dire que le coaching ou les plans d’action sont inutiles – que du contraire ! – mais de montrer combien ce qui est mis en œuvre peut diverger du plan et de la rhétorique. D’autres chercheurs, comme Freddie Ssengooba dans son analyse de l’expérience pilote en Ouganda (qui pour rappel, n’était pas un FBP comme on l’entend aujourd’hui en Afrique), avaient déjà montré une divergence entre le plan et la mise en œuvre ; il l’expliquait par les difficultés de mise en œuvre.

La situation que nous décrivons est différente. Elle est plutôt analogue à celle identifiée par Jean-Benoît Falisse relativement au mécanisme de ‘voix des usagers’, qui n'est peut-être pas aussi effectif qu'on ne le prétend. Notre analyse institutionnelle suggère que la rhétorique est en fait un mécanisme cognitif clé pour imposer les nouvelles règles du jeu. Au stade initial d’introduction d’un FBP, une rhétorique cohérente, radicale et forte va aider à marquer le changement avec le passé, à clarifier la teneur des nouvelles règles du jeu. Ceci jette une autre lumière sur la rhétorique « FBP », qui nous le savons, irrite certains observateurs : elle a une fonction interne pour faciliter l’adoption des nouvelles institutions. 

Aux lecteurs de juger, mais nous pensons que ces trois exemples montrent qu’une analyse institutionnelle approfondie des expériences FBP peut être riche d’enseignements. Nous sommes certainement curieux de connaître leur avis.

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Un débat en ligne sur “le Financement Basé sur la Performance dans les pays à revenu faible ou intermédiaire: toujours plus de questions que de réponses”

9/23/2012

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Un des deux éditoriaux du numéro d’août du Bulletin de l’OMS était consacré au  Financement Basé sur la Performance (FBP). Fretheim et al.  y rapportaient les principaux résultats de leur revue systématique Cochrane publiée quelques mois plus tôt. Les semaines qui suivirent – en dépit d’une torpeur  toute estivale et du départ en vacances de beaucoup d’experts – un débat s’est  tenu (en anglais) sur le forum de discussion en ligne de la communauté de pratique FBP  (CoP). Cette discussion a bénéficié  des contributions de deux auteurs de la revue systématique (Atle Fretheim et Sphie Witter). Cet article résume les principaux points discutés. Il essaie  d’être aussi objectif que possible.  Il est par ailleurs possible d’accéder à l’ensemble des emails (en anglais) sur la page Resources de ce  blog.

Bruno Meessen, 12 septembre 9 2012.


Le débat est lancé

Le 9 août, Emmanuel Ngabire (Ecole de Santé Publique, Kigali), co-facilitateur de la CoP partage l’article sur le groupe de discussion en ligne. La première réponse arrive deux heures plus tard, de Stefaan Van Bastelaere (Coopération Technique Belge, Bruxelles). Il exprime ses craintes sur l’impact possible de l’éditorial, et sa frustration: “Les auteurs réduisent le FBP à une stratégie qui génère de la quantité, selon moi, c’est injuste.”   

Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers), facilitateur principal de la CoP, invite alors les membres du groupe de discussion à lire l’article et à partager leur point de vue.

Longin Gashubije (Ministère de la Santé du Burundi, Bujumbura) s’interroge sur la définition restrictive utilisée par Fretheim et al. dans l’éditorial: “Je pense que le FBP est plus qu’un transfert d’argent; quand il est mis en œuvre correctement, il permet de transformer l’ensemble du système de santé ”. Il explique aussi pourquoi aucune étude aléatoire n’a été faite au Burundi: la simple observation, à travers le système de monitoring, de l’amélioration d’indicateurs quantitatifs et qualitatifs qui n’avait jamais bougé avant l’introduction du FBP s’est avérée suffisante pour persuader les décideurs d’étendre l’expérience pilote à l’échelle du pays. 

Les auteurs de la revue systématique veulent engager un dialogue

Le 10 août, Atle Fretheim (Centre Norvégien de Connaissance sur les Services de Santé, Oslo) rejoint le groupe. Après s’être introduit, il recommande à tous de lire également la revue systématique, pas seulement l’éditorial.  II exprime sa volonté de dialoguer sur comment les expériences FBP pourraient être évaluées d’une façon pratique, réaliste mais robuste.

Bruno Meessen réagit le jour-même. Sa frustration est palpable – l’essentiel de son long mail concerne justement le manque d’intérêt dont ont fait preuve les auteurs de la revue pour un tel dialogue avec les praticiens du FBP. En ce qui concerne la revue systématique, une meilleure connexion avec le terrain et les personnes engagées dans la mise en œuvre auraient évité certains malentendus.

Démarrage d’une discussion sur l’application de la méthodologie des revues systématiques aux réformes des systèmes de santé

Dans le même message, Bruno partage aussi sa vue personnelle, comme chercheur, sur les limites des revues systématiques une fois qu’elles concernent des stratégies de réforme des systèmes de santé. Cependant, il reconnaît que la discussion qui s’annonce sera bénéfique pour renforcer le programme général d’évaluation du FBP.

Le 10 août toujours, Sophie Witter (Université d’Aberdeen), première auteure de la revue systématique répond à Bruno.  “Comme chercheuse travaillant sur les systèmes de santé, je peux tout à fait comprendre tes frustrations avec le processus d’une revue Cochrane . Il a des forces et des faiblesses, comme toute méthode.”  Dans son courrier, elle rappelle à quel niveau les revues systématiques se situent dans le corpus de connaissance. Elle reconnaît que “c’était peut-être trop tôt pour le FBP, mais ces revues sont mises à jour régulièrement, ça ne devrait donc pas être un problème à long terme” et que “le FBP est une intervention particulièrement peu commode pour les revues systématiques, car il a été interprété de façons diverses et mis en œuvre dans des contextes très différents”. Elle ajoute : “ce sont tous des problèmes que nous avons soulignés dans la revue. Dans cette dernière, nous faisons un appel pour plus de recherche sur les effets systémiques et la relation aux différents contextes.” 

Le 11 août, Ir Por (Institut National de Santé Publique, Cambodge) – qui est alors juste en train de finaliser une revue (non-systématique) sur le financement basé sur les résultats appliqué à la santé maternelle et néonatale au nom de la Coopération au Développement Allemande – partage sa surprise “de voir autant de réactions sur l’éditorial mais pas sur la revue Cochrane elle-même quand elle a été publiée”. Por a lu la revue Cochrane, et il la trouve  “bien écrite, respectant des règles transparentes, et équilibrant bien ses résultats et conclusions. Dès lors, si nous voulons contester les résultats, il serait plus correct de contester les méthodes « Cochrane » (surtout pour la recherche en système de santé), mais pas les auteurs.”

Une revue systématique trop encline à inclure suffisamment d’études?

Après une semaine calme, le débat est relancé par Joanne Harnmeijer (ETC Crystal, Pays-Bas) le 17 août. Elle revient sur un point soulevé par Bruno : son analyse que la revue Cochrane est venue trop tôt. La discussion qui suit va alors permettre aux membres de la CoP de mieux comprendre certaines tensions internes à la revue systématique. Pour Joanne, la revue systématique est injuste : les auteurs ont inclus des données, rapports et études qui ne prétendaient pas nécessairement atteindre les standards d’une revue Cochrane pour ensuite à l’étape suivante du processus, correctement évaluer ces études comme atteignant un score faible en termes de rigueur.

Le même jour, Sophie Witter réagit, en fournissant plus d’information sur l’approche prise et comment elle respecte les standards Cochrane. Joanne répond le même jour, réitérant son analyse. Elle rappelle la pertinence de la recommandation d’ Atle d’avoir “un débat sur comment les expériences FBP pourraient être évaluées d’une façon pratique, réaliste, mais robuste” ; ses contributions relèvent de cette préoccupation.

Le mail de Joan déclenche aussi une réponse de Atle. Son commentaire à lui porte surtout sur les critères de sélection. Il rappelle les règles qu’une revue Cochrane doit respecter si elle porte sur une intervention sur le système de santé. Il écrit également : “Nous ne critiquons pas les auteurs des études originales. Ce n’est en tout cas pas notre intention. Que du contraire! Ils ont peut-être produit les meilleures études possibles compte tenu des circonstances. Je voudrais ajouter que nous sommes reconnaissants à de nombreux auteurs des études originales. Plusieurs d’entre eux ont répondu rapidement à nos emails et même envoyé leurs bases de données. Je pense qu’en général, les cherchant effectuant une revue Cochrane rencontrent bien plus de difficultés que nous n’en avons rencontrées quand ils essaient de dialoguer avec les auteurs des études primaires et d’accéder aux données non publiées. Donc, nous les remercions certainement !”

Toujours le même jour, Joanne répond à Atle. Le désaccord n’est pas évacué.

Comment prendre en compte les facteurs contextuels dans l’évaluation des experiences FBP? 

Le 21 août, Eric Bigirimana (AEDES et BREGMANS Consulting, Cameroun) revient sur l’importance du contexte dans la conception et l’efficacité d’un mécanisme FBP. Il illustre cela avec des observations faites par les participants d’une visite d’étude qu’il a organisé dans trois pays de l’Afrique des Grands Lacs. Eric est aussi chercheur. Il estime qu’une approche scientifique alternative – l’évaluation réaliste – prendrait mieux le contexte en compte que des études aléatoires. Dans son long mail, il explique pourquoi.

Sophie, qui est familière avec l’approche de l’évaluation réaliste (elle est actuellement coordinatrice d’un projet de recherche sur les politiques de gratuité en santé maternelle qui en partie, recourt à cette approche) répond: “Je pense que l’approche réaliste est très intéressante et je suis d’accord qu’elle pourrait bien s’appliquer au FBP. Pour la méthode Cochrane, s’il y a assez d’études robustes, alors vous pouvez regarder les patterns contextuels qui émergent. Malheureusement, si vous n’avez que quelques études (comme c’est le cas avec la revue FBP), ceci est exclu. Mais je voudrais juste noter que la méthodologie en elle-même n’est pas incapable de prendre en compte les différences contextuelles”.

Contribution de Robert Soeters: une synthèse, quelques autres critiques et une piste pour aller de l’avant en matière de recherche 

Le 22 août, Robert Soeters (SINA Health, Pays-Bas) envoie sa contribution. Dans son long mail, Robert fournit de l’information sur comment il a été impliqué dans le processus de la revue Cochrane. Son sentiment est que les chercheurs faisant la revue n’ont pas été transparents à la hauteur de son propre engagement à être transparent. Accorder aux chercheurs de terrain l’opportunité de donner un feedback précoce sur la revue aurait été un mécanisme de validation précieux. Robert explique aussi comment le savoir actuel sur le FBP a été développé graduellement sur le temps via une accumulation d’expérience. Il note qu’une large adoption de bonnes pratiques est un autre type de validation, une validation en termes de pertinence. Son évaluation de la revue est que “le résultat est un ensemble biaisé de recommandations et certaines conclusions qui sont communiquées hors de leur contexte.” Il développe ce dernier point en fournissant plus d’information sur plusieurs pays dans lesquels il a travaillé ces dernières années. 

Dans le reste de son message, Robert met en avant plusieurs idées pour une autre approche de la recherche sur le FBP. Il formule plusieurs inquiétudes, qui doivent être prises en compte pour l’agenda futur. Une est de trouver des stratégies de recherche qui ne nuisent pas au processus politique. Par exemple, l’échantillonnage de districts plutôt que de formations sanitaires au sein d’un même district ou encore une mise en œuvre progressive du FBP “par  laquelle un nombre de districts est inclus dans l’intervention et un nombre de districts pas (encore) inclus.”

Pour les revues systématiques, il insiste sur le fait que les interventions étudiées doivent être homogènes.  “ il y a un consensus grandissant dans les pays  à revenu faible ou intermédiaire sur la définition du FBP. Il faut éviter que des études de projets ne correspondant pas à cette définition soient incluses. Cela n’aide en rien d’inclure un projet non FBP et puis d’en tirer des conclusions sur le FBP. Je pense en particulier à une étude sur l’Ouganda (Palmer et al) et la Zambie (Revue Cochrane).” Comme d’autres, il souligne l’importance du contexte. Il conclut en marquant son adhésion à l’objectif commun de travailler sur les méthodes de recherche. “Nous invitons le monde académique à participer de façon constructive sur les réformes sanitaires FBP et par là, améliorer l’agenda scientifique.”

Une lettre de réponse par Atle et un engagement partagé pour un programme de recherche sur le FBP

Le même jour, Atle répond à Robert, point par point (cependant, pour une raison inconnue, le mail n’est jamais parvenu au groupe de discussion). Dans son mail, Atle rappelle aux membres de la CoP certaines règles des revues Cochrane. Il fournit aussi une guidance sur comment les auteurs des études primaires pourraient aider les chercheurs conduisant des revues systématiques (par ex, en fournissant plus d’information sur le contexte). Dans un mail privé, 4 jours plus tard, Robert remercie Atle et Sophie pour leur feedback et conclu : “Nous sommes très heureux qu’une discussion sérieuse sur comment documenter rigoureusement les développements prometteurs du FBP dans de nombreux endroits du monde soit désormais bien lancée. Bien sûr, vous comprendrez que sur une variété de points, je reste en désaccord avec vous, mais au moins un dialogue est entamé – quelque chose que nous accueillons sincèrement. (…) Tout débat ultérieur reste le bienvenu et nous vous remercions également pour la recommandation que plus de recherche soit entreprise – sur ce point, nous sommes pleinement d’accord.”

Le 25 août, un des membres de la CoP informe le groupe de discussion de l’approbation par le parlement burundais d’un don de 14.8 millions de dollars de la Banque Mondiale. Le groupe de discussion en ligne abandonne alors spontanément le débat sur l’étude Cochrane pour discuter la problématique de la pérennité (en français cette fois !).

Manifestement, la discussion sur la meilleure stratégie de recherche pour les interventions FBP continuera. N’hésitez pas à contribuer via la section « commentaire » de ce blog.
 
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Quelle place pour le financement basé sur la performance dans la mise en place du régime d’assurance maladie au Bénin?

7/4/2012

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Du 16 au 20 avril 2012, les Communautés de Pratique “Financement basé sur la Performance” et « Accès Financier » se sont retrouvées à Bujumbura autour de la question « Amélioration de l’accès financier aux soins de santé : quels peuvent êtres les apports du financement basé sur la performance ? ». L’objectif principal était d’aider les pays participant à développer une vision holistique du financement de leur système de santé et analyser pour chacun d’eux les défis d’intégration de leur  politique de gratuité ciblée et/ou d’assurance santé avec un financement basé sur la performance. L’atelier étant en grande partie construit autour de l’expérience du Burundi – premier pays à avoir fusionné sa politique de gratuité sélective (enfants de moins de 5 ans et femmes enceintes) et sa politique de financement basé sur la performance (FBP).

Mr Justin Sossou, Secrétaire Général Adjoint du Ministère de la Santé du Benin a répondu aux questions d’Isidore Sieleunou.

IS : Mr Soussou, quels étaient vos attentes en venant à cet atelier?

JS : Vu la multiplicité des mécanismes de financement du système de santé qui existent au Bénin, il était important d’aller à la rencontre d’autres expériences afin de voir les réglages possibles à faire au niveau interne pour optimiser nos résultats. Donc notre première attente était d’en savoir plus de l’expérience des autres pays, aussi bien ceux qui font déjà le financement basé sur la performance (FBP) ou ceux qui ont d’autres formes de gratuité. A travers les présentations, on a pu voir que les pays n’appliquent pas de la même manière le FBP ou la gratuité. Dans cette diversité d’approche, quel dosage  effectuer pour avoir des résultats les plus coût-efficaces? Il était donc important de partager les expériences respectives avec chaque mode de financement pour améliorer la performance de nos systèmes.

Notre seconde attente portait sur le Burundi, qui a su rendre synergétique la gratuité et le PBF. Nous avons pu observer les insuffisances de ce cas concret et en discuter; nos amis burundais se sont montrés très flexibles vis-à-vis des critiques que les visiteurs ont formulées à l’égard de ce système. Bien sûr, les réserves que nous avons portées à l’endroit de ce système doivent être des leçons pour nous améliorer. Je pense que le partage des expériences à partir de ce cas du Burundi méritait vraiment notre passage dans ce pays.

Au 5ème jour de l’atelier, vos attentes ont été comblées?

Entièrement comblées. D’abord, il y a la démarche méthodologique utilisée au cours de l’atelier : elle a permis de tirer un maximum d’enseignements. Les présentations des pays ont permis de mieux nous imprégner des différents modèles et contextes. La visite du terrain nous a aidé à mieux consolider la compréhension du modèle burundais. Nous avons apprécié le fait que les participants aient été répartis en plusieurs petits groupes; nous ne sommes pas allés dans un seul et même endroit. Nous nous sommes retrouvés après pour partager ce que chacun a perçu comme forces et faiblesses. Dans certains ateliers, on vous conduit dans le même centre de santé et à la fin, on ne tire pas grande chose. A l’avenir, il faudrait renouveler l’approche utilisée ici. Enfin, chaque délégation pays à essayé de construire un modèle d’intégration de financement propre à son pays en tenant compte de leur contexte et à partir des leçons tirées des autres pays. Je dois dire que cet exercice a été très stimulant.

Nous savons que le Bénin est entrain de lancer sa stratégie de FBP. Avant cette stratégie, d’autres stratégies de gratuité ont déjà été mises en place, telle que la gratuité de la césarienne ou plus récemment la gratuité du traitement pour les enfants de moins de 5 ans. Tous ces mécanismes co-existent, la stratégie du FBP arrive. Quelle est votre avis sur l’intégration de tous ces différents mécanismes?

Tous les mécanismes qui existent au Bénin sont ciblés sur une couche sociale ou sur des affections. Malgré cette multiplicité de gratuité et ces investissements, on a constaté que les résultats sont mitigés. Lors de l’identification des causes de ces mauvaises performances, on s’est dit que ce serait bon de lier la rémunération à la performance. Je dois rappeler que le Bénin n’est pas à sa première expérience de gestion axée sur les résultats. Dans une expérience passée, nous avions par exemple essayé de nous attaquer aux effectifs pléthoriques dans certaines zones urbaines. Une des raisons identifiées était le non alignement de la rémunération au lieu où le personnel était posté. La mesure avait consisté à créer des primes pour les zones déshéritées. Les agents ont pris les primes, ont effectivement rejoint leur lieu de travail… mais trois mois après, ils ont désertés leur poste. Il y a eu des insuffisances dans les mécanismes développés par le passé. Aujourd’hui la valeur ajoutée du FBP, que nous avons intégrée dans notre système, est que le mécanisme de rémunération force l’agent à être au pied du malade. Nous attendons également beaucoup en ce qui concerne la capacité du FBP à induire la qualité des soins. En effet, ce n’est pas seulement la présence au pied du malade qui compte, mais c’est également la façon de prendre en charge le malade. Il est prévu qu’un organe indépendant vienne contrôler la qualité des soins et à terme, nous pensons gagner sur la performance globale du système.

Nous avons aussi pensé qu’avec le Régime d’Assurance Maladie Universel (RAMU) qui arrive, il faudra faire converger toutes les formes de gratuité et éviter les saupoudrages dans le financement du système de santé. Ainsi, tous les outils d’évaluation développés dans le cadre du FBP devront être reversés dans le RAMU et c’est ce dernier qui devra assurer le passage à échelle de la stratégie FBP.

Avant ce passage à échelle, y’a-t-il une forme d’intégration entre les mécanismes existant, ou alors les systèmes restent balkanisés, parallèles?

Le FBP appui le concept du RAMU. Il y’a déjà une passerelle entre FBP et RAMU, car le FBP appuie l’opérationnalisation du RAMU. Des passerelles sont aussi prévues avec les autres mécanismes. Par exemple le fond sanitaire des indigents (FSI) reçoit l’appui du FBP. Ce dernier intègre ainsi un indicateur appelé « la qualité de soins accordée à une personne vulnérable ». Le FSI se veut aussi innovant. Nous avons ainsi décidé d’avoir recours à l’identification biométrique des personnes les plus pauvres pour avoir une base de données fiable. Notre expérience antérieure nous a appris que les plus pauvres ne bénéficiaient pas vraiment de nos politiques publiques.

Au-delà du contexte béninois, quel est à votre avis la meilleure voie pour les pays africains de pouvoir assurer la santé de leur population?

En un premier lieu, la question fondamentale est celle du financement. Lorsque nous regardons le financement du système de santé, il faut regarder pour chaque contexte quelle est la meilleure façon d’utiliser les ressources disponibles. C’est dire que chaque pays doit toujours chercher à comprendre quelles sont les services à cibler pour générer des intérêts pour le plus grand bénéfice. Or dans la majorité de nos pays, les investissements ne ciblent pas en général les services de première ligne. Ayons toujours à l’idée le contexte macro-économique : il y a une rareté des ressources. Même si le secteur de santé n’est pas un secteur de profit, il faut néanmoins un équilibre des comptes. D’où l’importance des études et de la prise en compte des avis des techniciens au moment des choix stratégiques et politiques.

Quelles sont les principales leçons que vous ramenez de l’atelier?

La première leçon est qu’il est possible d’améliorer la qualité des soins dans nos formations sanitaires si on lie le résultat à la performance. Par exemple dans le centre de santé que j’ai visité tout était propre, il y’avait des messages d’hygiène partout, l’incinérateur était bien fonctionnel et propre, rien n’était simulé.

Deuxièmement, l’amélioration de la qualité est un accélérateur de l’utilisation de la structure de santé. Aussi longtemps que les populations ont cette assurance qu’en allant dans la formation sanitaire et être bien reçu par un personnel qualifié, il y aura cette affluence. Or lorsqu’on améliore la fréquentation, on augmente le niveau de recettes. En donnant ainsi l’impulsion aux communautés, il se crée une confiance entre les parties prenantes et même si les partenaires venaient éventuellement à se retirer, le niveau de fréquentation pourra permettre la survie de la formation sanitaire.

Enfin, il y’a une exigence sur la qualité de l’information du système de santé. La nécessité d’une vérification et validation des données telle qu’exigée par le PBF garantit une certaine fiabilité des données et est ainsi une source d’amélioration du système d’information dans sa globalité, pouvant ainsi servir d’élément de base pour identifier les variables de choix sur lesquelles agir pour améliorer le système de santé.

Le mot de la fin est pour vous.

Je dois dire que c’est une belle expérience que celle des communautés de pratiques (CoPs). Maintenant ce serait d’œuvrer pour le succès de notre communauté, car nous formons un parterre d’experts et de cadres en mesure de nourrir la critique sur les choix optionnels des stratégies de financement de nos systèmes de santé. N’attendons pas toujours que les solutions viennent d’ailleurs, nous en tant qu’africains, osons dans notre démarche. Nos échanges et partages contribueront à coup sûr à une réflexion certaine pour la construction de modèles viables pour nos systèmes de santé.

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Quelques leçons de l'expérience du Burundi

5/29/2012

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Dans cet article, Yamba Kafando (IRSS Ouagadougou), co-facilitateur de la Communauté de Pratique « Accès Financier » interviewe le Dr Juma Ndereye, Directeur du Programme National de Santé de la Reproduction du Burundi. Ensemble, ils font le bilan de l’atelier régional « Amélioration de l’accès financier aux soins de santé : quels peuvent êtres les apports du financement basé sur la performance ? » (1). Leur discussion porte surtout sur l’expérience originale du Burundi.

YK: Dr Juma, était-il vraiment utile d’organiser cet atelier conjoint centré sur la gratuité et le Financement Basé sur la Performance (FBP)?

JN : Oui, à au moins deux titres. A ma connaissance, le Burundi a été le premier pays en Afrique subsaharienne à combiner les soins gratuits sélectifs et le FBP. En organisant l’atelier ici, on offrait l’occasion aux collègues des autres pays de voir de leurs propres yeux l'expérience burundaise et d’identifier les écueils à éviter en matière de mise en œuvre. Pour nous, il a été très utile de bénéficier de ces regards extérieurs – les observations des participants étaient pertinentes.

Un des axes de l’atelier était de remettre en perspective les différentes stratégies de financement des soins, notamment avec une meilleure compréhension des enjeux en matière d’équité. Selon vous, quels sont les aspects positifs du couplage « gratuité sélective – FBP » pour votre pays  en matière d’équité?

La stratégie FBP telle qu’elle a été mise en œuvre au Burundi, intègre une composante équité. Dans le modèle burundais, il existe en effet des ‘bonus d’équité’ avec des tarifs plus élevés pour les formations sanitaires se trouvant dans des difficultés particulières (éloignement, insuffisance du personnel et des équipements, nombre d’indigents à prendre en charge etc). L’un des grands problèmes qu’on connaissait dans notre pays c’est que beaucoup de personnel soignant se sont accumulés au niveau des grandes villes, ils ne veulent pas aller en périphérie. Ces ‘bonus d’équité’ ont permis d’apporter plus de ressources aux formations sanitaires éloignées, ce qui leur a permis d’attirer plus de personnel.

Il y a également une règle qui octroie un ‘bonus d’équité’ en fonction du nombre d’indigents pris en charge par les formations sanitaires. De plus, au niveau national, les soins des indigents sont pris en charge à 100% par le Ministère ayant la solidarité dans ses attributions. Mais il est vraiment, comme l’a souligné Alex Ergo durant l’atelier, que ces multiples stratégies en faveur d’une plus grande équité doivent être évaluées. Il est certainement utile de poursuivre la réflexion sur l’équité dans notre pays.

Dans certains pays, l’introduction de la gratuité a entraîné une dégradation de la qualité des soins. Quel a pu être l’apport de la fusion avec le FBP au Burundi à cet égard?

Le FBP  a créé un nouvel environnement où la qualité des soins est une préoccupation pour le personnel. En effet, un des aspects les plus importants de la qualité des soins, c’est  l’accueil des patients. Or le FBP, parce qu’il rémunère les formations sanitaires en fonction du volume d’activités, crée des incitants forts pour que les formations sanitaires soient plus attentifs aux usagers.

Mais aussi il y a une dimension plus en rapport avec la dimension technique des soins. Dans le système FBP du Burundi, la qualité technique des soins est prise en compte par une évaluation qui est faite par l’équipe du district sanitaire et du bureau de la province sanitaire. Le système n’est pas parfait : peut-être y a-t-il certains indicateurs à revoir, mais le système FBP envoie en tout cas un signal fort au personnel de la santé. Un autre aspect de la qualité des soins est en rapport avec la qualité perçue : ce que les gens et les communautés qui utilisent les services pensent des services que nous leur offrons. Il y a des enquêtes qui se font au niveau des communautés ; elles peuvent ainsi rapporter leur ressenti par rapport à notre système, à nos formations sanitaires, sur la manière dont ils sont accueillis et leur satisfaction par rapport aux services qui leur sont offerts. Ceci a permis  à beaucoup de formations sanitaires d’améliorer leur prestation.

Ces aspects positif plaident en effet en faveur d’une fusion. D’autres leçons du Burundi ?

Peut-être en termes de dynamique. Si on part du contexte du Burundi, il faut rappeler que la gratuité a précédé le PBF. Après la mise en œuvre de la gratuité, on a remarqué un certain nombre de défis, dont entre autres, le retard de remboursement des formations sanitaires, le manque d’un système de vérification ayant entraîné des surfacturations, de fréquentes ruptures de stock en médicaments et la démotivation du personnel de santé.

Pour essayer de corriger ces défis, on a saisi l’opportunité du passage à l’échelle du FBP. Oui,  on peut affirmer après coup que le FBP a permis de sauver la gratuité. Je pense qu’un mixte des deux, un mélange des deux stratégies permet de corriger certains dysfonctionnements qui sont liés à chacune prise séparément.

Selon vous, ce couplage serait-il également bénéfique pour les autres pays qui ont des contextes différents des vôtres? Et quels sont les écueils, les pièges que ces pays doivent éviter ?

Après avoir écouté les différentes interventions, je pense que le couplage peut être bénéfique pour ces pays. Ceci dit, une chose avec laquelle je suis tout à fait d’accord, c’est ce que l’un des présentateurs a dit : il ne faut pas faire du FBP une doctrine ; il faut en faire quelque chose de dynamique qui tient compte du contexte dans lequel il est mis en œuvre. L’un des écueils à éviter c’est déjà de penser que le Burundi a un modèle idéal ; non, ce n’est pas vrai. Il faut qu’ils adaptent le modèle à leur propre contexte.

Ensuite, je pense qu’il vaut mieux toujours commencer à petite échelle, tirer des leçons de ce que l’on est en train de faire, faire les ajustements nécessaires, avant de passer à une très large échelle. Parce que si on commence à une très large échelle et qu’on n’a pas très bien étudié les choses dès le départ, on se retrouve avec un système qui entre dans des difficultés énormes.

Une dernière chose, pour conclure : Il y a actuellement beaucoup de mécanismes qui ont été, ou sont en train d’être, mis en œuvre en faveur des populations au Burundi (gratuité, FBP, Carte d’Assistance Maladie). Comme on aime à le dire : « trop de viande ne va-t-il pas gâter la sauce » ?

Les défis posés par la multiplicité des mécanismes de financement a été en effet une des choses que nous avons découvertes avec cet atelier. La métaphore de l’architecte et de l’urbaniste qui a été utilisée durant l’atelier est parlante.  Oui, nous devons nous pencher très rapidement sur ces enjeux en matière d’articulation des différents mécanismes et modes de financement.

(1) Cet atelier, organisé à Bujumbura (Burundi) du 16 au 20 avril 2012, a regroupé près d’une cinquantaine de participants dont 6 délégations pays (Bénin, Burkina, Burundi, Niger, Tchad) et une vingtaine de membres des communautés de pratique « Financement Basé sur la Performance » et « Accès Financier ».




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Le financement basé sur la performance survivra-il à la couverture maladie universelle?

4/2/2012

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Jurrien Toonen

Le thème, cette année, de la 20e Conférence du-Prince Mahidol Award (PMAC en anglais) était: «Vers la Couverture Maladie Universelle - les questions du financement de la santé". La conférence qui a duré 5 jours comptait 48 séances  - dont une sur le Financement Basé sur le Résultat. Il y avait tellement de choses dans le programme de cet événement à Bangkok, qu’il était impossible d'assister à tout. Je vais donc me limiter à quelques observations générales sur la Couverture Maladie Universelle (CMU) et ce qui pourrait avoir un intérêt pour les FBP/R (Financement Basé sur la Performance / les Résultats).

Ce qui est à la mode - et ce qui ne l'est plus
L’expérience de la Thaïlande a bien sûr été mise en exergue : la CMU a grandement progressé dans ce pays au cours des 10 dernières années - c'est en fait une des grandes réussites au niveau mondial. Tout au long de la conférence, l’état d’esprit parmi les congressistes était du type  «La CMU – Yes we can"  avec une CMU promue comme quelque chose qui peut être atteinte par tous les pays. On a eu l'impression – comme clamé par plusieurs orateurs - que nous sommes désormais passés sur l'ordre du jour de la conférence de Rio. On laisserait donc tomber l'agenda de l'éradication de la pauvreté et les Objectifs Millénaires de Développement (qui auraient eu leur heure de gloire) pour l'agenda du développement durable. Dans ce grand carroussel des idées, même le renforcement des systèmes de santé ne semble plus à la mode pour certains acteurs - comme l'a observé le Dr Hercot sur le blog IHP (vous pouvez également accéder à son texte sur le site Universal Healh Coverage Forward qui a été lancé par R4D la même semaine que la conférence PMAC).

Même si la CMU est le nouveau sujet «chaud », il y a encore pas mal de discussion sur ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas. La CMU partage un air de famille avec "la santé pour tous", qui était le slogan de la Conférence d'Alma-Ata en 1978, mais la stratégie est aussi différente. Selon la définition de l'OMS, la CMU vise à rendre les soins de santé disponibles à 100% de la population, à assurer l'augmentation du paquet de soins de santé aux soins essentiels, tout en les rendant financièrement accessibles.

Bien sûr, les questions du financement de la santé importent, mais beaucoup de participants de PMAC ont soulevé la question de l'équité, qui devrait être mieux ancrée dans la CMU. Tim Evans de l'Université BRAC a défini la CMU comme "l'intolérance aux inégalités en matière de soins de santé - la fin de l'injustice qu'un trop grand nombre n’ait pas accès aux soins". En outre, la CMU semble ne s’inquièter que des services de santé, voilà bien peu d'égard pour ce que nous avons appris ces dernières décennies : l'amélioration de l'état de santé ne dépend pas seulement des services de santé mais aussi des déterminants socio-économiques de la santé (éducation, eau et assainissement , la nutrition, ...). De cela, on a bien peu discuté à Bangkok.

Est-ce que PBF restera encore ‘branché’ avec la montée en puissance de l'agenda de la couverture maladie universelle?
Une grande partie des discussions sur la CMU portait sur le fait que les pays doivent augmenter leurs dépenses de santé. Cela est une belle idée, mais nous savons par expérience que dans de nombreux pays cela n'est pas et ne sera pas possible. Ok, la Thaïlande a prouvé qu'il est possible d'atteindre CMU dans un pays à revenu intermédiaire, mais une première question serait : peut-on y arriver dans de nombreux autres pays? L'assurance-maladie a été largement discuté à PMAC,  car elle a le potentiel de mobiliser des ressources supplémentaires pour le secteur, mais aussi de fournir une protection sociale et d'augmenter l'accessibilité financière. Toutefois, en ce qui concerne le financement de la santé on a relativement peu parlé de favoriser la maîtrise des coûts en améliorant l'efficacité et l’efficience, en luttant contre la fraude et la corruption, en réaffectant des ressources existantes, et en augmentant la performance des ressources humaines. Eviter le gaspillage des ressources dans le système est ce qu’il y a à faire en priorité si on ne peut augmenter les dépenses d’un pays pour la santé.

Si la CMU se substitue à « la mode de la semaine dernière » (les OMD), sera-ce une bonne ou de mauvaise nouvelle pour le FBP/R? Il se pourrait que la CMU permette de sauver le FBP/R de sa focalisation trop pointue sur les OMD (et donc ses effets pervers). La CMU met aussi l'accent un peu plus sur le niveau où les résultats sont produits: au niveau opérationnel. L'appel à un financement accru pour la santé était fort à Bangkok, mais la CMU ne doit pas s'arrêter à accroître l'accessibilité géographique et financière. Que ce soit dans la réalisation des OMD ou de la CMU (pour ne citer que ceux-là), nous devons nous rappeler que le véritable défi est l'organisation des services et structures de santé de manière efficiente, afin que les patients puissent les utiliser. Ici le  FBP/R peut jouer un rôle clé. Le FBP/R a le potentiel de rendre les services plus coût-efficace, en incitant le personnel de santé à fournir plus de "santé pour notre argent" avec les ressources existantes (financières et humaines). Il peut permettre aux personnels de s’attaquer aux goulots d'étranglement qu'ils connaissent bien, mais qu’ils ne peuvent résoudre parce qu'ils sont gênés par des lignes budgétaires fondées sur les intrants. Ainsi donc, le FBP/R peut jouer un rôle très important dans la CMU, mais seulement si nous nous assurons que de la preuve scientifique impartiale, solide et approfondie soit rassemblée.

Cette preuve est nécessaire tout d'abord pour convaincre ceux qui hésitent encore. Lors de la session FBP/R à PMAC, une revue de la littérature scientifique nous a été présentée. Elle a montré que les données probantes sont encore limitées, et une autre revue (sur le Paiement à la Performance dans les pays de l'OCDE) a montré que le plus souvent, ce dernier causait des distorsions. Le Dr Kutzin de l'OMS a même mentionné que la liste des échecs du FBP/R est plus longue que la liste de ses succès.(1)

Donc, si la pratique nous a appris que le FBP/R fonctionne dans de nombreux contextes, nous devons recueillir des preuves pour  trouver ce qui fonctionne (ou ne marche  pas!), les raisons sous-jacentes, et utiliser ces éléments de preuve. Pour convaincre les bailleurs de fonds, mais plus fondamentalement pour renforcer l'approche FBP/R en elle-même. Je vous invite tous à être assez courageux pour défier les croyances FBP/R et les étudier de façon critique, afin de s'assurer que le FBP/R ne sera pas une autre mode chez les bailleurs de fonds.  Car les modes passent et si l’intérêt pour le FBP/R s’étiole, il nous faudra à nouveau nous mobiliser sur un nouvel air : après ceux d’Alma-Ata, de l'Initative de Bamako, du Rapport du Développement Mondial de 1993, des OMD, et ....... de la CMU?


Traduction : Denise Aplogan, Longin Gashubije & Emmanuel Ngabire

Note :
(1) La version anglaise de ce texte a été commentée par plusieurs lecteurs, dont Joe Kutzin qui a signalé que cette formule lui était erronément attribuée.
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La pomme de Newton

3/13/2012

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Bruno Meessen

Il est temps d’acter le fait que les arrangements institutionnels et les incitants qu’ils établissent sont déterminants dans la performance des systèmes de santé aussi dans les pays pauvres. Grâce au développement des systèmes d’assurance et du FBP, la prise de conscience est en train de se faire en Afrique. Dans ce blog, Bruno Meessen met en exergue la contribution spécifique du FBP.

Récemment, j’ai publié sur ce blog un texte rappelant à tous que l’Afrique est aussi une terre d’enjeux politiques. J’y partageais l’avis que les économistes de la santé actifs sur le continent négligent trop souvent cette dimension.

Très régulièrement, je m’étonne d’une bizarrerie qui me paraît encore plus frappante. A lire certains auteurs, à entendre certains commentateurs, à parler avec certains pairs scientifiques – permettez-moi de ne pas mettre des weblinks à ces trois niveaux !, il serait possible de concevoir des politiques de santé en Afrique (et dans les pays à faible revenu, car la littérature et les propositions sont assez homogènes) sans prendre en compte les incitants instaurés par les arrangements institutionnels et les contrats qui sous-tendent ces politiques.(1) La vision ce ces experts n’est pas marginale : elle a dominé la pensée sur les systèmes de santé pendant des décennies et reste encore le mode de pensée de nombreux acteurs engagés dans le renforcement des systèmes de santé en Afrique.

La problématique des incitants (en particulier pour les prestataires de soins) occupe pourtant un grand nombre de spécialistes des systèmes de santé  partout ailleurs dans le monde. Les systèmes de santé des pays ‘riches’ ont, ces dernières décennies, eu ‘droit’ à des réformes profondes de leurs arrangements institutionnels,  des structures de gouvernance et des mécanismes de paiement des prestataires en particulier.  Le mouvement est aussi très net dans les pays à revenu intermédiaires, notamment du côté des pays anciennement socialistes. 

J’étais, il y a deux semaines, à une réunion sur les modes de paiement des prestataires de soins organisée par le « Joint Learning Network for Universal Health Coverage ». Nous y avons entendu des présentations fascinantes, notamment sur la Kirghizie et l’Estonie… et partagé bien entendu l’analyse que le mode de rémunération des prestataires va être un enjeu-clé dans la progression vers la couverture universelle dans tous les pays du monde.

Une question trop peu traitée par les chercheurs et agences internationales actifs en Afrique

A contrario, je fais le pari que quiconque prendrait la peine de passer en revue la littérature produite sur les systèmes de santé des pays pauvres, même celle produite par les économistes trouverait bien peu de travaux empiriques et d’écrits traitant explicitement la problématique des arrangements institutionnels structurant les systèmes de santé, sur les incitants qu’ils établissent ou même pour être plus spécifique, sur les mécanismes de paiement des prestataires.(2) Ces vingt dernières années, ce sont d’autres sujets – comme l’accès financier pour ce qui concerne les économistes – qui ont mobilisé l’essentiel de l’attention.

On pourrait gloser sur le peu d’attention des chercheurs sur cet aspect. De facto, ils font ainsi l’impasse sur les nombreuses leçons produites par les différents courants des sciences économiques  qui, ces dernières décennies, ont pris les arrangements institutionnels comme déterminants fondamentaux de l’efficience dans les interactions humaines.(3)

Sur le plan politique, ce déficit d’attention n’est pas neutre. La recommandation implicitement faite aux pays africains est qu’ils peuvent continuer leur périple vers la couverture universelle avec le modèle en place : un service de santé national (« national health service ») caractérisé par un Etat assumant tous les rôles : celui du propriétaire, d’employeur, de fournisseur, d’acheteur, de régulateur, d’administrateur… Un système où les structures de santé ont le statut d’administration et reçoivent leurs ressources sous forme de lignes budgétaires ou même en nature. C’est ce statu quo que la dynamique FBP conteste.

La contribution du FBP

Le FBP a des défauts. Il bénéficie sans doute d’un effet d’engouement, et profite en effet d’un vent favorable en ce qui concerne les ressources des bailleurs de fonds. Probablement le modèle est perfectible, et certainement faudra-t-il le revoir au fur et à mesure que les défis sanitaires changent et que les acteurs du système s’adaptent et que les effets pervers s’accentuent. C’est le vécu de tout système de santé moderne.

Mais Le FBP a déjà eu au moins un grand mérite : celui d’avoir mis la question des incitants au centre de la réflexion sur les systèmes de santé africains.(4) Ceci s’est déjà traduit  par la mise en exergue de certains enjeux négligés précédemment – comme la possible pertinence de mieux séparer les fonctions dans un système de santé, par un renouvellement de la réflexion sur certaines questions délaissées (la décentralisation et l’autonomie des structures de santé par exemple) et par une forte impulsion à la réflexion sur les modes de paiement des prestataires de soins. Cela est manifeste dans les premiers travaux sur les expériences pilotes, dans les travaux plus récents produits par les membres de la CoP, mais aussi presque quotidiennement sur le groupe de discussion en ligne de la CoP FBP.(5)

Une mode ou… la pomme de Newton?

L’enjeu pour les systèmes de santé africains, n’est sans doute pas « FBP » ou pas. Le vrai enjeu, c’est apprendre à regarder les systèmes de santé comme des arrangements institutionnels complexes qui établissent des incitants pour les différentes parties prenantes de ces systèmes; c’est acter que lorsque ces incitants sont non alignés sur les objectifs de ces systèmes de santé, ils sont sujets à modification.

Adopter ce nouveau regard, c’est reconnaître que la question des incitants s’impose à l’homme dans son rapport à ses semblables, un peu comme la gravité terrestre s’impose à lui dans son rapport aux choses. On raconte que Newton conçut sa théorie de la gravité après avoir reçu une pomme sur la tête. Il semble bien qu’une pomme soit tombée sur les systèmes de santé africains…

Notes :
(1)  Attention, incitant ne veut pas nécessairement dire “prime » ou « gain financier”. Un incitant est un gain en termes de bien-être que l’on peut s’approprier en adoptant un comportement instrumental donné. L’étudiant en théologie a un incitant à réussir ses examens : grâce à son diplôme, il s’ouvre d’autres opportunités de carrière et d’épanouissement personnel dans l’exercice de son sacerdoce à l’intérieur de l’Eglise.
(2)   Bien entendu, d’une façon ou l’autre, la question des incitants sera sous-jacente à de nombreuses problématiques. Nous recommandons à ce que ces enjeux soient bien plus explicites. Certains chercheurs actifs en Afrique se sont attelés à ce défi ; je pense par exemple aux  travaux de
Kenneth Leonard ou Natasha Palmer.
(3)   La liste des économistes actifs dans le domaine est longue, mais si on s’en tient aux lauréats du « Prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d'Alfred Nobel », avec Herbert Simon, Ronald Coase, Douglass North, Georges Akerlof, Michael Spence, Joseph Stiglitz, Elinor Ostrom et Oliver Williamson - on couvre assez bien le spectre des courants et des propositions. 
(4)   Soyons de bon compte. L’autre dynamique qui a mis le projecteur sur la problématique des incitants est celle des assurances de santé. Mais jusqu’à présent la discussion avait été surtout cantonnée sur le montage institutionnel pour la mise en commun des risques (cf  la littérature sur les mutuelles) et en ce qui concerne le mode de paiement, sur
les qualités relatives du paiement par capitation versus le paiement à l’acte.
(5)   La discussion d'il y a deux dernières semaines portait sur comment rémunérer des prestataires délivrant des services aux enfants malnutris ou aux malades chroniques. Elle a impliqué notamment des experts basés dans les pays suivants : Pays-Bas, Congo, Etats-Unis, Tchad, République Centre Afrique, Belgique, Cameroun, Cambodge et Rwanda. 
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Liaison du financement aux résultats dans le secteur de la santé: pas seulement un agenda de bailleurs de fonds

12/22/2011

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Dans ce blog, Bruno Meessen soutient que conditionner le financement aux résultats est aussi une proposition africaine. Un test-clé pour les projets d’aide basée sur les résultats sera d’ailleurs de savoir comment ils consolideront les initiatives de réforme déjà en cours au niveau de plusieurs pays.

Au cours de ces dernières semaines, nous avons eu l'occasion de lire deux contributions intéressantes sur l'évolution progressive de l'aide internationale vers la logique «de l’argent contre des résultats». Commençons par la plus récente. Sur le blog  Broker Online, Marcus Leroy, un ancien assistant technique pour la coopération belge, critique la domination croissante dans le secteur de l’aide internationale de la logique de conditionner le financement à l’atteinte des résultats.

La réflexion de Leroy est riche et elle se déroule en deux temps : tout d’abord  à un niveau conceptuel et ensuite à un niveau opérationnel. Dans ce texte, je voudrais me concentrer sur quelques points relatifs aux faits (les questions philosophiques et morales qu’il identifie je les réserve peut-être pour un texte ultérieur). Pour rester proche de mon expertise, je m'en tiendrai à discuter la problématique au financement basé sur les résultats dans le seul secteur de la santé.

Tout d'abord, dissipons tout malentendu : je partage l’avis de M. Leroy quant au fait que l’aide conditionnée aux résultats (Performance Based Aid en anglais, et ABP pour ‘aide basée sur la performance’ dans la suite de cet article) n'est pas sans risques. Il en identifie plusieurs d'entre eux, dont certains ont été discutés lors de notre dernière conférence du Réseau « Incentives for Health Provider Performance Network »  au CERDI. Les différentes présentations partagées à Clermont-Ferrand nous ont aidé à mieux comprendre les propositions sur la table: certaines sont bien avancées (par exemple celle de GAVI), d'autres - peut-être les plus radicales -, comme l'aide « Cash on Delivery » (que l’on pourrait traduire en français : « Paiement comptant à la livraison »)  ou TrAid+ sont encore en développement. Toutes ces propositions sont vraiment intéressantes. Cependant, la demi-journée d'échanges a également fait prendre conscience que la PBA ne sera pas la panacée qu’une partie du secteur de l’aide cherche depuis plusieurs décennies.

Face à l'inconnu, il est naturel de ressentir une certaine crainte. Le PBA ne fait pas exception. Ma principale préoccupation personnelle est que les bailleurs qui décideront de conditionner leur assistance financière  aux résultats atteints par le pays récipiendaire optent pour une définition étroite des cibles à atteindre au sein d'un secteur, ce qui pourrait conduire à peu d’effets systématiques bénéfiques pour l’ensemble du secteur ou la société en générale. Pire, un système d'incitation se concentrant sur un seul problème de santé pourrait avoir des effets de distorsion majeure pour l'ensemble du secteur. Je comprends que des experts aux Etats-Unis et en Europe travaillent sur ces questions en ce moment même. Nous avons entendu lors d'une réunion récente d'agences que DFID, l’agence d’aide bilatérale du Royaume-Uni, progressait dans le développement de son instrument d'aide basée sur la performance. Nous leur souhaitons sincèrement beaucoup de succès.

Trois points de critique

Mais j’ai aussi des points de désaccord avec Leroy. Je voudrais en développer trois, sur base de notre expérience dans le secteur de la santé en Afrique.

D'abord, je pense qu'il est important de faire la distinction entre l’aide basée sur la  performance (ABP) et le financement basé sur la performance (FBP, et PBF en anglais). L’ABP porte sur une révision du contrat d’assistance entre un bailleur de fonds et un pays bénéficiaire. Le FBP, lui, s’appuie sur une transformation profonde des arrangements institutionnels structurant les relations des différents acteurs composant le secteur de la santé d’un pays : c’est bien plus que le changement d’un seul contrat.  Certains commentateurs confondent les deux stratégies. C'est une erreur d’interprétation.

J'encourage M. Leroy à lire les articles et rapports présentant les expériences de FBP dans le secteur de la santé. Il notera que toute une communauté d'experts et d'acteurs sont impliqués dans cette démarche, qu’ils sont pleins d’ambition et ont une vue sur le long terme. Nous l'invitons à visiter les secteurs de la santé au Rwanda ou au Burundi. Il pourra observer combien le FBP peut être ‘transformationnel’. Il verra aussi comment le FBP peut amener les bailleurs à harmoniser leurs interventions et peut aider un gouvernement à reprendre la main (si les bailleurs sont prêts à se conformer à la Déclaration de Paris, qui n'est bien sûr pas toujours le cas).

Deuxièmement, il ne faut pas écarter trop vite le programme réformateur de la Nouvelle Gestion Publique (New Public Management) (comme Leroy semble faire). Beaucoup de pays à faible revenu ont besoin de telles réformes de leur secteur public. Comme avec tout programme réformiste, des erreurs ont certainement été faites et seront encore faites. Mais ce n'est pas parce que, disons, le plan d'incitation financière mis en place par Sarkozy pour la police française est controversé que les formations sanitaires en Afrique sub-saharienne ne doivent pas être rémunérées en tenant compte des services (tant en termes de quantité et de qualité) qu’elles fournissent à la société. Il ne va pas de soi que les preuves (ou opinions) récoltées pour d'autres secteurs, en d'autres temps et dans des contextes totalement différents soient pertinentes pour le secteur de la santé en Afrique sub-Saharienne.

Ceci  m'amène directement à mon troisième point, celui que je considère comme le plus important. C'est une grosse erreur de considérer que le souci d’avoir plus de résultats pour les fonds investis est un agenda mené par le Nord et les boucs-émissaires que peuvent êtres les bailleurs de fonds. Pour se faire une opinion, il suffit de lire le point de vue de M. Donald Kaberuka, président de la Banque Africaine de Développement et ancien ministre des Finances du Rwanda, récemment publié dans The Lancet. Certains d'entre vous, ne connaissent peut-être pas M. Kaberuka ; il est sans doute l'un des réformateurs les plus actifs et engagés d’Afrique. Les énormes progrès réalisés au Rwanda au cours de la dernière décennie ne sont pas seulement une histoire de leadership politique au plus haut niveau ; c’est aussi le fait de réformes «techniquement» pertinentes et bien menées. Bien sûr Paul Kagame joue un rôle-clé, mais beaucoup des progrès au Rwanda découlent aussi de l'engagement de toute une génération de techniciens rwandais, dévoués et visionnaires. Certains sont encore dans le pays, d'autres, comme M. Kaberuka, partagent désormais leur expérience et leur vision au niveau régional.

Le papier M. Kaberuka est court et ciblé. Le principal message est simple: grâce à la croissance économique, les pays africains peuvent s'attendre à avoir plus de ressources domestiques dans un avenir proche. Ce dont ils ont aujourd’hui le plus besoin c’est de la redevabilité (accountability). Bien que l'auteur affiche une compréhension large de la notion de redevabilité dans son texte (il inclut notamment la démocratie), il insiste aussi sur ce qu’elle signifie dans une perspective de finances publiques: elle doit se matérialiser dans des mécanismes assurant que l'argent public apporte plus d'avantages aux citoyens. Les antécédents de M. Kaberuka et son article donnent une indication claire des options institutionnelles qu'il a en tête, et le FBP fait partie du 'paquet' de mesures.

Serait-ce juste là la vision d'un ex-ministre des Finances éclairé? Lors d'un atelier sur le FBP organisé par la Banque mondiale à Limbé (Cameroun) il y a trois semaines, j'ai pu à nouveau constater à quel point ce programme réformateur est en fait cher à de nombreux hauts fonctionnaires et techniciens africains (même si l'échantillon était évidemment biaisé). Mon point est le suivant : le programme de redevabilité formulé avec éloquence par M. Kaberuka  bénéficie d’une adhésion large en Afrique et il n’est certainement pas imposé de l'extérieur.

Une double proposition

En conclusion, l’ABP est au haute sur l’agenda des bailleurs de fonds du Nord ; elle le restera probablement dans les années à venir. Certains experts de l'aide expriment leurs préoccupations. Dans son message, M. Leroy soulève à juste titre la question de la marge de manœuvre et de l’autonomie des pays qui seront sous contrat. L’ABP va-t-elle respecter pleinement la souveraineté des pays bénéficiaires (elle entend en tout cas laisser ces derniers choisir les stratégies), ou ne sera-t-elle qu’un autre outil pour les bailleurs pour imposer leurs propres objectifs et préférences? Je suis peut-être naïf, mais je devine que les bailleurs optant pour l’ABP veilleront à mener une négociation équitable et équilibrée avec le pays bénéficiaire. Mais sera-ce suffisant pour évacuer la profonde méfiance que certains intervenants ont développé envers les agences d'aide bilatérale?

J'ai à cet égard deux propositions constructives pour les bailleurs intéressés par l’ABP.

Premièrement, il est essentiel et urgent d'obtenir la perspective des pays bénéficiaires sur l’ABP. Ce serait formidable si cette indispensable consultation était transparente (c'est peut-être le cas dans certains cas, mais je ne suis pas au courant). Pourquoi ne pas organiser quelques ‘rounds’ de discussions structurés avec quelques parlements dans le Sud? Comme nous le rappellent Kaberuka et Leroy, la redevabilité doit être dirigée d'abord vers les citoyens des pays bénéficiaires. J'espère que la performance de l’ABP à cet égard sera supérieure à celle des instruments d’aide existants.

Si un tel processus de consultation des parties prenantes n'est pas possible, une autre option serait de proposer la stratégie de l’ABP tout d’abord au Rwanda. Après le sommet de Busan, nous savons que ce serait un moyen efficace pour mieux connaître la perspective des dirigeants africains sur cet instrument d'aide (au moins nous aurions la perspective d’un dirigeant qui n’a pas peur d’exprimer son point de vue).

A notre petite échelle, nous ferons en sorte que notre blog Financing Health in Africa serve de plateforme pour que les experts africains puissent partager leurs vues et observations sur l’ABP. Nous pensons en effet que les communautés de pratique peuvent jouer un rôle dans cette obligation – qui s’impose également aux bailleurs - à plus de redevabilité.

Ma deuxième proposition est d'identifier correctement ce qui sera un succès dans un contrat d’ABP. Je dirais que le critère principal ne sera pas si l’ABP parvient à enrayer l'épidémie de VIH/SIDA ou à réduire la mortalité maternelle (même si de tels résultats seraient évidemment de vrais exploits qu’on appréciera tous). Le véritable test pour l’aide basée sur la performance sera de savoir si elle parvient à consolider les mécanismes mis en place par le gouvernement du pays récipiendiaire en matière de redevabilité envers ses propres citoyens.  À cet égard, la façon dont l’ABP s’articulera sur les différentes réformes améliorant la redevabilité dans le secteur de la santé (voir la liste  non exhaustive proposée par Donald Kaberuka) sera déterminante.





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Le financement basé sur la performance : renforcer et affiner notre plaidoyer auprès de nos leaders

11/29/2011

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Louis Rusa

Il y a dix ans démarrait la première expérience de financement basé sur la performance (FBP) dans le secteur de la santé en Afrique. Plusieurs facteurs ont influencé la décision du Rwanda, mais le fait que ce petit pays est pauvre en ressources naturelles a joué : dos au mur, le Rwanda a pris conscience que sa principale ressource est et restera sa propre population ; ce constat marque fortement la politique générale de développement adoptée par le pays.
Picture
Louis Rusa
Depuis, le FBP a fait du chemin : il est en train d’être introduit dans presque tous les pays du continent, y compris donc dans des contextes bien différents de ceux du Rwanda, que ce se soit sur le plan géographique, territorial, populationnel, culturel ou de potentiel économique (sur base des ressources minières).

Cet engouement a aussi plusieurs causes ; comme Africains, nous sommes nombreux à pressentir combien cette stratégie peut être transformationnelle pour nos sociétés. Contacté pour donner son point de vue sur l’avancement du FBP au Nigeria, un des acteurs de terrain me disait : « Ici ce n’est que le FBP qu’il faut pour redresser la situation, pas autre chose ».

Cet élan fort, nous y croyons, mais il est crucial de prendre conscience des grands défis qui demeurent. Dans ce premier texte, j’aimerais souligner la nécessité d’organiser notre plaidoyer auprès de nos leaders.

La dépendance extérieure : Les fonds du FBP dépendent bien trop des bailleurs.
Alors que le monde occidental fait face à une crise économique sans précédent, le continent africain  continue à afficher une croissance soutenue. Celle-ci est liée notamment à la découverte et l’exploitation de nouveaux gisements pétroliers, à l’instar du Niger qui a sorti son premier baril de brut ce 28/11/2011 ou encore de l’Ouganda qui s’apprête à exploiter le liquide miracle.

Cependant lorsqu’on se réfère à l’expérience des pays du continent qui exploitent déjà leurs ressources pétrolière, on peut constater que les hommes politiques investissent (au mieux) le produit de la manne pétrolière dans les choses visibles comme les infrastructures de santé. Ce n’est pas mal, mais idéalement, ils devaient penser aussi au ‘software’ FBP qui peut permettre au ‘hardware’ de fonctionner. Ce n’est malheureusement pas encore le cas, et c’est inquiétant. Si la crise persiste, les subsides émanant de l’Occident vont tarir. L’annulation du Round 11 du Fond Global  est un signal clair à cet égard. Il est à craindre que le FBP, comme d’autres stratégies ambitieuses, en souffre. Il est temps d’y penser et d’orienter le plaidoyer dans ce sens auprès de nos décideurs. Dans de nombreux pays, la croissance économique crée de nouvelles opportunités.

Mettre en exergue la dimension transformationnelle du FBP
Certains acteurs ont présenté le FBP comme avant tout une stratégie de distribution de primes aux agents de santé. Cette vision est bien peu fidèle au projet réformateur du FBP. Bien plus, cette façon de voir les choses fait que les gouvernements prennent le FBP avec beaucoup de précautions. Leur crainte est que les autres secteurs publics contre-attaquent et demandent aussi  leurs parts du gâteau. Il faut aussi reconnaître qu’en terme électoral, le FBP a une visibilité limitée. Par son caractère technique, il est peu visible de la population, comme le sont par exemple les mutuelles de santé, la gratuité des soins ou encore les constructions des hôpitaux  et centres de santé. Il nous faudra développer notre plaidoyer technique. A cet égard, il faudrait mieux mettre en exergue les impacts indirects et transformationnels du FBP. Par exemple, au Rwanda, nous avons vu combien le Ministère de l’Economie et des Finances avait été sensible au fait que l’argent investi dans le FBP allait être directement lié à des résultats pour les populations. De telles forces devraient pouvoir séduire les hommes politiques africains. La qualité des soins et la redevabilité aux citoyens – qui restent bien trop faibles dans nos pays – serait d’autres pistes à explorer.

Conclusion
Concrètement, des choses peuvent être déjà faites. Ma recommandation serait déjà d’inclure une ligne budgétaire intitulée « Financement basé sur la Performance » dans les cadres des dépenses a moyen terme (MTEF) des budgets de santé de nos pays. Ceci permettrait non seulement d’éviter d’être surpris quand les fonds des bailleurs viendront à être stoppés pour cause de crise, mais aussi d’assurer la pérennisation du financement de nos structures de santé de base.

Les membres de la communauté des pratiques qui nous lisent peuvent apporter leurs observations quand a la faisabilité de cet exercice de planification préventive.
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