YK: Dr Juma, était-il vraiment utile d’organiser cet atelier conjoint centré sur la gratuité et le Financement Basé sur la Performance (FBP)?
JN : Oui, à au moins deux titres. A ma connaissance, le Burundi a été le premier pays en Afrique subsaharienne à combiner les soins gratuits sélectifs et le FBP. En organisant l’atelier ici, on offrait l’occasion aux collègues des autres pays de voir de leurs propres yeux l'expérience burundaise et d’identifier les écueils à éviter en matière de mise en œuvre. Pour nous, il a été très utile de bénéficier de ces regards extérieurs – les observations des participants étaient pertinentes.
Un des axes de l’atelier était de remettre en perspective les différentes stratégies de financement des soins, notamment avec une meilleure compréhension des enjeux en matière d’équité. Selon vous, quels sont les aspects positifs du couplage « gratuité sélective – FBP » pour votre pays en matière d’équité?
La stratégie FBP telle qu’elle a été mise en œuvre au Burundi, intègre une composante équité. Dans le modèle burundais, il existe en effet des ‘bonus d’équité’ avec des tarifs plus élevés pour les formations sanitaires se trouvant dans des difficultés particulières (éloignement, insuffisance du personnel et des équipements, nombre d’indigents à prendre en charge etc). L’un des grands problèmes qu’on connaissait dans notre pays c’est que beaucoup de personnel soignant se sont accumulés au niveau des grandes villes, ils ne veulent pas aller en périphérie. Ces ‘bonus d’équité’ ont permis d’apporter plus de ressources aux formations sanitaires éloignées, ce qui leur a permis d’attirer plus de personnel.
Il y a également une règle qui octroie un ‘bonus d’équité’ en fonction du nombre d’indigents pris en charge par les formations sanitaires. De plus, au niveau national, les soins des indigents sont pris en charge à 100% par le Ministère ayant la solidarité dans ses attributions. Mais il est vraiment, comme l’a souligné Alex Ergo durant l’atelier, que ces multiples stratégies en faveur d’une plus grande équité doivent être évaluées. Il est certainement utile de poursuivre la réflexion sur l’équité dans notre pays.
Dans certains pays, l’introduction de la gratuité a entraîné une dégradation de la qualité des soins. Quel a pu être l’apport de la fusion avec le FBP au Burundi à cet égard?
Le FBP a créé un nouvel environnement où la qualité des soins est une préoccupation pour le personnel. En effet, un des aspects les plus importants de la qualité des soins, c’est l’accueil des patients. Or le FBP, parce qu’il rémunère les formations sanitaires en fonction du volume d’activités, crée des incitants forts pour que les formations sanitaires soient plus attentifs aux usagers.
Mais aussi il y a une dimension plus en rapport avec la dimension technique des soins. Dans le système FBP du Burundi, la qualité technique des soins est prise en compte par une évaluation qui est faite par l’équipe du district sanitaire et du bureau de la province sanitaire. Le système n’est pas parfait : peut-être y a-t-il certains indicateurs à revoir, mais le système FBP envoie en tout cas un signal fort au personnel de la santé. Un autre aspect de la qualité des soins est en rapport avec la qualité perçue : ce que les gens et les communautés qui utilisent les services pensent des services que nous leur offrons. Il y a des enquêtes qui se font au niveau des communautés ; elles peuvent ainsi rapporter leur ressenti par rapport à notre système, à nos formations sanitaires, sur la manière dont ils sont accueillis et leur satisfaction par rapport aux services qui leur sont offerts. Ceci a permis à beaucoup de formations sanitaires d’améliorer leur prestation.
Ces aspects positif plaident en effet en faveur d’une fusion. D’autres leçons du Burundi ?
Peut-être en termes de dynamique. Si on part du contexte du Burundi, il faut rappeler que la gratuité a précédé le PBF. Après la mise en œuvre de la gratuité, on a remarqué un certain nombre de défis, dont entre autres, le retard de remboursement des formations sanitaires, le manque d’un système de vérification ayant entraîné des surfacturations, de fréquentes ruptures de stock en médicaments et la démotivation du personnel de santé.
Pour essayer de corriger ces défis, on a saisi l’opportunité du passage à l’échelle du FBP. Oui, on peut affirmer après coup que le FBP a permis de sauver la gratuité. Je pense qu’un mixte des deux, un mélange des deux stratégies permet de corriger certains dysfonctionnements qui sont liés à chacune prise séparément.
Selon vous, ce couplage serait-il également bénéfique pour les autres pays qui ont des contextes différents des vôtres? Et quels sont les écueils, les pièges que ces pays doivent éviter ?
Après avoir écouté les différentes interventions, je pense que le couplage peut être bénéfique pour ces pays. Ceci dit, une chose avec laquelle je suis tout à fait d’accord, c’est ce que l’un des présentateurs a dit : il ne faut pas faire du FBP une doctrine ; il faut en faire quelque chose de dynamique qui tient compte du contexte dans lequel il est mis en œuvre. L’un des écueils à éviter c’est déjà de penser que le Burundi a un modèle idéal ; non, ce n’est pas vrai. Il faut qu’ils adaptent le modèle à leur propre contexte.
Ensuite, je pense qu’il vaut mieux toujours commencer à petite échelle, tirer des leçons de ce que l’on est en train de faire, faire les ajustements nécessaires, avant de passer à une très large échelle. Parce que si on commence à une très large échelle et qu’on n’a pas très bien étudié les choses dès le départ, on se retrouve avec un système qui entre dans des difficultés énormes.
Une dernière chose, pour conclure : Il y a actuellement beaucoup de mécanismes qui ont été, ou sont en train d’être, mis en œuvre en faveur des populations au Burundi (gratuité, FBP, Carte d’Assistance Maladie). Comme on aime à le dire : « trop de viande ne va-t-il pas gâter la sauce » ?
Les défis posés par la multiplicité des mécanismes de financement a été en effet une des choses que nous avons découvertes avec cet atelier. La métaphore de l’architecte et de l’urbaniste qui a été utilisée durant l’atelier est parlante. Oui, nous devons nous pencher très rapidement sur ces enjeux en matière d’articulation des différents mécanismes et modes de financement.
(1) Cet atelier, organisé à Bujumbura (Burundi) du 16 au 20 avril 2012, a regroupé près d’une cinquantaine de participants dont 6 délégations pays (Bénin, Burkina, Burundi, Niger, Tchad) et une vingtaine de membres des communautés de pratique « Financement Basé sur la Performance » et « Accès Financier ».