Mr Justin Sossou, Secrétaire Général Adjoint du Ministère de la Santé du Benin a répondu aux questions d’Isidore Sieleunou.
IS : Mr Soussou, quels étaient vos attentes en venant à cet atelier?
JS : Vu la multiplicité des mécanismes de financement du système de santé qui existent au Bénin, il était important d’aller à la rencontre d’autres expériences afin de voir les réglages possibles à faire au niveau interne pour optimiser nos résultats. Donc notre première attente était d’en savoir plus de l’expérience des autres pays, aussi bien ceux qui font déjà le financement basé sur la performance (FBP) ou ceux qui ont d’autres formes de gratuité. A travers les présentations, on a pu voir que les pays n’appliquent pas de la même manière le FBP ou la gratuité. Dans cette diversité d’approche, quel dosage effectuer pour avoir des résultats les plus coût-efficaces? Il était donc important de partager les expériences respectives avec chaque mode de financement pour améliorer la performance de nos systèmes.
Notre seconde attente portait sur le Burundi, qui a su rendre synergétique la gratuité et le PBF. Nous avons pu observer les insuffisances de ce cas concret et en discuter; nos amis burundais se sont montrés très flexibles vis-à-vis des critiques que les visiteurs ont formulées à l’égard de ce système. Bien sûr, les réserves que nous avons portées à l’endroit de ce système doivent être des leçons pour nous améliorer. Je pense que le partage des expériences à partir de ce cas du Burundi méritait vraiment notre passage dans ce pays.
Au 5ème jour de l’atelier, vos attentes ont été comblées?
Entièrement comblées. D’abord, il y a la démarche méthodologique utilisée au cours de l’atelier : elle a permis de tirer un maximum d’enseignements. Les présentations des pays ont permis de mieux nous imprégner des différents modèles et contextes. La visite du terrain nous a aidé à mieux consolider la compréhension du modèle burundais. Nous avons apprécié le fait que les participants aient été répartis en plusieurs petits groupes; nous ne sommes pas allés dans un seul et même endroit. Nous nous sommes retrouvés après pour partager ce que chacun a perçu comme forces et faiblesses. Dans certains ateliers, on vous conduit dans le même centre de santé et à la fin, on ne tire pas grande chose. A l’avenir, il faudrait renouveler l’approche utilisée ici. Enfin, chaque délégation pays à essayé de construire un modèle d’intégration de financement propre à son pays en tenant compte de leur contexte et à partir des leçons tirées des autres pays. Je dois dire que cet exercice a été très stimulant.
Nous savons que le Bénin est entrain de lancer sa stratégie de FBP. Avant cette stratégie, d’autres stratégies de gratuité ont déjà été mises en place, telle que la gratuité de la césarienne ou plus récemment la gratuité du traitement pour les enfants de moins de 5 ans. Tous ces mécanismes co-existent, la stratégie du FBP arrive. Quelle est votre avis sur l’intégration de tous ces différents mécanismes?
Tous les mécanismes qui existent au Bénin sont ciblés sur une couche sociale ou sur des affections. Malgré cette multiplicité de gratuité et ces investissements, on a constaté que les résultats sont mitigés. Lors de l’identification des causes de ces mauvaises performances, on s’est dit que ce serait bon de lier la rémunération à la performance. Je dois rappeler que le Bénin n’est pas à sa première expérience de gestion axée sur les résultats. Dans une expérience passée, nous avions par exemple essayé de nous attaquer aux effectifs pléthoriques dans certaines zones urbaines. Une des raisons identifiées était le non alignement de la rémunération au lieu où le personnel était posté. La mesure avait consisté à créer des primes pour les zones déshéritées. Les agents ont pris les primes, ont effectivement rejoint leur lieu de travail… mais trois mois après, ils ont désertés leur poste. Il y a eu des insuffisances dans les mécanismes développés par le passé. Aujourd’hui la valeur ajoutée du FBP, que nous avons intégrée dans notre système, est que le mécanisme de rémunération force l’agent à être au pied du malade. Nous attendons également beaucoup en ce qui concerne la capacité du FBP à induire la qualité des soins. En effet, ce n’est pas seulement la présence au pied du malade qui compte, mais c’est également la façon de prendre en charge le malade. Il est prévu qu’un organe indépendant vienne contrôler la qualité des soins et à terme, nous pensons gagner sur la performance globale du système.
Nous avons aussi pensé qu’avec le Régime d’Assurance Maladie Universel (RAMU) qui arrive, il faudra faire converger toutes les formes de gratuité et éviter les saupoudrages dans le financement du système de santé. Ainsi, tous les outils d’évaluation développés dans le cadre du FBP devront être reversés dans le RAMU et c’est ce dernier qui devra assurer le passage à échelle de la stratégie FBP.
Avant ce passage à échelle, y’a-t-il une forme d’intégration entre les mécanismes existant, ou alors les systèmes restent balkanisés, parallèles?
Le FBP appui le concept du RAMU. Il y’a déjà une passerelle entre FBP et RAMU, car le FBP appuie l’opérationnalisation du RAMU. Des passerelles sont aussi prévues avec les autres mécanismes. Par exemple le fond sanitaire des indigents (FSI) reçoit l’appui du FBP. Ce dernier intègre ainsi un indicateur appelé « la qualité de soins accordée à une personne vulnérable ». Le FSI se veut aussi innovant. Nous avons ainsi décidé d’avoir recours à l’identification biométrique des personnes les plus pauvres pour avoir une base de données fiable. Notre expérience antérieure nous a appris que les plus pauvres ne bénéficiaient pas vraiment de nos politiques publiques.
Au-delà du contexte béninois, quel est à votre avis la meilleure voie pour les pays africains de pouvoir assurer la santé de leur population?
En un premier lieu, la question fondamentale est celle du financement. Lorsque nous regardons le financement du système de santé, il faut regarder pour chaque contexte quelle est la meilleure façon d’utiliser les ressources disponibles. C’est dire que chaque pays doit toujours chercher à comprendre quelles sont les services à cibler pour générer des intérêts pour le plus grand bénéfice. Or dans la majorité de nos pays, les investissements ne ciblent pas en général les services de première ligne. Ayons toujours à l’idée le contexte macro-économique : il y a une rareté des ressources. Même si le secteur de santé n’est pas un secteur de profit, il faut néanmoins un équilibre des comptes. D’où l’importance des études et de la prise en compte des avis des techniciens au moment des choix stratégiques et politiques.
Quelles sont les principales leçons que vous ramenez de l’atelier?
La première leçon est qu’il est possible d’améliorer la qualité des soins dans nos formations sanitaires si on lie le résultat à la performance. Par exemple dans le centre de santé que j’ai visité tout était propre, il y’avait des messages d’hygiène partout, l’incinérateur était bien fonctionnel et propre, rien n’était simulé.
Deuxièmement, l’amélioration de la qualité est un accélérateur de l’utilisation de la structure de santé. Aussi longtemps que les populations ont cette assurance qu’en allant dans la formation sanitaire et être bien reçu par un personnel qualifié, il y aura cette affluence. Or lorsqu’on améliore la fréquentation, on augmente le niveau de recettes. En donnant ainsi l’impulsion aux communautés, il se crée une confiance entre les parties prenantes et même si les partenaires venaient éventuellement à se retirer, le niveau de fréquentation pourra permettre la survie de la formation sanitaire.
Enfin, il y’a une exigence sur la qualité de l’information du système de santé. La nécessité d’une vérification et validation des données telle qu’exigée par le PBF garantit une certaine fiabilité des données et est ainsi une source d’amélioration du système d’information dans sa globalité, pouvant ainsi servir d’élément de base pour identifier les variables de choix sur lesquelles agir pour améliorer le système de santé.
Le mot de la fin est pour vous.
Je dois dire que c’est une belle expérience que celle des communautés de pratiques (CoPs). Maintenant ce serait d’œuvrer pour le succès de notre communauté, car nous formons un parterre d’experts et de cadres en mesure de nourrir la critique sur les choix optionnels des stratégies de financement de nos systèmes de santé. N’attendons pas toujours que les solutions viennent d’ailleurs, nous en tant qu’africains, osons dans notre démarche. Nos échanges et partages contribueront à coup sûr à une réflexion certaine pour la construction de modèles viables pour nos systèmes de santé.