Isidore Sieleunou (AEDES et co-facilitateur de la Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé) interviewe Anna Gorter sur sa récente revue co-écrite avec Por Ir (Institut National de Santé Publique, Phnom Penh) et Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers). La revue de littérature, commanditée par le Ministère Fédéral Allemand de la Coopération Economique et du Développement, est accessible ici sur le site German Health Practice Collection.
Votre revue de la littérature tombe à point nommé pour le débat sur le financement basé sur les résultats (FBR). Pouvez-vous nous en résumer les principales conclusions?
Le FBR est une approche relativement nouvelle dans le domaine de la santé dans les pays à revenu faible et à revenu intermédiaire inférieur. Face aux résultats décevants dans le secteur de la santé, il se pose comme une réponse aux attentes des populations relatives aux mortalité et morbidité maternelle, néonatale et infantile. De nombreux gouvernements sont conscients de la faible performance des prestataires de services et sont prêts à tester de nouvelles approches en santé. En conséquence, un large éventail d'approches caractérisées par une rémunération des prestataires en fonction des résultats a été développé.
Notre revue a porté sur les soins de santé maternelle et néonatale et sur les effets sur la performance des prestataires de soins de santé. Nous avons étudié quatre approches: le financement basé sur la performance (FBP), la contractualisation basée sur la performance (CBP), les chèques (vouchers), et la budgétisation basée sur les résultats (BBR) (également appelée la budgétisation basée sur la performance, ou transferts intra-gouvernementaux). Nous avons examiné l'utilisation des services, la qualité des services et l'équité (c'est à dire si l'approche était en faveur des pauvres, si elle réduisait l'écart entre riches et pauvres dans l'accès aux soins). Il y a peu ou pas d'études sur le rapport coût-efficacité ou sur la pérennité. Dans l'ensemble nous avons recensé 70 documents de recherche pour 37 programmes, dont 27 avaient une rigueur conceptuelle et ont été utilisés pour les conclusions finales.
L’évidence la plus robuste a été trouvée pour les chèques, avec des preuves solides qu’ils peuvent augmenter l'utilisation et la qualité des services, et améliorer l'équité. Pour le FBP nous avons trouvé des preuves consistantes qu'il peut améliorer la qualité, mais pas de preuves suffisantes pour l'utilisation et l'équité. Pour la CBP nous avons trouvé des preuves modestes pour l'utilisation et l'équité, et des évidences insuffisantes pour la qualité. Pour la BBR il n'y avait pas assez d'études. Le système de chèque est une approche qui a un recul beaucoup plus important (depuis 1964), tandis que le FBP et la CBP ont débuté il ya seulement une décennie, d'où la différence en termes de données probantes.
Vous avez travaillé sur l'approche des chèque-santé pour une grande partie de votre carrière. Quelle place voyez-vous pour cette stratégie en Afrique?
Pour moi, les chèques-santé ont toujours été l'outil par excellence pour atteindre les populations défavorisées aux services essentiels tels que les soins de la mère et de l'enfant, la planification familiale, les IST et les soins du VIH, le cancer du col de l'utérus, etc. Cet approche aide les plus pauvres ou les défavorisés à utiliser les services de santé qui sont importants pour leur bien-être, mais qu'ils n'utilisent pas.
Nous avons développé une approche en 1995 au Nicaragua, essentiellement pour aider les travailleuses du sexe et les adolescents à accéder à la santé sexuelle et reproductive. On la voyait comme un moyen de surmonter les obstacles financiers, ainsi que d'améliorer la qualité des soins qui était aussi un obstacle important pour ces groupes. Les résultats étaient bien meilleurs que ce à quoi nous nous attendions et c'est alors que nous avons commencé à analyser les raisons de ce succès. Les chèques offrent de fortes incitations du côté de la demande (ils informent, ils orientent, ils ‘capacitent’ les clients) ainsi que du côté de l'offre (les agents de santé sont motivés à attirer plus de clients, de plus les contrats mettent souvent comme condition d’éligibilité une amélioration de la qualité technique).
Je pense que les chèques ont leur place en Afrique, notamment dans le ciblage des populations qui sont, à un moment donné, difficiles à atteindre, et aussi dans la dynamisation de l’amélioration de la prestation des services dans les formations sanitaires. Dans le système de chèques au Kenya, nous voyons que les prestataires investissent les recettes des chèques dans l'amélioration de la fonctionnalité de leur formation sanitaire et le renforcement de leur capacité (envoi du personnel en formation sur la planification familiale, rénovation des bâtiments et ambulances, achat d'équipements et fournitures, nouvelle maternité et salles d'opération, etc.). Les chèques peuvent être utilisés pour des services particulièrement critiques, là où les autres approches ont échoué.
En Afrique, de nombreux pays ont lancé en même temps - parfois en parallèle - les différentes approches de financement des soins. Ne serait-il pas logique de les fusionner? Pouvez-vous nous dire ce que pourrait être l'effet d'une combinaison de deux ou plusieurs approches de FBR, par exemple FBP, bons et même des services de santé gratuits ciblés?
Combiner le FBP et les chèques améliorerait certainement l'efficacité des deux approches, même si cela n'a pas été fait jusqu'à présent. Comme décrit ci-dessus, les chèques peuvent inciter les clients qui ont besoin de services mais qui, même en présence d'un FBP, n'ont pas toujours pu utiliser la formation sanitaire. Distribuer des chèques offre l'opportunité de transmettre en face-à-face des informations pertinentes sur les services de santé particuliers et où ils peuvent être obtenus. Le chèque en soi inspire confiance aux clients qu'ils seront effectivement pris en charge, et cela est particulièrement important pour les groupes les plus pauvres ou défavorisés, qui très souvent manquent de confiance en soi. En outre, des avantages supplémentaires peuvent être ajoutés au système de chèque tel le paiement des frais de transport si cela s’avère un obstacle important. En ce sens, l’ajout des chèques à un FBP permettrait d'améliorer l'équité et réduire l'écart entre riches et pauvres. Les chèques sont en fait des services de santé gratuits ciblés aux groupes spéciaux dans le besoin.
Vous avez beaucoup travaillé en Amérique Centrale et plus récemment en Asie. Plusieurs systèmes de FBR documentés dans votre revue sont en effet de ces continents. Quelles leçons l’Afrique peut-elle apprendre d'eux?
Je pense que la plus importante leçon, observée dans mon travail, est que dans chaque pays que j'ai visité, il ya d'énormes groupes de population qui ont besoin de services de santé particuliers, mais ne les utilisent pas parce que les obstacles à l'accès sont tout simplement énormes à surmonter. Le système de chèques peut les aider à surmonter ces obstacles, à la fois les barrières du côté de la demande ainsi que celles du côté de l'offre. En fait, je crois qu’une importante raison pour laquelle le système de chèque est si efficace dans les effets décrits ci-dessus sur l'utilisation, la qualité et l'équité, c'est parce qu'ils modifient le comportement des clients et des prestataires en même temps.
Au regard du succès de nombreux programmes du FBP en Afrique, je pense qu'il ya un nouveau rôle pour les systèmes de chèques afin d’amener les clients qui n’arrivent toujours pas à venir dans les formations sanitaires. Cela rendrait les programmes du FBP plus solides et plus efficaces pour améliorer la santé des groupes les plus pauvres et les plus défavorisés en Afrique.