Pour répondre à la crise sanitaire liée au Covid-19, la majorité de gouvernements africains ont mis en place des régimes de passation de marchés d’urgence. Mais ces solutions ne vont pas sans risques. Dans ce billet de blog, nous évoquons quelques-uns des cas de fraude documentés et suggérons une activité pour la future communauté de pratique qui se penchera sur la corruption en santé.
Cadre règlementaire des régimes de droit dérogatoire au Cameroun, Mali et Maroc
Le Cameroun, le Mali et le Maroc appliquent chacun un régime de droit dérogatoire comme mécanisme d’ajustement apporté à l’achat des services et produits de santé anti-Covid-19, un régime encadré par des circulaires ou des décrets.
Au Cameroun, les marchés passés dans le cadre du plan national de riposte au Covid-19 sont soumis à un régime de droit dérogatoire qui autorise les contrats spéciaux et les exonérations de taxes sur les achats d’équipements pour faire face à la pandémie du Covid-19. Ce régime a été fixé par une correspondance du ministre secrétaire général à la présidence de la République adressée le 7 avril 2020 au ministre de la santé publique. Le Président de la République autorise « la passation des marchés spéciaux en vue de l’acquisition des équipements, des consommables et la réalisation des prestations ».
Au Mali, le Décret N°2020-0276/P-RM du 16 juin 2020 fixe les régimes de marchés publics relatifs aux mesures de prévention et de riposte contre la maladie à Covid-19. Au chapitre 2 de ce décret, article 5.1, il est écrit : « les marchés du présent décret ne sont pas soumis au contrôle a priori de la Direction générale des marchés publics et des délégations de services publics ».
Le gouvernement marocain quant à lui a assoupli les procédures de passation de marchés publics pour permettre la mise en œuvre de consultations urgentes dans des délais compatibles avec les contraintes découlant de la situation d'état d'urgence sanitaire à travers les circulaires du 31 mars et du 2 avril 2020 du ministère des finances.. La Circulaire du 2 avril 2020 prévoit que « pendant toute la durée de l'Etat d'Urgence Sanitaire, les titulaires de marchés passés avec l'Etat ou les collectivités territoriales n'auront pas l'obligation de produire des factures signées par voie électronique ».
La porte ouverte aux abus
Différents rapports d’audit et rapports parlementaires des mois de mai et juillet 2021 ont relevé les effets pervers de ces régimes dérogatoires : nombreuses infractions à la loi et aux règles de passation de marchés et des marchés gagnés par des entreprises non homologuées par l’Etat et sans expertise. Au Maroc, les medias ont rapporté le rapport critique de la mission parlementaire sur la question. Au Mali, c'est Le Bureau du Vérificateur Général qui a relevé des irrégularités financières dans la passation des marchés Covid-19. Et au Cameroun, c'est la Chambre des Comptes de la Cour Suprême qui a mis en évidence de nombreuses fautes de gestion commises par des cadres du ministère de la santé, ainsi que des irrégularités dans les procédures de passation de marché.
Pour réduire les infractions lors des passations de marché et pour faire face aux allégations de corruption des achats et de la fourniture de services de soins Covid-19, les ministères des finances dans un certain nombre de pays ont apporté des correctifs, par le renforcement de la transparence et de la redevabilité. C’est le cas au Sénégal, où les pouvoirs adjudicateurs sont invités sous la surveillance des Gestionnaires des Finances Publiques et le contrôle de l’Agence de Régulation des Marchés à rendre compte des actions et des processus de passation des marchés. Schémas identique en Afrique du Sud, qui a instauré le suivi régulier et la surveillance des dépenses et la production des rapports de dépenses. Ce mécanisme de suivi est élargi aux achats publics des vaccins Covid-19 à travers le ministère de la santé qui assure le suivi des dépenses, le contrôle, et qui veille enfin à l’amélioration du rapport qualité-prix.
Des pistes d'action
La cinquième conférence du collaboratif de Montreux nous a rappelé que la gestion des finances publiques est un enjeu qui doit être bien plus sur le radar des experts de santé publique. Dans un récent webinaire, nous avons entendu que les experts du FMI annoncent des temps difficiles pour les finances publiques dans nos pays. Les ressources étaient déjà rares, elles risquent de l’être encore plus. Comme experts, nous pouvons servir de vigies quant à leur bon usage. Il pourrait aussi être intéressant de faire une large documentation sur l’ensemble des pays africains. Nous pourrions notamment analyser les rapports d'audit des institutions en charge de superviser la bonne gouvernance financière des dépenses COVID et la couverture de ces rapports dans les média nationaux. Il a été annoncé qu’une communauté de pratique consacrée à la corruption dans le secteur de la santé va être lancée. Une telle documentation multi-pays ne constituerait-elle pas un beau projet collaboratif pour ses membres ?