Dans ce blog, Bruno Meessen (Institut de Médecine Tropicale, Anvers) rend compte d'une conférence organisée la semaine dernière par l’Initiative de Rotterdam sur la Santé Mondiale (Rotterdam Global Health Initiative) et l'Institut de Politique et de Management de Santé (Université Erasmus). Voilà une belle occasion pour revenir sur le sujet controversé de l'assurance maladie volontaire comme un chemin vers la couverture sanitaire universelle (CSU) !
Pour les personnes travaillant sur la CSU en Afrique, il y avait au moins deux événements intéressants à suivre (ou mieux, auxquels participer !) il y a deux semaines. A New York, le premier rapport mondial de suivi de la CSU a été lancé le vendredi 12 juin avec cors et trompettes. Dans le même temps, un colloque plus intime intitulé «Stratégies vers la couverture sanitaire universelle: expériences africaines» a eu lieu le jeudi 11 à l'Université Erasmus de Rotterdam. Dans ce blog, je dirai quelques mots sur ce deuxième événement (qui se tenait sans « Mr CSU » Tim Evans, mais tout de même avec Eddy Van Doorslaer et Agnès Soucat, entre autres). Le symposium avait été organisé pour marquer la soutenance de la thèse de doctorat d’Igna Bonfrer, une membre de la Communauté de Pratique Financement Basé sur la Performance (cliquer ici pour un blog écrit par elle) – le début prometteur d'une brillante carrière, sans aucun doute.
Beaucoup de choses intéressantes ont été dites au cours de ce symposium. Je vais me focaliser ici sur le programme de la matinée, qui était consacré à l'assurance-maladie. Deux présentations concernaient des régime d’assurance maladie volontaire (AMV) en zones rurales, respectivement une expérience pilote menée par le gouvernement éthiopien dans 13 districts, ainsi que le programme d’assurance-maladie de l’Etat du Kwara (Kwara State Health Insurance program) lancé par le Health Insurance Fund in Kwara State, au Nigéria. Nous avons également obtenu des informations sur la situation actuelle de l'assurance-maladie nationale au Ghana (où existe un déséquilibre entre les recettes et les dépenses, comme vous le savez peut-être).
Peut-on apprendre quelque chose des récents régimes d'assurance maladie volontaire?
Au cours de la dernière décennie, plusieurs acteurs néerlandais ont été de fervents partisans de l'assurance maladie volontaire, également par le biais de compagnies d'assurance privées. Ainsi, Rotterdam était peut-être le bon endroit pour passer en revue cette stratégie. Je ne sais pas vraiment combien de temps cette passion pour l’AMV va durer au Pays-Bas, car elle est en contradiction avec les données probantes qui s’accumulent contre les régimes d’AMV: ils n’obtiennent souvent qu’une faible couverture, sont régressifs (ceux qui souscrivent ne sont pas les plus pauvres) et marquent une fragmentation des fonds mis en commun. Joe Kutzin, par exemple, ne mâche pas ses mots à leur sujet: «l’AMV est comme un zombie, abattue à plusieurs reprises, elle revient toujours".
Les films de zombies et autres séries de "morts-vivants" sont à nouveau en vogue, pour des raisons qui ne sont pas tout à fait claires pour moi. Pourrait-il un jour en être de même avec l’AMV?
A Rotterdam, nous avons pu entendre que les régimes en Ethiopie et au Nigeria ont obtenu d’assez bon taux de couverture (autour de 48% et 33% respectivement, ce qui est en effet plus que décent), ont conduit à une augmentation de l'utilisation et à une réduction du paiement direct moyen par les usagers (respectivement de 50% et 70%). Ces résultats semblent aller à l’encontre des résultats de l’AMV rapportés ailleurs - plutôt négatifs en général. Revoyons-les, dans l'ordre inverse.
Pour la diminution des dépenses directes par les ménages, il faut un peu les circonstancier : ils sont largement dus aux lourdes subventions aux régimes (suffisamment hautes pour permettre de ne pas réclamer un ticket modérateur). Personnellement, je ne veux pas accorder trop d’importance à cet indicateur: si la situation de base est que les ménages renoncent aux soins, il est probablement optimal pour eux, une fois qu'ils bénéficient de l'assurance, de dépenser autant qu'ils le faisaient avant (pourvu que cette consommation plus élevée s’oriente vers des services de meilleure qualité).
Le résultat de l'utilisation des services de santé de qualité me semble beaucoup plus important, étant donné la situation de sous-utilisation considérable que nous observons dans la plupart des milieux ruraux. De ce fait, il est essentiel que ces régimes conduisent à une plus grande utilisation de services de santé (de qualité !). Une question importante est bien sûr de savoir si l'utilisation accrue des assurés entraîne des effets positifs ou négatifs pour les non-assurés. Les deux situations sont possibles, et nous avons compris que des résultats différents sur cette question particulière avaient obtenus par des groupes de recherche différents travaillant sur l'expérience de Kwara (Nigéria).
Le paramètre du taux de couverture reçoit souvent beaucoup d'attention. Bien sûr, si le taux d’enrôlement est très faible, vous ne réalisez pas grand-chose (comme un participant me disait au cours de la pause, si ce taux est tellement bas, vous pouvez même décider de ne pas avoir une enquête de suivi pour mesurer l'impact de votre régime, créant ainsi un biais dans l’évidence globale). Un taux de couverture élevé est certainement ce dont les pays sont le plus fiers. Malheureusement, cela indique que les gens continuent à se méprendre sur que la CSU est: ils assimilent à tort la CSU à l’enrôlement dans un régime d'assurance formel. Pour rappel, si votre pays a un système « Beveridgien » qui est très accessible à votre population et tend à fournir des soins de santé de qualité, votre taux de couverture n’est probablement pas loin d'être universel (certes, c’est une configuration rare dans les pays à revenu faible et intermédiaire, mais c’est possible).
Quel taux de couverture indique le succès?
La question dont nous avons débattu à Rotterdam est de savoir si un taux de 40-50% de couverture peut déjà être considéré comme un bon résultat. Dans l’ensemble, les participants ont convenu que oui ; plus fondamentalement, la conversation s’est par la suite déplacée sur l'idée que la dynamique politique dans votre province ou votre pays est en fait la tendance clé à surveiller.
Après le lot d’expériences décevantes avec l’AMV, nous savons que si vous atteignez d’aussi hauts niveaux de couverture, cela signifie probablement que vous avez réuni toutes les conditions préalables, y compris le fait que «quelque chose s’est passé au niveau communautaire et gouvernemental». Nous avons appris qu’à Kwara, le taux élevé d’enrôlement (et la décision d’étendre le régime à plus grande échelle) est en grande partie dû au leadership personnel du gouverneur de la province (un médecin, par chance). En Ethiopie, il y a un fort engagement de l'appareil d’Etat qui, entre autres choses, se matérialise par une mise sous contrainte des ménages par les autorités locales (puisque ces dernières sont les canaux fiduciaires d'un régime d'assistance sociale pour les plus pauvres, elles sont en mesure de déduire la prime pour l’assurance maladie avant de payer l’allocation).
Le fait que «quelque chose semble se passer sur le plan collectif" est probablement la vraie question à propos de la CSU et l'une des dimensions clés que nous devrions essayer de capturer dans le cadre de nos efforts de suivi.
Ghana-France: 1-1
Par exemple, nous pouvons appliquer cette perspective de «quelque chose se passe» pour une quatrième variable utilisée parfois pour évaluer un régime d'assurance maladie: l'équilibre financier entre les recettes et les dépenses. Quand j‘ai écouté la présentation sur le Ghana, qui est confronté à d'énormes problèmes avec le financement de son assurance maladie nationale, je me suis penché vers l'experte française assise à côté de moi pour la taquiner : "hé, ça ressemble à la France!". La vice-ambassadrice du Ghana, également présent dans la salle, a reconnu que le pays est confronté à un grand défi, mais a confirmé que le pays n’allait pas arrêter son assurance maladie nationale - la dynamique reste forte et cette politique figure parmi les priorités de différents partis politiques. Ainsi, comme Agnès Soucat l’a si bien dit à la session de clôture, les difficultés rencontrées par le Ghana sont probablement plus un signe de maturité et de dynamisme que l’expression d'un échec: le progrès vers la CSU apporte habituellement de nouveaux problèmes, des problèmes plus importants (puisque qu’ils ont tendance à être à une plus grande échelle), et des problèmes plus visibles; en bref, le progrès de la CSU met la pression sur votre système de gouvernance. Dès lors, ressembler à la France est un compliment!
Le lien entre la CSU et la gouvernance
Il est clair que nous avons abordé une question importante à Rotterdam: le lien bidirectionnel entre la gouvernance et la CSU. Par exemple, le cas de l'Éthiopie a déclenché une discussion sur le fait que plusieurs régimes d’AMV ou de mutuelles communautaires sont en fait des régimes obligatoires. Cette nécessité de rendre obligatoire la souscription semble offrir un avantage aux Etats autoritaires et administrativement forts (1). Mais l’on pourrait également faire valoir que cette supériorité est à court terme, étant donné que la CSU est fondamentalement une question de cohésion sociale. Dans une certaine mesure, ceci fait écho à la question du meilleur modèle de développement: le modèle chinois (un parti unique au pouvoir avec une forte croissance économique) ou le modèle indien (une démocratie forte avec une croissance économique plus faible)? D’importantes questions de gouvernance et de développement comme celles-ci ne seront jamais loin avec le programme de la CSU que l’on veut tous mettre en œuvre dans les années à venir. Et de ce point de vue, le taux de couverture élevé atteint à Kwara pourrait en effet être une réalisation majeure, le Nigeria étant probablement moins réceptif à la contrainte (ceci dit, cela ne dit pas encore grand-chose sur la possibilité d’étendre la stratégie à grande échelle).
Plus j’interagis avec les décideurs des pays et autres parties prenantes nationales (principalement à travers les communautés de pratique désormais), plus je crois que l'approche internationale dominante actuelle vers la CSU est beaucoup trop technique. La CSU peut et doit certainement être mesurée par rapport à certains objectifs clairs, nous avons donc besoin de rapports comme celui présenté à New York il y a deux semaines. Mais ils ne suffiront pas.
La CSU sera un long voyage et le processus sera crucial. Bien sûr, vous devez vous diriger dans la bonne direction dès le début, et vous devez être conscient que votre chemin sera en partie déterminé par vos choix initiaux (« path dependency »). La clé, cependant, est de lancer la dynamique et de la maintenir. Si votre système de CSU est en mode ‘apprentissage’ (nous reviendrons sur ce point plus tard cette année), et si vos citoyens estiment que la CSU est une composante essentielle de la nation, comme cela semble être le cas au Ghana désormais, vous êtes très probablement sur la bonne voie.
Note:
(1) Fait intéressant, la Chine, le Rwanda et les autorités régionales impliquées dans le projet pilote éthiopien ont tous les trois (1) introduit des indicateurs de performance pour mesurer la performance de leurs autorités administratives locales et (2) intégré le «taux d’enrôlement dans l’assurance» comme l'un des indicateurs pour l'évaluation de ce critère.
Traduction : Kéfilath Bello ; Christian Tekam