JBF: Le Mali est souvent cité en exemple pour ses ASACO, est-ce que vous pouvez nous expliquer quand et comment tout cela a commencé? Comme le mouvement s'inscrit-il dans le cadre de l'Initiative de Bamako. L’initiative de santé communautaire est née de la demande grandissante des populations en matière de santé et de la capacité limitée de l’Etat à y répondre. Cela s’est fait sous l’impulsion d’une société civile engagée concomitamment à l’avènement de la politique sectorielle de santé et de population en 1990.
YZK: La place de choix accordée aux initiatives communautaires dans la nouvelle politique de santé a favorisé l’émergence des associations de santé communautaire (ASACO). De même, elle a permis la délégation par l’Etat de l’échelon de santé primaire aux communautés utilisatrices à travers une convention d’assistance mutuelle qui définit les engagements de chaque partie. Le secteur de la santé communautaire est aujourd’hui balisé par un ensemble de dispositifs législatifs réglementaires qui lui consacre son statut de service d’utilité publique.
Le principe de création et fonctionnement des centres de santé communautaires (CSCOM) repose sur le recouvrement des coûts et la participation communautaire au financement et à la gestion de leur santé. L’expérience existe depuis 1989. Plusieurs mécanismes de financement soutiennent le système de santé communautaire : l’appui budgétaire sectoriel, le transfert de compétences et de ressources entre l’Etat et les collectivités territoriales dans le domaine de la santé, le recouvrement de coûts des prestations de services et l’agence nationale des investissements des collectivités territoriales.
A ces mécanismes de financement, l’action des mutuelles de santé contribue à améliorer l’accessibilité financière des pauvres aux soins de santé. Les ASACO ont recruté du personnel et le ministère de la santé a placé le personnel complémentaire (surtout dans les CSCOM des aires «non viables»). A l’amélioration de la couverture géographique s’oppose l’irrégularité de l’offre d’un paquet de services de santé essentiels et intégrés de qualité. Une des causes de ce problème majeur est liée aux insuffisances en effectifs, en qualification et en motivation du personnel des CSCOM dans les zones de pauvreté 1 et 2 (les zones les plus pauvres).
Est-ce qu'il y avait déjà des initiatives communautaires dans la santé avant les ASACO? Est-ce qu'il y a une tradition de participation démocratique au niveau des villages au Mali?
Au Mali, la seule initiative communautaire existante avant la santé communautaire était les Soins de Santé Primaires, qui étaient basés sur les accoucheuses traditionnelles et les matrones, payées sur le fonds « Taxes de Développement Régional et Local ». Cette expérience n’a pas été concluante par le fait que les taxes sur lesquelles les salaires des acteurs reposaient n’étaient pas payées. Les acteurs ne percevant pas leur salaire régulièrement abandonnaient le poste ou se faisait payer directement, au détriment de l’existence même du centre de santé.
Quelle a été l'adhésion de la population au système ASACO? D'où est venue la motivation?
Pour améliorer l'état de santé de la population en général et de celui de la mère et de l'enfant en particulier, notre stratégie vise avant tout à élargir l'accès aux services de santé. Nous utilisons un processus de planification, d'organisation et de gestion décentralisée selon une approche dite populationnelle (étude du milieu, réhabilitation, etc.). Cette approche vise la mise en place d’un réseau de formations sanitaires locales. Cette dernière repose sur la capacité des Cercles (1) et des communautés à s’organiser comme partenaires du niveau central. Pour bénéficier du financement de l'Etat et des appuis extérieurs, les localités doivent remplir un certain nombre de conditions dont : la constitution d’une équipe de santé et d’un centre de santé suivant les normes ; un plan de développement ; l’engagement des communautés à contribuer financièrement et/ou physiquement pour 50% du coût ; l’engagement du Comité Local de Développement du Cercle à consacrer à la santé au moins 7% des recettes produites par la taxe locale de développement ; l’appui de la Direction Régionale de la Santé Publique et des Affaires Sociales aux Cercles pour les aider à satisfaire aux conditions d'éligibilité ; et enfin la conduite d’une campagne d'information et de sensibilisation des populations en vue d'obtenir leur participation sur la base d'engagements contractuels entre les pouvoirs publics et les communautés organisées.
Il s’agit bien sûr également d’assurer la qualité via la mise en place d’un plateau technique et de viabiliser le système de santé de Cercle par l'utilisation rationnelle et efficiente des ressources (personnel, médicaments, finances, patrimoine). La FENASCOM représente aujourd’hui un réseau de plus de 30 000 bénévoles qui animent le mouvement de santé communautaire au Mali. Le bénévolat fait partie des mœurs et coutumes au Mali.
Tous les centres de santé au Mali sont-ils gérés de la même manière? Quelle est la force des centres de santé ASACO ?
Toutes les formations sanitaires ne sont pas gérées de la même manière. La pyramide sanitaire du Mali prévoit 3 niveaux :
1. Le centre de santé communautaire (CSCOM) est un centre de santé de 1er échelon ou 1er contact des populations. Il appartient aux communautés organisées en Association de santé communautaire (ASACO). De ce fait, il est créé et géré par l’ASACO qui rend compte aux populations de sa gestion. La gestion administrative du CSCOM est assurée par un comité de gestion désigné au sein d’un conseil d’administration qui est élu en assemblée générale par les populations, notamment les adhérents à l’ASACO. La direction technique est assurée par le Directeur Technique du CSCOM.
2. Le Centre de Santé de Référence (CSREF) est un centre de santé de 2ème échelon. Créé par l’Etat, il est basé sur un système de co-gestion (Etat, collectivité et Communauté). L’Etat assure la construction du bâtiment et met en place l’équipement nécessaire et le personnel cadre supérieur. Il a pour mission essentiellement d’appuyer les CSCOM dans le cadre du système de référence/évacuation bien organisé. La collectivité recrute le personnel cadre moyen et veille à la bonne gestion et à la prise de décisions et d’orientation. La communauté contribue dans le fonctionnement à travers, notamment la mise en œuvre du système de référence-évacuation, la participation à la gestion et à la prise de décision et d’orientation. Le centre contribue sur fonds propre au recrutement du personnel de soutien et aux frais de fonctionnement. Il est géré par des organes de gestion mis en place dont un conseil de gestion placé sous la responsabilité de la collectivité territoriale et un comité de gestion, élu au sein du conseil de gestion. La direction technique et administrative est assurée par le médecin-chef qui est également membre du comité de gestion.
3. Les Hôpitaux constituent le dernier recours des patients, surtout sur des actions spécialisées. Ils sont gérés comme une société, avec un conseil d’administration et une direction générale.
Les principales forces des ASACO sont leur origine – elles sont l’émanation des populations – et leur autonomie vis-à-vis des pouvoirs publics centralisés et décentralisés. Elles sont les représentants légitimes des populations dans la mise en œuvre de la politique de santé du gouvernement.
Quelles ont été les principales évolutions du système ASACO durant ces dernières années?
Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Au nombre de 44 en 1994, date de la création de la FENASCOM, les ASACO sont au nombre de 1.060 en 2012, avec autant de CSCOM existants et fonctionnels. La couverture sanitaire a passé de 29% en 1992 à plus de 80% en 2012. Les ASACO contribuent aussi à la contribution à la réduction du chômage des jeunes diplômés : La FENASCOM est le 2ème plus gros employeur après l’Etat dans le domaine de la santé avec 52 % de personnel en charge.
Enfin, il y a des choses peut-être moins quantifiables : les CSCOM sont proches de la population et il y a une maîtrise du coût des soins de santé, puisque les tarifs des prestations sont décidés par les communautés elles-mêmes en fonction de leur revenu.
Quels sont les défis principaux à l'heure actuelle? Comment les relever?
Pour assurer un accompagnement effectif et efficace de l’Etat dans la mise en œuvre de sa politique de santé, la FENASCOM se doit de relever certains défis dont entre autres: la médicalisation de tous les CSCOM ;la lutte contre la vente illicite des médicaments ; la réduction de la mortalité maternelle et infantile par l’extension de la stratégie des soins essentiels dans la communauté ; la bonne gouvernance au sein de la famille de la santé communautaire ; la participation active et responsable des femmes et des jeunes dans le processus de prise de décisions se rapportant en particulier à la santé des populations ; apporter des réponses efficientes et viables à la problématique de la gestion du personnel qualifié au niveau des CSCOM ; contribuer à l’extension de la couverture universelle en santé, dont l’assurance maladie obligatoire et le programme de volontariat des jeunes.
Vous êtes à la tête de la FENASCOM, qui fédère les associations communautaires dans la santé. Est-ce que vous pouvez nous expliquer la raison d'être et le fonctionnement de votre fédération?
La FENASCOM a été créée en 1994 par les ASACO pour assurer les conditions nécessaires à leur évolution durable et la réalisation des engagements pris auprès des populations et auprès du Gouvernement. Elle a été reconnue d’utilité publique en 2002 et reçoit à ce titre l’aide de l’Etat et des partenaires techniques et financiers. Elle regroupe 1.060 ASACO membres et 5 mutuelles de santé. La FENASCOM collabore avec d’autres organisations de la société civile œuvrant dans le domaine de la santé à travers un cadre de concertation mis à cet effet au niveau national.
La FENASCOM participe activement aux différentes instances du système de santé au Mali et aux diverses rencontres ayant trait à la santé communautaire. L’objectif de la FENASCOM est l’accès des ménages à des services de santé de qualité correspondants à leurs besoins et conforme aux normes établies avec la participation des ASACO compétentes, dynamiques et capables d’apporter des réponses locales aux problèmes de santé des populations de l’aire de santé.
La FENASCOM est ouverte à toutes les associations de santé communautaire et mutuelles de santé, officiellement reconnues par les autorités compétentes. La FENASCOM est organisée en 59 fédérations locales, 9 fédérations régionales et une fédération nationale. Un congrès national se réunit tous les 5 ans et un conseil de coordination tous les deux ans. La gestion quotidienne est assurée par des bureaux exécutifs aux différents niveaux. Le Bureau Exécutif National dispose également d’un secrétariat permanent chargé d’assurer la gestion quotidienne de la FENASCOM.
Le Mali ne fait, malheureusement, pas pour l’instant la une de l'actualité pour ses ASACO mais plutôt pour la guerre qui ravage le pays au nord. Est-ce que vous savez ce qu'il est advenu des ASACO situés dans la zone nord du pays? Quelle est la dimension politique des ASACO ?
Au lendemain du déclenchement de la récente rébellion (17 Janvier 2012), la FENASCOM a immédiatement organisé autour d’elle un consortium pour faire l’état de la situation de la santé communautaire dans la bande occupée par la rébellion. Cette initiative a été renforcée avec les évènements du coup d’état du 22 Mars 2012. Le but est de collecter de l’information et de proposer des actions. Un plan d’intervention d’urgence a été élaboré dans ce sens, dont en voici un extrait :
Des informations, à approfondir, font état du saccage, voire de la destruction des infrastructures socio-sanitaires, à des degrés divers, des trois (3) régions du Nord. […] La situation sanitaire est préoccupante face à l’arrêt de l’offre de services dans plusieurs CSCOM, CSREF et hôpitaux dans les régions nord. Cet arrêt est exacerbé par le départ de plus de la majorité du personnel socio-sanitaire affecté par cette crise.
De façon intéressante, il a été signalé la création à Gao d’une «commission de suivi de la situation» composée de chefs religieux, d’imams, de chefs coutumiers, de chefs de quartiers et de leaders communautaires. Elle est chargée de l’évaluation de la crise et de la négociation chaque fois que de besoin avec les rebelles armés lors de la constatation d’abus divers dont sexuels.
Note:
(1) Le Cercle est une unité administrative décentralisée au Mali.