Le Ministère de la Santé du Maroc a décidé, à l’occasion du 3ème anniversaire du Régime d’assistance médicale (RAMED), de confronter son expérience en matière de couverture sanitaire des populations en précarité à celles d’autres pays lors du Symposium International sur la Couverture Sanitaire des Population en Précarité, tenu le 13-14 mars 2015 à Rabat. La Communauté de Pratique Accès Financier aux Services de Santé (CdP AFSS) faisait partie des invités et a animé une session parallèle sur la question, en collaboration avec le Joint Learning Network for Universal Health Coverage (JLN). Joël Arthur Kiendrébéogo (Centre MURAZ, Burkina Faso), Kadidiatou Kadio (Université de Montréal, Canada) et Fahdi Dkhimi (Institut de Médecine Tropicale, Anvers, Belgique), experts de la CdP AFSS, reviennent dans ce billet de blog sur les grandes leçons tirés de cette session non seulement pour le Maroc, mais aussi pour les autres pays.
Le thème de cette session parallèle était : « La couverture sanitaire des pauvres, quelles leçons tirer des expériences internationales pour le RAMED ? ». Pour l’occasion, les organisateurs CdP/JLN avaient invité des représentants des pays suivants à partager leur expérience au sein d’un panel d’experts: l’Egypte avec le Dr Hala Massekh du Ministère de la Santé et de la Planification ; les Philippines avec Dr Leizel P. Lagrada du Groupe d’Assurance des Mutualistes des Philippines ; l’Inde avec M. P.V. Ramesh du Ministère des Finances de l’Etat de l’Andhra Pradesh ; et le Ghana avec Dr Anthony Gingong de l’Autorité Nationale de l’Assurance Maladie. Mais forte de 200+ participants, la session a également bénéficié de la contribution de participants de nombreux pays lors de la discussion qui a suivi les présentations des panélistes: la Côte d’Ivoire, la Tunisie, le Gabon, le Mexique, la Thaïlande, le Sénégal pour ne citer qu’eux.
Les discussions montrent que s’il existe un large consensus sur la nécessité d’assurer la couverture sanitaire des populations en situation de précarité, des divergences apparaissent quant aux moyens et mécanismes à mettre en œuvre pour rendre cette couverture effective.
Certains pays à l’instar du Maroc (via le RAMED) ont en effet opté pour des programmes ciblant exclusivement les plus pauvres (par exemple le Social Pension Health Care Programme en Egypte), tandis que d’autres ont plutôt adopté une approche d’universalité, c’est-à-dire un programme national visant d’emblée l’enrôlement de toute la population y compris les indigents (par exemple le National Health Insurance Scheme au Ghana ou le PhilHealth aux Philippines). Le cas de l’Aarogyasri – Community Health Insurance Scheme dans l’État de l’Andrah Pradesh cible également les plus pauvres, mais les critères d’éligibilité, basés sur le seuil de pauvreté défini au niveau de cet état indien, sont tels que plus de 70% de la population est éligible. Peut-on encore parler de ciblage dans ce cas ?
Encore une différence frappante, au-delà de la question des critères d’éligibilité est le processus d’identification des indigents. Des pays comme le Ghana privilégient le ciblage communautaire et la coopération avec des programmes nationaux préexistants travaillant pour les personnes défavorisées (le Livelihood Empowerment Against Poverty program notamment) ; d’autres comme l’Egypte ou le Maroc ont adopté la technique du ‘means testing’, visant à évaluer les revenus des ménages pour apprécier l’éligibilité de leurs membres au régime d’assistance ; aux Philippines enfin, plusieurs modalités sont combinées, entre l’exemption géographique pour les zones les plus pauvres et une identification des ménages par ‘means testing’ dans les autres zones.
Les moyens de mobilisation des ressources varient aussi d’un pays à l’autre, comprenant les taxes affectées (prélevées sur la TVA ou la téléphonie mobile, les ‘sin taxes’ et autres), les cotisations du secteur formel et informel, et le budget de l’Etat sous la forme de subvention.
Mais les débats au cours de la session se sont vite achoppés sur le constat que le contexte de chaque pays comptait beaucoup et que l’un ou l’autre choix a été probablement motivé par les réalités locales.
Deux éléments semblent néanmoins universels pour une couverture sanitaire effective des pauvres :
D’abord, le besoin d’une collaboration intersectorielle pour faire face à la multi-dimensionnalité de la précarité. Cette collaboration est un préalable indispensable pour mettre en place un mécanisme de prise en charge efficace. Pour cela, la qualité technique du programme ciblant les groupes précaires est cruciale pour assurer une collaboration fluide avec les autres secteurs (ex : autres ministères, notamment celui des finances).
Ensuite, les participants se sont également accordés sur le fait que la qualité technique d’une intervention intersectorielle se construit dans le temps et nécessite une certaine flexibilité pour ajuster la copie. Or ces besoins sont souvent en contradiction avec le temps politique. Il est donc indispensable de créer un momentum sur le long terme autour de cette question. La solution est certainement dans le champ du politique. Nous affirmions trois ans auparavant que le soutien des autorités politiques est indispensable car le leadership et l’engagement politique sont les clés pour résoudre ces problèmes d’iniquités en santé.
Assurer une légitimité politique à ces interventions visant à améliorer l’équité en santé sur le long terme constitue donc le nerf de la guerre, afin de limiter le risque lié aux alternances politiques. Comment le faire ? La réponse n’est certes pas aisée. Une des leçons de cette séance marocaine est que des stratégies visant à améliorer la transparence et la redevabilité publique autour de ces programmes est un levier fort pour assurer que cet engagement envers les personnes en situation de précarité ne soit pas qu’un effet de mode mais qu’il dépasse le cadre cognitif pour être conatif et se consolide avec le temps. Dans le cas du NHIS au Ghana par exemple, une loi votée en 2012 oblige le NHIS de rapporter au Parlement chaque année le taux de couverture des plus pauvres.
Ces éléments nous semblent cruciaux et constituent même le préalable pour amorcer efficacement les autres étapes d’une mise en œuvre réussie de ces politiques pro pauvres. Nous pouvons entre autres citer la nécessité de : (i) construire un système d’information fiable pour nourrir la décision et le suivi (favorisant ainsi l’evidence-based decision-making et permettant des réglages) ; (ii) mobiliser suffisamment de ressources et de mutualiser le risque maladie ; (iii) mettre en œuvre des stratégies pour une couverture effective des plus pauvres (ce qui suppose une bonne définition de l’indigence, une stratégie d’identification efficace, un enrôlement effectif, une réelle utilisation des services de santé qui doivent être de bonne qualité et adaptés à leurs besoins) ; (iv) créer des conditions de couverture acceptables, c’est-à-dire évitant la stigmatisation qui conduit inéluctablement à la discrimination et/ou à la non-participation.
Les différents leviers à activer pour chacun de ces éléments seront nécessairement spécifiques à chaque pays et à adapter selon le contexte. Mais au-delà chaque gouvernement devra créer les conditions favorables à un dialogue inclusif. Cette implication des divers acteurs renforcerait alors la redevabilité publique et la solidarité nationale, permettant ainsi d’atténuer la prééminence des intérêts individuels et les querelles de chapelle qui peuvent être un frein à la bonne marche du processus. C’est d’ailleurs à ce prix que la population adhérera réellement à la cause des indigents et que l’iniquité d’accès aux soins ne sera plus une situation vécue à titre uniquement personnel, comme cela est fréquemment le cas, mais sera perçue comme une vraie préoccupation commune et nationale.