Cette année, nous célèbrons le dixième anniversaire de la sortie du rapport de l’OMS 2010 sur le financement des systèmes de santé et la couverture sanitaire universelle (CSU). Dans ce billet de blog, nous rappelons quelques idées maitresses du rapport, revenons sur le contexte historique et sur les nombreuses déclarations de soutien dont la CSU a bénéficié depuis 2010, de la part de la communauté internationale et de l’Afrique. Une question demeure : quel est l’impact de ces déclarations ? Nous vous appelons à partager vos observations.

Le Rapport OMS 2010 « le Financement des systèmes de santé : le chemin vers une couverture universelle » est un document de référence pour nous tous. Son principal objectif? Proposer aux Etats, sur base des preuves, des options pour la mobilisation des ressources suffisantes pour financer les soins et services de santé d’une part, et pour l'élimination les barrières financières à l’accès aux soins avec une attention particulière accordée aux couches de la population les plus démunies d’autre part, le tout en vue de l’atteinte de la couverture sanitaire universelle.
Ces options ont été proposées dans le contexte de récession et restriction budgétaire qui a suivi la crise économique de 2008. L'OMS constate qu'à travers le monde, les demandes pour les soins et services de santé sont croissantes au niveau des populations, les maladies chroniques sont en augmentation inquiétante, le tout sur un vieillissement amorcé pour la population mondiale.
Trois obstacles majeurs à l’atteinte de la couverture universelle ont été identifiés dans ce rapport : (i) la faible disponibilité des ressources pour la santé, (ii) la dépendance excessive aux payements directs au moment où la personne a besoin de soins et (iii) l’utilisation inefficiente et inéquitable des ressources avec environ 20% à 40% des ressources de santé gaspillées. Cette triade de problèmes nous occupe encore aujourd'hui à travers le monde.
Plusieurs recommandations sont formulées dans le rapport. Il est fait appel à plus de solidarité internationale des Etats à revenu élevé en faveur des Etats à faible revenu. Il a en outre été demandé aux pays à revenu élevé de continuer la recherche de fonds supplémentaires qui devaient leur permettre de répondre aux besoins sans cesse croissants en matière de santé. Il a été recommandé à tous les pays, quel qu’en soit le niveau de revenu, de collecter davantage d’argent pour la santé au niveau national, notamment à travers l’augmentation de l’efficience de la collecte des impôts, la priorisation de la santé dans les budgets nationaux et l’instauration des mécanismes de financement innovant des systèmes de santé (ex : augmentation des taxes sur les billets d’avion, les opérations de change et sur les produits nocifs pour la santé tels que le tabac et l’alcool).
En vue de réduire les payements directs pour les soins de santé, le rapprt a recommandé la collecte des fonds à travers le prépaiement obligatoire. Le rapport a marqué une prise de position claire en faveur du financement collectif. C'est le mécanisme le plus efficace et le plus équitable pour augmenter la proportion de la population couverte, dans la mesure où en faisant ainsi, « le nanti subventionne le démuni et le bien portant subventionne le malportant ».
Le rapport a en outre recommandé l’amélioration de l’efficience des dépenses de santé, notamment à travers l’utilisation des médicaments génériques à la place des spécialités, l’utilisation rationnelle d’antibiotiques et des injectables, l’amélioration du stockage et de la gestion des médicaments, l'usage de technologiess et de services efficaces, la motivation du personnel de santé, la réduction des erreurs médicales, l’élimination du gaspillage et de la corruption et l’évaluation d’un œil critique des services requis. Un argument de poids a été la démonstration que des pays ayant des niveaux de dépenses semblables pour la santé obtenaient des résultats sanitaires nettement différents selon leurs investissements, soulignant ainsi le rôle primordial des bonnes politiques et du leadership dans l’atteinte de bons résultats.
Voilà autant de recommandations sur lesquelles nous pouvons nous pencher dix ans plus tard. Ont-elles été suivies par les différents acteurs et en particulier, les gouvernements dans chacun de nos pays?
Un rapport dans le prolongement d’autres initiatives…
Il importe de souligner que le rapport de 2010 avait été précédé par d’autres initiatives visant l’accès de tous aux soins de santé de qualité. C’est ainsi que déjà en 1948, la Constitution de l’OMS avait proclamé que « La possession du meilleur état de santé qu’il est capable d’atteindre constitue l’un des droits fondamentaux de tout être humain, quelles que soient sa race, sa religion, ses opinions politiques, sa condition économique ou sociale ». Trente années plus tard, la Déclaration d’Alma-Ata sur les soins de santé primaires a renforcé cette idée en consacrant la protection et la promotion de la santé de tous les peuples du monde comme étant un droit fondamental.
En 2001, à travers la déclaration d’Abuja, les Chefs d’Etat et de gouvernement africain se sont engagés à consacrer à l’horizon 2015 au moins 15% du PNB à la santé ; Le rapport de 2008 sur la santé dans le monde, quant à lui, a consacré un chapitre sur la Couverture universelle qui est présentée comme étant l’accès universelle combinée à la sécurité sociale. Le rapport fait apparaître le cube des trois dimensions de la couverture universelle (personnes couvertes, services inclus, niveau de protection financière) et propose les meilleures pratiques pour progresser vers la couverture universelle. Ce cube sera adapté dans le rapport de 2010.
… et suivi par de nombreuses déclarations
Après le rapport de 2010, de nombreuses déclarations et engagements ont fusé d’un peu partout dans le monde et en Afrique, ce qui témoigne du soutien de haut niveau dont a bénéficié la Couverture sanitaire universelle. Il y a lieu de citer entre autres :
- En juillet 2015, la résolution 69/313 sur le plan d’action d’Addis-Abeba de la troisième conférence internationale sur le financement pour le développement a été adoptée. Cette résolution a entre autres manifesté un engagement à améliorer la coordination internationale et la création d’environnements favorables à tous les niveaux afin de renforcer les systèmes nationaux et de parvenir à la CSU.
- En Septembre 2015 la résolution 70/1 du Conseil de Sécurité des Nations Unies intitulée « Transformer notre monde : l’agenda 2030 pour le développement durable » a souligné entre autres la nécessité d’une approche globale et centrée sur les populations, dans la vision de ne laisser personne derrière ; et l’importance de la santé à travers tous les objectifs et cibles de l’agenda 2030 de développement durable.
- En 2016, Un programme quinquennal de l’OMS 2015-2020 en Afrique a été lancé. Il a pour ambition la transformation de la santé avec l’objectif d’apporter un appui aux pays de la région pour l’instauration de la CSU. Ce programme vise la lutte contre les inégalités et les injustices dont sont victimes les peuples d’Afrique en termes d’indices de santé et de jouissance du meilleur niveau de vie possible.
- En 2017, le Bureau Régional Afrique de l'OMS, a publié un cadre d’actions de renforcement des systèmes de santé pour la CSU et les Objectifs de Développement Durable en Afrique, dont le contenu a été approuvé par les ministres de la Santé de la Région OMS Afro lors de la soixante-septième session du Comité régional de l’OMS pour l’Afrique tenue à Victoria Falls (Zimbabwe) en août 2017.
- En juin 2017 a été organisé à Kigali (Rwanda) le premier forum de l’OMS sur la santé en Afrique sur le thème « les populations d’abord : la route vers la couverture sanitaire universelle ». Ce forum était accès sur comment tirer profit des moyens et de l’expertise qu’offre le secteur privé en vue de l’accélération du pas vers la CSU.
- En Octobre 2018, la déclaration d’Astana a réaffirmé le contenu de la déclaration d’Alma-Ata de Septembre 1978 sur les soins de santé primaires pour tous et a tracé la voie à suivre pour l’instauration de la CSU.
- En février 2019, les chefs d'État et de gouvernement africains, les ministres de la santé et des finances, les chefs d'entreprise et les partenaires mondiaux se sont réunis à Addis-Abeba, avant la tenue du 32ème sommet de l'Union africaine (UA), pour lancer une nouvelle initiative visant à accroître les engagements pour la santé, en améliorant l'impact des dépenses et en garantissant la couverture sanitaire universelle dans les 55 pays africains. Les États Membres se sont engagés entre autres à accroître les investissements nationaux pour la santé et à rendre des comptes à cet égard.
- En mars 2019, le deuxième forum de l’OMS sur la santé en Afrique s’est tenu Praia (Cap vert) sur le thème : « Assurer la couverture sanitaire universelle et la sécurité sanitaire en Afrique : l’Afrique que nous voulons voir ». Ce forum a analysé comment améliorer la gestion des risques sanitaires en Afrique.
- En Août 2019, la septième Conférence internationale qui s’est tenue à Tokyo sur le développement de l’Afrique (TICAD7) a été l’occasion pour l’Afrique et le Japon de s’engager fermement à investir dans la santé dans le but d’en finir avec les maladies infectieuses, de renforcer les systèmes de santé et de garantir la couverture sanitaire universelle.
- En Septembre 2019 a eu lieu à New-York une Réunion de haut niveau de l’Assemblée Générale des Nations Unies sur la CSU. A travers la déclaration, les participants se sont engagés à mettre en œuvre une quarantaine d’actions visant l’accélération du pas vers la CSU à l’horizon 2030. Ces actions concernent entre autres l’accès aux services des santé de qualité, aux médicaments essentiels, aux vaccins, aux méthodes de diagnostic et aux technologies de santé de qualité et efficaces, à la protection contre les dépenses catastrophiques liées à la santé et contre l’appauvrissement qui en découle.
- En Novembre 2019 , il y a eu la signature à Genève d’un mémorandum d’accord formel de renforcement de la coopération entre la Commission de l’Union Africaine et l’Organisation Mondiale de la Santé autour de trois domaines de collaboration : (i) Offrir une expertise technique à l’Agence Africaine du Médicament et créer un environnement favorable à la production locale de médicaments ; (ii) Renforcer la collaboration entre les Africa Centers for Disease Control and Prevention et l’OMS, en vouant une attention particulière à la préparation aux situations d’urgence, afin de renforcer les moyens de défense des États Membres de l’Union Africaine face aux épidémies et autres situations d’urgence sanitaire et (iii) Appuyer la mise en œuvre de l’Appel à l’action d’Addis-Abeba sur la couverture sanitaire universelle et de la Déclaration de l’Union Africaine sur le financement intérieur.
Pour quels résultats concrets pour les populations africaines ?
Au vu des nombreuses déclarations en faveur de la CSU, il y a lieu de se réjouir du soutien et de l’engagement fort et de haut niveau qu’elle a suscité auprès les organismes internationaux et de la sous-région africaine. Mais en même temps, il est pertinent de se demander si toutes ces déclarations ont donné des résultats concrets au niveau des pays africains. Il serait intéressant que des experts puissent jeter un regard critique sur leurs propres pays pour faire le bilan de tous ces engagements. Nous serions curieux de lire vos propres observations.
Pour ma part, je constate que certains pays africains et plus particulièrement les pays francophones évoluent dans un contexte de fragilité consécutive à l’insécurité (conflits armées, terrorisme, catastrophes naturelles telles que les famines, la sécheresse ou les inondations, etc.), ce qui impacte négativement les systèmes de santé. Il serait intéressant d’explorer au niveau de chaque pays concerné, l’impact de la fragilité sur l’évolution vers la CSU. Comment peut-on avancer avec la CSU là où la fragilité progresse ? Les experts au niveau des pays ont certainement des leçons apprises à partager tirées leur propre contexte.
Nous sommes impatients à l'idée de vous lire.