Dans ce billet de blog, Bruno Meessen (IMT, Anvers et CoP FBP) montre comment le financement basé sur les résultats peut être un nouveau levier pour les gouvernements africains engagés dans le combat en faveur du planning familial… notamment quand d’autres acteurs sociétaux y sont hostiles.
Le bâton, la carotte et le sermon
Que vous soyez chef d’un gang, patron d’une compagnie, général d’armée, ou parent, vous avez trois grands instruments pour orienter les comportements de vos semblables : le bâton, la carotte et le sermon.
Sous la métaphore du bâton, on rangera les différents dispositifs dont vous disposez pour décourager et si nécessaire, sanctionner, les comportements non alignés sur vos objectifs. C’est l’amende que vous inflige le policier vous conduisez sans ceinture, c’est la balle dans le genou (au mieux) pour le bandit qui a trahit son boss, le non-renouvellement de contrat pour votre fournisseur à cause d’un service de piètre qualité. La carotte, c’est bien sûr la métaphore pour la récompense. C’est la médaille pour le soldat valeureux, le diplôme pour l’étudiant studieux, le prix payé au boulanger pour son pain et bien sûr le paiement à la performance, que je ne dois pas expliquer sur ce blog.
Sous le titre du sermon, on réunira toutes les stratégies d’éducation et de persuasion. Les économistes vous diront qu’il s’agit de modifier les préférences des agents économiques. Plus prosaïquement, il s’agit d’atteindre la situation où vos semblables, convaincus, adoptent par eux-mêmes les comportements qui sont alignés sur vos objectifs. Ça passe essentiellement par de bonnes explications, avec un avantage si vous disposez d’une certaine autorité morale (comme la maman auprès de son enfant, l’enseignant auprès de ses élèves ou le prêtre auprès de ses paroissiens).
Ces trois outils ont leurs forces et faiblesses, à apprécier dans chaque configuration particulière. Les experts du FBP, s’ils croient au pouvoir de la ‘carotte’, savent aussi qu’elle n’est pas à même de changer tous les comportements. Le ‘sermon’ sera ainsi particulièrement utile quand il est impossible de vérifier le comportement ou quand le comportement à privilégier est aussi bénéfique pour son exécutant (ex : utiliser un condom). On notera aussi que les temps changent : nos sociétés chérissent de plus en plus la liberté et la responsabilité individuelle. Le ‘bâton’ est dès lors de moins en moins toléré et certaines formes utilisées par le passé sont même désormais prohibées par la loi.
Mieux apprécier l’opportunité offerte par le Financement Basé sur les Résultats (FBR)
Ce sont donc ces trois outils dont disposent les gouvernements pour influencer le comportement de leurs citoyens. À cet égard, il est patent que le FBR, par son ingéniosité, a constitué un enrichissement significatif de la boîte à outils des gouvernements africains. Mon souhait serait parfois qu’ils exploitent de façon encore plus stratégique cet instrument, en particulier quand il s’agit de se confronter avec d’autres leaders promouvant des vues contraires à leur propre vision du développement.
Donnons un exemple. Imaginez un pays africain confronté à un sérieux problème démographique à un point tel que la forte natalité exercerait une pression de plus en plus dommageable sur l’économie et plus fondamentalement, compromettraient les opportunités qui seront disponibles aux citoyens dans le futur. Imaginez que le gouvernement ait identifié la planification des naissances par des parents informés comme, d’une part, un droit humain fondamental et d’autre part, une nécessité pour soutenir le développement du pays. Imaginez qu’un leader religieux promeuve une vision contraire… par un sermon bien sûr.
Que devrait faire le gouvernement en question ? Doit-il opter pour le bâton (ex : un ferme rappel à l’ordre à la hiérarchie du leader en question, avec menace de sanction), une confrontation ‘sermon’ (du président) contre ‘sermon’ (de l’évêque, par exemple) sur le fond du sujet? Je serai président de ce pays, j’y réfléchirai à deux fois. Si l’évêque (par exemple) a osé contester vos choix, c’est sans doute parce qu’il sait que le rapport de forces ne vous est pas favorable pour le moment. À certains moments de la vie politique, une confrontation publique sur le sujet peut de fait être dommageable à vos objectifs : l’église en question peut être puissante ; du reste, étant donné son engagement dans les secteurs sociaux (écoles, centres de santé…), elle restera un partenaire avec qui il faudra continuer à collaborer.
Le FBR : un levier puissant pour le changement
Etes-vous alors impuissants ? Avant le FBR, c’était peut-être le cas. Mais je pense que le FBR offre désormais de nouvelles opportunités d’action au gouvernement. Une première piste, si ce n’est déjà fait, est d’introduire le planning familial dans la grille du FBP des centres de santé (pour faire simple : le gouvernement verse au centre de santé par exemple 1 dollar pour chaque nouvelle femme s’inscrivant chez ce dernier pour adopter une méthode de contraception moderne). Si les indicateurs de planning familial sont déjà présents dans le FBP des centres de santé, le gouvernement peut augmenter le barème pour leur remboursement (il paie au centre de santé, par exemple, 3 dollars par nouvelle femme inscrite). Le gouvernement peut aussi faire, comme au Burundi, des contrats à la performance avec les associations communautaires : il paie (aussi) l’association qui a convaincu une nouvelle femme à adopter la contraception moderne (par exemple, 1 dollar).
Mais il peut aller encore plus loin : il peut décider par exemple d’introduire un système de coupons (‘vouchers’) qui rétribuerait par exemple, 2 dollars, toute femme qui déciderait d’utiliser pour la première fois une méthode moderne de contraception (bon, quelques-unes mentiraient peut-être, mais est-ce vraiment notre premier problème ?). Et pour distribuer ces coupons dans la communauté, on mobiliserait bien sûr les agents de santé communautaires féminins (avec une petite récompense pour chaque femme référée au centre de santé).
Avec cette dernière stratégie, on utiliserait donc la ‘carotte’ pour amener les agents de santé communautaires à convaincre (par le ‘sermon’) d’autres femmes à changer leurs comportements. Avec leur propre expérience d’épouses, mères, sœurs, copines et voisines, je suis certain qu’elles trouveront les mots justes pour convaincre leurs semblables.
En mobilisant les femmes actives au niveau communautaire en Afrique, il me semble que le FBR peut mobiliser des centaines de milliers d’agents de persuasion capables de battre bien des prêcheurs !
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