Le 26 avril 2013, dans le cadre d’un module de cours sur la gestion des connaissances, les participants à la formation courte « politiques de santé » à l’IMT d’Anvers ont organisé un débat autour du film « Ah les indigents ! » (1). Ce film raconte la conduite d’une recherche-action au Burkina Faso. Dans ce blog post, les participants rapportent le contenu des discussions et donnent quelques conseils à tous ceux qui voudraient exploiter ce film (en libre accès sur youtube) dans un cadre didactique ou de plaidoyer.
Depuis l'adoption des politiques de recouvrement des coûts des soins en Afrique subsaharienne dans les années 80, la problématique de l'utilisation des services de santé par les indigents est devenue un enjeu plus visible. Le débat est entretenu par les résultats controversés des politiques de paiement des soins par les usagers, y compris pour certains groupes vulnérables bien plus larges (enfants, femmes…). Ces dernières années, des expériences de réforme du financement des systèmes de santé ont été initiées en Afrique. Certaines s’attellent à mieux concilier les objectifs d'efficacité et d'équité, notamment en prenant en compte le problème de l'accès aux soins et de l'utilisation des services de santé par les indigents (nous pensons par exemple aux expériences des fonds d’équité).
Les défis sont connus : Qu’est-ce que l’indigence ? Qui sont les indigents ? Comment les identifier ? Où sont-ils, où vivent-ils ? Qui va payer pour leur prise en charge ?
Une recherche-action… un film… un débat
Ce sont à ces questions qu’une recherche-action mise en œuvre au Burkina Faso dans le district sanitaire de Ouargaye, a tenté de répondre. Un film documentaire intitulé « Ah les indigents ! » a été réalisé sur cette recherche-action par Malam Saguirou, avec le concours financier du CRDI du Canada. La recherche-action, elle-même, était conduite par l’équipe du Professeur Valéry Ridde de l’Université de Montréal.
Ce court-métrage reprend les étapes de la recherche-action et montre comment les communautés ont été en mesure de se mobiliser pour favoriser l'accès aux soins des indigents. Il démontre que l’identification communautaire est une bonne solution pour identifier les personnes les plus démunies en milieu rural, tout en mettant le doigt sur le dénuement extrême de l’individu et sur le droit à la dignité. Il illustre également comment des communautés peuvent mettre en place des mécanismes de solidarité, sans intervention financière externe.
Ce documentaire de 26 minutes a été présenté aux étudiants et enseignants de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers le 26 avril 2013. Il a ensuite donné lieu à un débat sur la problématique des indigents dans les pays pauvres notamment africains.
Enseignements du débat
Sans conteste, le film a été apprécié. Il touche à différentes problématiques et nous a amené à discuter de nombreuses questions. Certaines étaient spécifiques au sujet : l’acceptabilité de l’indigent par le personnel de santé, la problématique de la qualité au rabais pour les indigents, la pérennité de la prise en charge des indigents par la communauté, les mécanismes mis en place en cas d’indigence temporaire…
D’autres étaient plus systémiques : la viabilité financière des formations sanitaires, l’efficacité de la participation communautaire et le fonctionnement des COGES, les soins centrés sur le patient, la qualité des soins, la problématique de l’accès aux soins de santé par les populations dans les pays à faible revenu…
Certaines questions, enfin, dépassaient le seul secteur de la santé : l’acceptabilité sociale de l’indigence, la solidarité dans la communauté pour la prise en charge de ses indigents, les enjeux politiques liés au droit à la santé et la lutte contre la pauvreté, la prise en compte des déterminants sociaux de la santé dans les solutions à rechercher pour la prise en charge des indigents, la protection sociale des indigents au-delà de leurs besoins pour la seule santé…
L’auditoire était international (il rassemblait des participants à différents programmes de cours à l’IMT): les différentes contributions des participants ont souvent été étayées par des références aux expériences dans les pays d’origine (Burundi, Bénin, RDC, Sénégal, Burkina Faso, Maroc, Madagascar, Guinée…). A l’issue de ce débat que nous avons animé, il ressort qu’il est possible au niveau des communautés et partant à plus grande échelle de définir l’indigence, de sélectionner les indigents sur la base de critères consensuels et de les prendre en charge.
Le principal message du film
Selon nous, le principal message du film est toutefois peut-être ailleurs que dans les enjeux techniques: il montre, que même avec peu de moyens, il est possible de mener des actions spécifiques en faveur des plus pauvres, et ce chacun à notre niveau. Il nous rappelle notre dimension humaine, nous fait prendre conscience de la situation que vivent les indigents et nous oblige à nous engager, à mener des actions en faveur des plus pauvres. De fait, l’aide aux indigents ne nécessite pas de grandes révolutions sociales ou politiques, des réformes techniquement complexes. Elle repose sur notre empathie pour les exclus. Si chacun, à son échelle peut faire quelque chose, comme techniciens, nous pouvons aussi lutter pour dépasser l’immobilisme et impulser la dynamique pour asseoir un véritable mécanisme d’assistance sociale pour la prise en charge des indigents. C’est le principal signal lancé par la Déclaration faite à Marrakech en septembre 2012 par les participants de l’atelier sur l’équité dans la couverture sanitaire universelle : comment atteindre les plus pauvres ?
Par ailleurs, il ne revient pas qu’au secteur de la santé seul de se consacrer à cette question. L’Etat doit se réinvestir dans cette responsabilité qui fait partie de ses prérogatives en impliquant tous les secteurs pour garantir le droit à la santé, le droit à la dignité humaine à tous comme stipulé dans toutes les Constitutions de nos pays.
Nos conseils pour la meilleure exploitation didactique du documentaire
Le film « Ah les indigent ! » est touchant, stimulant et efficace. Le film peut avoir de nombreux usages (y compris comme outil de réflexion plus méthodologique, par exemple sur la recherche-action !) et devrait pouvoir séduire différents types de publics.
Nos conseils à nos lecteurs qui souhaiteraient exploiter ce film dans le cadre d’un cours, d’un plaidoyer ou d’une réunion de travail autour de l’indigence sont les suivants : (1) après le film, donnez la parole à l’auditoire en leur posant d’abord la question « qu’est-ce qui vous a interpelé, ému ? » - faites jouer l’émotion; (2) ensuite, seulement, abordez les (nombreux) aspects plus techniques ; (3) en général, exploitez l’expérience des gens dans la salle – si vous avez quelqu’un qui a travaillé activement auprès des pauvres (par exemple, un assistant social) veillez à ce qu’il ou elle partage son expérience ; (4) prévoyez une équipe d’au moins 3 personnes pour l’animation : le facilitateur, une personne au tableau pour noter les réflexions et les organiser ; une personne pour faire circuler le micro ; (5) faites une synthèse en dégageant les grands messages à retenir ; (6) invitez chacun à exploiter ce film à son propre niveau.
Nous n’avons pas rencontré de difficultés techniques pour projeter ce film : il vous suffit d’avoir un projecteur, un ordinateur, un système audio et une bonne connexion à internet (vous pouvez aussi télécharger le film, si Media Player est installé sur votre ordinateur). Le film est en partie en langue locale, il existe en version sous-titrée français et anglais.
Voilà, vous êtes fin prêts : qu’allez-vous faire à votre niveau ?
Note:
(1) Le module de cours "gestion des savoirs et décisions politiques" aborde les différentes stratégies pour le meilleur partage des connaissances en santé publique, y compris les média sociaux. Ce cours a été coordonné et développé par les professeurs Bruno Meessen (IMT, Anvers), Valéry Ridde (Université de Montréal) et Christian Daguenais (Université de Montréal). N'hésitez pas à les contacter si le sujet vous interpelle.