Le 31 août 2011, une femme est morte en couche dans une maternité à Bobo-Dioulasso. Le lendemain, après son enterrement, la population exprimait son courroux face à la négligence de la sage-femme en brulant le centre de santé. Il n’est bien sûr pas de notre ressort de rendre un avis sur cet incident ou sur la façon dont il a été géré par le gouvernement burkinabé. Par contre, il m’a semblé intéressant de consulter un de mes anciens étudiants, aujourd’hui directeur d’une autre région sanitaire du Burkina Faso, pour comprendre les causes sous-jacentes de cette exaspération des usagers (voir notamment les commentaires des lecteurs en ligne du portail « Le Faso.net », qui est repris en hyperliens plus haut). Cet interview a eu lieu à Limbe, Cameroun, dans le cadre d’un atelier sur le Financement Basé sur la Performance.
BM : Robert, quelles sont, selon toi, les causes derrière cette exaspération de la population ?
RK : Je ne veux pas me prononcer sur le cas spécifique de Bobo, dont je ne maîtrise pas les tenants et les aboutissants, mais il est vrai qu’au Burkina Faso, nous avons eu ces derniers temps, de façon éparse, des réactions violentes des populations à l’endroit des services de santé.
Une hypothèse serait que les populations sont de plus en plus exigeantes vis-à-vis des prestations qui leurs sont offertes et qu’il y a un problème de réactivité des services de santé à leur endroit. Mon expérience personnelle me laisse penser que les populations sont désormais très sensibles à la qualité humaine des soins et en particulier dans leur aspect de la relation entre prestataire et usager. Nous, agents de santé, nous n’avons pas été préparés à cela. Nos formations étaient centrées sur la biomédecine, la communication entre soignant et soigné ne recevait pas l’attention qu’elle mérite. Il y a un décalage entre les services que le personnel peut offrir, au vu de sa formation, et la demande des populations portée vers plus de dignité, de respect pour leurs besoins et souffrance.
BM : Ceci semble indiquer un besoin de revoir certains aspects dans le curriculum de formation du personnel soignant. Mais dans l’immédiat, y a-t-il des pistes d’actions ? Du côté de la population, du personnel ? Qu’avez-vous fait dans votre région ?
RK : Je voudrais tout d’abord dire que la violence n’est certainement pas la réponse à ce genre de situation. Au Burkina Faso, nous sommes dans un système démocratique. Il est possible d’interpeler pacifiquement les services publics. La violence n’est pas la façon la plus efficace pour obtenir plus de réactivité de la part des prestataires de soins.
Dans notre région, nous essayons de travailler du côté de la demande et de l’offre.
Du côté de la demande, nous allons travailler sur des mécanismes favorisant des interpellations plus citoyennes. Nous avons notamment convoqué une réunion, sous l’égide du gouverneur de la région, réunissant les différentes personnes-ressources au niveau régional. Du côté de l’administration étaient présents le gouverneur, les hauts-commissaires de province, certains maires. Au niveau de la communauté, nous avions convié tous les chefs-coutumiers de notre ville – ils ont encore un poids important dans notre société. Nous avons aussi associé la société civile, notamment les jeunes, les associations de femmes, bien sûr les représentants provinciaux du syndicat des travailleurs de la santé – qui est un syndicat très représentatif dans le secteur de la santé – la section provinciale du mouvement des droits de l’homme et des peuples et les autorités religieuses. Les ordres professionnels, qui ont un rôle important dans la régulation des prestations, ont aussi été associés ; il s’est agi de l’Ordre des Médecins, l’Ordre des Infirmiers et l’association régionale des sages-femmes. Lors de la réunion, nous avons passé le message suivant : un agent de santé qui n’est pas dans de bonnes dispositions psychologiques pour travailler ne peut pas donner toute la mesure de sa science ; il faut éduquer d’avantage les populations ; elles peuvent faire des interpellations, mais il faut respecter les droits, l’intégrité et la sécurité des agents de santé.
Mais nous avons aussi reconnu que du côté de l’offre, la qualité des soins est à revoir. Ceci rejoint un combat personnel. Depuis mon retour de l’Institut de Médecine Tropicale, je me bats pour mettre en place ce que l’on appelle l’approche centrée sur le patient. Nous avons organisé une formation pour les équipes-cadres. Il faudrait passer à l’échelle auprès du personnel de santé.
Mais il nous faut aussi travailler sur les structures d’interface entre les populations et les formations sanitaires – je pense en particulier aux comités de gestion. Grâce à la dynamique actuelle de décentralisation, nous pouvons travailler sur cet axe également. Un nouveau texte porte sur la mise en place des comités de gestion ; il prévoit au niveau de ces derniers une place pour les conseils municipaux. Le gouverneur de notre région a décidé de renouveler très rapidement les comités de gestion, beaucoup de mandats sont en effet dépassés ; il n’y avait plus d’interface efficace au niveau des centres de santé. Le gouvernement a aussi pris un arrêté conjoint à plusieurs ministères. Ce dernier met en place un comité de gestion au niveau de l’hôpital de district. Avant, il n’y avait pas d’interface à ce niveau. Le gouverneur de région a décidé qu’il fallait rapidement mettre cela en place dans les districts de la région. Ces interfaces devraient améliorer la qualité du dialogue.
Le gouverneur a aussi insisté à ce que les assemblées générales soient tenues. Normalement, elles devraient se tenir deux fois par année. Ça devrait être un moment fort où les usagers se font faire le bilan physique, financier et de fonctionnement du centre de santé. Ces assemblées générales ne sont pas toutes tenues ; si elles se tiennent, la qualité de la représentation des populations n’est pas satisfaisante. Les associations de femmes et jeunes, les chefs coutumiers doivent être associés.
Après la réunion, le gouverneur avec l’ensemble des participants, a été dans un centre de santé pour encourager le personnel de santé et les rassurer. Ce sont là les pistes de solution adoptées au niveau régional.
BM : Je sais que ta région est une des régions pilotes pour le financement basé sur la performance (FBP) au Burkina Faso. Le FBP a-t-il un rôle à jouer dans la résolution de ce type de problème ?
RK : Oui, le FBP pourrait aussi aider, car il est centré sur la qualité des prestations. Il va aussi permettre aux prestataires d’être dans de bonnes conditions de travail et être plus réactifs : 30% des revenus du FBP seront réservés au centre de santé, le reste pourra motiver les agents de santé. Par ailleurs, au Burkina Faso, le montage prévoit d’impliquer les collectivités territoriales. Cela devrait aussi contribuer à améliorer la qualité des relations entre les usagers et les services de santé. Le FBP va libérer le personnel et leur permettre d’offrir des services de qualité. Les agents mettront certainement en œuvre des stratégies pour attirer la population et la satisfaire. Le FBP est dès lors une des réponses au problème actuel.