Le 23 mai 2013, le Consultative Group to Assist the Poor (CGAP) a invité un groupe de chercheurs affiliés au Groupe de Travail sur la Santé du Réseau de Micro-assurance (Health Working Group of the Microinsurance Network) à partager les résultats de leurs récentes études sur la micro-assurance santé. Dans ce blog (qui a déjà été publié sur le site du CGAP), Thierry van Bastelaer revient sur les points saillants de cette rencontre, et partage également sa réflexion sur le rôle de la micro-assurance santé dans la transition vers la couverture universelle.
Les personnes qui étaient présentes à cette rencontre ainsi que l'audience virtuelle ont poussé les présentateurs à s’engager dans un débat animé sur certaines questions essentielles de la micro-assurance santé, parmi lesquelles la faible pénétration de la micro-assurance santé, l’importance relative de la couverture des soins hospitaliers et ambulatoires, le rôle des subventions, la pérennité commerciale des mécanismes de micro-assurance santé, l'importance de la qualité des soins offerts dans le cadre des mécanismes assuranciels, et les rôles conjoints des secteurs public et privé dans la fourniture de l'assurance santé pour les familles à faibles revenus.
Ce dernier point, en particulier, a été longuement discuté en s’appuyant sur le cas de l'Inde. Il apparait que le grand projet de RSBY (Programme national d'assurance maladie) à financement public, évince les prestataires de micro-assurance indiens lorsqu'ils sont amenés à concourir sur les mêmes marchés. Ce constat a soulevé la principale interrogation de la réunion (merci à Peter Wrede): La micro-assurance santé a-t-elle un avenir? Est-elle destinée à aller à la marge à mesure que les Etats prennent de plus en plus de responsabilité en matière de couverture maladie universelle de leur population?
Comme pour toute industrie, la micro-assurance est - au moins partiellement - préoccupée par sa propre survie. L’on peut parfois oublier, cependant, qu'elle doit son existence aux défaillances de l’offre publique (et parfois privée) de l'assurance. A mesure que ces échecs sont corrigés et que les clients de la micro-assurance santé sont de plus en plus couverts par l'assurance publique, il arrivera un moment où tout ce qui restera à faire est de reconnaître le rôle de la micro-assurance dans cette transition, puis de tirer gracieusement sa révérence. Mais nous n'y sommes pas encore, pour au moins cinq raisons :
Premièrement, ce ne sont pas tous les Etats qui disposent de ressources comme l’Inde, qui arrive à prendre en charge la quasi totalité des coûts d’hospitalisation liée à l’assurance maladie pour plus de 30 millions de sa population vivant en dessous du seuil de pauvreté. Même si cela ne représente que 10% de la population totale vivant en dessous du seuil de pauvreté en Inde, le gouvernement est en mesure d’un point de vue financier d'augmenter considérablement ce pourcentage dans les années à venir. En revanche, pour la plupart des gouvernements des pays en développement, la capacité financière limitée (et parfois politique) rendrait très difficile, du moins dans le court et moyen terme, le financement du coût des soins pour une proportion substantielle de leur population. Pendant que ces gouvernements s’attaquent à ces contraintes, la micro-assurance peut jouer un rôle important dans l’apport de solutions abordables pour les familles à faible revenu, soit en offrant une couverture dans les zones non atteintes par les programmes gouvernementaux, ou en complétant le paquet de base offert par les Etats.
Deuxièmement, dans la mesure où la micro-assurance santé peut aider à créer de larges mise en commun de risque, elle donne la possibilité aux Etats de canaliser leurs ressources (sous forme de primes ou de subventions) vers les familles à faible revenu, plus rapidement et potentiellement à moindre coût par rapport au financement total du coût des soins pour ces familles.
Troisièmement, en raison de l’impérieuse nécessité de réduire les coûts pour que les services soient accessibles pour les familles à faible revenu, les entrepreneurs de la micro-assurance santé innovent en permanence pour trouver des modèles rentables pour le développement, la distribution et l’approvisionnement de leurs produits assuranciels – des innovations que les Etats doivent trouver utile d'intégrer dans leurs programmes d'assurance s’ils veulent atteindre les mêmes populations.
Quatrièmement, bien que ce soient les gouvernements qui ont la capacité de mobiliser les ressources nécessaires pour financer une couverture à grande échelle, il n'y a aucune raison a priori (et peu de données probantes) de croire qu'ils ont un avantage comparatif par rapport au secteur privé pour ce qui concerne les deux autres segments de la chaine de valeur de l'assurance santé: la souscription et la distribution. À cet égard, les expériences de l’Inde et du Nigeria qui expérimentent une souscription privée et une assurance publique fourniront bientôt d’importantes informations sur la meilleure façon de structurer les partenariats public-privé tout au long de la chaîne de valeur de l'assurance-maladie.
Enfin, la plupart des gouvernements qui se sont engagés à fournir une couverture maladie à leurs populations vulnérables choisiront probablement et à juste titre de commencer par offrir un ensemble de prestations de base (accessible à travers les structures publiques) pour le plus grand nombre possible de familles. Dans ce scénario, le rôle le plus durable pour la micro-assurance peut très bien être d'ajouter un paquet complémentaire aux paquets proposés par le public, que ce soit en leur donnant accès à des prestations non incluses dans ces paquets, ou en leur offrant d’autres options pour obtenir des soins de base ou des soins spécialisés dans des structures privées.
Dans tous les cas, je m'attends à ce que le secteur de la micro-assurance, à un certain moment, notamment dans un futur proche, se rendre compte que son insignifiante croissance est la marque indubitable de son succès. En attendant, les systèmes de micro-assurance santé peuvent et doivent continuer à offrir d’autres options de couverture pour les familles qui ne peuvent se permettre d'attendre que l'option publique vienne les aider à couvrir le coût des soins médicaux d'urgence.
* Thierry van Bastelaer est Economiste – Associé/Principal chez Abt Associates à Bethesda, MD, où il assure le leadership dans la réponse à un large éventail de questions concernant les moyens de subsistance, la santé et la protection contre les risques financiers. Son travail consiste à identifier les tendances régionales en matière de financement de la santé à base communautaire et autres formes d'assurance communautaire, et proposer des solutions innovantes à des problèmes liés à la protection des risques financiers.