En janvier 2010, Amnesty International a sorti un rapport "Donner la vie, risquer la mort, Combattre la mortalité maternelle au Burkina Faso". Pour l'ONG des droits de l'homme, c'était une entrée dans un nouveau champ d'action: les droits sociaux. Durant notre atelier de Bamako, cette action de l'ONG a été sujette à débat. J’ai retrouvé les deux protagonistes durant la pause de midi. D'un côté, le Dr Salif Sankara chargé de la coordination de la subvention des accouchements et des soins obstétricaux néonataux d’urgence (SONU) du Ministère de la Santé, de l'autre Roger Minoungou, Coordinateur « Croissance & Activisme » d'Amnesty International Burkina Faso.
Roger, pourquoi Amnesty International s’est engagé sur la problématique de la santé maternelle au Burkina Faso?
RM : Amnesty International est un mouvement mondial de bénévoles qui œuvre pour la protection des droits humains. De sa naissance à 2001, Amnesty s’est focalisé sur les droits civils et politiques. Depuis 2001, le mouvement a élargi son mandat pour prendre en charge les droits sociaux, économiques et culturels où des violations étaient manifestes. Au Burkina Faso, les chiffres officiels rapportaient que 2.000 femmes mouraient chaque année lors d’un accouchement. Cela a été vu comme une violation grave des droits à la santé maternelle, à la vie - droits humains indispensables à l’exercice des autres droits – car ces décès sont souvent évitables.
Concrètement quelle a été votre démarche ?
RM : Elle a été inclusive et participative. Tant qu’il s’agissait pour Amnesty de travailler sur les droits civils et politiques, nous avions toute l’expertise. N’étant pas des professionnels de la santé, il a fallu mettre en jeu de la coordination. La recherche a duré environ deux ans. L’équipe de chercheurs a pris en compte les approches de la santé et des droits humains par les différents ministères concernés et l’Assemblée Nationale, notamment pour comprendre comment les budgétisations se faisaient. En même temps, l’équipe a rencontré les professionnels de santé au niveau central et décentralisé, a visité 12 zones rurales sanitaires et a examiné 50 dossiers de décès maternels. Le mouvement a donné la voix aux populations, qui sont les premières concernées par les problèmes d’accès aux services de santé maternelle. On ne voulait pas rater l’objectif de produire quelque chose de bénéfique pour les détenteurs de droits.
Salif, comment cette démarche a-t-elle été appréciée par le Ministère de la Santé?
SS : On peut féliciter Amnesty pour sa démarche, le travail est intéressant, mais on peut aussi déplorer le fait que la démarche n’a pas suffisamment reconnu les efforts du gouvernement. L’accompagnement que nos Etats attendent, c’est un accompagnement positif. Après l’étude, Amnesty a fait un grand tapage. Le titre du rapport « Donner la vie, risquer la mort » était stigmatisant. C’est un vieux dicton de chez nous - « la femme enceinte a un pied dans la tombe » – mais ce n’est certainement plus le cas aujourd’hui. Ce type de communication décourage les décideurs. Dans la mise en œuvre de la politique de subvention des accouchements et des SONU, on a eu des difficultés à communiquer les changements à tous ces bénéficiaires. Je déplore qu’Amnesty n’ait pas profité de son action sur le terrain pour nous aider à communiquer vers les femmes ce à quoi elles avaient droit désormais.
L’exemple de Yalgado (ndlr : le Centre Hospitalier Universitaire, qui est dysfonctionnel, comme beaucoup d’hôpitaux nationaux en Afrique sub-Saharienne) n’est pas non plus représentatif de tout le Burkina, c’est un hôpital mastodonte. Enfin, je déplore que ce document n’ait pas servi à mobiliser plus de ressources. Les efforts financiers du gouvernement en matière de financement de la santé maternelle sont déjà très importants : 11 milliards de francs CFA – il fallait reconnaître cet engagement. L’Etat reste le principal contributeur avec 97,2% du coût de la politique! Comme le disait Fabienne Richard en fin de session, les ONG sont les bienvenues, mais elles doivent apprendre à écouter les besoins des gouvernements.
Roger, que répondre à cette frustration ? Quelle est votre action aujourd’hui ?
Le rapport reconnaissait les efforts du gouvernement en matière de subvention. Mais il a déploré aussi les mécanismes de suivi de cette politique déjà en vigueur. Dans la phase de recherche, on n’a pas seulement visité Yalgado. On a aussi apprécié le projet du « Secteur 30 » de Ouagadougou. On a souhaité que de telles initiatives soient consolidées. Mais en milieu rural, on a aussi vu des populations qui, malgré la politique de subvention, ne pouvait pas accéder aux soins. 46% de la population est en-dessous du seuil de la pauvreté ; 900 francs CFA restent élevés (ndlr: la politique du Burkina Faso est de maintenir un co-paiement de 20%). On a aussi constaté les vrais efforts du personnel de santé, tout n’était pas négatif.
Nous maintenons une bonne collaboration avec le Ministère de la Santé. Nous avions d’ailleurs veillé à solliciter les commentaires du Ministère de la Santé sur le rapport. Nous collaborons aussi avec des organisations qui travaillent sur une politique d’exemption. Nous continuons le plaidoyer auprès des bailleurs de fonds, notamment via un groupe de travail sur la problématique de l’accès financier. Il est du ressort de l’Etat Burkinabé de présenter quelque chose de concret aux bailleurs de fonds. Et nous reviendrons alors à la charge !