En 98-99, Jean-Pierre suivit le Cours International pour la Promotion de la Santé (c’est ainsi que s’appelait à l’époque la Maitrise de Santé Publique de l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers). Il consacra son mémoire de fin d'année à la difficile équation de la motivation du personnel de santé quand l’Etat exsangue est incapable de payer les salaires de ses fonctionnaires et la population trop pauvre pour être une véritable solution. Relire le mémoire de Jean-Pierre, c’est se replonger dans la réalité des systèmes de santé des pays pauvres, il y a 25 ans. A l'époque, on ne parlait pas encore de "performance", mais les problèmes de faible couverture et faible qualité des soins étaient criants.
C’est un épisode peu connu de l’histoire du financement basé sur la performance (FBP), mais c’est dans le cadre de projets de districts sanitaires opérés par MSF, au Zaïre/Congo et ultérieurement au Cambodge, qu’émergea la conviction, iconoclaste à l’époque, du nécessaire engagement de l’aide extérieure dans une prise en charge, meme partielle, des revenus du personnel de santé. Sans assurer des conditions décentes de travail au personnel, il était illusoire d’espérer couvrir les énormes besoins sanitaires des populations. En injectant des financements extérieurs pour financer des primes au personnel et en établissant le montant de ces dernières sur base d'une formule prenant en compte les recettes de la participation financière de la population, en RDC puis au Cambodge, Médecins Sans Frontières Belgique a de facto semé les premières graines du FBP. Un rôle de pionnier que cette ONG avait déjà joué pour l’Initiative de Bamako.
Sa Maitrise de Santé Publique en poche, Jean-Pierre rejoignit HealthNet International et devint coordinateur d’un projet de district sanitaire précédemment mis en œuvre par MSF, à Butare au Rwanda. Dans la langue aujourd’hui, on dirait que ce projet était ‘lean’ et ‘agile’ : il y avait Jean-Pierre, l’expert international et deux employés nationaux : Isabelle, sa secrétaire, et Charles, son chauffeur. A trois, ils faisaient face à la gageure de remplacer une large équipe de MSF et les importants moyens de l’ONG humanitaire. Il fallait trouver une toute autre façon d’appuyer les districts de santé. A la suite de son expérience de Pearang au Cambodge, HealthNet International voulait innover et basculer vers ce que l’on appelait alors une approche contractuelle. Jean-Pierre contacta l’Institut de Médecine Tropicale d’Anvers et Bruno Meessen vint comme expert externe. En partant des leçons d'un projet MSF au Cambodge, Jean-Pierre, le Dr Laurent Musango, directeur de la Province Sanitaire et de l'Ecole de Santé Publique, et Bruno Meessen élaborèrent l’Initiative pour la Performance. C’est ainsi que les fondements du FBP furent posés, il y a 20 ans au Rwanda.
Après son travail pour HNI, Jean-Pierre rejoignit la CTB/ENABEL. Il travailla pour l’agence de la coopération technique belge dans le cadre de ses projets au Bénin pour plus de dix ans – toujours pour un travail de terrain, décentralisé. En 2019, il rentra dans son pays pour travailler comme chef d’équipe pour HERA où il a pu a nouveau faire valoir ses qualités d’homme et de médecin de santé publique tourne vers la résolution des problèmes.
C’était un vrai plaisir de travailler avec Jean-Pierre. Ayant été lui-même médecin de district, il connaissait les défis du quotidien, la nécessité de régler les problèmes opérationnels pour assurer des soins de qualité aux populations. Jean-Pierre était respectueux de ses interlocuteurs et abordait les choses sous un angle constructif. C’était un grand professionnel. Si la première expérience en Afrique de ce qui fut appelé, quelques années plus tard, le FBP fut un succès au point d’inspirer la politique nationale du Rwanda, c’est en grande partie grâce aux qualités humaines, aux talents et professionnalisme de Jean-Pierre. Ayant passé toute sa vie professionnelle sur le terrain, c’est aussi au cours d’une mission de supervision qu’il nous a quitté. Nous exprimons nos condoléances à sa famille, ses collaborateurs et tous ses amis.