La situation sécuritaire continue à se dégrader dans plusieurs régions d’Afrique. La prestation des soins de santé primaire est compromise. Cette situation critique pose la question de la résilience des services de santé. Le réseau Afrique Francophone et Fragilité (AFRAFRA) sollicite vos témoignages et réflexions. Vous pouvez réagir sous ce blog ou directement sur notre forum en ligne.
Dans certains pays, ce potentiel communautaire a été érigé en politique. Le Mali reste le plus bel exemple d’une telle démarche. Dans ce pays, ça fait plusieurs décennies que différents acteurs ont acté les faiblesses structurelles de l’État et l’intérêt de responsabiliser les communautés dans la prise en charge et l'organisation de leurs services de santé. Cela a abouti à la mise en place du modèle des CSCOM (Centre de Santé Communautaire) selon lequel les centres de santé sont, de droit, sous la propriété des communautés locales. L’association de santé communautaire (ASACO) locale conduit notamment la construction du centre de santé, est propriétaire du stock de médicaments, recrute le personnel et gère le centre de santé comme une entité économique indépendante. Ce modèle a des inconvénients, mais il a eu le mérite de faire le constat d’une impasse structurelle, d’oser la reconfiguration du rôle de l’État (avec une concentration sur certaines fonctions-clés) et de formaliser le tout avec des arrangements institutionnels spécifiques (les ASACO sont des associations sans but lucratif).
En parallèle, au Mali comme ailleurs, les mêmes faiblesses structurelles de l’État ont favorisé le développement d’un secteur privé. La régulation de ce dernier est encore assez problématique, mais il offre une part importante des services de santé aux populations. Cela s’est matérialisé par l’extension à toutes les régions du pays des cliniques privées ou des centres de santé privés non lucratifs dont les promoteurs sont souvent issus des communautés locales.
Une nouvelle perspective ?
Restons au Mali pour poursuivre notre réflexion. Suite au déclenchement du conflit armé en 2012, les fonctionnaires de l’État qui exerçaient au sein du système de santé au nord se sont pour la plupart repliés vers le sud plus sûr. A l'époque, ce départ n’a pourtant pas conduit à l’effondrement du système de santé. Les communautés auxquelles les services de santé étaient déjà délégués par l’État se sont en fait réorganisées très vite. Cela a pu faciliter l’intervention des organisations internationales qui ont pris le relais de l’État dans plusieurs zones. De même, les promoteurs des structures de santé privées dans les trois régions du nord ont continué à offrir les services de santé aux populations.
Cette résilience, qui découle du fait que les personnes en charge des centres de santé soient de la communauté (et non des représentants de l’État central), nous semble mériter plus d’attention. Le cas du Mali n’est certainement pas unique. Ailleurs en Afrique, dans d’autres contextes où l’État n’a pas été à même de prester toutes les fonctions attendues de lui, les communautés, les acteurs privés (y compris confessionnels) ont aussi été entreprenants.
Cette initiative privée et sa pérennité ne sont-elles pas à réapprécier ?
La fragilisation croissante dans la région sahélienne, mais aussi en Afrique Centrale, touche aujourd’hui des zones qui n’étaient pas confrontées à l’insécurité dans le passé. Nous sommes donc désormais face à au moins deux configurations : des zones où les acteurs locaux ont, depuis longtemps, été confrontés à la nécessité de prendre leur sort en main et des zones où cet investissement dans l’autonomie n’était pas vu comme nécessaire parce que l’État assumait les fonctions-clés. Il n’est pas exclu que dans un contexte de sécurité qui se dégrade de façon plus étendue, les premières soient désormais mieux loties.
Nous serions intéressés d’avoir des témoignages, éventuellement supportés par des données, nous permettant d’y voir plus clair. Quand l’insécurité grandit (1), est-ce qu’une histoire passée de délégation (délibérée ou endogène) des services de santé aux acteurs communautaires ne devient pas un atout (parce qu’entretemps, une certaine résilience s’est constituée)? Si c’est un atout, le bénéfice est-il visible pour tous les services ou se limite-t-il pour certains (par exemple, les soins curatifs) et ne s’observe-t-il pas pour d’autres (par exemple, la vaccination)? (2). Nous sommes aussi intéressés d'en savoir plus sur la situation actuelle dans les zones correspondant plutôt au second cas de figure. Est-il facile de maintenir une présence du personnel de santé? La communauté joue-t-elle un rôle? Peut-elle sinon se réorganiser rapidement?
Le but de cette discussion n’est bien sûr pas d’encourager l’État à se désengager. Il va de soi qu’un système de santé performant requiert un investissement fort de l’État y compris par sa régulation efficace. Il s’agit plutôt de circonscrire, avec pragmatisme, ce que la mobilisation communautaire au niveau de la gouvernance des centres de santé et le développement du secteur privé peuvent apporter en termes de résilience. Sur un plan théorique, l’idée a son attrait, mais la priorité est de produire et examiner les données probantes.
Si vous êtes basés dans les zones concernées, si vous avez certaines données de routine sous cet angle, si comme chercheur, vous êtes en train de croiser des données sécuritaires avec des données d’activités sanitaires, si vous avez une expérience concrète à partager ou si vous avez un avis sur ces questions, vos contributions nous intéressent.
Notes:
(1) Nous envisageons ici les situations où une sécurité minimale persiste. Nous n'envisageons pas le cas de figure où la communauté décide aussi de fuir l'insécurité en se déplaçant.
(2) Il y a une grave épidémie de rougeole en RDC. Ceci rappelle que la santé ne peut se gérer en autarcie!