Je travaille au Ministère de la Santé Publique du Burundi dans une cellule en charge de la mise en œuvre du Financement Basé sur la Performance (FBP). J’ai été tout de suite interpellé par le titre de l’article de Paul et al. invitant à repenser la mise en œuvre du FBP dans les pays à revenu faible et intermédiaire. En effet, au Burundi, après 7 ans de mise en œuvre du FBP à l’échelle nationale de 2010 à 2016, nous avons entamé en 2017 un processus de réflexion et de révision de certaines modalités de sa mise en œuvre, dans le cadre de ce que nous avons appelé le FBP seconde génération. |
Au Burundi, le «FBP de première génération» a contribué à renforcer le système de santé à maints égards: amélioration de l’utilisation et de la qualité des services de santé, de la gouvernance et de la planification des activités des formations sanitaires, de la complétude et promptitude des données du Système d’Information Sanitaire (SIS), de la mise en œuvre de la politique de gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes, de l’autonomie de gestion des formations sanitaires (avec une meilleure disponibilité de ressources financières au niveau des formations sanitaires grâce à un transfert des fonds directs vers leurs comptes bancaires).
Cependant, malgré ces résultats positifs, des insuffisances ont été notées, notamment en termes d’amélioration de la qualité clinique et des indicateurs qualitatifs de résultats, le renforcement de la chaine d’approvisionnement en médicaments, la disponibilité des ressources humaines de qualité et le renforcement du système de référence et contre référence. En outre, une étude d’impact sur le FBP appliqué à la lutte contre la malnutrition a été menée au Burundi de 2014 à 2015. Cette étude a montré des résultats mitigés et a suggéré de revoir le design en rapport avec la prise en charge de la malnutrition. Par ailleurs, nous sommes aussi conscients de la nécessité de réduire les coûts de vérification. Nous sommes au courant que dans certains pays, la vérification coûte très cher. Au Burundi, 85% du budget FBP va aux formations sanitaires; la vérification et la contre vérification représentent 10% des coûts. Les coûts de la vérification varient très vraisemblablement selon les contextes (le Burundi est un petit pays avec une densité de population très élevée), selon les organes en charge de cette vérification et aussi selon qu’on soit à un stade pilote ou pas. Un atelier international pour dégager de nouvelles modalités moins coûteuses et tout aussi efficaces pour la vérification a été organisé par la Communauté de Pratique FBP en septembre 2017 à Bruxelles. La synthèse de ces réflexions sera diffusée prochainement.
Au Burundi, nous sommes en plein processus de réflexion et de révision de certains aspects de la mise en œuvre du FBP pour qu’il contribue de manière plus efficace et plus efficiente au renforcement de notre système de santé. Bien entendu, le FBP n’évolue pas en vase clos et n’est pas une solution à tout, raison pour laquelle il est mis en œuvre de manière cohérente et complémentaire avec les autres stratégies de renforcement du système de santé comme la stratégie de développement des ressources humaines et le développement des référentiels de formation du personnel médical et paramédical, le renforcement des Districts Sanitaires, la gratuité des soins pour les enfants de moins de 5 ans et les femmes enceintes, le développement d’un système de référence et contre référence et bien d’autres. Toute cette réflexion sur le FBP est menée dans le cadre global d’une stratégie nationale de financement de la santé en vue de l’évolution vers la Couverture Sanitaire Universelle.
Mon analyse de l’article de Paul et al
À la lecture de l’article, je m’attendais à trouver des propositions concrètes qui nous aideraient dans notre processus d’amélioration des modalités de mise en œuvre du FBP. Je suis cependant resté sur ma soif.
En effet, j’ai trouvé que l’article n’était pas équilibré: il ne dresse qu’un tableau sombre du FBP, tentant de généraliser les insuffisances de mise en œuvre de cette approche observées dans certains contextes et omettant de parler des aspects positifs qui ont été notés dans certains autres contextes (Rwanda, Burundi, Argentine…). Il aurait été plus pertinent, à mon humble avis, de faire des études de cas dans plusieurs contextes et relever les forces sur lesquelles on pourrait s’appuyer pour avancer et des insuffisances qu’on pourrait améliorer. Il aurait aussi été très instructif de partir des «échecs» que les auteurs ont observés dans certains contextes et en comprendre les raisons, car dans certains cas, elles tiennent sans doute plus d’une faible gouvernance générale du système de santé que le FBP seul ne peut résoudre. Mon impression est que l’article veut «jeter le bébé avec l’eau du bain».
J’ai aussi perçu dans l’article une forme de dénigrement, voire d’infantilisation à l’égard des pays adoptant le FBP et des cadres de santé de ces pays. En effet, insinuer que les pays adoptent le FBP à cause de simples promesses de «study tour» ou que les «champions du FBP» s’investissent dans le FBP à cause des promesses de contrat relève de l’inélégance, pour ne pas dire plus par souci de courtoisie. Plusieurs échanges, analyses et débats contradictoires ont lieu dans les pays et, au Burundi, ce type de débats a duré une année entre le Ministère de la Santé et les Partenaires techniques et financiers pour aboutir en 2009 à un document appelé «Consensus stratégique pour la mise en œuvre du Financement Basé sur la Performance et la Gratuité des soins». Donc, oui au débat contradictoire et critique qui est vital pour toute politique ou stratégie, mais évitons des considérations peu respectueuses des institutions et des personnes.
Par ailleurs, les auteurs de l’article fustigent un manque d’appropriation des pays adoptant le FBP. Certes, il peut y avoir des pays où l’appropriation n’est pas avancée ou inexistante. Il faudrait alors comprendre pourquoi et tenter d’y apporter des solutions. Il faut ici éviter de généraliser car dans d’autres pays, l’appropriation est une réalité ou est à un stade avancé.
Pour le cas du Burundi, il y a une très forte appropriation du niveau national. En effet, le Ministère de la Santé avec l’appui de nos partenaires a initié des expériences pilotes pendant quatre ans pour se donner le temps d’observer les résultats de cette approche. Le Ministère des Finances a été associé à la mise en œuvre du FBP dès le départ. Le Gouvernement du Burundi finance à lui tout seul 51% du budget de mise en œuvre du FBP. Le FBP est intégré dans la Politique Nationale de Santé, dans le Plan National de Développement Sanitaire, dans la Stratégie Nationale de Financement de la Santé et dans le cadre stratégique de lutte contre la pauvreté. Dans le cadre de l’évolution vers la Couverture Sanitaire Universelle, il est envisagé que le FBP, en synergie avec d’autres approches, apporte son expertise en matière d’achat stratégique, de contribution à l’amélioration de la qualité des soins et de renforcement de la demande de soins.
J’étais curieux de lire le chapitre sur les alternatives proposées. J’espérais y trouver des idées d’amélioration de ce que nous faisons dans notre contexte. Cependant, ce chapitre ne contient qu’une simple énumération d’interventions à réaliser. Plus frappant est que ces dernières sont par ailleurs déjà prises en compte dans le cadre de la mise en œuvre du FBP dans plusieurs pays !
En définitive, à la fin de la lecture de cet article, j’ai un sentiment très mitigé associé, à tort ou à raison, à l'impression d’assister à une sorte de «règlement de comptes» entre certains acteurs. Le débat contradictoire et constructif semble ainsi relégué au second plan, au grand dam des prestataires sur le terrain en quête d’idées novatrices.