L’étude Muskoka a permis non seulement de faire le point sur la fragmentation du système de financement de la santé et ses conséquences, mais aussi d’identifier des pistes de solution pour progresser vers la couverture santé universelle (CSU). Dans ce billet de blog, Longin Gashubije du Ministère de la Santé et de la Lutte contre le SIDA, présente les résultats de l’étude Muskoka au Burundi. Il montre que réduire la fragmentation est possible.
Genèse de la fragmentation
Faisons un rappel historique très rapide. Au commencement … la médecine traditionnelle … les soins sont gratuits, s’inscrivent dans le système ‘don-contre-don’ communautaire, ou alors le paiement se fait en nature. Ensuite viennent les colonisateurs et les missionnaires, les soins sont pris en charge financièrement par les pouvoirs publics du pays colonisateur, les congrégations religieuses ou les entreprises...
Au moment des Indépendances, l’économie de marché est déjà plus implantée. Les nouveaux Etats décident toutefois de maintenir un système d’Etat-Providence garantissant l’accès aux soins de santé pour tous – le système est encore unifié, mais avec une couverture très parcellaire et superficielle (programme des grandes endémies…). Durant les années 1980, commencent les réformes des systèmes de santé (soins de santé primaire, médicaments essentiels…). Avec l’Initiative de Bamako, la 'marchandisation' des soins de santé s’accélère. Au Burundi,c’est durant cette période, que sont lancées la Mutuelle des Fonctionnaires et la Carte d’Assurance Médicale, avec contribution volontaires des usagers.
Durant les années 90, l’émergence progressive d’une demande solvable crée un marché de niche pour les assurances-maladies privées. A la fin des années 90, différents acteurs internationaux font la promotion de la stratégie des mutuelles communautaires. Au Burundi, ces mutuelles à base volontaire sont lancées durant les années 2000. Aujourd’hui, le bilan est plutôt maigre : comme dans la très grande majorité des pays africains, ce n’est qu’une infime partie de la population (moins de 1% de la population) qui adhère. Cette couverture très faible a des raisons multiples dont certaines peuvent transparaître dans notre étude.
Et aujourd’hui qu’en est-il ?
La situation contemporaine est ambiguë. D’une part, les ménages restent des contributeurs importants au financement du secteur de la santé (28%, selon les derniers comptes nationaux de la santé de 2010) – mais cela passe surtout par une contribution directe (paiement à la formation sanitaire). En matière d’assurance, la logique de la contribution obligatoire à une caisse commune ne concerne que les salariés. D’autre part, de vrais efforts ont été faits récemment par le gouvernement et ses partenaires extérieurs pour améliorer l’accès aux soins, notamment avec la mise en place de régimes de gratuité des soins. Malheureusement, ces régimes ne sont pas unifiés : chaque donateur cible un problème de santé, choisit un programme et impose sa façon de gérer les ressources. Sur les 25 régimes de financement de la santé (RFS) identifiés dans notre étude, 12 sont financés par les fonds des bailleurs et sont délivrés aux usagers sous forme de don ou de gratuité ; cela représente plus de 80% du financement du Paquet Minimum d’Activités et du Paquet Compléméntaire d’Activités réunis
Au regard de la grande pauvreté qui prévaut au Burundi, cet appui extérieur prédominant reste justifié. Ce qui est plus problématique, c’est bien sa fragmentation. Dans le cadre de l’étude Muskoka, nous avons identifié beaucoup de régimes qui visent les mêmes groupes : ainsi, quatre régimes ciblent les femmes en âge de procréer et trois régimes ciblent les enfants de moins de 5 ans. Nous avons aussi identifié des disparités ; à titre d’exemple, les personnes âgées (à part les anciens fonctionnaires de l’Etat) ne sont couvertes par aucun régime. Les populations des agglomérations urbaines sont privilégiées (avec une diversité d’infrastructures, équipement et ressources humaines qualifiées, …) quand les campagnes ne bénéficient que d’un minimum ou parfois d’aucun service disponible.
Au Burundi, la quasi-totalité des régimes sont sous-financés ou alors le système de remboursement est complexe entraînant des retards de paiement allant de 3 à 6 mois, voire plus. Par exemple, aucun paiement pour la Carte d’Assistance Médicale n’a été fait entre juillet 2013 et juillet 2014. Pour le Financement Basé sur la Performance (FBP) et la gratuité, il n’y a eu aucun paiement entre septembre 2013 et mars 2014 – le budget ayant été épuisé avant d’atteindre la période de la révision budgétaire. Or ces deux modes de paiement représentent aujourd’hui la majeure partie des ressources des formations sanitaires (71% des recettes).
Mais des progrès ont été faits
Même si la marge de manœuvre du Gouvernement pour étendre l’espace fiscal de la santé n’est pas très grande, ces différents efforts on permis de financer une partie du spectre de la protection sociale en santé et d’avoir un niveau de couverture sanitaire universelle estimé aujourd’hui à 50% . Si tous les régimes étaient fusionnés, les régimes volontaires rendus obligatoires et que le soutien des partenaires restait constant, la couverture pourrait atteindre 90% ou plus.
Plusieurs acteurs veulent aller dans ce sens : le Gouvernement et ses partenaires, les ONG, mais aussi des acteurs de la société civile locale comme les organisations religieuses ou les associations de cultivateurs. Certains acteurs ont déjà une expérience avérée dans la gestion de RFS et leur expertise pourrait aider à tendre vers la CSU, c’est notamment le cas de la Mutuelle de la Fonction Publique, la Cellule Technique Nationale du Financement Basé sur la Performance (CTN-FBP) et l’Institut National de sécurité sociale. Sur base de ce qui précède, le Ministère de la Santé a entrepris un processus de mise en place d’une stratégie nationale de financement de la santé en vue de proposer un schéma cohérent. Ce processus a commencé par la mise en place d’un comité de pilotage, puis la réalisation d’une étude sur le financement de la santé au Burundi. Ce travail a grandement nourri notre propre étude ‘Muskoka’ et vice versa.
De la fragmentation vers la couverture santé universelle – fusionner les régimes ?
L’histoire récente montre que trouver des synergies est possible. La combinaison du Financement Basé sur la Performance et la gratuité des soins en faveur des femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans en est la preuve. Les deux RFS, tous deux initiés en 2006 ont évolué d’abord en parallèle. Le passage à l’échelle du FBP en 2010 a donné l'occasion d'intégrer les indicateurs de la gratuité et a démontré que fusionner des régimes conduit à plus d’efficacité.
Depuis 2012, la Carte d’Assistance Médicale a été ajoutée aux deux. Les trois utilisent les mêmes procédures et les mêmes outils de collecte des données et de suivi. Ceci a permis au Ministère de faire le suivi de la mise en œuvre de la CAM sans devoir élaborer de nouveaux outils mais aussi sans mettre en place de nouvelles structures de gestion. En effet, les outils utilisés dans le suivi de la mise en œuvre du PBF et la gratuité ont servi pour le suivi de la mise en œuvre de la CAM (grilles d’évaluation quantitative et qualitative des prestations des structures de soins). Les organes de gestion du PBF et la gratuité (la Cellule Technique Nationale pour le Financement basé sur la Performance, les Comités Provinciaux de Vérification et de Validation mais aussi les structures de soins) ont servi à la gestion de la CAM. Ils font la vente de la Carte CAM, assurent les prestations de soins ainsi que la vérification quantitative et qualitative. Evidemment, s'il fallait continuer dans ce sens, il faudra continuer à privilégier les bonnes pratiques et se défaire des pratiques inefficientes.
Options en cours d’exploration
La récente étude sur le financement de la santé au Burundi a dégagé quatre possibilités pour tendre vers la CSU.
Option 1 : il s’agirait, en trois ans, de fusionner tous les régimes actuels en une Assurance Maladie Obligatoire (AMO). La gestion de celle-ci serait confiée à un acteur unique (une nouvelle agence ?). Cette option demande un leadership fort d’emblée pour conduire les différents acteurs à l’alignement. La création de cet acteur unique du côté de la demande irait de front avec un effort du côté de l’offre.
Option 2 : Il s’agirait de poursuivre le même objectif d’assurance maladie obligatoire, mais en partant de la Carte d’Assurance Maladie (gérée actuellement par le Ministère de la Santé). Cette stratégie, appelée la CAM-élargie, passerait par une intégration du régime des indigents, de la Gratuité et de la Mutuelle de la Fonction Publique dans la CAM. Comme la précédente, cette option garantit l’équité entre les salariés couverts par la mutuelle de la Fonction Publique et le reste de la population utilisant actuellement les autres RFS. C’est une option qui présente l’avantage d’offrir aux personnes couvertes le panier de bénéfices offerts aujourd’hui aux fonctionnaires… Le défi de cette option est son financement et son attractivité, surtout pour les fonctionnaires.
Option 3 : Durant la phase de dialogue nationale sur le financement de la santé, les mutuelles ont plaidé pour que la CSU soit construite à partir des mutuelles communautaires. Cependant, à l’heure actuelle, les mutuelles sont sous financées et ont très peu d’adhérents. Leur gestion est assurée par un personnel peu qualifié avec des méthodes rudimentaires.
Option 4 : Il s’agirait d’offrir à tous une protection sociale élargie, incluant notamment la couverture contre les accidents de travail, l’invalidité, etc . Ce modèle serait mixte avec combinaison de l’initiative de l’Etat, des partenaires et des communautés (à travers les mutuelles et assurances).
Quelle que soit l’option retenue, les défis seront énormes pour un pays aux moyens limités comme le Burundi. Mais on avance : la stratégie nationale de financement est désormais en cours d’élaboration. Elle permettra de déterminer les étapes réalistes pour arriver à la CSU.