Financing Health in Africa - Le blog
  • Home
  • Bloggers
  • Collaborative projects
  • Join our COPs
  • Resources
  • About Us
  • Contact Us

Quand  la participation communautaire rencontre le financement basé sur la performance au Burundi

9/18/2013

7 Commentaires

 
Picture
Jean-Benoît Falisse

Dans le cadre de notre série sur les 25 ans de l'Initiative de Bamako, Jean-Benoît Falisse interviewe le Docteur Canut Nkuzimana, membre de la CoP Financement Basé sur la Performance depuis sa création. Canut a travaillé au Ministère de la Santé du Burundi à la fin des années 1990 avant de rejoindre Cordaid. Il a eu l’occasion de participer à la mise en place des premiers comités de santé (COSA) du Burundi, au développement du financement basé sur la performance (FBP) dans le pays et plus récemment à celui du « FBP communautaire ». Il nous parle de ses expériences.

Jean-Benoît Falisse: Vous avez eu l'occasion de mettre en place des comités de santé dans le sud du Burundi pour le compte de Memisa (futur Cordaid). Comment cela s'est-il passé?

Canut Nkuzimana: En février 2002, quand Memisa me recrute pour piloter son projet de soins de santé primaire à Makamba, la région était encore une zone de guerre. Plus de 40% de la population de la province vivait dans des sites de déplacés intérieurs. Ces sites -des lieux de misère, de maladie et d’abus de toutes sortes- étaient situés autour des centres de santé et des écoles. Certaines de ces institutions avaient d’ailleurs cessé de fonctionner pour n’être plus que des abris pour déplacés de guerre. Dans les centres de santé qui fonctionnaient encore, la gestion était calamiteuse; le staff qualifié avait bien souvent déserté et le personnel gérait le centre comme il l’entendait. Il n’y avait aucun suivi. Mon projet cherchait à relancer les activités dans les centres de santé où la situation le permettait et à mettre en place des postes de soins dans certains sites pour permettre à la population d'avoir un paquet réduit de services: vaccination, planification familiale, services curatifs.

A l’époque, l’OMS et le Ministère de la Santé avaient commencé à promouvoir l'idée d'organiser la population pour qu'elle soit co-gestionnaire des services de santé et le contexte de Makamba nous a fait passer à l’action. La population devait co-gérer l’aide qu’elle recevait. Pour y arriver, des activités de sensibilisation ont été réalisées à l’endroit de l'autorité administrative (pertinence de l'action), de la population (importance de la gestion et de la redevabilité) et du personnel des centres de santé (nécessité de collaborer avec la population). Après ces séances, nous avons organisé, avec l'administration communale et le secteur de santé (district sanitaire: encore secteur de santé dans le temps), une assemblée générale par aire de santé. La population y recevait une explication préalable sur la nature, la mission, la composition et les obligations des COSA avant de l’élire.

Le principe était que chaque colline de l'aire de santé élise elle-même deux personnes (un homme et une femme, de deux flancs différents de la colline) dites intègres, dévouées à leur cause, et qui manifestent la volonté d'être élus pour les représenter au sein du COSA. Une fois les membres élus, ceux-ci mettaient en place un bureau exécutif. Les élections étaient suivies de formations et d’un long processus de suivi. La population était fière de participer à la gestion des centres de santé et cela a été un point de départ pour organiser une participation communautaire effective.

Comment cela a-t-il évolué ?

En 2002, la stratégie de comité de santé est devenue plus évidente et plus facile à mettre en place car (1) la population vivait dans les sites de déplacés et était donc plus facile à réunir, (2) la situation de crise rendait la population particulièrement sensible aux questions de santé et (3) en tant que « bailleur » nous étions plus écoutés par les formations sanitaires et la population. La stratégie communautaire nous permettait aussi de rassembler et de travailler sur la polyvalence et l’intégration des différents agents de santé communautaires qui travaillaient jusque-là en solo, sans financement, et qui n'étaient utilisés que ponctuellement en période d'épidémie. Enfin, en tant que structures de dialogue communautaire, les COSA nous aidaient dans l’identification et le suivi de la prise en charge des personnes vulnérables (indigents) par les centres de santé et les hôpitaux de première référence.

Dès 2006, la gratuité des soins de santé pour les femmes enceintes et les enfants de moins de cinq ans a été mise en place au Burundi. Différentes initiatives de financement basé sur la performance ont également été mises en place à ce moment. Quelle a été la place de la participation communautaire là-dedans?

Sur la gratuité d’abord, le rôle du comité de santé est d'éclairer ces aspects de santé maternelle et infantile et d'informer la population des directives du ministère de santé. C'est le comité de santé qui doit expliquer aux ménages qu'il faut enregistrer les naissances et qu'il faut avoir des documents à présenter au niveau de la structure de santé. Le COSA permet un meilleur suivi, de voir si le système est équitable, si tous sont couverts; il défend les droits du bénéficiaire dans l'aire de santé.

Au niveau du FBP, l’interaction communautaire se fait à trois niveaux. D’abord le COSA est co-gestionnaire et participe à l'élaboration du plan d'action du centre de santé, lequel est l'outil de négociation du contrat. Ensuite, il y a la mise en place d’un système de contractualisation des agents de santé communautaire. Enfin, le système FBP va contracter des associations locales pour participer à l’audit des formations sanitaires (évaluation communautaire).

Aujourd'hui, on parle au Burundi de FBP communautaire, est-ce que vous pouvez nous expliquer ce que c'est?

A l'instar du FBP dit ‘clinique’ qui subventionne les services prestés par les  formations sanitaires, le FBP communautaire subventionne les résultats des agents de santé communautaires organisés. Les activités de ces agents se font sur 3 aspects: la sensibilisation de la population pour l'utilisation des services; la récupération des abandons (vaccination, tuberculose, ARV, etc.) et l'offre de services par les distributions (moustiquaires, méthodes contraceptives, etc.) (voir tableau ci-dessous, taux de change: 1 $ = 1530 FBU).

Paquet Indicateur Tarif (FBU)
Référence communautaire Client Conseil et Dépistage Volontaire (CDV) référé 500
Cas de fièvre référé 100
Cas de malnutrition dépisté et référé 500
Femme enceinte référée pour accouchement 1 500
Client Planification Familiale (PF) référé 700
Femme enceinte référée pour Consultation Prénatale (CPN) 200
Mère référée pour Consultation Postnatale (CPoN) 200
Recherche d’abandons Cas traitement Antirétroviral (ARV) perdu de vu récupéré 13 000
Cas Prévention de la Transmission Mère-Enfant (PTME) perdu de vu récupéré 13 000
Cas d'abandon du Programme Elargi de Vaccination (PEV) récupéré 800
Tuberculose Suspect confirmé par le Centre de Dépistage et de Traitement (CDT) 1 000
Suspect confirmé et positif 3 000
Examen de contrôle (C2, C5, C6, C8) 500
Approvisionnement en médicaments antituberculeux (par mois) 1 000
Tuberculeux déclaré guéri 5 000
Malade accompagné au CDT pour effets secondaires des antituberculeux 2 000
Sensibilisation Visites à domicile (10 par mois max.) 8 000
Séances de sensibilisation (10 par mois max.) 4 000

Tout cela va dans le sens de la politique de santé communautaire nouvellement élaborée par le ministère de la santé. Le centre de santé, en tant que structure de premier contact, n'était pas en mesure de fournir tous les services à la population et il fallait donc déléguer un certain nombre d'activités aux agents de santé communautaires.

Cela ne demande pas tellement de formation et l'agent de santé communautaire peut aussi être mis à contribution pour d’autres choses et décharger ainsi le centre de santé. Il peut par exemple donner l'information sur l'évolution des cas (par exemple dans le suivi du traitement de la tuberculose à la deuxième phase) et, dans certains cas, aussi contribuer à la référence en cas de complications.

Certains voient l'utilisation d'agents communautaires payés (le modèle FBP communautaire en quelques sortes) comme une forme réduite de participation communautaire où les agents sont en quelques sortes "instrumentalisés"? Qu'en pensez-vous?

J'ai un avis contraire. Il faut partir du contexte et de la mission que l'on veut confier aux acteurs communautaires. Dans un contexte de crise identitaire et économique, certaines questions d'éthiques doivent être abordées de façon spécifique. Le bénévolat n'a apporté de solutions nulle part. Si le prestataire de soins est rémunéré, pourquoi son sous-traitant qui est l'association des agents de santé communautaire ne le serait pas également? C'est une question d'équité. Beaucoup de gens travaillaient au niveau communautaire (d’ailleurs souvent avec des cadeaux) et c’était assez cacophonique. On trouvait des agents de santé communautaire formés par les intervenants, des accoucheuses traditionnelles et des pairs éducateurs formés par d’autres projets. Il fallait rationaliser et mettre à profit tout cela. C’est ce que nous avons fait avec le FBP communautaire qui incitait ces acteurs à se rassembler en associations. Ces associations n’ont progressivement gardé que les meilleurs et les plus motivés des agents de santé. Une vraie dynamique s’est installée et ces associations deviennent maintenant des références au niveau de la communauté et sont engagées dans son développement, parfois au-delà de la santé.

Ce système renforce le niveau communautaire du système de santé du Burundi. On a en effet senti les limites du système quand la communauté n'est pas impliquée. Il n'y a pas moyen de développer les activités promotionnelles sans impliquer la communauté. Grâce aux agents de santé communautaire, le centre de santé dispose d'un relais au niveau communautaire. Maintenant, il est certain qu’en finançant l'agent de santé communautaire, on doit prendre aussi des précautions afin qu'il ne se crée pas une confrontation, une jalousie entre le centre de santé et l'agent de santé communautaire. L'agent de santé communautaire ne devient pas pour autant un fonctionnaire. Il faut que les prestations qui sont offertes soient ponctuelles et qu'elles soient aussi rémunérées en fonction de la réalité des conditions de vie du burundais (le salaire d’un burundais qui travaille à la houe est de 2000BIF/jour).

Picture
Est-ce que les limites du bénévolat ne s'appliquent pas aussi pour  les comités de santé ?

Pour les comités de santé aussi, le bénévolat a été en quelque sorte surmonté à travers la mise en œuvre du FBP. Nous avons senti que  si le centre de santé rémunère les prestations des membres du comité de santé, ce comité de santé n'aura plus de valeur représentative pour la population qui l'a élu. Donc, il a été imaginé une formule qui recommande aux structures de santé de contribuer au fonctionnement du comité de santé par un apport de 5% pourcent de ce qu'elles reçoivent en FBP. Le montant qui est donné n’est pas une prime, c’est un apport au fonctionnement. Le COSA peut s’acheter des stylos, du papier, des classeurs pour son fonctionnement. Et s'il faut payer une boisson le jour des réunions, c'est à eux d'apprécier. Les recettes qui sont générées au niveau du centre de santé sont en quelques sortes un apport de la communauté  à son financement et il est donc logique qu’une partie de celles-ci servent au bon fonctionnement de l’appareil de co-gestion communautaire du centre de santé. 

                                                                                                                                                                                                                                                                                    
Est-ce que la participation communautaire dans la santé a un avenir dans la région des Grands Lacs?

Oui, mais ça passe d’abord par la paix. Sans elle, difficile de continuer à travailler avec les communautés dans la durée. Dans le même temps, dans le contexte qui est le nôtre, l’approche communautaire donne une chance de rapprocher les populations, de les unir autour d'une même vision, d'un intérêt commun. A travers le FBP communautaire, il y a même une possibilité d’injecter un peu de fonds et de forme au niveau de la communauté. Une communauté qui est occupée, qui a du travail, qui a un intérêt commun, est beaucoup moins manipulable. La seconde condition est que le système de santé appréhende les besoins et réserve dans sa planification un financement pour ce  niveau. Il faut en effet organiser des formations cadrées pour ces acteurs communautaires.

7 Commentaires

Participation communautaire en Afrique: "ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie" - Entretien avec Fred Golooba-Mutebi.

5/17/2013

4 Commentaires

 
Picture
25 ans après l'Initiative de Bamako, nous continuons notre exploration de la participation communautaire en Afrique. Le Dr. Frederick Golooba-Mutebi est politologue, il est Senior Research Fellow à l'École de l'Environnement et du Développement de l'Université de Manchester et chercheur associé au Programme sur la Politique Energétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute de Londres. Il a publié de nombreux articles sur le système de santé et la gouvernance locale, avec une concentration particulière sur l'Ouganda, le Rwanda, le Sud Soudan et l’Afrique du Sud.

Jean-Benoît Falisse: Vous avez travaillé sur les questions de participation communautaire depuis quelques années maintenant. Qu’est ce qui a déclenché votre intérêt pour ce sujet?

Fred Golooba-Mutebi:
Mon intérêt découle de la connaissance que j'avais de la façon dont la société dans laquelle je suis né fonctionne. En ayant grandi dans cette société, je savais à peu près comment les gens ressentaient et pensaient différentes choses. Un aspect clé de la participation est qu'elle suppose que les communautés, où qu'elles se trouvent, on toujours envie de s'affirmer vis-à-vis de leur dirigeants ou de personnes en position de pouvoir et d'autorité. Ma propre société est très hiérarchisée. Les gens traitent généralement leurs leaders avec déférence. Même lorsque l'on ne respecte pas un leader ou que l’on a un problème avec lui, on est plus susceptible d'éviter ce leader que de l’affronter. L'idée de la participation, avec des gens qui demandent des comptes à leurs dirigeants, est donc une proposition difficile. Traditionnellement, les dirigeants locaux ne rendaient pas directement compte à la communauté. Ils rendaient compte à leurs chefs, aux supérieurs de ceux-ci, et finalement au roi. En des temps éloignés (durant la période précoloniale), avant que la région où je suis né ne devienne plus peuplée, les gens pouvaient facilement déménager d'une région à l'autre. Cette possibilité leur permettait de quitter les zones présidées par des dirigeants qu'ils n'aimaient pour aller dans des zones avec des dirigeants qui avaient la réputation d'être bon. Pour un dirigeant, la conséquence d’être rejeté par la population qui avait « voté avec ses pieds » était souvent d’être finalement destitué par le roi. En bref, ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie de la participation populaire. Cela a déclenché chez moi un intérêt pour moi pour étudier dans quelle mesure cette participation restait possible. J'ai trouvé que cela ne l’était pas vraiment. Qu'on le veuille ou non, les traditions et les manières de voir et de faire les choses vivent très longtemps.

La participation communautaire est un principe clé de l'Initiative de Bamako. Aujourd'hui, il semble que l'Initiative de Bamako n'a pas atteint ses objectifs. Quelles en sont les principales raisons d’après vous?

Il y a plusieurs raisons. La première est que la prestation de services en matière de soins de santé échoue en raison de facteurs qui vont bien au-delà de ce à quoi la participation peut répondre ou de ce qu’elle peut rectifier. Je pense par exemple à la disponibilité des médicaments et des ressources humaines dans les zones rurales et à la supervision professionnelle nécessaire à la prestation des soins selon les normes établies. L'idée de vouloir «capturer» pour le secteur public l’argent que les gens dépensaient dans les prestations privées était une bonne chose. Cependant, la faiblesse de l’Initiative de Bamako réside dans l'hypothèse que les gens seraient autant disposés à payer pour des soins dans les établissements publics que dans des établissements privés. L’expérience en Ouganda a montré que ce n'était certainement pas le cas. Pour beaucoup de gens pauvres, payer pour les soins dans les établissements publics en plus de payer des impôts était une contradiction dans les termes. « Pourquoi payer des impôts et ensuite payer pour des services publics? » Les gens savaient que la vocation des propriétaires d'établissements privés était de «faire des affaires» et donc de faire un profit, mais l'idée que les établissements publics fassent de même était en conflit avec la compréhension de beaucoup de gens de ce que les gouvernements sont censés faire, qui est de fournir des services de soins de santé gratuits. Plutôt que de payer pour des services publics de qualité inférieure, les gens préfèrent naturellement une prestation privée de meilleure qualité et plus réactive. La prolifération des établissements privés de toutes sortes rend la possibilité de «sortir» (exit) de l'offre publique assez facile. Sur les marchés de la santé peu réglementés des pays pauvres, les prestataires privés sont plus qu'heureux de fournir à leurs clients les services qu'ils veulent, pas nécessairement ceux dont ils ont besoin. Dans les années 1990, Susan Reynolds Whyte a constaté que, dans les régions rurales en Ouganda, les gens pouvaient se présenter dans les « pharmacies » et demander ce qu'ils voulaient comme médicaments, dans les proportions qu'ils s'étaient fixés, et en cohérence avec le montant d'argent qu'ils avaient. L'Initiative de Bamako est donc en deçà de ses aspirations parce qu'elle était fondée sur des présomptions plausibles mais discutables.

Pourquoi des propositions de participation communautaires telle que l'Initiative de Bamako apparaissent-elles à la fin des années 80 '? Pourraient / devraient elles avoir été conçues différemment?

Ces initiatives sont apparues au moment où il y avait un besoin urgent de changement. L'offre publique de services de santé dans la plupart des pays en développement était catastrophique. Il y avait une nécessité d'une réflexion radicale, de trouver les moyens d'aboutir à une amélioration. Oui, ces stratégies auraient pu être conçues différemment. Le principal problème, pour autant que je le comprenne, était l’approche « one-size-fits-all » (« taille unique »), suivant laquelle des initiatives de développement sont introduites dans tous les pays de la même façon, sans égard à aucune considération contextuelle. Clairement, chaque pays est différent, et tous les pays ne peuvent pas suivre le même chemin, dans les mêmes voies prédéterminées et promues par l'industrie du développement. Chaque pays devrait essayer de faire ce qui convient à son contexte plutôt que de s’aligner sur les soi-disant «bonnes pratiques». Si des pays comme le Rwanda ont eu plus de succès que d'autres dans la réforme de leurs systèmes de santé et de leur économie, c'est parce que, comme la recherche du Programme politique énergétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute l’a découvert, ils ont choisi le « meilleur ajustement » (best fit) plutôt que pour les « meilleures pratiques » (best practices). Ces expériences nous fournissent des arguments pour remettre en cause la tendance au sein de l'industrie du développement à promouvoir des solutions universalistes aux problèmes de développement et de gouvernance.

Vous avez été une voix critique de la participation communautaire et vous venez d'Ouganda - contrairement à un bon nombre d'éminents chercheurs sur la participation de la communauté qui viennent de l'Amérique du Nord / Europe de l'Ouest. Pensez-vous qu'il y a une "doxa" (occidentale) de la participation communautaire? Était-ce surtout une lubie des bailleurs de fonds?

Comme je l'ai dit au début, mon scepticisme quant à la participation découle de ma compréhension de la façon dont la communauté dans laquelle je suis né et ai grandi fonctionne, et comment des choses telles que le leadership y sont comprises. Il n'a jamais été tiré d’une théorisation de ce qui est bon pour les communautés pauvres. Le problème avec l'industrie du développement est qu'elle est dominée par des théoriciens dont la compréhension du monde ou des mondes qu'ils veulent changer ou améliorer est limitée et informée par des visites de courte durée et dans par des interactions superficielles avec les personnes dont ils veulent améliorer l’existence. Il me semble que le problème est vraiment le libéralisme naïf des étrangers bien intentionnés mais mal orientés qui travaillent avec des initiés locaux (des insiders) qui sont trop disposés à jouer le jeu sans se poser de sérieuses questions. À mon avis, les Rwandais sont vraiment dans le bon en refusant d'être traînés/accompagnés de force, en remettant en question et en rejetant ce qu'ils croient ne fonctionnera pas pour eux et en choisissant ce qui fonctionne pour eux.

Pensez-vous qu'il serait judicieux d'envisager d'utiliser des mécanismes de participation communautaire en Amérique du Nord / Europe de l'Ouest?

Je ne le pense pas. Les mécanismes participatifs exigent beaucoup de temps des gens. Vous ne pouvez pas attendre des gens dans une communauté qu’ils organisent toutes ces réunions et prennent toutes les décisions; quel temps leur reste-t-il pour vivre? J'ai vécu en Europe. Je n'ai jamais été assis dans une seule réunion communautaire et si quelqu'un avait exigé moi d'assister à autant de réunions que ce que l’on demande à ma mère dans notre village en Ouganda, je n'aurais jamais eu le temps de le faire. Ma mère assiste à très peu de réunions pour les mêmes raisons.  Dans les quartiers de Londres où j'ai vécu, les services fonctionnaient parce que le Royaume-Uni dispose d'un Etat qui  fonctionne. C'est de cela que l'Afrique et le monde en développement a besoin, et non de la participation communautaire. Cela ne veut pas dire que la participation n'a pas de valeur. Elle peut renforcer un Etat solide dans lequel les gens peuvent se lever et exprimer leur mécontentement quand ils le jugent nécessaire. Cela ne peut marcher que dans un contexte où l'Etat est réactif. Sinon, les gens ne voient pas de raison de s'engager dans une action citoyenne qui ne donne aucun résultat.

Si je comprends bien, la participation communautaire dans les services sociaux en Ouganda a également été très fortement encouragée par l'Etat. Quelle en était la raison? Est-ce que cela n’a pas un peu plus affaibli l'Etat?


En tant que mode de développement, la participation a coïncidé avec la montée en puissance du Mouvement de résistance nationale (NRM). La direction du NRM avait testé l'intérêt des citoyens à participer à la prise de décision pendant la guerre civile quand ils ont organisé les citoyens en conseils locaux afin de leur permettre de prendre en main des choses telles que la sécurité ou le recrutement de soldats dans les zones qu’ils contrôlaient. Ces arrangements ont assez bien fonctionné et le NRM a cherché à les appliquer à la gouvernance d'après-guerre, une fois qu'il a pris le pouvoir. Le fait que ces arrangements offraient une fenêtre d’opportunité pour pénétrer les campagnes, saper les structures traditionnelles d’autorité, et renforcer leur Etat central n’est pas étranger au choix de cette stratégie. En outre, la prise du pouvoir du NRM coïncide avec la période du début de l'après-guerre froide quand la démocratisation et l'accompagnement des phénomènes tels que la décentralisation étaient à l'ordre du jour des donateurs. En ce sens, il y avait une coïncidence d'intérêts entre la direction du NRM et la communauté des donateurs. Deux décennies plus tard, nous savons qu'il y a eu beaucoup de naïveté en supposant que les gens ordinaires voulaient et étaient capables de surveiller leurs dirigeants et de diriger leurs services de base. Je ne pense pas que la participation affaiblit l'Etat, c’est plutôt qu’elle ne fait rien pour renforcer des Etats déjà faibles. Elle a permis à certains gouvernements de se soustraire à leurs responsabilités de faire fonctionner les choses et à mettre la charge sur ses citoyens qui ne possédaient ni l'envie ni la capacité pour le faire.

Dans un article récent, vous affirmez que «la coordination et la supervision verticale et horizontale et la solidité de la mise en place effective de mécanismes de rendre compte» sont les clés de la prestation efficace des services sociaux. Quel est exactement le rôle des communautés là-bas? Quel est l'avenir de la participation communautaire dans la prestation des services sociaux?

Oui, en effet, ce sont les clefs à mon avis. Les communautés devraient avoir des moyens par lesquels elles peuvent mettre la pression sur leurs dirigeants si elles jugent que c’est la chose à faire ce moment. Cela pourrait se produire si, par exemple, elles trouvent que la qualité de la prestation de service est en dessous de leurs attentes. Pour ce faire, des campagnes de sensibilisation doivent être organisées afin de s'assurer que les gens connaissent leurs droits. C'est plus ou moins la situation dans les démocraties occidentales. Les gens ne sont pas obligés - et je dis bien obligés - de participer à la prise de décision à l'échelle où les gens dans les pays pauvres le sont. Toutefois, lorsque les dirigeants prennent des décisions qu'ils jugent inacceptables, ils ont le droit de manifester ou de s'engager dans des formes d'action citoyenne qui leur permettent de transmettre leur message ou messages à ceux à qui ils sont destinés. Cependant, il ne faut pas s'attendre à ce que le changement survienne du jour au lendemain. Le genre de militantisme que nous voyons dans les démocraties avancées s’est enraciné dans de longues périodes de temps.

Il me semble que la participation populaire est rarement considérée comme un acte politique. De votre recherche et d'expérience, diriez-vous que la participation populaire est un acte politique?

Si nous sommes d'accord que la participation est destinée à influencer la prise de décision et dans un même sens l'allocation des ressources, alors il s'agit de faire un choix entre ou parmi des idées concurrentes. C’est donc un acte politique. C'est dans un sens aussi une des raisons pour lesquelles la participation populaire est une proposition difficile dans des contextes où les relations entre les dirigeants et le peuple qu'ils dirigent sont très hiérarchisée et n'entraînent pas de confrontation directe ou de contestation.


4 Commentaires

    Our websites

    Photo
    Photo
    Photo

    We like them...

    SINA-Health
    International Health Policies
    CGD

    Archives

    Septembre 2019
    Juin 2019
    Avril 2019
    Mars 2019
    Mai 2018
    Avril 2018
    Mars 2018
    Février 2018
    Janvier 2018
    Décembre 2017
    Octobre 2017
    Septembre 2017
    Août 2017
    Juillet 2017
    Juin 2017
    Mai 2017
    Avril 2017
    Mars 2017
    Février 2017
    Janvier 2017
    Décembre 2016
    Novembre 2016
    Octobre 2016
    Septembre 2016
    Août 2016
    Juillet 2016
    Avril 2016
    Mars 2016
    Février 2016
    Janvier 2016
    Décembre 2015
    Novembre 2015
    Octobre 2015
    Septembre 2015
    Août 2015
    Juillet 2015
    Juin 2015
    Mai 2015
    Avril 2015
    Mars 2015
    Février 2015
    Janvier 2015
    Décembre 2014
    Octobre 2014
    Septembre 2014
    Juillet 2014
    Juin 2014
    Mai 2014
    Avril 2014
    Mars 2014
    Février 2014
    Janvier 2014
    Décembre 2013
    Novembre 2013
    Octobre 2013
    Septembre 2013
    Août 2013
    Juillet 2013
    Juin 2013
    Mai 2013
    Avril 2013
    Mars 2013
    Février 2013
    Janvier 2013
    Décembre 2012
    Novembre 2012
    Octobre 2012
    Septembre 2012
    Août 2012
    Juillet 2012
    Juin 2012
    Mai 2012
    Avril 2012
    Mars 2012
    Février 2012
    Janvier 2012
    Décembre 2011
    Novembre 2011
    Octobre 2011

    Tags

    Tout
    2012
    Accountability
    Aid
    Alex Ergo
    Assurance Maladie
    Bad
    Bamako Initiative
    Bénin
    Bruno Meessen
    Burkina Faso
    Burundi
    Civil Society
    Communauteacute-de-pratique
    Communauté De Pratique
    Community Of Practice
    Community Participation
    Conference
    Cop
    Course
    Couverture Universelle
    CSU
    Déclaration De Harare
    Divine Ikenwilo
    Dr Congo
    économie Politique
    élections
    équité
    Equity
    Fbp
    Financement Basé Sur Les Résultats
    Financement Public
    Fragilité
    Fragility
    Free Health Care
    Global Fund
    Global Health Governance
    Gratuité
    Gratuité
    Health Equity Fund
    Health Insurance
    ICT
    Identification Des Pauvres
    Isidore Sieleunou
    Jb Falisse
    Jurrien Toonen
    Kenya
    Knowledge-management
    Kouamé
    Leadership
    Mali
    Management
    Maroc
    Maternal And Child Health
    Médicaments
    Mise En Oeuvre
    Mutuelle
    National Health Accounts
    Ngo
    Niger
    Omd
    OMS
    Parlement
    Participation Communautaire
    Pba
    Pbf
    Plaidoyer
    Policy Process
    Politique
    Politique De Gratuité
    Politique De Gratuité
    Post Conflit
    Post-conflit
    Private Sector
    Processus Politique
    Qualité Des Soins
    Qualité Des Soins
    Quality Of Care
    Recherche
    Redevabilité
    Reform
    Réforme
    Research
    Results Based Financing
    Rwanda
    Santé Maternelle
    Secteur Privé
    Sénégal
    Société Civile
    Uganda
    Universal Health Coverage
    User Fee Removal
    Voeux 2012
    Voucher
    WHO

Powered by Create your own unique website with customizable templates.