Le thème, cette année, de la 20e Conférence du-Prince Mahidol Award (PMAC en anglais) était: «Vers la Couverture Maladie Universelle - les questions du financement de la santé". La conférence qui a duré 5 jours comptait 48 séances - dont une sur le Financement Basé sur le Résultat. Il y avait tellement de choses dans le programme de cet événement à Bangkok, qu’il était impossible d'assister à tout. Je vais donc me limiter à quelques observations générales sur la Couverture Maladie Universelle (CMU) et ce qui pourrait avoir un intérêt pour les FBP/R (Financement Basé sur la Performance / les Résultats).
Ce qui est à la mode - et ce qui ne l'est plus
L’expérience de la Thaïlande a bien sûr été mise en exergue : la CMU a grandement progressé dans ce pays au cours des 10 dernières années - c'est en fait une des grandes réussites au niveau mondial. Tout au long de la conférence, l’état d’esprit parmi les congressistes était du type «La CMU – Yes we can" avec une CMU promue comme quelque chose qui peut être atteinte par tous les pays. On a eu l'impression – comme clamé par plusieurs orateurs - que nous sommes désormais passés sur l'ordre du jour de la conférence de Rio. On laisserait donc tomber l'agenda de l'éradication de la pauvreté et les Objectifs Millénaires de Développement (qui auraient eu leur heure de gloire) pour l'agenda du développement durable. Dans ce grand carroussel des idées, même le renforcement des systèmes de santé ne semble plus à la mode pour certains acteurs - comme l'a observé le Dr Hercot sur le blog IHP (vous pouvez également accéder à son texte sur le site Universal Healh Coverage Forward qui a été lancé par R4D la même semaine que la conférence PMAC).
Même si la CMU est le nouveau sujet «chaud », il y a encore pas mal de discussion sur ce qu'elle est et ce qu'elle n'est pas. La CMU partage un air de famille avec "la santé pour tous", qui était le slogan de la Conférence d'Alma-Ata en 1978, mais la stratégie est aussi différente. Selon la définition de l'OMS, la CMU vise à rendre les soins de santé disponibles à 100% de la population, à assurer l'augmentation du paquet de soins de santé aux soins essentiels, tout en les rendant financièrement accessibles.
Bien sûr, les questions du financement de la santé importent, mais beaucoup de participants de PMAC ont soulevé la question de l'équité, qui devrait être mieux ancrée dans la CMU. Tim Evans de l'Université BRAC a défini la CMU comme "l'intolérance aux inégalités en matière de soins de santé - la fin de l'injustice qu'un trop grand nombre n’ait pas accès aux soins". En outre, la CMU semble ne s’inquièter que des services de santé, voilà bien peu d'égard pour ce que nous avons appris ces dernières décennies : l'amélioration de l'état de santé ne dépend pas seulement des services de santé mais aussi des déterminants socio-économiques de la santé (éducation, eau et assainissement , la nutrition, ...). De cela, on a bien peu discuté à Bangkok.
Est-ce que PBF restera encore ‘branché’ avec la montée en puissance de l'agenda de la couverture maladie universelle?
Une grande partie des discussions sur la CMU portait sur le fait que les pays doivent augmenter leurs dépenses de santé. Cela est une belle idée, mais nous savons par expérience que dans de nombreux pays cela n'est pas et ne sera pas possible. Ok, la Thaïlande a prouvé qu'il est possible d'atteindre CMU dans un pays à revenu intermédiaire, mais une première question serait : peut-on y arriver dans de nombreux autres pays? L'assurance-maladie a été largement discuté à PMAC, car elle a le potentiel de mobiliser des ressources supplémentaires pour le secteur, mais aussi de fournir une protection sociale et d'augmenter l'accessibilité financière. Toutefois, en ce qui concerne le financement de la santé on a relativement peu parlé de favoriser la maîtrise des coûts en améliorant l'efficacité et l’efficience, en luttant contre la fraude et la corruption, en réaffectant des ressources existantes, et en augmentant la performance des ressources humaines. Eviter le gaspillage des ressources dans le système est ce qu’il y a à faire en priorité si on ne peut augmenter les dépenses d’un pays pour la santé.
Si la CMU se substitue à « la mode de la semaine dernière » (les OMD), sera-ce une bonne ou de mauvaise nouvelle pour le FBP/R? Il se pourrait que la CMU permette de sauver le FBP/R de sa focalisation trop pointue sur les OMD (et donc ses effets pervers). La CMU met aussi l'accent un peu plus sur le niveau où les résultats sont produits: au niveau opérationnel. L'appel à un financement accru pour la santé était fort à Bangkok, mais la CMU ne doit pas s'arrêter à accroître l'accessibilité géographique et financière. Que ce soit dans la réalisation des OMD ou de la CMU (pour ne citer que ceux-là), nous devons nous rappeler que le véritable défi est l'organisation des services et structures de santé de manière efficiente, afin que les patients puissent les utiliser. Ici le FBP/R peut jouer un rôle clé. Le FBP/R a le potentiel de rendre les services plus coût-efficace, en incitant le personnel de santé à fournir plus de "santé pour notre argent" avec les ressources existantes (financières et humaines). Il peut permettre aux personnels de s’attaquer aux goulots d'étranglement qu'ils connaissent bien, mais qu’ils ne peuvent résoudre parce qu'ils sont gênés par des lignes budgétaires fondées sur les intrants. Ainsi donc, le FBP/R peut jouer un rôle très important dans la CMU, mais seulement si nous nous assurons que de la preuve scientifique impartiale, solide et approfondie soit rassemblée.
Cette preuve est nécessaire tout d'abord pour convaincre ceux qui hésitent encore. Lors de la session FBP/R à PMAC, une revue de la littérature scientifique nous a été présentée. Elle a montré que les données probantes sont encore limitées, et une autre revue (sur le Paiement à la Performance dans les pays de l'OCDE) a montré que le plus souvent, ce dernier causait des distorsions. Le Dr Kutzin de l'OMS a même mentionné que la liste des échecs du FBP/R est plus longue que la liste de ses succès.(1)
Donc, si la pratique nous a appris que le FBP/R fonctionne dans de nombreux contextes, nous devons recueillir des preuves pour trouver ce qui fonctionne (ou ne marche pas!), les raisons sous-jacentes, et utiliser ces éléments de preuve. Pour convaincre les bailleurs de fonds, mais plus fondamentalement pour renforcer l'approche FBP/R en elle-même. Je vous invite tous à être assez courageux pour défier les croyances FBP/R et les étudier de façon critique, afin de s'assurer que le FBP/R ne sera pas une autre mode chez les bailleurs de fonds. Car les modes passent et si l’intérêt pour le FBP/R s’étiole, il nous faudra à nouveau nous mobiliser sur un nouvel air : après ceux d’Alma-Ata, de l'Initative de Bamako, du Rapport du Développement Mondial de 1993, des OMD, et ....... de la CMU?
Traduction : Denise Aplogan, Longin Gashubije & Emmanuel Ngabire
Note :
(1) La version anglaise de ce texte a été commentée par plusieurs lecteurs, dont Joe Kutzin qui a signalé que cette formule lui était erronément attribuée.