Financing Health in Africa - Le blog
  • Home
  • Bloggers
  • Collaborative projects
  • Join our COPs
  • Resources
  • About Us
  • Contact Us

Un Fonds mondial pour la santé: vers une responsabilité véritablement partagée

3/13/2014

1 Commentaire

 
Isidore Sieleunou

Dans un document de travail récent du Chatham House, Gorik Ooms (IMT) et Rachel Hammonds (IMT) ont exploré si un Fonds mondial pour la santé était une option réaliste à moyen / long terme, à la fois du point de vue des pays «donateurs» et «partenaires ». Isidore Sieleunou a eu un entretien avec le premier auteur. Gorik zoome sur certains des messages clés, les compromis politiques inhérents et les conséquences.

Votre papier est opportun, en ce moment où le débat sur le financement durable de la santé (post-2015) prend de l'ampleur (voir par exemple le thème de la prochaine conférence du PMAC: "Santé Mondiale après 2015: accélérer l’équité"). Pouvez-vous résumer les messages clés du papier?

Un Fonds mondial pour la santé améliorerait considérablement l'efficacité de l'aide internationale pour la santé, en particulier parce que cela accroîtrait la prévisibilité de l'aide sur le long terme, ce qui est essentiel pour l'aide internationale, y compris la planification à long terme.

Il y a des inconvénients pour les pays récipiendaires de l'aide: par son ‘pouvoir de marché’, un Fonds mondial pour la santé serait en mesure d'imposer des conditions que ne peuvent pas imposer une multitude de «donateurs». Mais les avantages l'emportent sur les inconvénients. Comparez-le avec la différence entre la charité et la protection sociale: vous n'avez pas besoin d'être membre de quoi que ce soit pour recevoir la charité, mais vous ne pouvez pas compter sur la charité; pour être inclus dans un régime de protection sociale, vous devez remplir certaines conditions, ce qui peut être gênant.      

Vous soulignez que l'intérêt politique d'un Fonds mondial pour la santé peut provenir d'un coin inattendu - plus particulièrement, vous voyez le problème du réchauffement climatique comme une bonne occasion. Pourriez-vous nous dire pourquoi le changement climatique pourrait aider les pays à se rallier derrière un Fonds mondial pour la santé?

Le changement climatique modifie la nature de la relation entre les pays. Les OMD portent sur la réduction de la pauvreté – ce qui divise le monde en donneurs et receveurs. Les ODD (objectifs du développement durable) sont en lien avec ​​le changement climatique, qui affecte tous les pays et exige des efforts de tous les pays.

En dépit de l'urgence du défi climatique, la priorité pour les pays en développement reste le développement et la réduction de la pauvreté. L’atténuation du changement climatique semble être une idée farfelue pour la plupart des dirigeants africains. Gardant à l'esprit la priorité relativement faible du changement climatique pour les dirigeants africains, qu’est-ce qui vous fait penser que relier un Fond Mondial pour la santé au changement climatique pourrait changer le jeu dans les négociations politiques pour la période post-2015?

Précisément parce que le défi climatique est une priorité plus élevée pour les pays les plus riches, il met les pays pauvres dans une position de négociation plus forte. Ils peuvent dire: "Si vous voulez une responsabilité partagée pour la durabilité de l'environnement, vous devrez accepter la responsabilité partagée de la durabilité sociale. Nos électeurs n’accepteront aucun accord mondial sur le changement climatique pouvant avoir un impact négatif sur notre croissance économique s'il n'y a pas de compensation ".

Pensez-vous qu’il y ait beaucoup de ‘preneurs’ dans les pays du Sud pour un tel mécanisme de solidarité sociale dans le monde, avec les pays qui auront besoin d'argent sur ​​une base permanente, au moins pour quelques décennies? Autrement dit, même si vous estimez que les pays passent de statut de bénéficiaire à celui de donateur (ou même pour les bénéficiaires qui deviennent des «bailleurs de fonds» parce que mettant un petit montant dans le Fond), on aura toujours des pays qui resteront principalement des bailleurs de fonds tandis que d'autres seront essentiellement bénéficiaires. Comment voyez-vous cette idée de l'ajustement de l'aide permanente avec l’idée que maintenant que de plus en plus de pays africains disent qu'ils veulent, à moyen terme, se débarrasser de l'aide au développement, car ils estiment qu'elle est condescendante et les maintient dans une relation de dépendance?

Je peux facilement comprendre la réticence des pays du Sud. Jusqu'à présent, l'aide internationale a été comme un organisme de bienfaisance. Si j’étais en position d'être dépendant de la charité, ma première ambition serait d'être dans une position où je n'aurais plus besoin de la charité.

Mais ma question aux dirigeants des pays du Sud serait: «Comment voulez-vous vous comporter lorsque vous aurez terminé votre dépendance à l'aide? Voulez-vous vous comporter comme les pays les plus riches le font aujourd'hui, et distribuer la charité, ou allez-vous viser quelque chose de mieux, comme la protection sociale mondiale? "Je pense que l'idée de la protection sociale dans le monde s'intègre très bien avec le concept africain de Ubuntu.

Jusqu’ici les chiffres et les estimations ne reflètent que la première étape de la transformation de la charité globale vers la protection sociale au niveau mondial. Je pense que nous devrions passer très rapidement à un régime sous lequel tous les pays contribuent progressivement - la différence entre les deux est illustrée par l'annexe 1 et l'annexe 2.

Dans le contexte géopolitique actuel, comment jugez-vous l'attractivité d’un «Fond mondial pour la santé» pour les pays ‘BRICS’ (Brésil, Russie Inde, Chine et Afrique du Sud)?

Il existe une pression croissante dans les pays ‘BRICS’ pour l’accroissement de la protection sociale - et donc d'augmenter la fiscalité nécessaire pour financer la protection sociale. Ce n'est pas facile, en raison de la concurrence fiscale entre les pays: les pays veulent garder une assez faible imposition pour attirer les investissements. Un fond mondial pour la santé n’organiserait pas seulement des transferts, il fixerait des objectifs pour les niveaux de protection sociale nationaux, et cela permettrait d'atténuer la concurrence fiscale, ce qui est attrayant pour les pays qui souhaitent augmenter le niveau de protection sociale, mais seulement si leurs 'rivaux' économiques en font de même.

En outre, il y a différentes idées pour financer un Fond Mondial pour la santé. Simon Caney - professeur de théorie politique et justice sociale mondiale à Oxford - propose de distribuer les droits mondiaux d'émission par un mécanisme d'enchères. Les pays ou les entreprises qui sont les plus en mesure de «transformer» les émissions de gaz à effet de serre en avantages économiques seraient prêts à payer le prix fort. Le procédé pourrait financer un fond « environnement vert et social », y compris un fonds mondial pour la santé. Ce pourrait être beaucoup plus attrayant pour les pays BRICS que les plafonds d'émission par pays qui sont actuellement sur ​​la table de négociation.

Un certain nombre de bailleurs de fonds et acteurs internationaux soutiennent que l'idée d'un Fond mondial pour la santé reste une approche plutôt monopolistique. La compétition des idées, des mécanismes de financement et des produits, conduisent souvent à de meilleurs résultats, disent-ils. Que répondriez-vous à eux? Pensez-vous qu’un Fond Mondial pour la santé pourrait affecter la qualité de l’aide au développement en santé dans un sens négatif en raison du manque de concurrence? Ou est-ce l'inverse?

Encore une fois, comparons la avec la différence entre la charité et la protection sociale. Sous la charité, tous les gens riches donnent autant qu'ils veulent, quand ils veulent, à qui ils veulent. Certaines personnes riches peuvent être généreux, et peuvent devenir moins généreux si on leur demandait ou contraignait de payer plus d'impôts pour financer la protection sociale. La «concurrence» entre Bill Gates, Warren Buffett et d'autres personnes riches peut avoir certains avantages qui risquent de disparaître. La protection sociale nécessite une coordination: une entité centrale qui perçoit les cotisations et décide comment redistribuer. Il semble probable que certains pays ou certains problèmes de santé particuliers subiraient des conséquences négatives, mais dans l'ensemble, je préférerais toujours être un membre d'un régime de protection sociale, que d'être le bénéficiaire de la charité.

Vous avez travaillé sur la responsabilité sociale collective, y compris cette idée d'un Fond Mondial pour la santé, pour une partie importante de votre carrière. Etes-vous optimiste quant aux perspectives de la solidarité dans le monde entier, ou la pérennité sociale comme vous l'appelez?

Oui, cela se produira. Mais je ne sais pas quand. Je suis devenu assez pessimiste sur le calendrier, mais je reste confiant que cela se produira. L'alternative d'un régime mondial de protection sociale augmente l'isolationnisme - chaque pays tentant de faire face à ses propres problèmes à sa façon. Il n'ya pas d'avenir pour l'isolationnisme. Ulrich Beck peut paraître naïf quand il soutient que le changement climatique pourrait sauver le monde, mais il marque un point. Les changements climatiques nous obligent à penser au-delà de l'Etat-nation.

1 Commentaire

Participation communautaire en Afrique: "ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie" - Entretien avec Fred Golooba-Mutebi.

5/17/2013

4 Commentaires

 
Picture
25 ans après l'Initiative de Bamako, nous continuons notre exploration de la participation communautaire en Afrique. Le Dr. Frederick Golooba-Mutebi est politologue, il est Senior Research Fellow à l'École de l'Environnement et du Développement de l'Université de Manchester et chercheur associé au Programme sur la Politique Energétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute de Londres. Il a publié de nombreux articles sur le système de santé et la gouvernance locale, avec une concentration particulière sur l'Ouganda, le Rwanda, le Sud Soudan et l’Afrique du Sud.

Jean-Benoît Falisse: Vous avez travaillé sur les questions de participation communautaire depuis quelques années maintenant. Qu’est ce qui a déclenché votre intérêt pour ce sujet?

Fred Golooba-Mutebi:
Mon intérêt découle de la connaissance que j'avais de la façon dont la société dans laquelle je suis né fonctionne. En ayant grandi dans cette société, je savais à peu près comment les gens ressentaient et pensaient différentes choses. Un aspect clé de la participation est qu'elle suppose que les communautés, où qu'elles se trouvent, on toujours envie de s'affirmer vis-à-vis de leur dirigeants ou de personnes en position de pouvoir et d'autorité. Ma propre société est très hiérarchisée. Les gens traitent généralement leurs leaders avec déférence. Même lorsque l'on ne respecte pas un leader ou que l’on a un problème avec lui, on est plus susceptible d'éviter ce leader que de l’affronter. L'idée de la participation, avec des gens qui demandent des comptes à leurs dirigeants, est donc une proposition difficile. Traditionnellement, les dirigeants locaux ne rendaient pas directement compte à la communauté. Ils rendaient compte à leurs chefs, aux supérieurs de ceux-ci, et finalement au roi. En des temps éloignés (durant la période précoloniale), avant que la région où je suis né ne devienne plus peuplée, les gens pouvaient facilement déménager d'une région à l'autre. Cette possibilité leur permettait de quitter les zones présidées par des dirigeants qu'ils n'aimaient pour aller dans des zones avec des dirigeants qui avaient la réputation d'être bon. Pour un dirigeant, la conséquence d’être rejeté par la population qui avait « voté avec ses pieds » était souvent d’être finalement destitué par le roi. En bref, ma connaissance de ma propre société était en contradiction avec la théorie de la participation populaire. Cela a déclenché chez moi un intérêt pour moi pour étudier dans quelle mesure cette participation restait possible. J'ai trouvé que cela ne l’était pas vraiment. Qu'on le veuille ou non, les traditions et les manières de voir et de faire les choses vivent très longtemps.

La participation communautaire est un principe clé de l'Initiative de Bamako. Aujourd'hui, il semble que l'Initiative de Bamako n'a pas atteint ses objectifs. Quelles en sont les principales raisons d’après vous?

Il y a plusieurs raisons. La première est que la prestation de services en matière de soins de santé échoue en raison de facteurs qui vont bien au-delà de ce à quoi la participation peut répondre ou de ce qu’elle peut rectifier. Je pense par exemple à la disponibilité des médicaments et des ressources humaines dans les zones rurales et à la supervision professionnelle nécessaire à la prestation des soins selon les normes établies. L'idée de vouloir «capturer» pour le secteur public l’argent que les gens dépensaient dans les prestations privées était une bonne chose. Cependant, la faiblesse de l’Initiative de Bamako réside dans l'hypothèse que les gens seraient autant disposés à payer pour des soins dans les établissements publics que dans des établissements privés. L’expérience en Ouganda a montré que ce n'était certainement pas le cas. Pour beaucoup de gens pauvres, payer pour les soins dans les établissements publics en plus de payer des impôts était une contradiction dans les termes. « Pourquoi payer des impôts et ensuite payer pour des services publics? » Les gens savaient que la vocation des propriétaires d'établissements privés était de «faire des affaires» et donc de faire un profit, mais l'idée que les établissements publics fassent de même était en conflit avec la compréhension de beaucoup de gens de ce que les gouvernements sont censés faire, qui est de fournir des services de soins de santé gratuits. Plutôt que de payer pour des services publics de qualité inférieure, les gens préfèrent naturellement une prestation privée de meilleure qualité et plus réactive. La prolifération des établissements privés de toutes sortes rend la possibilité de «sortir» (exit) de l'offre publique assez facile. Sur les marchés de la santé peu réglementés des pays pauvres, les prestataires privés sont plus qu'heureux de fournir à leurs clients les services qu'ils veulent, pas nécessairement ceux dont ils ont besoin. Dans les années 1990, Susan Reynolds Whyte a constaté que, dans les régions rurales en Ouganda, les gens pouvaient se présenter dans les « pharmacies » et demander ce qu'ils voulaient comme médicaments, dans les proportions qu'ils s'étaient fixés, et en cohérence avec le montant d'argent qu'ils avaient. L'Initiative de Bamako est donc en deçà de ses aspirations parce qu'elle était fondée sur des présomptions plausibles mais discutables.

Pourquoi des propositions de participation communautaires telle que l'Initiative de Bamako apparaissent-elles à la fin des années 80 '? Pourraient / devraient elles avoir été conçues différemment?

Ces initiatives sont apparues au moment où il y avait un besoin urgent de changement. L'offre publique de services de santé dans la plupart des pays en développement était catastrophique. Il y avait une nécessité d'une réflexion radicale, de trouver les moyens d'aboutir à une amélioration. Oui, ces stratégies auraient pu être conçues différemment. Le principal problème, pour autant que je le comprenne, était l’approche « one-size-fits-all » (« taille unique »), suivant laquelle des initiatives de développement sont introduites dans tous les pays de la même façon, sans égard à aucune considération contextuelle. Clairement, chaque pays est différent, et tous les pays ne peuvent pas suivre le même chemin, dans les mêmes voies prédéterminées et promues par l'industrie du développement. Chaque pays devrait essayer de faire ce qui convient à son contexte plutôt que de s’aligner sur les soi-disant «bonnes pratiques». Si des pays comme le Rwanda ont eu plus de succès que d'autres dans la réforme de leurs systèmes de santé et de leur économie, c'est parce que, comme la recherche du Programme politique énergétique de l'Afrique à l'Overseas Development Institute l’a découvert, ils ont choisi le « meilleur ajustement » (best fit) plutôt que pour les « meilleures pratiques » (best practices). Ces expériences nous fournissent des arguments pour remettre en cause la tendance au sein de l'industrie du développement à promouvoir des solutions universalistes aux problèmes de développement et de gouvernance.

Vous avez été une voix critique de la participation communautaire et vous venez d'Ouganda - contrairement à un bon nombre d'éminents chercheurs sur la participation de la communauté qui viennent de l'Amérique du Nord / Europe de l'Ouest. Pensez-vous qu'il y a une "doxa" (occidentale) de la participation communautaire? Était-ce surtout une lubie des bailleurs de fonds?

Comme je l'ai dit au début, mon scepticisme quant à la participation découle de ma compréhension de la façon dont la communauté dans laquelle je suis né et ai grandi fonctionne, et comment des choses telles que le leadership y sont comprises. Il n'a jamais été tiré d’une théorisation de ce qui est bon pour les communautés pauvres. Le problème avec l'industrie du développement est qu'elle est dominée par des théoriciens dont la compréhension du monde ou des mondes qu'ils veulent changer ou améliorer est limitée et informée par des visites de courte durée et dans par des interactions superficielles avec les personnes dont ils veulent améliorer l’existence. Il me semble que le problème est vraiment le libéralisme naïf des étrangers bien intentionnés mais mal orientés qui travaillent avec des initiés locaux (des insiders) qui sont trop disposés à jouer le jeu sans se poser de sérieuses questions. À mon avis, les Rwandais sont vraiment dans le bon en refusant d'être traînés/accompagnés de force, en remettant en question et en rejetant ce qu'ils croient ne fonctionnera pas pour eux et en choisissant ce qui fonctionne pour eux.

Pensez-vous qu'il serait judicieux d'envisager d'utiliser des mécanismes de participation communautaire en Amérique du Nord / Europe de l'Ouest?

Je ne le pense pas. Les mécanismes participatifs exigent beaucoup de temps des gens. Vous ne pouvez pas attendre des gens dans une communauté qu’ils organisent toutes ces réunions et prennent toutes les décisions; quel temps leur reste-t-il pour vivre? J'ai vécu en Europe. Je n'ai jamais été assis dans une seule réunion communautaire et si quelqu'un avait exigé moi d'assister à autant de réunions que ce que l’on demande à ma mère dans notre village en Ouganda, je n'aurais jamais eu le temps de le faire. Ma mère assiste à très peu de réunions pour les mêmes raisons.  Dans les quartiers de Londres où j'ai vécu, les services fonctionnaient parce que le Royaume-Uni dispose d'un Etat qui  fonctionne. C'est de cela que l'Afrique et le monde en développement a besoin, et non de la participation communautaire. Cela ne veut pas dire que la participation n'a pas de valeur. Elle peut renforcer un Etat solide dans lequel les gens peuvent se lever et exprimer leur mécontentement quand ils le jugent nécessaire. Cela ne peut marcher que dans un contexte où l'Etat est réactif. Sinon, les gens ne voient pas de raison de s'engager dans une action citoyenne qui ne donne aucun résultat.

Si je comprends bien, la participation communautaire dans les services sociaux en Ouganda a également été très fortement encouragée par l'Etat. Quelle en était la raison? Est-ce que cela n’a pas un peu plus affaibli l'Etat?


En tant que mode de développement, la participation a coïncidé avec la montée en puissance du Mouvement de résistance nationale (NRM). La direction du NRM avait testé l'intérêt des citoyens à participer à la prise de décision pendant la guerre civile quand ils ont organisé les citoyens en conseils locaux afin de leur permettre de prendre en main des choses telles que la sécurité ou le recrutement de soldats dans les zones qu’ils contrôlaient. Ces arrangements ont assez bien fonctionné et le NRM a cherché à les appliquer à la gouvernance d'après-guerre, une fois qu'il a pris le pouvoir. Le fait que ces arrangements offraient une fenêtre d’opportunité pour pénétrer les campagnes, saper les structures traditionnelles d’autorité, et renforcer leur Etat central n’est pas étranger au choix de cette stratégie. En outre, la prise du pouvoir du NRM coïncide avec la période du début de l'après-guerre froide quand la démocratisation et l'accompagnement des phénomènes tels que la décentralisation étaient à l'ordre du jour des donateurs. En ce sens, il y avait une coïncidence d'intérêts entre la direction du NRM et la communauté des donateurs. Deux décennies plus tard, nous savons qu'il y a eu beaucoup de naïveté en supposant que les gens ordinaires voulaient et étaient capables de surveiller leurs dirigeants et de diriger leurs services de base. Je ne pense pas que la participation affaiblit l'Etat, c’est plutôt qu’elle ne fait rien pour renforcer des Etats déjà faibles. Elle a permis à certains gouvernements de se soustraire à leurs responsabilités de faire fonctionner les choses et à mettre la charge sur ses citoyens qui ne possédaient ni l'envie ni la capacité pour le faire.

Dans un article récent, vous affirmez que «la coordination et la supervision verticale et horizontale et la solidité de la mise en place effective de mécanismes de rendre compte» sont les clés de la prestation efficace des services sociaux. Quel est exactement le rôle des communautés là-bas? Quel est l'avenir de la participation communautaire dans la prestation des services sociaux?

Oui, en effet, ce sont les clefs à mon avis. Les communautés devraient avoir des moyens par lesquels elles peuvent mettre la pression sur leurs dirigeants si elles jugent que c’est la chose à faire ce moment. Cela pourrait se produire si, par exemple, elles trouvent que la qualité de la prestation de service est en dessous de leurs attentes. Pour ce faire, des campagnes de sensibilisation doivent être organisées afin de s'assurer que les gens connaissent leurs droits. C'est plus ou moins la situation dans les démocraties occidentales. Les gens ne sont pas obligés - et je dis bien obligés - de participer à la prise de décision à l'échelle où les gens dans les pays pauvres le sont. Toutefois, lorsque les dirigeants prennent des décisions qu'ils jugent inacceptables, ils ont le droit de manifester ou de s'engager dans des formes d'action citoyenne qui leur permettent de transmettre leur message ou messages à ceux à qui ils sont destinés. Cependant, il ne faut pas s'attendre à ce que le changement survienne du jour au lendemain. Le genre de militantisme que nous voyons dans les démocraties avancées s’est enraciné dans de longues périodes de temps.

Il me semble que la participation populaire est rarement considérée comme un acte politique. De votre recherche et d'expérience, diriez-vous que la participation populaire est un acte politique?

Si nous sommes d'accord que la participation est destinée à influencer la prise de décision et dans un même sens l'allocation des ressources, alors il s'agit de faire un choix entre ou parmi des idées concurrentes. C’est donc un acte politique. C'est dans un sens aussi une des raisons pour lesquelles la participation populaire est une proposition difficile dans des contextes où les relations entre les dirigeants et le peuple qu'ils dirigent sont très hiérarchisée et n'entraînent pas de confrontation directe ou de contestation.


4 Commentaires

En Afrique aussi, l'accès financier aux soins de santé est une réalité politique

2/8/2012

1 Commentaire

 
Bruno Meessen

Plusieurs observateurs l’annoncent : le système de santé sera un des thèmes important des élections présidentielles françaises, en tout cas pour départager les trois candidats suffisamment rassembleurs pour avoir une chance d’être président le 6 mai au soir : Nicolas Sarkozy, François Hollande et François Bayrou.

Les Français sont en effet de plus en plus inquiets de l’évolution de leur système de santé – cf. par exemple le débat sur les déserts sanitaires ruraux. La sécurité sociale est en déficit, des mesures doivent être prises, les candidats et les électeurs le savent. Un récent article dans Le Monde indique que les candidats sont en plein positionnement stratégique.

La grande prudence affichée par les candidats français sur la problématique de l’accès financier aux soins de santé - comment proposer des solutions sans mécontenter certains groupes d’électeurs (et les médecins en particulier)? - m’a interpelé dans ma pratique d’expert du Nord engagé sur ces mêmes problématiques au Sud. Il est en effet remarquable de voir combien, nous, les économistes de la santé du Nord, sommes souvent ignorants des enjeux relatifs aux rapports de forces  dans les pays du Sud. Attention, ce qui m’interpelle ce ne pas le silence des experts du Nord. Comme expert invité dans un pays qui n’est pas le mien, il me paraît crucial de faire preuve de réserve. Ce que je dénonce c’est notre ignorance. Cette ignorance ne nous dissuade pas pour autant d’être parfois assez péremptoires dans nos prises de position. Pourtant, il est évident que les stratégies d’accès financiers et la couverture universelle en générale vont s’établir dans des environnements politiques riches en rapports de forces et clivages sociétaux. Aujourd’hui, c’est un peu comme si d’un côté il y avait une sphère de discussion des enjeux techniques et de l’autre celle des enjeux politiques. La première sphère serait celle qui est ouverte à tous les experts, la seconde serait celle réservée aux citoyens du pays concerné. Ces deux sphères semblent coexister de façon déconnectée.

Mais comme le montre le débat en France et l’a montré de façon encore plus criante le débat aux Etats-Unis, les options techniques véhiculent aussi des enjeux politiques majeurs : il y aura des gagnants et peut-être des perdants ; peu seront passifs. Certains découvriront ce qu’ils risquent de perdre avec la réforme et adopteront des tactiques de résistance. Dans le meilleur des mondes (le monde naïf des techniciens !), les décideurs seraient à l’écoute de toutes les parties concernées, qui seraient elles-mêmes constructives : au final, la politique intégrerait leurs préoccupations ou ferait en tout cas des arbitrages assumés. La réalité est différente : les parties menacées dans leurs intérêts  peuvent aussi décider de s’allier avec ceux qui sont hostiles à la politique, simplement parce que cette dernière est une proposition de leur adversaire politique. A cet égard, si on croit en la nécessité de plus d’équité en matière de santé aux Etats-Unis, on ne peut qu’être pétrifié en voyant Mitt Romney ‘retourner sa veste’ : après avoir introduit la couverture universelle dans son Etat du Massachusetts et avoir de facto inspiré la réforme d’Obama, il doit dénoncer désormais cette dernière, s'il veut remporter les élections primaires républicaines ! L’exemple des Etats-Unis nous a aussi montré comment ce jeu d’influence des parties prenantes prévaudra tout au long du processus de la formulation politique, parfois au point de défigurer la proposition technique initiale.

Cette réalité politique n’est pas propre aux pays riches, ni même aux démocraties. Il y a quelques années, j’avais eu ainsi beaucoup de plaisir à éditer le travail courageux d’une chercheuse chinoise décrivant les rapports de force affectant une réforme pour améliorer l’accès aux soins des plus pauvres en Chine rurale (en anglais seulement). De tels champs de forces et luttes politiques ont bien sûr également cours dans chaque pays africain.

Pourtant on en sait très peu, en particulier en ce qui concerne l'Afrique Francophone (1). Cette faible connaissance des champs de forces politiques m’inspire des hypothèses d’explication et trois invitations.

Il y a sans doute différentes raisons pour lesquelles les enjeux politiques sont peu abordés aujourd’hui dans la réflexion sur la couverture universelle et l’accès financier aux soins dans les pays africains. Il y a les explications qui ne sont pas spécifiques à l’Afrique : comme économiste de la santé, je sais par exemple que la profession s’est encore très peu intéressée aux enjeux d’économie politique dans le secteur de la santé ; le déficit est quasi universel (les choses ont sans doute commencer à bouger avec le débat créé par l’ « Obamacare », n'hésitez pas à nous informer de contributions intéressantes). Cette négligence n'est pas dans le seul chef des économistes: depuis plusieurs années, les appels se sont multipliés pour plus d'attention aux enjeux politiques des réformes dans la santé; ces appels n'ont pas entraîné un développement massif de ce programme de recherche. Peut-être les bailleurs de fonds pour la recherche et les académiques sont mal à l’aise avec les questions qui divisent? Seraient-ce des sujets tabous? (2)

Derrière ce peu d'attention aux enjeux politiques, il y a peut-être aussi des explications plus spécifiques à l’Afrique ou dans son rapport au monde. Les lecteurs de ce blog ont certainement des pistes d'explications. Personnellement, j'observe que le débat et l’agenda de recherche en Afrique restent en partie déterminés par des acteurs basés au Nord. Une des conséquences de cet état de fait est que ce qui est méconnu par ces acteurs extérieurs risque de rester dans l’ombre.

Ma première invitation s’adresse donc aux scientifiques africains. Ces deux dernières décennies, vous avez mené et participer à beaucoup d’études pour documenter l’inaccessibilité aux soins dans vos pays. Les pistes de solution possibles – mutuelles, gratuité, fond d’indigents… - ont également été documentées grâce à des projets pilote. Plus récemment, les politiques nationales se mettant en place, vous avez pu contribuer à leur évaluation, y compris sur les questions apparemment triviales liées à leur mise en œuvre. Tout cela était pertinent, mais ce n’est pas encore assez. Si vous voulez faire avancer l’agenda de la couverture universelle sur le continent africain, il va falloir élargir le champ d’analyse au-delà des enjeux techniques de l’accès financier aux soins de santé: il faut aborder les questions d'économie politique sous-jacentes aux réformes qui sont menées, comme l'ont fait par exemple Agyepong et Adjei pour le Ghana. Bien sûr, étudier les  contraintes que posent les clivages professionnels, sociaux, géographiques et ethniques sur la couverture universelle ne sera pas facile. Mais ce n’est pas parce qu’un sujet est difficile qu’il faut l’écarter. Sans votre connaissance fine de la réalité locale, ce programme de recherche n’avancera guère. Or il est crucial.

Ma seconde invitation va aux chercheurs du Nord. Ce n’est pas parce que ces questions sont spécifiques aux pays, qu’il faut les négliger. Vous pouvez  aider à mieux baliser cet agenda, en isolant les questions de recherche les plus pertinentes, en développant des méthodologies rigoureuses (impliquons les chercheurs avec une formation de ‘sciences politiques’ !) et en collaborant avec les chercheurs nationaux. Votre plus grande distance par rapport à la réalité observée, le fait que vous avez plus d’opportunités pour comparer les contextes entre eux, seront aussi des atouts pour l’analyse.

Nous sommes d’accord : cette documentation de la réalité politique nationale comme contrainte de la couverture universelle est quelque chose de sensible. Les chercheurs ne peuvent bien sûr pas aller seuls au combat : d’autres doivent œuvrer auprès des gouvernements pour créer un espace de liberté académique suffisant.  Ma troisième 'invitation' s’adresse donc aux 'puissantes' agences de l’aide. Cher OMS, toi qui porte le flambeau de la couverture universelle, tu peux aider à légitimer cet agenda. Chère Banque Mondiale, toi qui a déjà développé un intérêt et des méthodes pour traiter des questions d’économie politique, persévère (mais apprend un peu à impliquer les chercheurs nationaux !).  Cher UNICEF, nous sommes heureux que tu ais récemment identifié l’équité comme priorité aussi pour les enfants, ose aborder aussi les iniquités dont les racines sont avant tout politiques. Chère Banque Africaine du Développement, aide-nous à convaincre les gouvernements africains qu'il faut étudier les dimensions politiques des réformes qu'ils mettent en oeuvre. C’est à vous et à d’autres de créer la brèche dans laquelle les chercheurs pourront se glisser. Mais entendons-nous bien : cet agenda de recherche transnational a besoin de soutien politique et financier, pas d’instrumentalisation!

Nous sommes convaincu que ces efforts communs seront in fine bénéfiques aux populations.

Notes:
(1) La communauté scientifique anglophone a été plus active à cet égard, notamment grâce aux travaux de Lucy Gilson en Afrique du Sud. Valéry Ridde a publié plusieurs papiers intéressants sur
la (non-)prise en charge des indigents au Burkina Faso.
(2) Un exemple qui m'est proche: pendant longtemps, les meilleurs économistes belges ont été réticents à s’intéresser aux différences (en termes de préférences politiques et sociétales) qui distinguaient les différentes régions de mon pays. Ca a changé, mais il n'est pas sûr que leur intérêt récent sauvera la Belgique.
   
1 Commentaire

    Our websites

    Photo
    Photo
    Photo

    We like them...

    SINA-Health
    International Health Policies
    CGD

    Archives

    Septembre 2019
    Juin 2019
    Avril 2019
    Mars 2019
    Mai 2018
    Avril 2018
    Mars 2018
    Février 2018
    Janvier 2018
    Décembre 2017
    Octobre 2017
    Septembre 2017
    Août 2017
    Juillet 2017
    Juin 2017
    Mai 2017
    Avril 2017
    Mars 2017
    Février 2017
    Janvier 2017
    Décembre 2016
    Novembre 2016
    Octobre 2016
    Septembre 2016
    Août 2016
    Juillet 2016
    Avril 2016
    Mars 2016
    Février 2016
    Janvier 2016
    Décembre 2015
    Novembre 2015
    Octobre 2015
    Septembre 2015
    Août 2015
    Juillet 2015
    Juin 2015
    Mai 2015
    Avril 2015
    Mars 2015
    Février 2015
    Janvier 2015
    Décembre 2014
    Octobre 2014
    Septembre 2014
    Juillet 2014
    Juin 2014
    Mai 2014
    Avril 2014
    Mars 2014
    Février 2014
    Janvier 2014
    Décembre 2013
    Novembre 2013
    Octobre 2013
    Septembre 2013
    Août 2013
    Juillet 2013
    Juin 2013
    Mai 2013
    Avril 2013
    Mars 2013
    Février 2013
    Janvier 2013
    Décembre 2012
    Novembre 2012
    Octobre 2012
    Septembre 2012
    Août 2012
    Juillet 2012
    Juin 2012
    Mai 2012
    Avril 2012
    Mars 2012
    Février 2012
    Janvier 2012
    Décembre 2011
    Novembre 2011
    Octobre 2011

    Tags

    Tout
    2012
    Accountability
    Aid
    Alex Ergo
    Assurance Maladie
    Bad
    Bamako Initiative
    Bénin
    Bruno Meessen
    Burkina Faso
    Burundi
    Civil Society
    Communauteacute-de-pratique
    Communauté De Pratique
    Community Of Practice
    Community Participation
    Conference
    Cop
    Course
    Couverture Universelle
    CSU
    Déclaration De Harare
    Divine Ikenwilo
    Dr Congo
    économie Politique
    élections
    équité
    Equity
    Fbp
    Financement Basé Sur Les Résultats
    Financement Public
    Fragilité
    Fragility
    Free Health Care
    Global Fund
    Global Health Governance
    Gratuité
    Gratuité
    Health Equity Fund
    Health Insurance
    ICT
    Identification Des Pauvres
    Isidore Sieleunou
    Jb Falisse
    Jurrien Toonen
    Kenya
    Knowledge-management
    Kouamé
    Leadership
    Mali
    Management
    Maroc
    Maternal And Child Health
    Médicaments
    Mise En Oeuvre
    Mutuelle
    National Health Accounts
    Ngo
    Niger
    Omd
    OMS
    Parlement
    Participation Communautaire
    Pba
    Pbf
    Plaidoyer
    Policy Process
    Politique
    Politique De Gratuité
    Politique De Gratuité
    Post Conflit
    Post-conflit
    Private Sector
    Processus Politique
    Qualité Des Soins
    Qualité Des Soins
    Quality Of Care
    Recherche
    Redevabilité
    Reform
    Réforme
    Research
    Results Based Financing
    Rwanda
    Santé Maternelle
    Secteur Privé
    Sénégal
    Société Civile
    Uganda
    Universal Health Coverage
    User Fee Removal
    Voeux 2012
    Voucher
    WHO

Powered by Create your own unique website with customizable templates.